Sortir des cercles vicieux de la souveraineté

« Arrêter les machines, c’est les désactiver »
Jacques Fradin

Jacques Fradin - paru dans lundimatin#333, le 4 avril 2022

Déserter, bloquer, casser les machines et les machinations, déserter les projets et « les futurs » ; et non pas imaginer un nouveau fonctionnement (le fameux cercle de la souveraineté : on ne peut combattre la souveraineté avec la souveraineté, serait-elle « une autre » souveraineté, supposée meilleure).
Arrêter les machines, c’est les « désactiver ».
Combattre la souveraineté ne consiste jamais en un accroissement de volonté (ou de « puissance » au sens aristotélicien), mais consiste en une « désistance », en un affaiblissement (de la volonté volontaire) – combattre la souveraineté par plus de souveraineté (ou par une autre souveraineté) nous maintient dans la circularité du pouvoir.

Un premier schéma introductif : le schéma des guerres napoléoniennes (l’invention du « regime change » : l’exportation de « la démocratie »).
Parce qu’il est indispensable de se décentrer, d’abandonner l’occident, pour échapper à la propagande impériale, nous allons parler depuis la Bolivie [1].
Et introduire, sur cette base (le rappel en arrière-plan des événements de Bolivie), un premier schéma introductif, le schéma des guerres napoléoniennes.
Face à l’expansionnisme révolutionnaire américain, exporter la démocratie, faire chuter les tyrannies, se dresse une sorte de nouvelle Sainte Alliance, aussi réactionnaire que l’ancienne.
N’est-ce pas, immédiatement, le meilleur exemple de circularité vicieuse ou infernale ? Circularité infernale que nous allons analyser et dont nous allons tenter de SORTIR.
SORTIE pour laquelle la Bolivie représente un exemple à méditer.
Exactement, donc, nous allons tenter de PENSER ce que signifie SORTIE des cercles vicieux de la souveraineté ; avec l’occurrence présente du cercle vicieux : l’expansionnisme démocratique militarisé faisant face à une réaction inévitable – le cercle vicieux se tenant dans cette « inévitabilité » de la réponse.
Explicitons un peu, en introduction, ce que nous nommons schéma des guerres napoléoniennes (et par la suite, nous raisonnerons toujours sur la base de tels schémas).
Ce premier schéma introductif servira d’entrée, dans le moulin infernal (satanic mill) ; dont nous chercherons (sans doute vainement) la sortie.
D’abord ce schéma explicite la circularité vicieuse : soit le coup d’État en Bolivie (2019) – nous aurions pu parler de celui de l’Ukraine (2014).
Ce coup d’État (comme tous les autres) doit être analysé dans le cadre de l’expansion (en Ukraine) ou de la défense (en Bolivie) de « la démocratie » (ce terme de « démocratie » sera systématiquement déconstruit tout au long de l’article).
Coups réactivant les réflexes guerre froide.
Et ces réflexes, donc des réactions mécaniques (« proprioceptives »), sont les ressorts de la circularité vicieuse (comment répondre à une piqure ?).
Face au « regime change » américain, face à cet expansionnisme révolutionnaire militarisé (de style napoléonien), imposer la démocratie par la guerre, se dresse un « regime stay » russe (et pas seulement russe), la Russie se fantasmant comme le Grand Katechon, celui qui retient, celui qui empêche le chaos (de la guerre révolutionnaire) de se propager.
Si « la démocratie » que cherche à propager les États-Unis est aussi problématique que « la république universelle napoléonienne », le régime stay de la nouvelle Sainte Alliance est, lui, parfaitement réactif, et indique le poids résiduel de l’hégémonie américaine. Cependant l’eschatologie révolutionnaire démocratique est en train de s’effondrer sous le poids des désastres qu’elle génère : encore le schéma napoléonien, et son actualisation en Irak.
Là il faudrait relire l’ancien ouvrage de William Blum [2], un classique de la guerre froide.
Insistons un peu sur ce regime change, qui définit la politique extérieure américaine (révolutionnaire démocratique militarisée).
Et indiquons immédiatement que cette politique est « bipartisane », elle continue (depuis Woodrow Wilson et avant) jusqu’à Bush et Obama et à Biden (l’ex vice-président d’Obama le va-t-en guerre [3] et lui-même bien inséré dans la machine militaire américaine).
La conception américaine du regime change (de la « démocratisation forcée ») est fondamentalement théologico-politique ; la destinée manifeste des États-Unis d’Amérique est de sauver le monde de la tyrannie. Les États-Unis se fantasmant comme la nouvelle patrie du Christ ; voire le lieu de la seconde résurrection (nous voyons immédiatement la symétrie en miroir avec la nouvelle Russie millénariste).
Cette conception religieuse implique que les États-Unis peuvent s’octroyer le droit de renverser un gouvernement (et les coups d’États « démocratiques » sont légion [4] : le dernier concerne la Bolivie, et celui en Ukraine ne date que de 2014).
Nous nous affrontons, alors, à un paradoxe : le fameux paradoxe de la souveraineté [5].
La promotion de la démocratie par des moyens non démocratiques, divers et variés, mais pas différents de ceux utilisés « en interne » pour maintenir l’ordre démocratique, par l’usage de la force militarisée le cas échéant, et par des massacres comme en Irak, ou par une répression interne violente (« maintenir l’ordre »), cela est un paradoxe.
C’est le paradoxe de la souveraineté : l’exigence d’un État d’exception pour maintenir l’ordre démocratique (qui se résume alors à un ordre autoritaire, voire tyrannique).
Comment des peuples qui ne sont pas « en démocratie » peuvent-ils être poussés de force « en démocratie » ?
C’est là qu’interviennent le théologique et le prophétisme démocratique.
Avec l’hypothèse : « tout le monde » attend la démocratie (comme « tout le monde » attendrait le Christ).
Manifestement « la démocratie » est une religion ou un article de foi (et il faudrait montrer qu’il ne s’agit que d’un appendice de la grande religion, la religion économique – la démocratie est le cache sexe de la prédation consumériste : liberté de consommer ce que je veux).
L’expansionnisme démocratique, « humanitaire », n’est qu’une expression actualisée de l’expansionnisme chrétien, de la conversion forcée au christianisme.
Cela est évident pour le cas américain. Qui est une démocratie chrétienne. Et, plus généralement, les démocrates fervents, voire intégristes ou militants (ceux qui font des sauts de cabri pour l’Europe), sont des démocrates chrétiens.
Il faut croire. Et la croyance est portée, soutenue, renforcée, par la militance interventionniste (il est toujours question de croisade).
L’idée de démocratisation forcée, comme celle de christianisation forcée, est une contradiction. Qui se résout par la force des armées du christ démocrate.
Bien entendu, la démocratisation par la force militaire (force supposée être appelée par une conviction profonde ou par un peuple sur le chemin de la conversion et qui veut la démocratie), cette démocratisation (napoléonienne) à la pointe des baïonnettes serait une contradiction logique amusante (le fameux paradoxe du barbier, voir note 5) si elle n’était pas désastreuse.
Comment promouvoir la liberté comme alternative à la tyrannie ?
La démocratie imposée n’est-elle pas la pire forme de la tyrannie, la tyrannie appuyée par la force armée, au nom d’une croyance religieuse (dont nous verrons qu’il s’agit d’un simulacre, d’un mensonge) ? En quoi les démocrates sont-ils différents des Talibans ?
Toujours revenir à l’Irak comme « modèle » de démocratisation (ratée). Ou à l’Afghanistan.
La démocratie, lorsqu’elle devient la justification d’une intervention armée (ou d’un État d’exception au niveau mondial), se dévoile comme la simple variation du despotisme (et exactement le symétrique de la tyrannie dans le champ despotique – c’est cette symétrie qui caractérise le cercle vicieux de la souveraineté : deux nations messianiques qui se font face).

Il semblerait que la révolution soit, de nouveau, impensable. Comme au 16e siècle, où l’idée de révolution était inimaginable. Et il semblerait, comme il est partout clamé, qu’il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme.
Mais qu’est-ce que la révolution ? Un changement radical du système ? De quel système parlons-nous ? Du capitalisme globalisé ? De la démocratie triomphante ?
Ni mondialisation (« heureuse »), ni Empire (avec sa police mondiale organisée par les États-Unis), le dit système est une combinaison soumise à des variations locales et historiques, une hybridation de plusieurs ordres enchevêtrés, l’ordre économique (le capitalisme néolibéral), l’ordre politique du capitalisme (l’autoritarisme néolibéral avec sa police militaire nommé « démocratie » – penser à la croisade économico-politique qui a motivé la guerre de Yougoslavie [6]) et la religiosité de la religion civile économique (le conformisme économique et l’American way of life, l’orthodoxie consumériste, l’obéissance légitimiste, le respect des propriétés).
Un système avec des réalisations spécifiques, définissant la démocratie réellement existante.
Le néolibéralisme autoritaire et répressif (style français) combiné à un simulacre de démocratie (avec une organisation politique verticale et répressive) ; la fameuse démocratie libérale qui ne connaît que les libertés économiques (la liberté de l’inégalité) et réprime toutes les autres, essentiellement par ingestion économique [7].
Le néolibéralisme autoritaire et répressif, combiné à un simulacre de nationalisme et/ou à un ordre religieux étatisé, une religion civique rétrograde (les styles russes ou turcs).
Avec, partout, les mêmes oligarchies kleptocrates (françaises, russes ou turques)
Toutes ces combinaisons mobiles (économie néolibérale, démocratie simulée, unifications religieuses, chrétiennes ou musulmanes) pouvant être colorées spécifiquement selon que l’espace du déploiement des arrangements est plus ou moins proche d’un centre hégémonique. Le néolibéralisme des États-Unis étant différent du néolibéralisme du Brésil, de la Turquie ou de la Russie, etc. Avec cette constante de la priorité à l’économie (capitaliste, néolibérale) et de l’instrumentalisation de la croyance en la démocratie (ou en une démocratie fantasmée, bien loin de la démocratie réellement existante, qui, elle, est une oligarchie ploutocratique – ce que nous nommons despotisme économique [8]).
D’une manière générale, il ne peut y avoir de bon simulacre de démocratie (la démocratie libérale et son assise capitaliste et la promesse d’échapper à la pauvreté) que dans les centres hégémoniques ou coloniaux, dans les centres qui prospèrent sur un capital ancien de prédations [9] ; capital de pirateries qu’il devient cependant de plus en plus difficile de faire prospérer (les limites de la croissance) ; ce qui explique le lent virage des démocraties libérales vers un autoritarisme renforcé, caractéristique des « états faillis » (comme la France [10]).

Nous pouvons écrire une proposition (d’apparence) paradoxale :
Démocratie = richesse = domination économique (prédation, exploitation).
La démocratie est le nom de code du capitalisme (oligarchique, ploutocratique, inégalitaire).
Comment concilier l’inégalité économique avec l’égalité (supposée) de la dite démocratie ?
Cela est bien sûr impossible ; donc la démocratie (supposée, fantasmée) n’est qu’un mirage (le nouvel opium du peuple ; peuple qui croit en « sa » liberté).
Quoi qu’il en soit des détails historiques erratiques, le capitalisme règne en maître.
Sans que cela soit pensable en termes de « mondialisation » fantasmée : le marché libre mondial, la concurrence libre et non faussée, l’incarnation des dogmes économiques ; car il faut toujours penser (pour commencer) en termes de « concurrence oligopolistique », en interne comme en externe, de puissants oligopoles avec leurs oligarques, des « nations » arcboutées sur « leurs champions » de l’oligarchie.
Penser la révolution (la sortie hors du capitalisme) implique de s’affronter à ce capitalisme fractal, hiérarchisé à divers niveaux, oligopoles internes et externes, oligarchies, centre et périphéries, s’affronter au capitalisme hérissé et à ses suppléments différenciés, la dite démocratie libérale du néolibéralisme autoritaire pour le centre, les autoritarismes nationaux hyperlibéraux, plus ou moins confessionnels, voire fondamentalistes religieux, pour les périphéries [11].
Et cet affrontement implique de ne pas succomber aux sirènes de l’une ou l’autre forme : la forme occidentale hégémonique avec le mirage démocratique ou la forme spirituelle religieuse qui n’arrive pas à cacher sa corruption kleptocratique ou coloniale.
Arrêtons-nous sur deux exemples passionnants (de cette polarisation simplificatrice) :
Les États-Unis chrétiens où « la démocratie » (de la meilleure démocratie) est enforcée par la menace : une très ancienne histoire répressive (anti-communiste, par exemple, mais aussi anti-syndicale et, évidemment, raciste), une répression très actuelle (le plus grand espace pénitencier mondial), où la dite démocratie (oligarchique) ne tient, de manière très fragile (qu’est-ce que Trump sinon le visage incarné de la guerre civile ?), que par un mirage, « le rêve américain » ; la combinaison instable de christianisme et de néolibéralisme constituant une sorte de religion civile floue ; où donc cette démocratie simulée (les États-Unis sont une klepto-ploutocratie, une possibilité du despotisme) ne peut perdurer, erratiquement, que sur un socle chrétien, un préalable, ni constitutionnel, ni juridique, de communauté imaginaire (un imaginaire chrétien blanc qui est au centre de la guerre civile) ; les États-Unis n’ont jamais rechigné à invoquer le nationalisme et le destin théologique, la destinée manifeste à policer le monde.
La nouvelle ancienne Russie nationaliste religieuse est une sorte d’image en miroir des États-Unis (d’où la lutte mimétique qui oppose ces deux destins théologiques).
Précisons l’homologie : néolibéralisme sauvage, capitalisme ensauvagé, oligarchies extra-territoriales (la sécession des riches), autoritarisme policier, avec le racisme décomplexé aux États-Unis, religion communautaire imaginaire (rejouant le grand schisme), orthodoxie d’État en Russie, la réaction religieuse chrétienne aux États-Unis.
Mais l’intérêt analytique de la nouvelle ancienne Russie est que son autoritarisme rétrograde (le despotisme est déporté vers la dictature communautaire) permet d’ouvrir le simulacre de la démocratie libérale (symétrique) en en présentant une caricature, simplificatrice et édifiante.
Nous répétons toujours que le modèle explicatif de « notre » démocratie est la Russie ou l’Algérie : les éléments cachés (par la propagande démocratique) deviennent visibles simplement, en particulier le lien entre oligopole et oligarchie.
La révolution va donc se heurter au grand mirage de la liberté réalisée sous forme de la démocratie libérale. Au mirage de l’égalité juridique (immédiatement dissipé par la vision permanente de l’inégalité, mais persistant comme image structurante, religieuse).
Pourquoi se révolter puisque « nous » sommes déjà libres ?
Pourquoi, alors, y a-t-il de la révolte, de l’insurrection et une attente de révolution (de grand renversement) ?
C’est cette forme « démocratique », ce simulacre déconcertant, qu’il faut critiquer sans relâche.
Et de ce point de vue, le combat contre le style de vie américain (American way of life) est prioritaire. Car ce style est hégémonique (ce qui explique pourquoi « les réfugiés » veulent venir en occident : l’attraction par le mirage, le fantasme, ne pouvant être dissipé qu’au prix d’une lutte acharnée – et la perte des illusions peut être dangereuse).
La critique prioritaire de la démocratie libérale est d’autant plus nécessaire que la nouvelle guerre froide relance la glorification de cette démocratie ; par une propagande intense et anti-démocratique (mais la démocratie aurait le droit de se défendre non démocratiquement).

Nous arrivons alors immédiatement aux paradoxes de la souveraineté.
La démocratie ne peut être soutenue démocratiquement ; pas plus que la souveraineté ne peut être l’expression d’une délégation populaire.
Nous arrivons à Giorgio Agamben ; à qui il faut rendre hommage.
D’abord en lisant son œuvre comme une critique de la démocratie et, exactement, du simulacre de démocratie.
Nous pouvons, alors, prendre comme point d’appui la critique intégrale de la démocratie, que déploie Agamben.
En commençant par son slogan le plus connu : le paradigme de l’occident libéral est le camp, le camp de prisonniers (les États-Unis avec le plus gigantesque système carcéral, privatisé), le camp militaire (encore les États-Unis avec la prolifération des bases militaires autour du monde – les États-Unis comme police du monde), le camp d’internement (pour les migrants qui auraient sauté les murs) et, finalement, le camp de concentration (non pas l’Allemagne nazie, mais la France et la guerre d’Algérie).
Le slogan d’Agamben signifie d’abord qu’il faut ouvrir le simulacre.
Et opérer une radicale critique de la croyance démocratique (ce qui implique un travail acharné) [12].

Cette déambulation erratique vers la SORTIE se présente comme une tentative d’orientation dans un monde désorienté [13]. Une promesse d’alcoolique [14], donc.
Car pour s’orienter, il faut d’abord s’arrêter. Et penser. Ce que ne peut certes pas faire un alcoolique. Poussé par sa bouteille.
Mais un alcoolique peut étouffer délibérément le vacarme des propagandes (ou « de la guerre de l’information »).
Et, sous les bombes médiatiques (de la propagande), se transformant en critique dégrisé, comprend qu’il doit continuer sa marche, bien qu’errante : critiquer sans relâche ce que l’ON nomme « démocratie ».
La seule aide que l’alcoolique peut apporter aux Ukrainiens est de persévérer dans sa lutte contre l’Europe, contre la capitalisme, contre « la démocratie », tout en un.
Pour soutenir l’Ukraine, il faut totalement se désolidariser de toute emprise unitaire (nationaliste) et maintenir l’antagonisme interne dans la guerre externe, maintenir l’antagonisme interne de la guerre civile dans la guerre extérieure (générée par une invasion).
Notons, pour éviter les interprétations chauvines, que cela est « un impératif universel » [15].
Ce qui semblera, bien évidemment [16], scandaleux, insupportable (pour toute direction souveraine ou nationaliste, unitaire). Un tel scandale n’étant pas nouveau (et pouvant conduire au bannissement – un thème important d’Agamben).
Mais ce qui peut sembler paradoxal, voire inaudible, est le résultat, tout à la fois, d’une pensée, à nouveaux frais, des désastres de la Grande Guerre (de 14/18), l’incapacité à empêcher la guerre, incapacité qui doit être de nouveau scrutée : pourquoi « les socialistes » ont-ils été incapables d’empêcher la guerre ? Et, d’une manière plus élaborée, d’une pensée de la SORTIE des cercles infernaux de la souveraineté [17].
Cette pensée est entièrement redevable à Giorgio Agamben.
À qui nous rendrons un nouvel hommage.
Car la pensée de la SORTIE des conflits « mimétiques » est la plus lourde à porter (pensons encore une fois au Christ pauvre et au déchaînement de violence contre « sa solution » – le risque d’être injurié comme « traître », ou comme « indifférent » au sort des malheureuses victimes, n’est pas du tout imaginaire [18]).
Pour le dire autrement, pour nous orienter dans le chaos, focalisé en camps combattants, il faut reprendre la plus grande pensée d’Agamben, celle qui pose la plus lourde question :
Comment SORTIR des cercles infernaux de la souveraineté ?
NI pour un camp, celui de la dite démocratie.
Car cette démocratie est l’un des pires montages (de propagande) à la Philip Dick : le plus grand mensonge déconcertant ; qui cache le capitalisme de prédation, la consommation déshumanisée (l’holocauste des animaux), la liberté canalisée (pour le profit), cette liberté soutenue par un immense cimetière.
NI pour l’autre camp, celui dit de la dictature (ou de la bestialité russe – relire Anne Morelli, note 1).
Car il n’y a qu’un seul camp, celui du despotisme, avec des variations locales, comme il y a des capitalismes avec des colorations nationales (mais avec partout des oligopoles et des oligarchies).
Le fameux campisme de guerre froide, choisir son camp, est un magnifique simulacre ; bien analysé par Philip Dick, La Vérité Avant Dernière (ouvrage que nous commenterons, librement, dans une section ultérieure).
Il n’y a pas de camp à choisir, car il n’y a pas de camps alternatifs.
Le même despotisme partout ; contre lequel il faut lutter.
Et si nous voulons reprendre immédiatement le grand ouvrage de Philip Dick (bien supérieur à 1984 d’Orwell, mais moins conformiste et moins tolérable) nous pourrions dire :
Des oligarques kleptocrates, qui cachent leurs prédations dans des paradis pour oligarques (relire l’affaire des Pandora Papers), suscitent des guerres, qui sont des simulacres (mais toute réalité est un simulacre), pour masquer leurs forfaits et conquérir une popularité qu’ils ne pouvaient espérer.
Ces guerres sont d’autant plus faciles à lancer que le mirage de l’unité défensive ou de l’unité nationale menacée est inscrit dans une mémoire longue des traumatismes du passé. Et que cette mémoire longue, comme ineffaçable, est sans cesse réactivée de manière cynique par ceux-là même qui tentent d’échapper à une mémoire courte (trop effaçable : l’actualité), le présent de leurs prédations (encore une fois renvoi aux Pandora Papers et aux oligarques ukrainiens, les alter egos des oligarques russes).
Ne voit-on pas des peuples imaginaires se revendiquant d’un passé multi-millénaire, bien qu’entièrement reconstruit, voire inventé ?
Comment alors SORTIR du piège (de l’emprisonnement que décrit Philip Dick) ?
Comment sortir du bunker idéologique, nationaliste, souverainiste, religieux, où nous sommes enterrés ?

Sortir des cercles diaboliques de la souveraineté.
Cette nouvelle guerre froide est, sans doute, un exemple frappant de cercle vicieux de la souveraineté (ou de cercle mimétique, où chacun rejette « la responsabilité » sur l’autre et ne peut faire autrement que de répondre à l’agression, agression définie circulairement, comme étant de la faute de l’autre : agression américaine pour les Russes, mensonges et interventions unilatérales, agression manifeste russe pour les Américains, un cercle sans fin ; où chacun est sommé de choisir son camp).
Mais pour quelqu’un qui a passé toute sa vie en guerre froide, ou dans l’atmosphère asphyxiante de la guerre froide (les bunkers de Philip Dick), rien n’est moins surprenant que ce nouveau tour du serpent : le cercle vicieux n’est-il pas la divinité supérieure ?
Un dieu caché depuis l’origine du monde ! [19]
Il faut le dire et le répéter sans cesse : la première victime d’une guerre est la pensée ; pensée qui succombe instantanément au déferlement de la propagande – la propagande étant la plus puissante des armes dans la guerre psychologique, cette ombre de la guerre – pensée qui est expulsée par les plus anciens slogans, nationalistes, religieux, occidentalistes ou, au contraire, orientalistes.
Le premier geste d’auto-défense sera donc de maintenir la pensée (et le retrait correspondant), voire de construire une théorie abstraite ; sans crainte du ridicule ou des attaques de tous ceux (fort nombreux) qui exigent de « resserrer les rangs » ou qui exigent « l’engagement », en son sens le plus militaire (la conscription napoléonienne) – l’engagement des écureuils dans la roue infernale.
PENSER par TEMPS de GUERRE.
L’analogue du retour aux catacombes.
Penser par temps de guerre : comment nous orienter dans la cacophonie ? Ou plutôt comment retrouver une simple orientation, lorsque les orientations (vers l’occident ou l’orient) sont tellement imposées (comme « évidences », défendre la démocratie, défendre la patrie menacée) ?
Comment nous orienter dans le chaos ? Chaos maintenant rendu complètement visible, alors qu’il est régnant de toujours ?
Comment nous orienter à partir du moment où il n’y a plus d’orientation, parce que les orientations sont beaucoup trop « évidentes » ? Comme il est « évident » qu’il faut « défendre la démocratie menacée » ?
Nous entendrons, alors, par orientation, la construction d’une pensée.
Certes il s’agira d’une orientation contre-intuitive ; mais « l’intuition », comme « l’évidence », sont commandées par les motifs de la guerre ou du cercle vicieux. Par exemple nous devrons sans cesse briser « l’intuition » démocratique (nous sommes « libres ») et en passer par une critique complète de « la démocratie », avant toute chose.
L’orientation est identique à la construction d’une pensée.
Une contre-religion, si l’on veut. Nous verrons, plus loin, dans la section Ouvrir les Possessions, le rôle cathartique d’une telle pensée critique.
À condition qu’elle soit développée théoriquement (une religion rationnelle !).
PENSÉE, qu’elle se nomme ontologie, métaphysique, science sociale critique, ou n’importe quoi, ce devra être une construction abstraite axiomatique.
Comme il est impossible de donner ici tous les éléments d’une telle pensée critique, à commencer par le lexique spécifique indispensable (il nous faudrait un dictionnaire alternatif pour sortir des slogans martiaux, unitaristes, monothéistes), nous partirons d’une axiomatique intermédiaire [20] que nous nommerons :
AXIOMATIQUE MAOÏSTE.
Axiomatique maoïste qui sera notée : MAO, middle affirmative operator.
Donnons une indication sur cette analyse intermédiaire : il s’agit de PENSER, à la suite de Giorgio Agamben, le lourd problème de la sortie du cercle écrasant de la souveraineté.
Non pas un souverain contre un autre, l’essence de la guerre froide qui recommence, non pas une position contre une autre (la démocratie contre la tyrannie, un royaume égalitaire contre la ploutocratie, etc., sans fin), non pas une force contre une autre.
Enfin SORTIR de l’axiomatique à la Carl Schmitt, ami / ennemi, axiomatique qui justifie le théorème : l’ennemi de mon ennemi est mon ami. Car l’axiomatique campiste à la Carl Schmitt est « réaliste » et décrit « la réalité », le royaume, divisé, en guerre, de ce monde ; mais, en aucune manière, ne permet de penser la sortie (hors de la prison du monde, prison décrite avec précision par Philip Dick, voir note 23) ; au contraire, cette construction empiriste positiviste est une machine infernale pour relancer la roue du destin (« développer une nouvelle force », construire un nouveau royaume, etc.).
Maintenant cette pensée de la SORTIE des cercles infernaux, en suivant Agamben, est déjà bien développée [21].
Mais comme nous sommes en temps de guerre (cette guerre qui n’a jamais cessé) et que la pensée est la première victime de la guerre, nous allons être obligés de déployer une analyse « hybride », où les développements conceptuels seront illustrés par des exemple empiriques.
Précisément même, l’exemple empirique qui nous servira d’imagier sera celui de la guerre en Ukraine (mais, comme nous l’avons déjà dit, l’exemple de la Bolivie servira de contrepoint implicite : toujours penser l’Ukraine avec la Bolivie).
Quel est l’effet immédiat de la guerre ? L’écrasement de la pensée, sous les slogans schmittiens de la guerre froide.
Et l’effet second, « collatéral », est la fracture de la pensée critique (« la pensée de gauche », s’il y a une telle pensée) entre l’occident (la démocratie) et l’orient (la tyrannie).
Le penseur occidental (relire la note 18) se trouvant pris à contre-pied par « la demande populaire » des « citoyens de l’Est » (que nous ne nommerons pas orientaux, car il s’agit plutôt de désorientation), demande populaire des Ukrainiens, pour suivre l’exemple, demande à intégrer l’occident, l’OTAN, l’Europe, la démocratie, la consommation, etc.
Alors même que cet occident, du point de vue du penseur critique occidental, est ce qu’il faut détruire !
Le penseur critique occidental serait-il, alors, un allié objectif de l’impérialisme grand-russien ? Ou de Poutine (pour aller vite) ?
Voilà un bel exemple de dilemme schmittien : ami ou ennemi (du Bush dans le texte).
Voilà un bel exemple de dilemme « réaliste », enfermé dans les cercles des luttes de pouvoir.
Dont, justement, il faut SORTIR.
Commençons par l’IRONIE de la situation.
Alors que le mode de vie impérial (« notre » mode de vie) est insoutenable, politiquement, l’horreur capitaliste et son mensonge démocratique, et écologiquement, inutile, ici, d’ajouter quoi que ce soit, alors que les désastres en tous genres, guerres impérialistes américaines incessantes, prédation énergétique, exploitation sans vergogne, alors que ces désastres sont impulsés POUR ce mode de vie, et qu’ils sont bien plus que bien documentés (une bibliothèque entière de « livres noirs du capitalisme » et de son cache sexe « la démocratie »), « nous » devrions défendre « la demande populaire » d’accéder à ce mode de vie prédateur, nous devrions défendre cette demande « de démocratie » !
Nous devrions défendre un mirage, un fantasme !
Voilà ce que signifie l’enfermement réaliste dans la roue du pouvoir !
Nous devrions même glorifier les nouveaux héros (de la cause de la démocratie), les oligarques escrocs (Zelensky et les Pandora Papers, mais se sont nos « amis »), à partir du moment où ils combattent d’autres oligarques escrocs (mais qui sont nos « ennemis »), ces ennemis qui ne vénèrent pas assez notre mode de vie, bien qu’ils soient tous hébergés dans les Riviera occidentales – notre mode de vie qu’ils connaissent parfaitement : prédation, exploitation, propriété privée, consommation ostentatoire – ces ennemis (intimes) qui peuvent appeler à « détruire l’occident » où ils vivent !
Quelle bonne blague !
L’IRONIE est encore plus ironique puisqu’elle se dédouble.
Les oligarques escrocs qui critiquent « notre » mode de vie (démocratie, prédation, consommation, tourisme), Poutine pour faire image, sont entièrement plongés dans le style prédateur qui définit si bien la démocratie occidentale.
Ces oligarques escrocs « ennemis » sont les alter egos des oligarques escrocs « amis », alliés de l’occident (ou même occidentaux : comparons Bolloré aux oligarques russes).
Alors comme nous l’avons déjà expliqué [22], nous sommes renvoyés quelque part vers 1914.
Où « le peuple », inexistant car toujours divisé, est mobilisé pour défendre « ses » oligarques. Où « le peuple », construit militairement, se « lève en masse » (face à l’agression) pour son propre massacre.
L’effet « réaliste » de la guerre schmittienne, l’unification défensive, le nationalisme, son effet d’incarcération (participer ou trahir), pousse même des universitaires de gauche à défendre ce qui est absolument indéfendable, « la démocratie », voire à la défendre avec le plus vieil adage guerre froide, énoncé par Winston Churchill, l’arrogant colonialiste : la démocratie, le pire des régimes, à l’exception de tous les autres.
Désastre de la pensée.
Pensée qui doit toujours commencer par un recul : « nous » ne sommes pas en démocratie, il n’y a jamais eu de démocratie, défendre la démocratie est un simple mensonge de guerre (puisqu’il n’y a pas de démocratie à défendre, il n’y a jamais eu que des ploutocraties).
Du reste ces universitaires, supposés critiques, ont comme fonds de commerce, critique de gauche, la critique radicale de l’Europe et du néolibéralisme, décrits par eux comme le champ de la guerre civile (guerre civile qui passe à la trappe). Leur retournement démocratique (mettre la guerre civile entre parenthèses, voire l’exclure) n’est-il qu’un signe de vieillissement, d’entropie, ou un besoin de reconnaissance (se plier à la déferlante de la propagande démocratique) ?
Cercle, ironie, dilemme.
Car le sursaut nationaliste ukrainien devant l’agression russe n’a rien de novateur ; et ne fait qu’indiquer l’emprise du national ou du nationalisme, c’est-à-dire de l’espace qui tient la démocratie (et les droits humains), du socle géographique de la démocratie comme religion. Ce sursaut inévitable indique simplement que la roue du pouvoir continue de tourner.
Avec toujours la même impasse : comment la critique de la démocratie peut-elle se retourner (en cercle vicieux) en défense de la démocratie ? Le retournement n’implique-t-il pas une défaillance, une faiblesse de la pensée ?
Bien sûr, il semble qu’il faille adhérer à cette défense nationale, face à l’agression (prendre le point de vue des victimes, mais uniquement dans ce tour du cercle, en oubliant tous les autres : pourquoi seulement ces victimes ukrainiennes ?).
Il faudrait répondre à « la demande populaire », au nationalisme (que conforte toujours la guerre).
« Demande populaire » qui, comme l’explique intégralement la critique de la démocratie, n’est qu’un MONTAGE de guerre (montage voué à perdurer une fois la guerre terminée, apportant du combustible à la circularité vicieuse).
Sans doute le grand échec des révolutionnaires a-t-il été cette incapacité à défaire les nationalismes.
C’est cela qu’il faut maintenant réparer.
Il faut scander, quel qu’en soit le risque : « le peuple » (unifié) est une construction militaire imaginaire.
Et, ironie au 3e degré, inutile de ressortir « le choix libre validé par des élections libres », alors que tous les termes, choix, libre, élections, référendums, décisions démocratiques validées par des votations, etc., doivent être considérés comme des mensonges structurants, des simulacres déconcertants (toujours Philip Dick), simulacres qui ont été déconstruits comme tels, comme des mensonges, par ces mêmes universitaires de gauche qui, désormais, sont rentrés dans le rang.
Idéaux mensongers, d’où tenez-vous ce pouvoir, qui impulse sans cesse (au moins depuis 1914 !) les mêmes actions infernales ?
Encore une fois, l’ironie de l’histoire est que la propagande de guerre anti-russe (propagande cette fois-ci ou toujours justifiée) nous pousse à honorer les Ukrainiens agressés, parce que ces Ukrainiens sont (ou seraient) agressés comme conséquence de leur volonté à vouloir rejoindre l’Europe (la liberté, la démocratie, la consommation).
Les Ukrainiens voudraient rejoindre l’Europe pour défendre la démocratie. Et, accessoirement, pour accéder au mode de vie consumériste (le capitalisme d’abondance déguisé en démocratie).
Nous devrions donc honorer les Ukrainiens parce qu’ils succombent aux mêmes mirages que « nous » occidentaux. Qu’effectivement, ils partagent la même religiosité.
Alors, comment penser, lorsque l’on sait que ce mode de vie (démocratie de consommation) n’est qu’un mirage, alimenté par la prédation ?
Comment penser lorsque cette religiosité (cette croyance en la démocratie) doit être combattue ? Mais lorsque ce combat (contre l’occident) est percuté par le violent choc des nationalismes ? Même l’Ukrainien révolutionnaire devra adhérer à « la défense de la patrie » ; toujours le cercle 1914.
Il faut répéter : le mode de vie occidental n’est qu’un mirage. Pour se maintenir politiquement ce mode de vie (par ailleurs insoutenable) nécessite une fuite en avant désastreuse ; les riches oligarques s’enrichissent outrageusement, et il faut bien quelques miettes pour que les pauvres supportent cette inégalité essentielle (à la base de l’économie) ; il faut une « croissance » destructrice ; il faut un consumérisme du pauvre ; l’ordre se maintient politiquement par ce mirage d’une économie qui serait au service de ses serviteurs.
Mais, bien sûr, toutes ces questions existentielles sont renvoyées, toujours renvoyées, par le miracle de la défense nationale indiscutable : peut-on disserter de la fin écologique du monde sous les bombes ? Peut-on argumenter pour un futur égalitaire lorsque qu’une armée ennemie envahit la patrie ?
Le mode de vie consumériste, que les Ukrainiens voudraient adopter (la démocratie), est insupportable, délirant.
Le désir de liberté et d’être à l’aise (à défaut de devenir riche) devient un article de propagande pour défendre le mode de vie consumériste, c’est-à-dire pour convaincre les pauvres que leur état de dépendance est préférable à tout autre (variante du dicton churchillien).
Le soutien à l’Ukraine est un jeu de dupes, dont le message est : il ne faut pas se révolter ici (le vieux jeu des dupes style guerre froide) ; le soutien aux Ukrainiens semble donner consistance à un mirage.
Nouveau tour du serpent.
Disons-le fermement : le soutien à l’Ukraine (et, exactement, aux exploités dominés de l’Ukraine oligarchique) exige le soulèvement ICI, en occident, contre l’occident.
N’est-ce pas cela la leçon de la Grande Guerre (de 14/18) ?
Il fallait faire la révolution en France (comme en Russie) pour interrompre la guerre.
Mais cette leçon ne semble pas concluante !
Au contraire, cette menace interne ne semble-t-elle pas une nouvelle énergie pour redynamiser le cercle de la souveraineté ? Ou l’emprise des pouvoirs ? L’exemple russe semblant, lui, significatif (la guerre civile et l’intervention étrangère qui imposent une dictature militaire).
Se soulever, ici et maintenant, n’est-ce pas faire le jeu de la Russie ? Et, donc, n’est-ce pas ne pas aider du tout les Ukrainiens ?
Quant à demander aux Ukrainiens de déployer la guerre civile contre leurs oligarques, déclarer, par exemple, une grève générale (pour reprendre des thèmes de 1914), n’est-ce pas « condescendant », ridicule, impossible ? N’est-ce pas, toujours, faire le jeu de l’ennemi ?
Le cercle ne peut s’arrêter de tourner.
Le nationalisme n’est-il pas suffisamment dominant (hégémonique) pour inverser en son contraire et en cercle toute contestation (impossible) ?
Souvenons-nous de l’échec des gigantesques manifestations, aux États-Unis, contre la guerre en Irak ; la guerre a eu lieu, et en guise de regime change ou de démocratisation, le chaos.

Voilà tout ce qu’il faut traverser, ce à quoi il faut se heurter, pour penser la sortie hors des cercles infernaux.
Comment casser la dynamique de la guerre nationale ou inter-impérialiste en favorisant la guerre civile ?
Encore une fois, ce thème était classique vers 1914-1918 !
Comment sortir du piège du réalisme (la défense de la patrie agressée), de l’obligation de s’engager ou de choisir son camp ? Pour ou contre (toujours Bush).
La réalité schmittienne de la guerre implique la définition d’un ennemi : les nazis ukrainiens contre les nazis russes, par exemple.
La fameuse mondialisation, et la paix éternelle promise, laissait craindre la perte d’un ressort essentiel du pouvoir : la mobilisation contre l’ennemi. Puisque « tout le monde » était devenu capitaliste et en route vers la démocratie libérale universelle, la paix éternelle semblait possible (sur le cimetière des damnés).
Alors, sous couvert de cette paix, factice, une sorte d’internationale spectrale pouvait surgir et se déployer contre le capitalisme universel. N’est-ce pas cela que signifiait le mouvement altermondialiste ?
Il fallait donc dissoudre ce spectre. Qui ne fut qu’un mauvais rêve.
Et quoi de mieux qu’un montage unitaire autour d’une guerre, que ce soit la guerre infinie contre le terrorisme, ou la lutte inachevable contre les pandémies, ou maintenant, miracle, l’unité contre l’impérialisme russe.
Alors que la Russie (ironie) est le modèle parfait du capitalisme décomplexé, de l’hyper-libéralisme autoritaire, qui se déploie partout.
Mettre en correspondance les divisions internes du peuple, anti-capitalistes de tous les pays unissez-vous, semble, de nouveau, une opération impossible. Elle doit même être pensée comme délirante par les Ukrainiens ; qui retrouvent une vieille nécessité (de plus d’un siècle).
L’anti-capitalisme est assez simple à penser « en temps de paix » ; lorsqu’il s’agit de dénoncer le simulacre de paix ; ce qui ne veut pas dire qu’il puisse se déployer sans heurts. Mais lorsque les oligarchies réussissent à imposer des guerres nationales (ou leurs variantes mondialisées), l’anti-capitalisme devient très difficile (toujours la leçon de 1914).
L’engagement anti-capitaliste, et, en particulier, l’engagement « suicidaire » pour dénoncer une demande de « démocratisation » ou de rattachement à l’occident démocratique, cet engagement devient inaudible. Surtout lorsque les fanfares de l’occident rejouent leurs morceaux favoris, le droit, l’humanité, la liberté, la démocratie, le peuple.
Comme en 1914, nous sommes pris dans un dense réseau barbelé ; qui est un no man’s land.
Comment déserter le no man’s land sans resté accroché sous la mitraille démocratique ? [23]
Sans soutenir obligatoirement une position « humanitaire » (que l’on sait hypocrite), ni une position nationaliste, défendre le droit du peuple imaginaire, ni, pire, finir par soutenir l’occident (que, par ailleurs, on critique) comme la patrie du droit ou des chevaliers blancs défenseurs des opprimés ?
Quel est le risque majeur qui guette les anticapitalistes, dans cette guerre (« pour le bon droit ») ? Finir comme de vulgaires socialistes chauvins ? Et, petit à petit, se retrouver inféodés aux démocrates américains (de la plus belle démocratie) ? Se retrouver simples soldats de l’occident ?
L’anti-capitaliste pouvant devenir le pire des agents du capitalisme ; et, peut-être finalement, le pire capitaliste du monde « de la paix » ? Serrant contre son cœur Elon Musk travesti en prophète ?

Dans une guerre, qui comme d’habitude, exige de resserrer les rangs, qui impose d’abandonner toute pensée singulière (et toute pensée) pour devenir un perroquet, en jouant sur la peur, alors les directives pour défendre notre mode de vie deviennent des ordres impératifs.
Impossible de maintenir la moindre critique (de la démocratie), sans devenir un traître.
Comment critiquer la démocratie alors que des « résistants à la tyrannie » l’invoquent et la réclament ?
Impossible de refuser les pires thèmes de la propagande de guerre, thèmes qui ressurgissent en masse comme s’ils n’avaient jamais disparus : l’ennemi est un criminel qui tue les enfants (autrefois, « les boches » faisaient rôtir les enfants avant de les manger).
Crimes contre l’humanité, nouveau Tribunal de Nuremberg, une fanfare orchestrale.
Mis au ban de l’agresseur, déploiement massif de l’arme économique (parce que cette arme est encore aux mains de l’hégémonie américaine) ; tous les thèmes de la SDN des années 1920-1930 (qui précipitèrent la seconde guerre).
Et les États-Unis actuels, comme les Français après 1920, qui imaginent que leur victoire (sur le communisme pour les américains) leur assure un droit de police impérial ; et leur permet d’étendre leur empire.
Le point de vue anti-capitaliste est nécessairement un point de vue anti-impérialiste, contre les États-Unis et leur copie, les États-Unis d’Europe.
Qui, d’abord, met en cause l’Empire Américain.
Allons-nous oublier tout ce que nous savons sur l’impérialisme américain ?
Voire retourner cet impérialisme en force de paix ?

Un schéma MAO, middle affirmative operator.
Nous pouvons résumer toutes nos réflexions erratiques en un schéma intermédiaire, schéma qui devrait conduire à une analyse théorique complète.
Ce schéma pourrait se nommer : schéma Grande Guerre (14/18).
Le centre de ce schéma est le suivant :
La Guerre civile (GC) interne est déplacée, effacée, écrasée, par la Guerre Inter-Impérialiste (GI2).
Cette schématisation n’est qu’un exemple de déplacement d’un conflit (GC) par un autre (GI2). Les autres exemples ne feraient que compléter le schéma : le colonialisme, le nationalisme, le fascisme.
Nationalisme : GC est déplacée par l’appel immémorial à l’unité nationale.
Ce que GC révèle est que cette unité est imaginaire ; mais constitue un simulacre efficace (une religion).
Le fascisme est une forme amplifiée du nationalisme. Qui peut, par exemple, ajouter à l’appel à l’unité la nécessité impérieuse de cette unité contre un ennemi, interne ou externe.
Et finalement, pour résumer par la forme amplifiée (toujours la caricature qui révèle mieux les traits saillants), tout déplacement de GC est fasciste.
L’analyse théorique complète permettrait d’exposer les liens qui unissent la dite démocratie libérale, appuyée sur son ordre économique (le despotisme normal) et le fascisme, avec son ordre nationaliste (le despotisme de crise).
Ou, pour le dire autrement, ce que l’on nomme néolibéralisme autoritaire, le libéralisme économique accouplé à un autoritarisme politique (le cas de la France de Macron) est une forme hybride qui permet de penser la continuité despotique, du libéralisme au fascisme.
La notions de despotisme (voir note 12 à la fin) a pour objectif d’analyser le caractère toujours hybride et évolutif des types de gouvernementalité. Le despotisme peut être plus ou moins autoritaire, toujours pour protéger l’économie, ou glisser vers un simulacre de nationalisme fort, censé réunifier, lorsque l’économie est mise en cause.
Le paradoxe de la souveraineté prend alors une forme spécifique, lorsque la défense de la démocratie (qui cache la protection de l’économie et de ses libertés, comme la propriété) exige l’abolition de la démocratie, l’État d’urgence ou l’État d’exception (qui peut devenir illimité, comme en France).
La notion de despotisme a pour but de montrer qu’il n’y a pas de différence de nature entre la démocratie (et son néolibéralisme autoritaire) et le fascisme (une forme extrémalisée du despotisme) ; il n’y a que des différences de degré résultant de l’adaptation aux situations.
Ainsi la dite démocratie française (bien critiquée comme monarchie de droit divin, où le divin est l’économie) s’est toujours trouvée à la frontière fluctuante du fascisme (il faudrait établir un historique des dérives autoritaires).
Le fond de l’affaire est toujours la répression de GC.

Arrivons à Mao lui-même ; et revenons à ses textes, comme point de départ.
Quand l’impérialisme (russe, disons) lance une guerre d’agression, les diverses classes du pays agressé (l’Ukraine, disons) peuvent s’unir temporairement dans une guerre nationale contre l’impérialisme.
La contradiction secondaire (GI2) entre l’impérialisme et le pays agressé devient alors la contradiction principale ; et la contradiction principale (GC) passe temporairement au second plan.
La contradiction principale universelle (GC) n’est pas superposable à la contradiction temporairement dominante et devenue principale (GI2) dans une situation particulière.
La dimension dominante, qui réside temporairement dans la situation particulière, supplante, toujours temporairement, la contradiction principale (GC), par nécessité.
Mais la contradiction principale (GC) reste toujours en arrière-plan.
La difficulté, à contourner, est de toujours conserver cet arrière-plan en mémoire ou en pensée ; de ne jamais accepter la dissolution définitive de la contradiction principale (GC), même si elle doit être déplacée temporairement – c’est ce temporaire qui est essentiel.
Dans chaque situation concrète, réaliste, prédomine une contradiction spécifique, qui est devenue dominante (mais jamais principale).
Pour remporter la bataille de la résolution de la contradiction principale universelle (déployer GC) il convient de traiter une contradiction particulière (GI2) comme la contradiction prédominante à laquelle doivent être subordonnées toutes les autres luttes ; à condition que cette subordination (ou inversion des luttes) soit temporaire et que reste bien présente la capacité de la contradiction principale (GC).
Cette contradiction principale (GC) ne doit, en aucune manière, être dissoute (oubliée).
Dans une occupation étrangère, l’unité patriotique devient la nécessité dominante temporaire ; l’unité est une nécessité dans le jeu des forces réalistes.
Dans ces conditions, toute focalisation directe sur la contradiction principale (GC) va à l’encontre de la lutte dominante (GI2).
Mais cela ne peut être que temporaire. La lutte dominante (GI2), si elle conduit à la neutralisation définitive de la contradiction principale (GC), doit être abandonnée.
L’opportunisme dogmatique implique d’insister sur la centralité de la contradiction principale (GC) au mauvais moment ; mais ce n’est pas la pire des erreurs ; la pire des erreurs est l’envers de l’opportunisme dogmatique, le calcul réaliste des forces, l’opportunisme réaliste, qui mène à oublier que la contradiction principale (GC) est le plan essentiel.
Le calcul réaliste, l’opportunisme réaliste, ne garantit d’aucune manière que la contradiction principale (GC) ne sera pas déplacée indéfiniment (et non pas temporairement), et, en fin de compte, oubliée [24].
C’est cette double critique des opportunismes qui permet de rendre MAO par middle affirmative operator.

Mais alors que devient l’analyse MAO lorsque la lutte anti-capitaliste (GC) est en passe d’être réprimée par la nécessité de la lutte nationale (GI2) ?
Il faut reprendre les termes de la guerre civile (GC).
La lutte anti-capitaliste est une lutte d’émancipation qui doit se penser en termes « subjectifs », c’est-à-dire dans les termes politiques de la plus difficile lutte, de la lutte contre « la démocratie libérale ».
Pour le dire à la manière de Badiou : l’ennemi ne s’appelle pas empire ni capital, mais démocratie. La démocratie est en termes MAO l’aspect dominant temporaire de la contradiction principale (de la lutte contre le capitalisme, la société de consommation, le néolibéralisme autoritaire, et leur couverture démocratique).
Ce qui empêche de critiquer radicalement le capitalisme, c’est la croyance en la forme démocratique d’une transformation pacifique possible du capitalisme.
On sépare alors le capitalisme de la démocratie ; alors que la démocratie réellement existante n’est que le régime politique du capitalisme, ce qu’il convient de nommer despotisme.
Il ne peut exister de lutte démocratique, dans les formes imposées par le despotisme, contre le capitalisme.
Il faut poser : capitalisme = démocratie = despotisme.
Où démocratie est le nom codé (le mensonge déconcertant) du despotisme.
Pour le dire d’une manière subjective : l’ennemi c’est le croyant en la démocratie.
L’économie est, certes, le domaine décisif ; il faut donc rompre l’envoûtement capitaliste (ou consumériste, etc.). Mais l’intervention pour désenvoûter, pour déposséder, est politique.
Le désenvoûtement n’est pas économique (en un sens restreint) mais politique.
L’économie est politique et ne doit jamais être pensée à un niveau technique (productif) mais doit être pensée comme colonisation : l’économie est un processus de domination, d’où procède toute la domination.
L’anti-capitalisme ne peut être qu’une opposition radicale à la formation de domination économique, à la démocratie réellement existante, la démocratie libérale.
La dénonciation de la démocratie comme despotisme économique est essentielle.
Le noyau dur du capitalisme est le simulacre démocratique.
Il faut casser ce noyau dur. Démasquer sans relâche le mensonge déconcertant. Critiquer sans relâche cette croyance (la liberté des modernes).
Ce qui oblige à lutter sur deux fronts.
Ce n’est pas parce que le pouvoir russe utilise la critique de l’occident qu’il faut considérer ce pouvoir comme un allié ; car il s’agit de pouvoir et de cercle : l’ennemi de mon ennemi ne peut être un ami que dans le cercle réaliste schmittien de la souveraineté ; le pouvoir russe, avec son délire rétrograde (de style Sainte Alliance) est un pouvoir ; dont il est impossible d’être l’allié (encore moins l’ami).
Maintenant, et réciproquement, ce n’est pas parce que le pouvoir américain (et occidental, en général) se vante d’être démocrate (la meilleure démocratie) qu’il faut succomber à ses charmes vénéneux (nous avons assez développé ce point : de la critique du simulacre démocratique).
Ni l’un (apparemment critique de l’occident, mais réactionnaire) ni l’autre (qui simule la liberté en la réduisant à l’économie, et est donc aussi despotique que le premier).
Voilà la difficulté, la solitude extrême : la critique du pouvoir qui ne se ramène pas à un autre pouvoir.
Car il faut sortir des cercles du pouvoir. Il faut rejeter ces pouvoirs qui se renforcent en cercle (de style guerre froide).

D’une manière plus théorique, ce rejet des deux pouvoirs en guerre est l’expression du rejet de la dialectique standard de la réconciliation.
La synthèse dialectique, vue comme réconciliation des contraires, comme coopération finale, comme nouvelle unité supérieure de participation, cette idée doit être rejetée.
Ce rejet de la synthèse supérieure (par exemple la victoire finale des démocraties sur les forces tyranniques) a pour signification l’insistance sur la priorité de la lutte et de la division sur toute synthèse ou unité.
Il ne s’agit pas non plus d’une éternelle lutte des contraires (le dualisme antagoniste) ; ni de l’idée simpliste de la lutte infinie (comme dans la cosmogonie yin yang où une chose en détruit une autre et où les choses émergent, se développent puis sont détruites).
Ce n’est pas non plus une dialectique négative dualiste où toute synthèse est une pause momentanée dans la lutte ininterrompue, une pause qui a lieu non plus quand les contraires sont réunifiés, réconciliés, unifiés, mais quand l’un des côté l’emporte, par alternance.
Pour la dialectique dualiste (quelle que soit sa forme précise, cosmogonique ou négative) l’unité des contraires est passagère et transitoire, relative, alors que la lutte des contraires est absolue et répétitive (et justifie le réalisme).
Nous avons d’abord deux approches métaphysiques dualistes de toute constellation antagoniste :
(1) un pôle contre l’autre, par exemple la liberté contre l’oppression ;
(2) la complicité des contraires et leur unité, par exemple le travail et le capital, et pour finir la synthèse des contraires (collaboration, participation)
Mais il faut passer à une troisième version : ni s’engager dans le combat pour le bon contre le mauvais (au choix), ni essayer une synthèse.
Il faut toujours opter pour le PIRE, le Réel.
Certes le choix du pire échoue ; mais c’est cet échec répété qui casse les cercles du monde.
Le seul moyen d’empêcher ou d’arrêter la guerre (des pouvoirs) c’est la révolution.
Non pas l’occident contre l’orient (ou vice versa) ; non pas l’imaginaire vide d’une réconciliation ; mais, ce qui est le pire, le combat contre l’orient ET l’occident, contre toute forme de pouvoir (mobilisateur ou intégratif) sans espérer de pacification.
Et cette troisième version (qui n’est pas une troisième voie) dévoile le vide de l’en dehors, dévoile qu’il y a un en dehors de la réalité.
Pour sortir des cercles de pouvoir (en lutte ou en voie de négociation) il faut se placer en dehors de la réalité ; ne jamais succomber au réalisme trop évident, qui nous maintient dans les cercles de style guerre froide (trouver le coupable, le punir).
Résumons rapidement [25] :
Nous ne pouvons parler que parce qu’il y a des choses qui n’existent pas, qui sont en dehors de la réalité (la parole, en elle-même, est dehors de la réalité, le monde symbolique des mots n’exprime pas un monde physique des choses, monde physique purement supposé).
Pourquoi tant parler de dieu ? Ou de l’amour ?
Le discours manifeste un vide dans l’ordre positif supposé des choses.
Nous pouvons aussi bien parler de choses non existantes que nous pouvons parler sans penser (intentionnellement) ; ainsi l’inconscient est-il un nom de cet en dehors : où nous disons toujours plus que ce qu’apparemment nous disons ou avons l’intention de dire. Nous pouvons même communiquer des choses que nous ne savons pas savoir.
Et, finalement, pour arriver trop vite à notre pensée : la vérité a toujours la structure d’une fiction et se présente comme un simulacre.
Qu’est-ce alors qui peut tourner court dans la dialectique dualiste ? C’est l’impossibilité de sortir de la réalité ; et, alors, la possibilité de penser que tous les problèmes sont des problèmes réalistes, qui peuvent être « résolus » de manière réaliste ; comme choisir son camp ; ou choisir la négociation pour la réconciliation.
Ce qui tourne court dans la dialectique dualiste, c’est la manière d’opposer l’injonction de rupture et de division à la synthèse.
Alors que c’est la rupture qui forme la synthèse.
Qu’est-ce que la négation de la négation ?
L’ordre est nié à l’intérieur de sa forme : l’ordre est nié comme réalité, mais depuis cette réalité (alternative, par exemple).
Puis il faut continuer : la forme est alors niée, la réalité est dénoncée comme simulacre (ou comme construction idéologico-matérielle, comme abstraction réalisée, style le monde chrétien).
La vraie victoire a, alors, lieu quand il est possible de démasquer les simulacres, puis, peut-être, de les dissiper (ouvrir les possessions du style « nous sommes en démocratie »).
La négation de la négation n’est pas un compromis « réaliste », mais le maintien de la négation ; c’est-à-dire la définition de la négation comme auto-référentielle.
Et cette définition nous amène à l’ouvert, au hors monde.
Pour le dire de manière concentrée : la révolution doit combattre sa propre essence.
Ou pour le dire de manière simplifiée : la négativité révolutionnaire ne peut jamais se transformer en un nouvel ordre positif (sous peine de relancer la circularité vicieuse).
Toutes les stabilisations, étatisations, réalisations, sont des restaurations.
La seule manière de « réussir » la révolution est de parier sur son échec et de la recommencer sans cesse. La révolution doit être permanente. Implication de la négation auto-référentielle (qui ouvre), maintien de la négation.
La révolution ne peut avoir le but (elle ne peut avoir de but) d’engendrer du nouveau, si ce nouveau est pensé comme nouvel ordre positif de restauration ; la révolution doit être l’ouverture permanente ; et c’est de cette façon qu’elle peut permettre de sortir des cercles infernaux.
La vraie révolution est une révolution qui révolutionne ses propres supposés ; et en particulier l’idée de réalisation affirmative.
Le problème des tentatives révolutionnaires n’a pas été qu’elles étaient trop extrêmes, mais qu’elles n’étaient pas assez radicales ; en restant toujours à un réformisme révolutionnaire réaliste, en pariant sur un monde futur (évidemment merveilleux).
Ainsi s’explique ce fait troublant que les révolutions (surtout les mieux intentionnées) n’ont jamais été capables de permettre la sortie hors des cercles de la souveraineté.
Une révolution est une ouverture permanente qui ne peut accepter de se réaliser.
Négation de la négation définie comme négation auto-référentielle ou maintien de sa négation.
Si nous nous contentons de changer la réalité pour réaliser des rêves, sans changer ces rêves eux-mêmes, sans mettre les rêves en dynamique, nous allons obligatoirement régresser vers une nouvelle réalité étatique (ou statique).
C’est cette régression empiriste positiviste réaliste qui est la clé de l’échec de toutes les sorties hors des cercles des pouvoirs ; ce pourquoi il n’y a jamais eu de « paix », la paix étant toujours confondue avec la pacification (des cimetières).

La vérité toujours avant dernière.
Notre monde étouffant, opaque, incompréhensible, est encore plus écrasé par les projecteurs éblouissants de la propagande : là où l’hégémonie devient totalitaire. Qui fixe les sentiments (les peurs et les haines manipulées) et le chemin (suivez votre protecteur).
Quoi de mieux qu’une guerre ? Avec ses divisions limpides : pour ou contre ; avec ses ordres d’engagement ou de mobilisation. Avec le simulacre de la guerre froide : hégémonie contre hégémonie.
La réalité est un simulacre, le simulacre généré (maintenant) par un moulin à deux pôles ; et qui intègre par désintégration [26].
Comment échapper aux ordres hégémoniques ?
Comment critiquer le capitalisme sans devenir un suppôt des tyrannies orientales ?
Comment « défaire l’occident » sans tomber dans la paranoïa russe (le projet de restauration du contre empire spirituel russe) ?
Ce qui nous écrase : « défendre les principes qui nous sont chers ».
Que faire alors devant un tel ordre ?
Quand, bien sûr, les fameux « principes qui nous sont chers » ne sont que des éléments d’une propagande de conformation.
Que faire lorsque les fameux « principes chers » ne sont que des mensonges, démasqués comme des mensonges à systématiquement déconstruire (comme les dits droits humains).
Que faire lorsque l’on n’accepte ni l’hégémonie (des principes chers) ni la contre hégémonie (des valeurs spirituelles) ?
Comment échapper à l’emprise totale qu’organise la guerre des hégémonies ?
Lorsque, vus depuis un camp, les opposants de l’autre camp sont des « idiots utiles » ?
Comment maintenir une opposition interne qui ne soit pas immédiatement récupérée comme un engagement par défaut pour l’autre camp ? Sur le modèle précis de l’abstention électorale qui est toujours un vote par défaut pour celui qui l’emporte – cela dans le cadre réaliste fermé de l’ordre démocratique électoral, cet ordre qu’il faut détruire.
Comment s’opposer à l’hégémonie (américaine) sans soutenir la contre hégémonie (russe) ?
Trop anciennes questions. D’une radicale banalité. Mais qui n’ont toujours pas de réponses, nous laissant prisonnier des cercles infernaux du pour ou contre.
Toujours la même question lancinante : comment sortir des cercles vicieux du pouvoir ?
Comment maintenir son opposition radicale aux « chers principes » (en les dénonçant sans s’essouffler) sans adhérer implicitement à une Cinquième Colonne ?
Sans illusion : l’insoumission (le refus de la mission imposée : défendre les « chers principes ») en temps de guerre est le pire des crimes. Ainsi va l’unification.
Refuser d’adhérer aux principes chers (démocratie, capitalisme, consommation, tourisme), les démasquer comme mensonges, cela est susceptible d’excommunication (au sens moderne de censure préalable).
Encore une vieille histoire.
Et ne nous racontons pas d’histoire : toute opposition sera étouffée et les oligarques escrocs deviendront des héros.
Il faut alors se tourner vers les dystopies qui tentent depuis longtemps de penser ces emprisonnements récurrentes (voir note 23).
Comme sortir des pièges ? Dont nos prédécesseurs n’ont jamais pu sortir ?
Nous allons tenter de penser en deux étapes : d’abord reprendre le schématisme précédent (MAO) puis en dériver une méthode de survie (dans les catacombes).

Reprenons, d’abord, notre schématisme d’orientation.
Il faut toujours partir de la guerre civile (GC). De la puissance désubstructurante.
Pour mettre de l’ordre ou « faire société », cette puissance doit, impérativement, être captée.
Parmi les stratagèmes d’emprise, il en est un bien connu et très ancien : il s’agit de recouvrir la guerre civile (GC) par une guerre unifiante, une croisade ou, pour faire contemporain, une guerre inter-impérialiste (GI2), la guerre froide par exemple.
GI2 masque GC. Mais GC reste active, quoi qu’enfouie. Le pouvoir cherche à interdire GC, à la réprimer.
Cet écrasement, enfouissement, est une forme particulière de dénégation ou de répression de GC. Il en est d’autres plus élaborées, mais les anciens trucs (tricks, triques) sont toujours bons à prendre.
D’une manière générale (dualité non dualiste), la répression de GC est consubstantielle à GC ; c’est un élément irrévocable (insursumable) de GC.
Ici, le prétexte imparable (pour la répression) prend la forme de l’obligation vitale de la lutte en commun, de l’exigence de l’unité (nationale).
Alors maintenir GC, la désunion contre l’union obligatoire, est une stratégie redoutable, dangereuse et aléatoire. Le refus de l’unité (pour la défense de la patrie) est toujours posé comme immoral. Une forme de cette dénonciation de « l’immoralisme » est le chantage aux victimes.
« Quoi, vous ne soutenez pas les victimes ? »
De quelles victimes parle-t-on ? [27] Car les victimes sont mobilisées, enrégimentées : le thème de l’armée des morts est un thème archaïque, aussi ancien que la vengeance.
Nous trouvons un premier schématisme : Invasion, Occupation = Prétexte Imparable.
La nécessité s’impose.
L’occupation existe (comme la pandémie existe), pas question de le nier.
Mais cette affirmation d’existence, la réalité s’impose, il y a des victimes, a une fonction performative : il s’agit de dire « maintenant, c’est fini, toute opposition sera réprimée ».
GI2 réprime GC.
La répression de GC produit le campisme : il faut prendre parti dans GI2 en éliminant toute trace de GC. Maintenant, il faut soutenir la patrie ; les victimes l’exigent.
Le campisme exige d’adhérer à un camp (de GI2), c’est-à-dire de soutenir un état, « les principes chers ».
Par nécessité, alors, il faut trahir :
Soit trahir GC en s’intégrant à GI2, prendre le parti des victimes ;
Soit trahir GI2 en maintenant la priorité à GC ; ce qui est le plus dangereux, le plus insupportable : trahir les victimes qui réclament vengeance.
Cependant, GC reste le motif ultime : la déconstruction des principes chers et leur rejet, avec, comme conséquence logique, le refus des ordres de mobilisation – et le risque d’être dénoncé comme traître, inhumain, sans empathie avec les victimes soigneusement désignées.
Mais il faut tenir (« héroïquement ») la position de GC : GC est la question prioritaire (même au sein de GI2) qu’il faut maintenir (relire l’analyse MAO, à la section précédente).
Il faut déclarer : le campisme de guerre froide (ou d’autres guerres) n’est qu’un simulacre, un divertissement, un détournement.
Ce divertissement est, bien sûr, nécessaire, dès lors que l’on se tient « en réalité » (et non pas en Réel), dès lors que l’on succombe à la force d’attraction de la réalité étatique (nationaliste).
Pour l’État, il s’agit toujours de puiser l’énergie de la puissance déstructurante ; ce qui exige le simulacre de l’unité.
Pour l’État, GC doit être repoussée indéfiniment ; et la liste des moyens bio-psycho contraignants est elle-même indéfinie (toute une bibliothèque critique).
Face à l’ordre étatique de « défendre les victimes », face à l’empathie obligatoire et à l’ordre d’unité, il faut toujours soutenir un contrordre : celui de la destitution de tout état, passer des victimes aux opprimés.
L’opprimé, le prolétaire, le colonisé, le racisé, est la victime universelle.
Derrière les victimes (médiatiques ou de la guerre de propagande) il y l’exploité universel (celui dont on ne parle pas).
Si l’on veut : l’opprimé est puissance négative, alors que la victime est négation sans puissance.
Soit alors la question (en style MAO) :
Le soutien à l’occident, une trahison, dans GI2, au nom de la liberté de l’Ukraine, « la victime incarnée », peut-il faire avancer GC, la lutte des opprimés ou, au contraire, la déplacer et faire prendre le risque de l’effacer (lorsque le temporaire devient permanent ou se répète régulièrement) ?
Participer à la croisade occidentale, ne pas la critiquer radicalement, a-t-il un sens ? Autre que préserver le simulacre (que l’on doit détruire) ?
La règle : toujours placer GC en priorité.
La priorité est la destitution du capitalisme et de l’occident.
On peut alors associer à GC un « programme », le Programme de la Guerre Civile PGC.
Termes de PGC : destituer le capitalisme, dénoncer la démocratie libérale comme l’absence de liberté (dénoncer le simulacre démocratique comme uniforme ploutocratique), éliminer TOUTES les oligarchies et TOUS les oligarques, il ne peut y avoir de bons oligarques (surtout ceux qui utilisent massivement la propagande, pour créer les histoires des oligarques héros ou sportifs – le simulacre se donne en spectacle), rejeter les montages cinématographiques où les oligarques (corrompus corrupteurs) deviennent des vedettes populaires (style Berlusconi).
Et ceci n’est qu’un PGC minimal.
Alors : est-ce que l’adhésion à l’unité sympathique (« télévisée ») voire empathique (conformiste) pour « les victimes ukrainiennes » (ou pour l’Ukraine victime) fait avancer ou reculer le PGC ?
Étant entendu que cette « unité empathique » est un simulacre pour repousser GC ; et enterrer profondément les opprimés SOUS les victimes (et démarre le décombre macabre des morts des guerres, Irak, Afghanistan, Libye, sans parler des morts permanents, infiniment plus nombreux, ceux écrasés par le capitalisme, les enfants des mines de sang).

Finissons par une autre illustration (tout aussi antagonistique) :
Toute lutte, féministe, décoloniale, nationale, identitaire, tout ce que l’on veut, est toujours cassée, clivée, de l’intérieur par l’antagonisme GC.
Toute lutte secondaire, féministe, etc., qui cherche à produire « une unité de combat », et donc rejette GC, court le risque de devenir un opérateur de gouvernementalité.
La lutte secondaire, dès qu’elle cherche l’unification (de « toutes les femmes », etc.) devient alors réaliste : l’unité s’impose comme nécessité.
La lutte secondaire recouvre alors GC ; et, en particulier, écrase GC DANS la lutte secondaire, au nom de l’unité stratégique.
La lutte secondaire peut alors devenir l’adversaire acharné de GC (de la puissance désastreuse).
Tel est le cercle vicieux de pouvoir [28].
Qui est inévitable.
Le « féminisme » se définit-il par Élisabeth Badinter ? La lutte décoloniale se définit-elle par Barack Obama ?
Et pour parler le vieux langage, en inversant le thème précédent :
L’antagonisme de classe n’est-il pas traversé par des conflits de race et de genre ?
Les conflits de race et de genre n’ont pas pour objectif l’annihilation des identités, races ou genres ; mais, au contraire, ont pour objectif « la reconnaissance » de ces identités, reconnaissance couplée à la coexistence de ces identités au sein de l’ordre économique.
Ces conflits de race et de genre génèrent de nouvelles bourgeoisies (Badinter + Obama).
Au contraire, les luttes de classes n’ont pas pour objectif la reconnaissance (l’embourgeoisement des prolétaires) et le respect (version corporatiste, par exemple, avec la valeur du travail, ce thème fasciste).
Les luttes des classes désignent l’antagonisme pur (GC) qui ne vise ni la reconnaissance, ni la réconciliation (voir plus haut, dans la section MAO, la critique de la dialectique de la réconciliation – la critique de la dialectique étant un thème essentiel).
Les luttes des classes, c’est le nom ancien de l’antagonisme de destruction.
Antagonisme (GC) qui abolit les classes, les races, les genres, qui détruit tout ordre social.
Cet antagonisme irréconciliable, hors de toute synthèse, casse les classes, les races, les genres ; classes, races, genres qui sont fracturées par l’antagonisme.
Il peut y avoir une bourgeoisie ouvrière, une bourgeoisie post-coloniale, une bourgeoisie féminisée (lorsque, par exemple, « la demande des femmes » est d’avoir « la parité » dans les conseils d’administration des grands oligopoles – pourquoi pas plutôt une parité sociale chez les « femmes de ménage » ?).
L’antagonisme universel (GC) fracture le champ social en totalité.
Et met en cause toute unité imposée (nationale, de classe, de genre, de race).
L’antagonisme universel (GC) qui fracasse le champ social peut se manifester de manière spécifique dans une lutte particulière ; mais si cette lutte exprime l’antagonisme universel, elle va générer une désidentification radicale.
La lutte des femmes n’est pas POUR les femmes (ou pour quelques femmes embourgeoisées) mais pour l’abolition des genres.
Une lutte est universelle (voir note 15) si elle porte le drapeau de l’auto-destitution.
Et énonce : nous ne voulons plus être ce que nous sommes, nous ne voulons pas être ce qu’il faudrait être, nous luttons pour la dissolution de notre identité, et pour la dissolution de toutes les identités, ces identités seraient-elles « nouvelles ».
Nous refusons les enracinements, qu’ils soient nationaux ou régionaux ou n’importe quoi d’autres.
L’internationale est le genre humain.

Ouvrir les possessions.
Que désigne la métaphore romanesque de L’échiquier du mal (Dan Simmons, 1989, voir note 23) ?
Il s’agit de la domination idéologique ou de l’emprise psychique, psycho-politique (plus que bio-politique).
Emprise qui commence par se cacher ou se dénier : non, la propagande n’existe pas, il n’y a que de l’information libre (avec des journalistes libres).
Les idéologies ont disparu ; il n’y a plus que « la science » ; et « la science » n’est pas idéologique.
Ou encore à nouveau : nous sommes en démocratie, et, en démocratie, « la volonté du peuple » peut s’exprimer librement.
Danse autour de la statue de la liberté : notre valeur suprême est la liberté, en démocratie il n’y a pas de propagande.
La propagande qui oblige à croire qu’il n’y a pas de propagande.
Alors que nous sommes (depuis le début du conflit, mais cela valait pour la pandémie, etc.) en situation de saturation psychique et de bombardement idéologique (mensonge après mensonge, comme l’a bien montré « la gestion psychologique » de la pandémie).
Emprise psychique : fascination, charme, séduction, apeurement, raffut à rendre sourd (pour empêcher de penser).
L’impossibilité de penser permet le guidage idéologique (oh, les méchants russes).
Comment avoir une pensée discordante dès lors que le battage de l’usine à perroquets dépasse toute capacité de résistance ? [29]

Depuis combien de temps j’entendais des voix ?
Des voix qui venaient de l’intérieur de ma tête ; se boucher les oreilles ne servait à rien.
Des voix, tantôt séductrices, tantôt autoritaires.
Impossible d’échapper aux voix ; qui semblaient m’envelopper, tourner, s’éloigner un peu, parfois, puis revenir plus fortes.
L’emprise était telle que même en dormant, mes rêves étaient dirigés par les voix.
Je suppose que même en m’enfuyant dans une caverne souterraine, les voix continueraient de m’habiter.
J’étais possédé.
Je rêvais que je manifestais, une pancarte à la main, sur laquelle les slogans, qu’insufflaient les voix, se mettaient à clignoter.
J’étais transformé en un panneau publicitaire animé.
Valeur suprême de la démocratie.
En démocratie, la volonté du peuple peut s’exprimer librement.
Le peuple est libre en démocratie.
Notre valeur suprême est la liberté.
En démocratie il n’y a pas de propagande.
La liberté est libre.
Les slogans défilaient, formant comme un costume d’Arlequin, qui m’habillait.
Et au réveil, mais étais-je réveillé, je continuais à scander les slogans, souvent silencieusement (en me lavant les dents avec la brosse de la liberté), mais toujours avec ardeur.
J’étais, à moi seul, toute la famille Trapp démocrate.
Et je chantais : il faut défendre la démocratie, s’engager pour la liberté, participer à la communication libre et effrénée.
Puis, nouveau slogan qui poussait, alors que je cherchais une aspirine ; le mal de tête arrivait :
Consommez, consommez, continuez toujours à consommer, consommer c’est défendre la démocratie.
Nous ne devons pas avoir peur de consommer, de nous déplacer, de voyager.
Nous devons toujours favoriser les dépenses ; c’est notre liberté sacrée.
L’aspirine ne suffisait pas, loin de là, à arrêter les voix.
Dans les rues, sur les places, dans les transports, les voix paraissaient sortir de partout, des lampadaires ou des statues (mais il n’y avait plus d’arbres, d’où auraient pu sortir les voix).
Même les murs chantaient la démocratie.
Une prison vocale, de laquelle je ne pouvais m’extraire.

Mon psychanalyste lacanien, qui prenait des drogues pour rester sourd, un jour rendit son diagnostic :
Comme tous, tu es sous emprise psychique.
Le premier exercice de pensée (et c’est un exercice de pensée) pour se dégager, un tout petit peu, de la domination psychopolitique ou idéologique est de retourner à l’envers chaque slogan que les voix t’imposent.
C’était la méthode la plus frustre et la moins coûteuse, utilisée tout au long de l’Union Soviétique.
Je ne dis pas que cela marche bien ; mais il y a un début à tout ; et tu apprendras ensuite comment persévérer pour combattre la POSSESSION.
Si la voix te dit : la démocratie c’est la liberté, la démocratie c’est le bien, tu dois immédiatement répondre à ta voix : nous ne sommes pas en démocratie, comment pourrait-il y avoir démocratie lorsque des ploutocrates, de oligarques commandent les voix ?
Comment pourrait-il y avoir liberté, alors que le mensonge et la corruption sont industriels ?
Voilà le début de la déprise : à chaque slogan, un renversement critique.
Mais cela ne suffit pas.
Car les voix opèrent par saturation psychique et profitent de tout moment d’inattention.
Résister par détournement est déjà un travail pénible.
Le bruit épouvantable de la propagande, avec sa répétition en boucle, cela fatigue.
C’est cette fatigue et la démission de la pensée qui est l’effet ; peu importe le contenu.
C’est comme la publicité : ce n’est pas l’objet publicitaire spécifique qui importe, c’est l’ambiance générale : rires, bonheur, sourires, amour, tout cela accolé à la consommation démocratique.
Grâce à cette fatigue et à la démission de la pensée peut se développer un guidage idéologique.
Autrefois les chrétiens croyaient sans penser.
Maintenant que nous ne pensons pas plus, et qu’il n’y a plus de croyances, il n’y a plus que les automatismes des habitudes.
Il faut alors combattre pied à pied ces habitudes ; trop de facilités.
Et, en particulier, il faut combattre la pire des habitudes, celle de concevoir le monde comme un gigantesque hypermarché.
On passe à un second niveau de déprise.
Faire du shopping doit devenir une contrainte désagréable ou une obligation détestable.
Voler peut être un bon dérivatif ; qui ouvre à plus loin.
Le mode de vie impérial (que « tout le monde désire ») doit sans cesse apparaître comme un crime ininterrompu. Chaque objet doit se dénuder pour faire apparaître sa genèse criminelle.
Et je peux développer une contre liturgie.
Chaque fois que j’allume un téléphone, un ordinateur :
Mon dieu, pardonnez-moi des crimes et des méfaits que je commande ;
Combien d’enfants malformés, irradiés aux diverses poussières des métaux que je consomme.
Chaque fois que j’utilise une voiture, thermique ou électrique :
Mon dieu, pardonnez-moi des crimes et des méfaits que je commande ;
Combien d’enfants torturés, combien de territoires dévastés.
Chaque fois que je mange :
Mon dieu pardonnez-moi des crimes et des méfaits que je commande ;
Combien de régions dévastées, déforestées, combien d’animaux mis à mort.
Petit à petit une grande messe noire :
Le capitalisme est lié à l’holocauste des animaux.
Et je voyais le sang couler de mes mains.

[1À titre de mémoire, les derniers coups d’État impulsés par les Américains (des États-Unis) :
Haïti 2004, Honduras 2009, Ukraine 2014, Bolivie 2019.
Celui en Bolivie est particulièrement significatif. Et nous servira de guide.
Relire l’article du Monde Diplomatique de décembre 2019, par Renaud Lambert.
Chercher dans les tables du Monde Diplomatique les articles concernant la Bolivie.

[2William Blum, Killing Hope (édition du 11 septembre 2014).
Les guerres scélérates, tuer l’espoir ; l’armée américaine et la CIA en interventions « humanitaires » ou « démocratiques » depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Ouvrage où est documentée l’escalade massive, interne, les budgets militaires colossaux, externe, pas une seule année sans une intervention militaire, l’escalade massive des opérations américaines de « changement de régime » (les guerres révolutionnaires napoléoniennes).

On peut compléter ce livre (de William Blum) par deux classiques :
Noam Chomsky, De la Guerre comme Politique étrangère des États-Unis, 1985-2004.
Peter Dale Scott, American War Machine, 2010.

[3Tariq Ali, Obama s’en va-t-en guerre, La fabrique éditions, 2010.

[4Voir la dernière annexe du livre de Noam Chomsky, livre cité en note 2 précédente, Chronologie, forcément non exhaustive, des interventions militaires américaines, 1846-2004.

[5Dans l’ouvrage collectif (que nous retrouverons plus loin) :
Giorgio Agamben, Sovereignty & Life, 2007

Read :
William Rasch, From Sovereign Ban to Banning Sovereignty.

Cet article essentiel introduit le paradoxe de la souveraineté (que traque Agamben) et en propose une analyse logique complète (que nous allons rendre sous forme de schémas de pensée – le schéma des guerres napoléoniennes et plus loin le schéma MAO, middle affirmative operator).

[6Commençons par repenser à cette guerre de Yougoslavie, avec sa propagande de guerre, et ses buts cachés (profiter de la désintégration du bloc soviétique pour étendre l’hégémonie états-unienne ou occidentale, « étendre la démocratie »).
Diana Johnstone, La Croisade des fous, Yougoslavie, première guerre de la mondialisation, 2005.
Comme le sujet de notre réflexion sera quelque chose comme « les guerres de la mondialisation » (camouflées en « opérations humanitaires ») il serait indispensable de revenir au « crime originaire », la guerre de Yougoslavie.
Cette pensée exige de combattre la propagande de guerre et ses mensonges déconcertants ; comme le plus délirant des mensonges : celui de l’extension de « la démocratie » ou celui de « la défense de la démocratie », démocratie toujours associée à l’ouverture commerciale et à la ruée vers les investissements rentables.
Anne Morelli, Principes Élémentaires de Propagande de Guerre, Utilisables en cas de guerre froide, chaude ou tiède, Nouvelle édition, 2010.

[7Il faudrait, tout de suite, montrer l’analogie entre la croisade « démocratique » en Yougoslavie et la répression de toute contestation anti-capitaliste (en France).
« Les guerres de la mondialisation », qui peuvent être intérieures et contre-insurrectionnelles, ont pour objectif le maintien (ou l’extension) de l’ordre économique (ou la préservation de l’inégalité, de l’oligarchie kleptocrate qui se déguise en « méritocratie démocratique », le règne des meilleurs de l’économie).

[8Le clou du fantasme est sans doute cette croyance indéracinable en « l’élection » ou en la votation, la croyance en la possibilité « pacifique et démocratique (électorale) » de « changer de système » (la révolution par les urnes), d’améliorer les choses (vers plus d’égalité) au moyen d’une « représentation démocratique » (des députés dans une assemblée).
Certes cette croyance indéracinable est un opium pour les impuissants (qui ne changent jamais rien – mais il faut commencer petitement). Mais la réalité effective (de la démocratie réellement existante) montre qu’une telle croyance est purement vide.
Croyance qui peut se décliner en diverses convictions (ou opinions) : la volonté populaire (exprimée par des élections : pourquoi la France est-elle de droite ? Parce que le peuple le veut), l’unité nationale (le champ électoral pacifié), etc.
Depuis longtemps et l’introduction du suffrage universel, les oligarchies ont appris à contrôler « la démocratie » (tant qu’elle reste représentative, élective, libérale, tant qu’elle reste un ordre et en ordre).

L’ennemie du révolutionnaire est la démocratie (libérale, illibérale, fantasmée). Avec ses déclinaisons : le peuple et la nation (la citoyenneté nationale).

[9Sur le lien indissoluble entre démocratie (et acceptation de l’inégalité oligarchique) et économie de la prédation (ou coloniale) et partage du butin :
Pierre Charbonnier, Abondance et liberté, une histoire environnementale des idées politiques, 2020.
Comme il est question de la corruption d’une population entière, de l’achat des votes (et de l’acceptation du parlementarisme) par la distribution des miettes néocoloniales, et comme il est toujours instructif de passer par une caricature (qui dévoile mieux les traits essentiels, comme l’examen des modalités russes ou algériennes de l’économie, ploutocratie, oligarchie, kleptocratie, examen décalé qui illumine « notre » démocratie réellement existante, oligarchique ploutocratique) :
Adam Tooze, Le salaire de la destruction, Formation et ruine de l’économie nazie, 2016.

[10La caricature russe ou algérienne devient alors la réalité empirique des nations « tiers-mondisées » (comme les États-Unis ou la France, dont l’appauvrissement n’est pensé gérable que d’une seule manière, par le renforcement des disciplines, ou par la répétition d’un 19e siècle pré-socialiste, lorsque la révolution était inimaginable).
La question générale implicite est la suivante : comment maintenir l’acceptation conformiste (démocratique) de l’inégalité économique (et donc de l’économie), lorsque cette inégalité croît dangereusement (car il n’y a plus de butin à redistribuer) et que les oligarques font sécession (vers des paradis économiques) ?
Question posée par le mouvement des Gilets Jaunes.
Ou encore une fois, on voit que démocratie & économie sont indissociables (la dite démocratie est le régime du capitalisme triomphant, reposant donc sur la prédation).

[11Ce qui est essentiel à comprendre est qu’il n’y a aucune opposition entre la dite démocratie libérale (de l’occident) et les nationalismes autoritaires (des périphéries) ; ce sont deux méthodes de conformation, de discipline et de contrôle, adaptées aux conditions locales historiques de l’économie.

Démocratie libérale et autocratisme religieux sont des modalités du despotisme économique, modalités qui peuvent se transformer l’une en l’autre.

[12Comme la critique de la démocratie libérale est bien développée, nous supposerons qu’elle est acquise.
Un acquis révolutionnaire est cette critique (encore une fois à soutenir sans relâche – surtout lorsqu’il peut être opposé que la démocratie libérale répond à une demande populaire : vouloir vivre en démocratie – voilà un travail militant : savoir contrer la propagande démocratique et la croyance en la liberté).
L’argumentaire contre la démocratie est un point d’ancrage, un argumentaire qu’il faut apprendre, répéter, ressasser, pour « nous » les locataires des catacombes.

Commencer par :
Démocratie, dans quel état ? La fabrique éditions, 2009

Avec les textes de :
Giorgio Agamben, Note liminaire sur le concept de démocratie ;
Alain Badiou, L’emblème démocratique ;
Jacques Rancière, Les démocraties contre la démocratie.

Voir également :
Qu’est-ce qu’un peuple ? La fabrique éditions, 2013.

Parmi de nombreux ouvrages (sur l’État d’exception, par exemple) n’en retenons qu’un :
Giorgio Agamben, Sovereignty & Life, 2007 ;

Avec les textes de :
Jenny Edkins, Whatever Politics ;
William Rasch, From Sovereign Ban to Banning Sovereignty ;
Matthew Calarco, Jamming the Anthropological Machine.

Le texte de William Rasch est consacré à la logique paradoxale de la souveraineté ou de la démocratie : il n’existe pas de démocratie sans « état d’exception » qui, hors des règles démocratiques, permet de maintenir la démocratie – la démocratie n’est pas l’opposé de la dictature, mais l’exige.
Le thème clé est cependant celui de la démocratie comme simulacre (mensonge déconcertant) : le terme démocratie, comme celui de peuple ou de république ou de laïcité, a été récupéré, sans grand espoir de retour, comme pièce d’armement des forces de l’ordre. La démocratie n’indique plus la liberté (supposée démocratique) mais un conformisme étroit : le respect des règles du jeu, l’interdiction de sortir du jeu électoral ou parlementaire.
A priori, il faudrait refuser d’utiliser tous ces termes, démocratie, peuple, république ; mais comme ils sont hégémoniques (et manipulés) ils sont inévitables ; ils doivent donc être lus avec des guillemets de citation implicites : « la démocratie » réellement existante, comme l’Europe réellement existante, n’ont rien de « démocratique ».
Voir notre série : Qu’est-ce que le despotisme économique, 4 épisodes, de LM 203, du 6 août 2019, LM 204, LM 205, à LM 206, du 9 septembre 2019.

[13Voir Alain Badiou, Remarques sur la désorientation du monde.

[14L’alcoolique est celui qui s’accroche à sa bouteille pour en extraire un sérum fort : celui de la critique impénitente du capitalisme et de son cache sexe, « la démocratie ».

[15Un objet de cette recherche étant de repenser « l’universel » (qui sera conceptualisé en termes de déconstruction radicale ou de puissance destituante, de guerre civile si l’on veut), disons ici, en introduction, que l’universalité (négative) de la guerre civile étant « universelle » vaut pour tous. Pour « nous », européens (emprisonnés), il s’agit, pour soutenir l’Ukraine, de propager la guerre civile en Europe. Ce qui vaut « universellement » pour les Russes, les Américains, les Chinois, etc. Si « une internationale » est pensable, elle sera négative, « la résonance » des antagonismes civils.
Ce qui avait été recherché pour empêcher (ou interrompre) la Grande Guerre : la révolution russe et son écho « universel ».
Évidemment, cela n’est pas « réaliste ». Les mutinés seront fusillés. La révolution « communiste » sera combattue avec énergie. L’union nationale (contre les agresseurs) exigée.
Mais « le réalisme » est la poursuite éternelle des cercles du pouvoir.
Éternité (de la circularité diabolique) que nous cherchons à « exorciser ».
Telle sera la pensée : un exorcisme, « ouvrir les possessions » (voir la section finale de cet article).

[16Il y aurait tellement à dire sur ce genre d’évidence « réaliste », que la critique des nécessités souveraines de la guerre (comme l’union ou l’unité nationale, le nationalisme) sera dispersée dans toute la recherche.

[17Pour commencer par un premier cercle infernal, parlons des « responsabilités ». Ou des « coupables ». Ou des « agresseurs ». Qui agresse qui, qui est responsable de la guerre, qui est coupable de crimes de guerre ?
Ce type de dénonciation fait partie intégrante de ce qui est analysé, depuis longtemps, sous la rubrique du « mimétisme » (nom possible de la circularité infernale). Et René Girard, en bon chrétien, nous a rappelé « la solution » (des conflits mimétiques : souveraineté contre souveraineté, déplacement infini de la responsabilité, mémoire ineffaçable) : le sacrifice (du Christ). Comme cette solution peut paraître « absurde » (tant pis pour le Christ et pour les chrétiens), impossible, et justement parce qu’elle est impossible (irréaliste), nous devrons l’élaborer en des termes « déchristianisés ». Ce qui est l’objet de cette errance alcoolique.

[18Pour nous plonger directement dans cette atmosphère de Guerre Froide et de chasse aux sorcières, lire le post de Yanis Varoufakis, My reply to the Charge of Westsplaining Eastern Europeans, post du 23/03/2022 sur le site de DIEM25 (westsplaining : traiter avec condescendance, donner des leçons depuis l’occident tranquille).

[19Comment lire Giorgio Agamben avec René Girard ? Un beau sujet de thèse !

Homo Sacer & La violence et le sacré.
Pierpaolo Antonello, Sacrificing Homo Sacer : René Girard reads Giorgio Agamben, Forum Philosophicum, 2019 ;
Frederick Depoortere, Reading Giorgio Agamben’s Homo Sacer with René Girard, Philosophy Today, 56, no 2, 2012 ;
Lyle Enright, Divine but not Sacred, A Girardian Answer to Agamben ‘s The Kingdom and the Glory, Contagion, Journal of Violence, Mimesis and Culture, 26, 2019 ;
Roberto Farnetti, Mimetics Politics, Dyadic Pattern in Global Politics, 2015
Ruben Yepes, Sacred Violence, Sovereign Violence, Contrasting the Thought of René Girard and Giorgio Agamben ;
Antonio Cerella, The Myth of Origin, Archaeology and History in the Work of Agamben and Girard.

[20L’axiomatique intermédiaire que nous déployons ici est et n’est que le prolongement de l’axiomatique initiale de la Punk Philosophie (voir LM 277, du 1er mars 2021 et toute la suite en 10 épisodes).
MAO, middle affirmative operator, a le sens de pensée intermédiaire.

[21En plus de l’ouvrage important (déjà référencé en note 12)
Giorgio Agamben, Sovereignty and Life, Edited by Matthew Calarco and Steven DeCaroli ;
Read :
Agamben and the Politics of Human Rights, John Lechte and Saul Newman, 2013 ;
Towards the Critique of Violence, Walter Benjamin and Giorgio Agamben, Edited by Brendan Moran and Carlo Salzani, 2015.
Notons que la critique systématique des « droits humains » (un chapitre essentiel du travail d’Agamben) devrait être largement déployée (pour permettre encore plus d’ouvrir les possessions).

[22Le grand retour des guerres inter-impérialistes, LM 329, 7 mars 2022

[23Pour traverser le réseau des barbelés, nous allons récupérer trois textes essentiels, trois dystopies :
Ray Bradbury, Fahrenheit 451, 1953 ;
Philip Dick, La vérité avant dernière, 1964 ;
Dan Simmons, L’échiquier du mal, 1989.
Trois dystopies de la guerre froide, qu’il faut déplacer.
Puisqu’il semble que nous soyons revenus à cette grande époque (d’avant la chute du mur) ; mais où, désormais, la guerre froide est épurée de ses oripeaux idéologiques, démocratie contre totalitarisme, liberté contre communisme, etc. La guerre froide se poursuit, mais maintenant pure, la guerre nationaliste des hégémonies.
Avec la tentative américaine de conserver sa place de Premier Hégémon, Make America Great Again, et un budget militaire dépassant celui de tous les autres pays du monde réunis (mais la démocratie le vaut bien !).

[24Si nous prenons l’exemple de la résistance en France, la question « réaliste » était : QUI va dominer l’unité nécessaire ? Un changement de régime révolutionnaire était-il pensable, immédiatement après « la libération » ? Changement impulsé par les résistants communistes et pensé DANS la résistance ?
Notons bien qu’en Chine, la guerre civile a immédiatement succédé à la guerre patriotique. Mais les conditions de cette guerre civile se préparaient DANS la guerre patriotique (qui exigeait une unité temporaire – toute la question est celle de la durée du temporaire).

[25Pour le détail nous renvoyons à la Punk Philosophie (voir note 20).

[26Les machines d’emprise d’Agamben, comme la machine théologico-politique, sont des machines bi-polaires d’inclusion par exclusion, de colonisation interne ou externe.
Ces machines formatent les dualismes (métaphysiques) dont il faut absolument sortir (voir la section MAO).

[27Pour revenir sur l’hypocrisie, il est intéressant de comparer le sort médiatique (dans la guerre et sa propagande) des « victimes en Afghanistan » et des « victimes en Ukraine ».

Les autorités américaines ont déclaré, pour couvrir leur retrait et l’abandon de leurs « harkis » : il n’y a pas de victimes, elles n’ont qu’à prendre les armes et résister, plutôt que de tenter de s’enfuir ou de se plaindre devant les télévisions.

[28Notre analyse erratique doit se lire comme une démonstration par l’absurde.

Il semble bien qu’il soit très difficile, sinon impossible, d’empêcher le cercle infernal de la souveraineté de tourner. Il faudrait analyser en détail ce que veut dire « impossible », irréalisable. On peut dire que toute la pensée d’Agamben est arc-boutée sur cet irréalisable.
Pour SORTIR des cercles, il faut penser l’irréalisable ; cet en-dehors qui fracasse sans jamais rien produire à nouveau (sauf entropie ou corruption).
Pour suivre notre vocabulaire : pour SORTIR des cercles infernaux, il faut agir en Réel, alors que ce Réel ne peut jamais être un emplacement ou une source (une source de vie nouvelle, une patrie, un refuge, une communalité chaleureuse, une Terre hospitalière, etc.).
Renvoyons encore à la Punk Philosophie (voir note 20).

Donnons une nouvelle illustration, où nous plaçons la Russie, les États-Unis et l’Ukraine.
Chaque État est clivé par GC, la lutte principale, lutte des classes en Russie, lutte des races aux États-Unis, divisions de l’Ukraine, avec des « nazis ».
Mais une lutte secondaire GI2 apparaît et recouvre GC et s’impose comme nécessité ou priorité (avec priorité = prétexte imparable).
GC est déplacée temporellement ; et, peut-être, définitivement (le décalage de la parousie).
GI2 mobilise et exige l’adhésion, pour ou contre tel ou tel État.
GC peut même devenir une arme de guerre au service de GI2 : un État tente de propager GC dans l’État ennemi au sens de GI2.
On sait que cela fait partie de la doctrine américaine du regime change.
Par exemple GC en Russie est utilisée comme arme de guerre (renverser Poutine).
Faisons l’hypothèse que la Russie perd la guerre en Ukraine et devient un espace de conflits internes violents (comme après l’Afghanistan).
On peut parfaitement imaginer que l’on se retrouve dans la situation de 1990, avec Eltsine.
Les États-Unis auraient alors réussi « la neutralisation » de l’adversaire ; et, peut-être, remis en route l’intégration à l’occident (encore une fois le rêve américain avec Eltsine).
GC est déployée en Russie comme arme de guerre au service des supposés vainqueurs.
Le cercle tourne.

Il resterait alors à déployer GC en occident. Mais ce déploiement en occident, aux États-Unis en particulier, semble « impossible ».
Nous revenons alors, après un long détour improductif, à la question prioritaire de la SORTIE.
L’affaire ukrainienne n’aurait introduit qu’un délai et servi à masquer la question prioritaire.
Mais que penser du délai lorsqu’il devient illimité ? La seconde résurrection du Christ ? « le retard de la parousie » ?

Relire le texte le plus fondamental d’Agamben, la conférence de Carême à Notre Dame de Paris, 8 mars 2009, l’église et le royaume.
« L’Église de Dieu en exil » ou « le séjour en étranger ».

[29Relire Noam Chomsky, De la propagande ;

Noam Chomsky, Edward Herman, La fabrication du consentement, De la propagande médiatique en démocratie.

Jacques Fradin Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l'évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme.
lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :