Sortir des guerres évangéliques

« Dehors les bateleurs, les mythomanes »
Jacques Fradin

Jacques Fradin - paru dans lundimatin#468, le 26 mars 2025

Comment reprendre le plus vieux débat (bi-centenaire) « socialisme scientifique » / « socialisme utopique » ?
Enrichi par la poussée fasciste et par la psychanalyse de la pulsion [1].

Nous l’avons longuement analysé (Punk Anarchism, Miettes 6) l’énergie psychique (la pulsion), le rêve, l’amour, l’illusion, tout cela peut être mobilisé, canalisé, concentré.
Et cette mobilisation de l’énergie psychique, de l’amour dans le cas religieux (évangélique, la manipulation de la croyance), cette mobilisation autoritaire, perverse, est au centre de l’œuvre fasciste [2].
Qu’est-ce qui est au centre de l’œuvre fasciste ? La mise en ordre des énergies utopiques. La mise en route du rêve. La militarisation de l’illusion (une variante du nationalisme et de ses propagandes guerrières).

Combattre le fascisme ? Rêve contre rêve ? Utopie contre utopie ?
Ne faut-il pas plutôt déserter le champ de bataille libidinal, l’espace commun des illusions ?
Définir le rêve, le fantasme, l’utopie, l’illusoire, comme l’espace psychique de la contre-attaque, c’est tomber dans une canalisation du libidinal qui promet la victoire au fascisme (comme le montre ce siècle).
Car le fascisme est le maître des énergies utopiques.
Il y a un champ commun utopique.
Là où officient les maîtres rêveurs, les grands manipulateurs, les démagogues, les chevaliers de l’imaginaire radical (du « socialisme utopique »). Les magiciens du fascisme qui font sortir le fascisme de leur cœur utopique.

Il est temps de reprendre, à nouveaux frais, le « socialisme scientifique ».
Il faut penser scientifiquement : déconstruire les rêves de manière matérialiste (via la psychanalyse).
Toujours relier les rêves aux structures de domination. L’extérieur qui envahit l’intime. Car il n’y a pas de rêve extérieur aux structures de domination : le rêve est dans la réalité.
Pour sortir de la domination, il faut sortir du champ utopique. Sortir du libidinal, de l’amour, de la croyance et de toutes les illusions [3].
Un pas de côté est exigé.
Mais un pas de côté impossible à effectuer pour l’animal proliférant, rêveur ou pulsionnel.
Un pas de côté qui, cependant (mais on le sait depuis longtemps – et les religions s’y sont cassé les dents !), définit l’humanité.
L’humanité au-delà de l’animal.
Mais y a-t-il un au-delà de l’animal ?
Ce que toutes les religions, depuis toujours, ont échoué à promouvoir, « l’humanisation » (par l’étude scolaire), pourquoi, maintenant, en ce stupide moment présent (mais le présent est toujours stupide, économique désormais), trouverait-on un (hyper) maître rêveur, un prophète évangélique, capable d’extraire de l’humain pensant et scolaire à partir de la fange libidinale pulsionnelle, saturée à l’illusoire, au rêve ?
Bien plus, si ce maître rêveur n’a pas pensé, donc déconstruit, l’impasse millénaire de l’utopie, ce cul de sac qui précipite dans un champ de mines, n’a pas pensé ce pas de côté (qui débute avec la pensée freudienne désespérée des années 30), alors il n’est qu’un charlatan frauduleux, comme l’évangélisme sait en produire tant, l’évangéliste missionnaire (qui propage la guerre).
Échanger l’Ukraine contre Gaza ! [4]
Ne voit-on pas désormais les Anges s’équiper pour la guerre spirituelle ?
Incapables, bloqués par leurs ailes imaginaires, incapables du pas de côté (qui définirait « l’angélisme »), incapables de sortir des cercles vicieux des rêves, plus encore piégés par l’illusion de l’amour, incapables de sortir des évangiles militarisés.
Ah ! Arrivent des Anges blindés !
Depuis Troie jusqu’à Hiroshima, et bien au-delà, partout, sans cesse, à l’infini.
Ils poussent ! Leurs miracles illusoires !
Faisant croire à l’animal proliférant (et démographiquement aussi) qu’il pourrait être humain ! Spirituel même ! Le fusil en main ! Alors qu’il n’est qu’un colon vulgaire !Cherchant, toujours, à dépecer son voisin !
Qu’est-ce que l’humanité ? Uniquement l’étude, dans une bibliothèque, l’âme du monde !
Sans cet acharnement à étudier, la science, la gnose, il ne reste que l’animal proliférant, le fameux entrepreneur libertarien, et, donc, fasciste : le roi de la pratique !
Alors que l’humain c’est l’inutile, l’impraticable.

Le problème n’est pas de savoir « comment partir en guerre ». Ça c’est facile !
La croyance, le rêve, l’illusion, le fantasme, le familialisme, la vendetta, la folie trop normale de la jeunesse, l’amour. Ah ! L’amour ! Regardez ce que les chrétiens (et autres évangélistes) en font !
Voilà les ressorts de la guerre, et du fascisme, de la guerre à l’infini, qui définit l’animal proliférant, tant qu’il n’est pas humain – y arrivera-t-il ?
L’animalité psychopathologique, « normale » donc (il est temps de relire Freud).
Le problème est de savoir « comment empêcher la guerre ». Si une telle chose est possible avec cet animal pas encore humain. Mi ange mi bête ? Plutôt un ange bête !
Arrêtez de rêver, cesser de croire.
Pensez, critiquez. Surtout vos croyances.
Sortez des guerre évangéliques, ces guerres infinies.
Abandonnez tout évangélisme. Arrêtez de promettre.
Dehors les bateleurs, les mythomanes.
Cassez tout ce libidinal, l’amour, l’espérance, l’espoir. La grande croyance indéracinable au monde d’après.
Laissez cela aux marchands de sommeil. Et aux fascistes.
Pas d’autre passion dépassionnée que celle de la pensée, de la mathématique la plus inutile (70% des mathématiques, la musique de la pensée).
La paix c’est la sécession, la désertion, le refus des rêves, le rejet des croyances (toutes à déconstruire), l’indifférence à l’évangélisme.

Jacques Fradin

[1Cette reprise, mise à jour, n’est qu’une note à un plus ancien article,Sortir des cercles vicieux de la souveraineté, LM 333, 4 avril 2022.

Et de manière plus générale, il s’agit d’un renvoi à Punk Anarchism, en particulier Miettes 6, LM 187, 15 mai 2021.

Comme cette grande analyse, Punk Anarchism, contient tout ce qui est nécessaire pour renouveler le vieux débat, nous y renvoyons le lecteur peu pressé.

[2Pour ne renvoyer qu’à un ouvrage remarquable, Alberto Toscano, Fascisme Tardif, Éditions la Tempête, janvier 2024, pp. 140-146 avec un renvoi à Norbert Guterman & Henri Lefebvre, La conscience mystifiée, 1936 (réédition 1979). Lire la p. 146 de Toscano.

[3La critique des illusions, l’analyse des rêves est, bien sûr, le travail de la psychanalyse, depuis Freud en personne.
Parmi les tâches « scientifiques » que nous recommandons, il y a celle de l’étude assidue de la psychanalyse, depuis la critique freudienne des illusions.
Ne citons que quelques ouvrages, comme introduction à ce champ d’étude (notons que ce champ d’étude doit se substituer au champ commun utopique : passage de l’utopique au scientifique !).
Sophie de Mijolla-Mellor, Le besoin de croire, Métapsychologie du fait religieux, 2004 ;
Ben Gook ed., Libidinal Economies of Crisis Times, The Psychic Life of Contemporary Capitalism, 2024 ;
Samo Tomsic & Andreja Zevnik, Jacques Lacan, Between Psychoanalysis and Politics, 2016 ;
Samo Tomsic, The Labour of Enjoyment, Towards a Critique of Libidinal Economy, 2019 ;
Samo Tomsic, The Capitalist Unconscious, 2015 ;
Ceci n’étant qu’un échantillon d’une grande bibliothèque à fréquenter assidument (travailler plutôt que rêver !).

[4Ce présent texte est aussi un complément à : L’humanité est morte à Gaza, LM 408, 18 décembre 2023.

Jacques Fradin Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l'évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme.
lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :