Sommes-nous vivants ?

C’est le monde des finalités qui est mort et qui ne veut pas mourir. La vie est sans fins.

paru dans lundimatin#303, le 6 septembre 2021

En partant du petit livre d’Ailton Krenak, Idées pour retarder la fin du monde (à propos duquel nous avions publié l’année passée un article de Jean-Chritophe Goddard), Emmanuel Moreira remet en perspective la place de l’art, des rêves, de la littérature, de la dance pour tenter de pallier à la crise du sens qui fait régner l’équivalence et la mort dans l’Occident contemporain. Il propose alors de se servir de l’art et de son histoire comme de boussoles cosmologiques et existentielles plutôt que comme des produits morts alignés par les musées sur les étals bourgeois du marché culturel.

« — Dans ta musique se trouve le chemin. Écoute. C’est un rêve laisse le te guider.
— Je suis un homme de science, de faits démontrables. Je ne peux pas me laisser guider par des rêves que je n’ai pas.
— Si, tu en as et tu les suis. Écoute la chanson de tes ancêtres. La réponse est là. Mais écoute vraiment, pas seulement avec tes oreilles. »
Ciro Guerra, L’étreinte du serpent

« Quand le père du père de mon père avait une tâche difficile à accomplir, il se rendait à un certain endroit dans la forêt, allumait un feu et il se plongeait dans une prière silencieuse. Et ce qu’il avait à accomplir se réalisait. Quand, plus tard, le père de mon père se trouva confronté à la même tâche, il se rendit à ce même endroit dans la forêt et dit : "nous ne savons plus allumer le feu mais nous savons encore dire la prière". Et ce qu’il avait à accomplir se réalisa. Plus tard, mon père (…) lui aussi alla dans la forêt et dit : "nous ne savons plus allumer le feu, nous ne connaissons plus les mystères de la prière mais nous connaissons encore l’endroit précis dans la forêt ou cela se passait et cela doit suffire". Et cela fut suffisant (…) Mais quand, à mon tour, j’eus à faire face à la même tâche, je suis resté à la maison et j’ai dit "nous ne savons plus allumer le feu, nous ne savons plus dire les prières, nous ne connaissons même plus l’endroit dans la forêt mais nous savons encore raconter l’histoire". »
Jean-Luc Godard, Hélas pour moi

« Et quand à mon tour, j’eus à faire à la même tâche, je suis resté à la maison et j’ai dit "nous ne savons plus allumer le feu, nous ne savons plus dire les prières, nous ne connaissons plus l’endroit dans la forêt et nous ne savons même plus plus quelle histoire raconter". »


Il arrive parfois qu’un livre pose une question à celui qui le lit. C’est le cas de ce livre d’Ailton Krenak, "Idées pour retarder la fin du monde." Sommes-nous vivants, nous habitant.e.s de l’Occident ? C’est sans doute la question in fine que nous pose Ailton Krenak. Lisons-le :

« En 2018, quand nous étions sur le point d’être agressés par une situation nouvelle au Brésil, nombreux sont ceux qui m’ont demandé : "Comment les Indiens vont-ils pouvoir faire face à tout cela ?’" Je leur répondais simplement : "Cela fait cinq cents ans que les Indiens résistent, à cet instant ce qui me préoccupe davantage, ce sont les Blancs, comment eux vont-ils faire pour s’en sortir ?" [1] »

Depuis l’anthropocène nous regardons les peuples indigènes comme devant nous. Et en substance nous disons ceci : "Nous aussi nous allons connaître leur sort. N’ont-ils pas connu la fin du monde, de leur monde ? Écoutons ce que les survivants ont à nous dire de cette expérience de la fin."
Nous les regardons ainsi, comme au crépuscule de leur monde, parce que nous avons peut-être pris l’habitude de regarder toute chose du point de vue de la mort, et cela non sans raison.
Mortes les statues avons nous dit. Dans les musées nous les avons tuées.
Danses mortes, folklorisée, avons nous dit. Dans le tourisme, nous les avons tuées.
Tombeau ces images des Hommes de la Terre du Feu, avons nous dit. Exterminés nous les avons et maintenant avant de s’éteindre pour toujours, ils se parent de leur culture, de leur histoire et de leur ancêtres, comme un dernier hommage avant de s’enfoncer dans la nuit.
Ailton Krenak a bien raison de s’inquiéter de nous, de notre capacité à nous sortir de cette passion pour la mort, de notre capacité à raconter d’autres récits.
Ne sommes nous pas pris dans la légende du roi Midas [2]. Midas désirant s’approprier, désireux de transformer en or tout ce qu’il toucha, afin d’en garder à jamais les ravissements de l’instant. Midas, heureux de son sort, se découvre quelques années plus tard, après de longs voyages, cerné par la mort. Midas, regrettant son désir passé, désirant désormais habiter tout autrement, ne voulant plus s’approprier les êtres. Midas se croyant condamné à son sort, se laissant mourir. Lui qui n’aura cherché aucun secours. Ni en lui, ni autour de lui. Lui, qui n’aura pas cherché à se désensorceler et qui aura préféré attendre sa fin. Midas, la légende d’un Roi qui s’est cru condamné à l’être.
La question que nous pose Ailton Krenak est celle-ci : Sommes-nous condamnés par nos ancêtres ? Sommes-nous condamnés à leur monde au point que seule la mort reste envisageable ?
"Cela fait cinq cents ans que les Indiens résistent" [3]. Au lieu de regarder les peuples indigènes comme devant nous, en tant qu’ils sont les survivants de la fin du monde, regardons-les devant nous en tant qu’ils sont bien vivants, qu’ils résistent, qu’ils ont continué d’animer le monde autour d’eux, quand nous peuples d’Occident, nous n’avons pas su construire d’autres récits que celui des fins. N’est-ce pas plutôt les peuples d’Occident qui se retrouvent devant l’expérience de la mort, au crépuscule du monde ?
Mais il faut aller plus loin dans ce renversement de perspective. A qui devons nous les cinq ans écoulés depuis les premières conquêtes et le lancement du globe. Sûrement pas à l’Occident, mais à ces peuples que nous avions cru défait et qui ont résisté à la formation du globe. Les peuples indigènes auront retardé autant qu’ils le pouvait la fin du monde, pendant que l’Occident consommait la Terre et la transformait en globe. C’est notre monde qui est devenu inauthentique pas le monde d’Ailton Krenak. C’est notre globe qui compresse la Terre d’Ailton Krenak. Aussi, peut-être pourrions commencer à retarder la fin du monde. Mais comment ? Par le don du sens. C’est ce que semble proposer Ailton Krenak.

Sommes-nous capable du don du sens ?
« Nous sommes dans l’exposition à une catastrophe du sens. Ne nous empressons pas de cacher cette exposition sous des chiffons roses, bleus, rouge ou noirs. Restons exposé et pensons ce qui nous arrive : pensons que c’est nous qui arrivons, ou qui partons  ». Cet extrait du petite livre de Jean-Luc Nancy, L’Equivalence des catastrophes (Editions Galilée), résume au mieux notre difficulté. Le sens s’est effondré dans l’équivalence et cette effondrement est notre catastrophe comme catastrophe du sens.
Chaque fois qu’un texte s’écrit en finalité d’autre chose - pour un gain - le sens s’effondre, ne reste de lui que l’équivalence, avec un autre texte, un autre texte, un autre texte. Le sens des œuvres d’art s’est effondré dès lors que l’oeuvre est entrée dans le circuit des finalités. Mais ajoutons encore ceci : Chaque fois qu’à la littérature, à l’art, il leur est demandé de ne pas s’écarter du réel - de quel réel parle t-on ? de celui où les pierres et les montagnes n’ont rien à nous dire - de ne pas imaginer d’autres manière de se rapporter aux existences - c’est le refus du don du sens, comme possibilité d’une bifurcation à même le présent. L’œuvre morte dans l’équivalence et l’œuvre rabattue sur le réel sont deux faces d’une même pièce – ce sont deux manières de précipiter la fin du monde.
Autrement encore, quand, par exemple, au détour d’une rue, nous voyons par une fenêtre un oiseau dans une cage et que nous disons avec l’arrogance de notre sort, que cet oiseau est privé de son existence, que disons-nous ? Que sa place est au parc ? au square ? Comme si le parc et le square serait son milieu ? Où n’est-ce pas plutôt l’incapacité à parler avec lui, à tisser avec lui du sens. Si l’oiseau est privé de son milieu, c’est nous, qui refusant de construire avec lui du sens, nous l’en privons. Il n’y a pas de milieu pour les êtres et les choses sans sens. Et accueillir le sens comme en faire le don dépend de nous. Danser, rêver, chanter, sont des gestes par lesquelles nous pouvons retarder la fin du monde, si nous cessions de les penser comme des loisirs, pour que nous les considérions pour ce qu’ils sont, des manières d’accéder au réel. Comme l’écrit justement Leslie Kaplan :

« une femme sort du cinéma
cette femme va retourner au travail
et le film lui a changé les idées
c’est-à-dire en fait
lui a continué les idées autrement » [4]

Elle est dans le monde, elle n’a pas quitté le monde avec le cinéma, tout au contraire, mais elle y est autrement et le monde lui apparaît différemment. Et sans doute que les décisions qu’elle prendra par la suite seront en partie liées à cette expérience. De sorte que le rêve, le cinéma, le chant, la littérature, la danse, sont des activités qui orientent.
Comprenons-nous bien. Il ne s’agit pas de dire que les récits dont nous parle Ailton Krenak dans ses conférences, sont des fictions. Il s’agit de dire que ce que nous appelons littérature, art, sont peut-être nos manières de peupler le monde qui nous entoure de sens et donc une manière par laquel nous faisons l’expérience du monde.
Qu’est-ce que le nihilisme ? Redisons-le. C’est la désignation du pur non-sens. Et le nihilisme co-habite parfaitement avec le monde capitaliste des marchandises. Il co-habite parfaitement avec le projet comme orientation des existences. Le projet n’a nullement besoins du sens, c’est une organisation de la vie pour la faire durer sans qu’on sache vraiment pourquoi faut-il qu’elle dure. Développement durable. Pour faire durer quoi ?
Les peuples d’Occident inquiètent Ailton Krenak, lui qui est né dans la vallé du Rio Doce, dans l’Etat du Minas Gerais situé dans les hautes terres au Sud-Est du Brésil, territoire du peuple Krenak auquel il appartient et dont l’environnement a été profondément affecté par les activités d’extraction minière. Nous peuples d’Occident nous l’inquiétons car il n’est pas certains que nous soyons en capacité de sortir de notre nuit. Nous sommes des zombies, des ruines ruinantes pour les peuples indigènes et nous nous croyons vivants.

Au printemps dernier, quand avec quelques ami.e.s nous dansions à l’angle d’une rue, avec cette phrase en tête « chérir le rêve quelle que soit la terreur », danser n’était pas retrouver un loisir qui nous était interdit, mais ce par quoi la vie vaut la peine d’être vécue. Ce par quoi toute résistance est possible. Parce que danser c’est d’abord une affirmation de la vie contre la mort. Une conjuration de la mort. Danser dans un monde qui n’a rien d’autres à proposer que des solutions d’ingénieurs pour repousser la fin de la nuit, ce n’est pas absurde, c’est vital.

En librairie on ne trouve pas ce livre d’Ailton Krenak, au rayon poésie, art, littérature. Son adresse peut pourtant être lu comme un manifeste pour la littérature, pour l’art. C’est qu’ici en Occident, nous ne croyons pas que la poésie, la littérature, l’art pourraient faire que la fin du monde soit retardé. Nous préférons faire le récit d’un art comme inauthentique, vidé de sens, capturé dans ses cages et sans pouvoir. Il y a comme un acharnement à ne voir que le résultat de nos vies séparées et une évidence de la perte, qui à de quoi inquiéter tous les peuples qui n’ont pas cette expérience du monde.

L’art peut-il nous orienter ?

« Avec Édouard Manet commence la peinture moderne. C’est-à-dire le cinématographe. C’est à dire des formes qui cheminent vers la parole. Très exactement une forme qui pense. »
Jean-Luc Godard, Histoire(s) du cinéma (1989-1998).

Le globe ne s’est pas fait qu’au moyen de la technique et de l’économie. L’Occident dans son entreprise a aussi été guidé par l’art. La littérature, la peinture, la photographie, le cinéma. Nous avons suivi ces rêves. Il y aurait toute une histoire de l’art comme orientation à faire et nul doute qu’elle a déjà commencé [5].

Le globe formé par l’Occident est un réel bien matériel tout aussi réel que la Terre d’Ailton Krenak. Mais ce globe nous le découvrons inhabitable et nous ne savons plus comment nous orienter pour "atterrir" et (re)-devenir Terrestre. Nous voilà re-conduit à la question de l’orientation et partout se cherche de nouvelles boussoles [6]. Cependant, nous continuons de croire que jamais nous n’avons rêvé et que les rêves n’ont pas de forces matérielles, que seule la science peut nous guider encore. Il nous faut pourtant aussi accepter que ce globe est bien le fruit d’un rêve, que ce sont les rêves qui nous ont orientés dans le chemin du globe. Les rêves, c’est-à-dire ce que l’occident à produit de musiques, de chants, de films, de peintures, de littérature, de poésies, de danses, d’images. C’est-à-dire ce que l’Occident continue de produire en une quantité innombrable. Une usine de rêves. Mais ce n’est pas tant sortir du rêve, que de l’écouter, car c’est en lui que nous accédons à l’immensité du monde, c’est par lui que nous nous orientons. L’ingénieur est un chullachaqui. Un être identique, mais vide, creux, sans souvenirs. Il erre à travers le monde, vide, comme un fantôme, dans le temps sans temps. Le chullachaqui ne sait pas accéder à ses rêves et celui qui se laisse guider par lui, se perd.

Ce que nous produisons comme art, ce ne sont pas des loisirs, ni des biens, mais un monde. Ce que nous devons apprendre, ce n’est pas les nouvelles vérités de la physique, mais ce que nous disent ces rêves, car c’est d’eux que nous tirons notre croyance dans nos actions. Avant la science il y a le rêve. Ou pour le dire autrement, nos fusées, nos avions, nos machines, tout cela n’est rien comparé à l’imagination. L’invention de l’outil vis-à-vis de l’imagination, vis-vis de l’art symbolique de l’écriture, du dessins, de la danse, vis-à-vis du don du sens, c’est insignifiant. Le véritable voyage de l’homme est dans ses rêves et non dans sa science. Le chullachaqui erre dans le mythe de la machine et ne sait pas comment sortir de son errance.

Le film Bac Nord par exemple oriente le vote d’une manière bien plus décisive que les discours argumentatifs et c’est en cela que le réalisateur de ce film est un puissant démon. Savons-nous encore raconter des histoires à travers lesquelles nous pourrions trouver le chemin de la sortie du globe. C’est la préoccupation d’Ailton Krenak. ’A cet instant ce qui me préoccupe davantage, ce sont les Blancs, comment eux vont-ils faire pour s’en sortir ?’. Sortir cela veut dire entrer dans les rêves, les écouter et y trouver des réponses à nos questions. L’Occident a fait de son Art, un champs de connaissance qui ne lui sert en rien ou si mal. Une histoire de l’art vide, faite pour elle-même. Il est étonnant de constater le silence des historien.ne.s de l’art dans les questions qui nous préoccupent depuis l’anthropocène. Comme si l’histoire de l’art n’avait pas à revisiter son histoire, à remettre en cause ses grandes catégories, sa nomenclature, comme si l’histoire de l’art nous était d’aucun secours pour nous orienter et « atterrir ».

C’est qu’une large partie de l’histoire de l’art n’aura été que commentaire des biens culturels comme accès à la culture générale - cette culture bourgeoise qui justement aura fait de l’art une possession comme on possède une voiture, une connaissance comme on connaît le moteur d’une voiture. Cette culture bourgeoise qui aura précipité notre monde dans la catastrophe du sens. Et quand les historien.ne.s s’aventurent dans une tentative pour nous dire qu’il y a là matière à s’orienter, iels subissent immédiatement la violence de celleux qui préfèrent .... quoi au juste ? La critique matérialiste ? Où le récit de la culture bourgeoise que l’art n’est d’aucun secours ? Rappelons-nous ici la tribune "les intellectuels ambianceurs" paru dans lundimatin. [7] Trois intellectuel.le.s étaient visés, dont un historien de l’art, et une historienne de la littérature. Une tribune faite pour disqualifier la pertinence de l’art à nous orienter à dire quelque chose de notre façon de regarder et de donner du sens à partir des œuvres d’art.

Disons-le simplement, l’art n’est pas question de goût, mais question d’orientation. La question de l’orientation est la question qui fait retour depuis l’anthropocène. Allons-nous continuer à considérer que seule la boussole - objet technique - est à même de nous orienter ? Ou voulons-nous essayer autre chose ? Tant qu’ici en Occident, nous refuserons d’écouter la musique de nos ancêtres nous continuerons à être des chullachaqui et nous guiderons ce monde à sa perte.

Deux axiomes pour une approche de l’art du point de vue de l’orientation :

1. Il y a ce qui est dit et comment c’est dit. Le comment est bien plus important que le dire lui-même. Le comment d’une séquence vidéo de 1mn (son montage – l’image/mouvement) sur une chaîne d’info continue par exemple est bien plus important que le dire lui-même. La forme est une mise en forme de ce qui est d’abord sans forme, donc à la limite avant la forme il n’y a rien, un vide. C’est par la forme que le sens surgit. C’est elle qui nous émeut – nous met en mouvement. On pourra longtemps se plaindre des contenus, en débattre, tant que la critique ne visera pas la forme, c’est-à-dire le « Comment c’est dit », nous ne comprendrons pas comment ces objets (textes, images, sons, peintures …) nous envoûtent. Penser le « comment » est aussi ce qui peut résister à l’homogène. La circulation effrénée de ces objets dans les réseaux de communication nécessite une homogénéité de la forme. Dans notre présent où la « communication est devenue contamination et la transmission contagion  [8] », insister sur les formes devient vital.

2.L’interprétation des œuvres, ce n’est pas une question de culture générale ou de connaissance. L’accès aux œuvres n’a besoin d’aucune culture générale, ni d’acquis préalables. Interpréter une œuvre c’est la rapporter à quelque chose d’autre. Par exemple une question que l’on se pose. On interroge alors l’œuvre avec cette question et on écoute ce que l’œuvre apporte de réponses. Ou encore. Interpréter une œuvre c’est la rapporter à son expérience – c’est-à-dire au trajet de sa propre existence -. Comment cette œuvre me parle ? Qu’est-ce qu’elle me dit ? Comment elle peut m’orienter dans mon trajet ?

Proposer une histoire de l’art comme orientation ce n’est pas re-commencer une histoire des utopies des œuvres. Proposer une histoire de l’art comme orientation, c’est écouter le Comment. Par exemple la syntaxe en littérature, c’est la respiration d’un texte. Et donc, non pas ce que dit le texte, mais comment il respire. Sa manière d’être. Et c’est par sa respiration qu’un texte nous affecte. C’est-à-dire que nous entrons en relation avec lui. Mettre l’accent sur le Comment c’est poser la question de la pensée. « Comment ça pense » bien avant et bien davantage de « qu’est-ce que ça dit ». « Comment ça pense » engage une relation « qu’est-ce que ça dit » n’engage aucune relation. Comprendre comment nous avons rêvé et comment nous pouvons nous orienter pour quitter le globe nécessite de revenir sur l’histoire de l’art pour accéder à la manière dont nos ancêtres ont pensé à travers les œuvres.

En deçà du lisible, en deçà du visible, il faut aller. Dans le Comment ça pense. Ecarter le réel, l’indéterminé, s’enfoncer en lui et de là le refaire et le continuer. Car c’est le réel qui est imaginaire et l’imaginaire qui est réel. Le réel ne pousse pas sur les branches des arbres. [9] L’art produit des bifurcations à même le réel qui nous permettent de nous raconter, nous même, des histoires. Si nous écoutons ces bifurcations peut-être pourrions-nous trouver de nouvelles histoires et ainsi retarder la fin du monde.

Emmanuel Moreira

[1Idées pour retarder la fin du monde, Ailton Krenak, Editions Dehors.

[2De la pauvreté en esprit ; la légende du roi Midas, György Lukács, Editions La tempête

[3Idées pour retarder la fin du monde, Ailton Krenak, Editions Dehors.

[4L’aplatissement de la Terre, Leslie Kaplan, éditions P.O.L

[5Pensons ici aux travaux de Tim Ingold, Une brève histoire des lignes, publié aux éditions zones sensibles. Un travail à l’intersection de l’histoire de l’art et de l’anthropologie. Ou aux Histoire(s) du cinéma (1989-1998) de Jean-Luc Godard.

[6L’orientation, la boussole c’est l’enjeu du livre Où Atterir de Bruno Latour ( ed la découverte) mais en partie aussi celui d’Alexandre Monnin, Diego Landivar et Emmanuel Bonnet, Héritage et fermeture aux éditions Divergences.

[7Qu’est-ce qu’un intellectuel d’ambiance ? - Nicolas Vieillescazes, lundi matin #189

[8L’équivalence des catastrophes, Jean-Luc Nancy, éditions Galilée.

[9Atelier du regard #05 – Walid Raad ( Atlas Group) / Jerôme Game, la vie manifeste. https://laviemanifeste.com/archives/11296

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