Révolutions et Contre-Révolutions - Des printemps arabes à aujourd’hui

En Route ! revient sur Lundi Matin

En Route ! - paru dans lundimatin#93, le 16 février 2017

Le 17 décembre 2010, Mohamed Bouazizi s’immole par le feu à Sidi-Bouzid. Ce jeune vendeur à la sauvette vient de se faire dépouiller et humilier publiquement par des policiers. Spontanément, les jeunes, les vieux, les femmes, les hommes, tous prennent la rue. En quelques jours, c’est toute la Tunisie qui se soulève. Ben Ali, ses amis, sa police, son régime ; tous doivent partir. Le "printemps arabe" ne fait que commencer.

Le 25 janvier, des dizaines de milliers de manifestants défilent et défient les forces du régime de Moubarak pour une « journée de la colère ». À son tour, l’Égypte s’embrase. Les places sont occupées, les commissariats et sièges du parti au pouvoir sont brûlés. Puis enfin, la Libye. À New-York résonne Occupy Wall Street, à Istanbul c’est la place Taksim, en Ukraine il y a Maïdan. Le soulèvement, l’insurrection, la révolution, voilà le débat qui se réouvre brutalement en 2011.

Au moment où le soulèvement tunisien se propage jusqu’à l’Égypte, nous décidons de traverser la méditerranée. Nous sommes alors persuadés que de telles occasions ne se ratent pas, qu’il faut aller sur place, et vite. Nous voulions comprendre, vivre, partager et raconter le soulèvement. Nous serons plusieurs équipes à rejoindre la Tunisie, l’Égypte et la Libye.

Les insurrections ont en commun une somme de questions, et qui nous travaillaient : Comment s’organise le soulèvement ? Comment habiter le vide de pouvoir ? Comment se construisent les solidarités matérielles ? Comment luttent les femmes ? Comment mange-t-on ? Comment se bat-on ? Comment se suspendent et se maintiennent les rapports sociaux préexistants ? Quelles sont les lignes qui partagent la réaction de l’insurrection ? Comment se pense, se dit et se vit l’état d’exception ? Comment le soulèvement s’éprouve dans la guerre ? Ce que nous avons vu et vécu depuis ces trois pays apportait son lot de réponses, d’impasses et de dépassements propres.

Nous avons donc tenu une sorte de tableau de bord sous la forme d’un blog, En Route ! Sur place et en France, la presse reprenait nos récits, nos articles. Certains insurgés nous disaient que notre seule venue était déjà le signe qu’ils n’étaient pas seuls dans cette aventure, que c’était quelque chose d’important, à une autre échelle que celle de leur pays. On vivait avec ceux qui se battaient, au front comme au cœur de la ville assiégée de Misrata. Notre présence faisait de nous des partisans. Ne pas le reconnaître, c’est mépriser ce que les insurgés mettaient en partage. Les risques, le gîte, la nourriture, le combat, les blagues, les soins médicaux, les récits, les questions.

Depuis que cette fenêtre s’est ouverte en 2011, l’histoire a pris un autre tournant. Il a fallu six années pour définitivement bombarder, récupérer et écraser cette vague de révolte. Du retour des régimes obsédés par l’enterrement des promesses révolutionnaires à la montée en puissance de l’État Islamique, l’élan de 2011 est rattrapé par un vent contraire. Les logiques de l’antiterrorisme ont repris la main sur les dynamiques révolutionnaires. Les rhétoriques réactionnaires ont réussi à imposer le dilemme « l’Ordre ou le chaos », et ici, à interdire toute perception d’une communauté de destins. Les révolutionnaires sont dépossédés de leur révolution, poussés à l’exil. Le vocabulaire a lui aussi changé, le peuple est devenu le fasciste, l’islamiste, le migrant, le terroriste.

La simplification et le mensonge œuvrent à nous tenir à distance des évènements et nous empêchent de comprendre comment ce retournement a eu lieu. Il y a un enjeu à défaire cette distance. Celle qui, par exemple, marque si maladroitement les différences entre « ici » et « là-bas ». Un enjeu à comprendre le présent dans la continuité des révoltes de 2011. Au milieu de cette confusion, il suffit parfois d’un récit, du récit de ceux qui font les révolutions, et de le transmettre, pour que le fil se renoue. C’est pourquoi, avec beaucoup de retard, En Route ! revient sur LundiMatin, avec l’ambition de dissiper le brouillard.

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Pour l’occasion, nous vous invitons à lire des articles déjà parus.

Sur En Route !

Exorcisme
Petite leçon de dispositifs politiques, ou comment Khadafy s’est maintenu au pouvoir grâce à la magie noire.

Misrata des Lieux
Comprendre les débuts du soulèvement misrati, et comment la ville s’est organisée face à son siège.

« Ne soit pas conciliant »
Rencontre avec un bédouin révolutionnaire, ou comment lier vivre et lutter.

Tunis : couvre feu et contre feu
De la contre révolution en Tunisie, ou comment le retour de la police entérine le retour de l’État.

Expulsion de la place Thahrir au Caire
Dispositifs contre insurrectionnels au Caire, ou comment les révolutionnaires se battent contre leur disparition organisée.

Egypte : drôle de victoire
Des élections en Egypte, ou comment la révolution continue contre les urnes.

Sur Lundimatin :

Automne arabe
Al-Sissi et le Sinaï ou comment la lutte contre la rébellion locale constitue un excellent prétexte pour écraser définitvement la révolution égyptienne.

Automne arabe II -Bahrein
L’insurrection du Barhein face à la monarchie et aux intérêts des puissances régionales.

Retour de Syrie - Interview
"Tu ne "décides" jamais de faire la révolution, c’est quelque chose dans lequel tu es embarqué".

« Burning Country » Les syriens dans la guerre et la révolution
De l’importance du récit, ou comment sous l’apparent chaos se dévoile la richesse de la révolution syrienne.

"J’avais 17 ans quand tout à commencé » - Cinq ans de révolution syrienne"
Au moment où le régime de Bachar reprenait les territoires libérés d’Alep, un jeune syrien de Deir ez-Zor nous racontait comment il a participé au soulèvement et comment ceux qui ont initié la révolution en ont été écartés.

« De Raqqa à Paris, on a eu de la chance » - Cinq ans de révolution syrienne [suite]
Après avoir raconté le début de la révolution, l’arrivée du Jabhat al-Nosra, puis de l’État Islamique, le jeune syrien de Deir ez-Zor revient sur son long périple, de Raqqa à Paris, pendant lequel tout est suspendu au bon vouloir et à l’arbitraire de la police.

En Route ! rend compte de la façon dont le visage du monde a changé depuis le début des révoltes arabes fin 2010. Nous suivre sur @EnRoute_am
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