Joyeux et déluré délire, exercice pour moitié improvisé, pour moitié cadré, c’est une balade au pays de la conformité, avec pour seul moyen d’évasion ou de transformation une ironie à froid, frappante, dont la profération réclamera le plus grand (et faux) sérieux. Une partition participative où il s’agirait à tout prix d’amener le lecteur à s’introduire dans le cerveau forcément supérieur (sans rire, au moins le temps de l’écriture) de l’auteur de cette démonstration. L’auteur de ce jeu, qui en est aussi bien le principal exécutant, met à jour l’éternel dispositif de formation en cours qui ne cesse dissoudre puis de ressusciter les joueurs, des plus passifs parmi eux aux plus actifs.
« Chez les Monsieurs, quand il s’agit de TOUT DIRE, l’ambiance est judiciaire, apologétique ‒ ceux qui veulent compter dans l’Histoire comparaissent au tribunal de l’Histoire ; et, prétendant TOUT DIRE ils ne disent jamais que rien du tout. On les les quitte généralement posant devant le monument de leur innocence (c’est de bonne guerre vu que c’est le jeu). » [p.77]
Le déserteur impénitent se fait facilement champion de dégoûtation, son exemple contamine et invite à lorgner ce jour qu’il ne s’agit évidemment que de déjouer, même si c’est impossible. « Faire et défaire, c’est travailler », disait-on jadis à la campagne, le travail et la sueur, quelle qu’en soit la teneur, ils sont avant tout l’absence de rêveries, le besoin de saisir à tout moment, de ne pas attraper, ni se laisser attraper. Tristesse.
Pas exactement poétique, ce texte à habiter, dans le sens où ce n’est pas le raccourci qui s’emprunte par ici, mais au contraire l’étirement bavard, comme si n’était plus possiblement là, en suspens, que le balancier tenu par le funambule qui doit échapper au vertige.
« L’ESSENTIEL : Nous prîmes SIRET / comme nos pères prenaient femmes. » [p.68]
Comique de bout en bout, le livre d’Antoine Hummel est à l’évidence nourri de cette énergie grisâtre qui caractérise une certaine écriture contemporaine, de manière très symptomatique, c’est là son aveu et sa vocation de miroir, avec des effets d’auto-complaisance ou de cynisme qui peuvent agacer (mais c’est prévu). Dans un monde où toute extériorité est annulée, le moindre effort de transition prend un tour auto-érotique, c’est l’étouffement obligatoire et obligé, qui appelle à de salubres crevaisons, afin qu’un peu d’air passe. Il m’a paru qu’Antoine Hummel, auteur sombre et facétieux, à sa façon extrêmement méticuleuse et avertie, ne parlait pas d’autre chose.
« C’est comme ça, des fois, ça se périme et c’est pour ça qu’il faut écrire, parce que TOUT DIRE n’est pas une activité de feuille blanche, c’est un cahier de coloriage dont l’époque a déjà dessiné les formes. » [p. 132]
Jean-Claude Leroy
Illustration : Joachim Clémence
Antoine Hummel, Ça joue, éditions La Tempête, 208 p., 2024, 18 €.