Retour sur la pâte à mâcher des Transmusicales de Rennes

Ombline Desbassayns

paru dans lundimatin#455, le 11 décembre 2024

Ce texte reçu d’une mystérieuse Ombline Desbassayns(*) vous permettra de lire avant l’heure un compte rendu sur le festival des « transmusicales » qui se déroule à Rennes (Bretagne/France) jusqu’au 8 décembre 2024. Il pourrait paraître surréaliste de relater un festival qui n’a pas encore eu lieu. Détrompez-vous. Il n’en est rien à suivre l’argumentation d’Ombline qui s’y connaît en divination et qui cite :
« Le caractère fondamentalement tautologique du spectacle découle du simple fait que ses moyens sont en même temps son but. Il est le soleil qui ne se couche jamais sur l’empire de la passivité moderne. Il recouvre toute la surface du monde et baigne indéfiniment dans sa propre gloire. » Guy Debord, la société du spectacle, thèse 13

Dans le présent perpétuel de la culture marchande, la chronologie la plus élémentaire n’a plus court. Ce qui a été l’évènement d’hier est aussi ce qui est l’évènement d’aujourd’hui. La transe marchande y contribue. De là s’autoriser de parler comme Ombline des considérations inactuelles sur les musiques actuelles : ce qui apparaîtra demain ne se distinguera en rien de ce qui apparaîtrait hier. Ici sévit la même culture industrielle marchande donnée en pâture aux foules clientes décérébrées. Merci Ombline.

« Feuilletant la presse ce matin, je consacre quelque temps à un retour sur le festival de musiques actuelles des « Transmusicales » à Rennes et la façon dont les journaux en traitent, relayant pour la plupart la pâte à mâcher mise à leur disposition par les organisateurs de la manifestation.

On sentira sans doute quelque exaspération, voire un certain dégoût devant l’état des musiques actuelles aujourd’hui et de ceux qui font profession de les organiser : langue de bois, indigence de la pensée, degré zéro de la critique, domination sans réplique des critères quantitatifs, vulgarité désespérante sur fond de culture nihiliste et de « démocratie culturelle ».

On aurait tort de s’imaginer qu’il s’agit ici de l’attitude réactionnaire de celle qui reste fermée aux émergences culturelles des musiques actuelles. Elle y a pris une part active elle-même et en est heureusement revenue. Pour se consacrer notamment à l’art qui ne rompt pas avec sa vocation émancipatoire. Mais de cette descente aux enfers de l’industrie culturelle, elle a ramené quelques viatiques pour soulager les victimes des sorciers capitalistes et de leurs icônes contestataires. L’époque n’est plus à redouter que les musiques actuelles puissent contribuer en quelque manière à troubler l’ordre du monde. Leur raison d’être est désormais, sous la forme assourdissante de la catastrophe du sensible, de divertir et de leurrer les plus ou moins jeunes pour le plus grand profit des actionnaires de l’industrie culturelle. Osons donc face aux musiques actuelles être totalement inactuels. Face à la vulgarité de prescripteurs qui avouent sans honte venir aux « transmusicales » pour faire leur marché parce que « On voit ici émerger des mouvements qui cartonneront deux ans plus tard » (http://www.rennes.maville.com/actu/actudet_-Ils-font-leur-marche-aux-Trans-Musicales_dep-1618063_actu.Htm), cartonnons dès maintenant les idoles en cartons données en pâture à la jeunesse émergente, qui n’a pas oublié combien il fait bon se soulever contre ces fabricants de rêves et d’illusions assourdissantes .

Sur le chanteur Stromae, soit disant révélation du festival, on découvre que les organisateurs, « en permanence à l’écoute des publics », ont accueilli cet artiste en résidence à Rennes. Placé en programmation sur NRJ en 2009, à la suite d’un stage effectué par le chanteur dans cette radio, le titre « alors on danse » rencontre un succès immédiat qui s’étend bientôt à d’autres pays d’Europe, le titre se classant notamment en tête des ventes en France , Allemagne, Belgique et Suisse. On voit bien de quelle « découverte » il s’agit ici pour les instigateurs des « trans » avec laquelle il partent en quête de subventions publiques en se faisant fort de défendre une image complètement fabriquée de « révélateurs de tendances » et de « découvreurs de talents ». Une investigation complémentaire fait apparaître que Stromae est programmé 5 soirs de suite au théâtre de l’air libre alors que le festival ne dure que 3 jours et que les autres artistes n’apparaissent qu’une fois.

Tout cela ressemble fort à un succès fabriqué. Cela est fort compréhensible quand on voit que les communiqués des organisateurs et des attachés de presse des « trans » sont repris par les journalistes sans aucune distance critique. Ainsi quand la directrice affirme que le festival est une réussite pour des raisons exclusivement quantitatives (« Nos deux principales soirées au parc expo affichent complet. La fréquentation totale va atteindre 55.000 personnes. »), la presse reprend cette affirmation sans la discuter comme s’il allait de soi qu’un phénomène artistique puisse être évalué d’abord en terme quantitatifs, en terme de fréquentation et de publics.

Mais le seul quantitatif, est le critère d’une esthétique nihiliste : « ’C’était très impressionnant. On n’avait pas imaginé un tel succès’. Béatrice Macé a eu quelques frayeurs vendredi soir au parc expo. Vers 1 h, l’arrivée de MIA sur scène a provoqué un énorme mouvement de foule à l’entrée du hall 9 ». http://www.letelegramme.com/ig/dossiers/trans2010/rennes-35-58-000-festivaliers-en-trans-diapo-12-12-2010-1145369.php

Frayeurs, succès, énorme mouvement de foule, tous les ingrédients sont là pour censurer toute émergence possible de l’art dont on peine désormais à croire qu’il se développe encore selon les lois de sa forme propre. Ce vocabulaire rend compte en fait de phénomènes que la sociologie des grands spectacles sportifs a depuis longtemps mis en évidence : masse hypnotisée, frissons et frayeurs parcourant une foule lobotomisée prête aux débordements les plus vulgaires et les moins réfléchis, bref, succès absolu…

Cette esthétique désormais dominante, qui n’en est pas une, a cessé de croire à la valeur artistique pour ne plus raisonner qu’en termes quantitatifs, jugeant de la valeur d’une œuvre à l’aune de la fréquentation des publics. Et l’idéologie des publics relayée par une armée de « médiateurs culturels » consacre une soi-disant « démocratie culturelle », qui n’est que le masque d’un gouvernement des populations cherchant par tous les moyens possibles à mobiliser les esprits et les sensibilités par la culture administrée. Mieux vaudrait désormais parler ici d’acculturation, d’anesthésie ou de catastrophe du sensible, autres noms pour une culture entièrement soumise aux principes économiques et à la dictature de l’audimat, quand bien même se serait celle d’une petite niche culturelle spécialisée. Qu’on imagine seulement la distance qui sépare la contre-culture « rock » des 60’s et 70’s des musiques « actuelles » aujourd’hui solidement intégrées et l’on verra les progrès réalisés par le pouvoir en terme de manipulation des corps et des consciences. Jusqu’à se demander si l’art aujourd’hui comme hier relèverait encore de la résistance au goût dominant.

Mais cette idéologie des publics emboîte le pas au discours consensuel de politiques qui comme Toubon prenant la relève de Lang dans les 80’s s’émouvait que les espaces du théâtre et de l’art contemporain soient aussi peu fréquentés alors qu’ils étaient largement subventionnés.

Les musiques actuelles sont entre temps passées maîtresses dans l’art du double langage : intégrées symptomatiquement dès l’ère Lang dans un département des industries culturelles créé au sein de la direction de la musique et de la danse du ministère de la culture, elle n’a eu de cesse de justifier l’intervention publique sur tous les tableaux, tout en défendant les prérogatives des entrepreneurs de spectacle et des actionnaires de l’industrie culturelle : revendiquant d’être évaluée selon des critères proprement artistiques alors qu’elle avait été soutenue par la puissance publique au titre d’industrie culturelle, servant à l’occasion à calmer une jeunesse turbulente, voire des banlieues en flammes (programme café-musique, instrumentalisation du rap et du hip hop et politiques de la ville)

Quand un journaliste tente (Philippe Brochen, libération) de dépasser l’évaluation quantitative en s’essayant à qualifier les artistes programmés selon des critères artistiques [1], on est atterré par la finesse des catégories esthétiques employées : « la scène hexagonale a pris du muscle », « la tendance à Rennes est au transgenre », « Bomba Estereo sont des compatriotes incendiaires. »

On notera au passage que la métaphore incendiaire se porte bien et flatte la posture rebelle des amateurs de musiques actuelles, désormais figée dans la simple apparence du consumérisme culturel et festif [2]. Mais ces incendiaires relèvent plus de la parade commerciale que de l’émeute réelle. Et la contestation dans les musiques actuelles est fort tolérée voire encouragée quand elle est canalisée dans des parc-expositions gigantesques et exutoires, « sécurisés »par des milices et des maitres chiens et destinée à des foules abruties et anesthésiées.

Autre symptôme omniprésent des musiques actuelles et de « la démocratie culturelle » : l’idéologie du festif. Il est significatif à cet égard que les condamnés de la prison de Rennes exigent du programmateur des « trans » « juste de la musique festive et du soleil » [3]. Et de même, les condamnés de la « démocratie culturelle » et les damnés d’une société qui n’a rien d’autre à offrir qu’une culture anesthésiée et une fausse conscience aseptisée marchent au pas et au son d’une musique festive et ensoleillée. Tristes mines, tristes sires, tristes musiques actuelles… Catastrophe du sensible.

Le fin mot de l’histoire nous est révélé par Philippe Brochen de Libération : « la tendance à Rennes est au transgenre ». http://next.liberation.fr/culture/01012307666-trans-en-trois-temps

« « Transmusicales », transgenre, transe tout court, la boucle est bouclée de la sainte trinité artistique de ce festival qui subsume ses objets assourdissants par la coiffe unitaire du « trans ». On croit rêver devant l’inventivité conceptuelle et la pertinence du projet artistique de ce festival qui sont des copier/coller des premières lignes de l’article « trans » dans l’encyclopédie en ligne wikipédia [4]. Ici ce ne sont pas seulement les formules qui sont courtes, mais la foulée et la pensée. Et, malgré la posture feinte désormais usée du rocker rebelle, les « trans » sont bien toujours, du même coté, celui du manche, celui du tiroir caisse, celui de l’industrie culturelle et de la raison capitaliste [5].

Ombline Desbassayns

Mardi 3 décembre 2024 »

(*)Ombline Desbassayns est une nouvelle venue dans le monde de la voyance politique planétaire.
Marquée par une double ascendance, à la fois fille d’un esclave marron madécasse qui se serait suicidé et d’une propriétaire d’esclaves investissant dans l’industrie culturelle, elle pratique toutes sortes de désenvoûtements sur les victimes de la sorcellerie capitaliste.
Artiste musicienne et sibylle reconnue, elle se spécialise et se dissémine dans l’agencement d’énonciation collectif et la prise de parole pythique. Elle renverse le consensus mou pour lui substituer le désir d’interruption politique.
Son don oraculaire aborde des sujets aussi divers que :

La marchandisation du monde et des modes de vie
Résistances existences
Réappropriation du commun
Industrie culturelle
Déchargements et immigrations illégaux
Nouveaux esclaves
Entertainment
Têtes vides
Futurs nègres
Critique artiste
Exception française et France Afrique
Âmes errantes
Révolte consommée
Sorcellerie capitaliste
Pilules de désaffectation
copyleft
Grand-mère kalle,
Délocalisations
Les vertus flasques et spongieuses de la ’diversité culturelle’
Economie du don
trousseau de clefs de la raison capitaliste
Moralisation du capitalisme
Grand dégout culturel
Marketing
Catastrophe du sensible
Poids économique du secteur
Modèles alternatifs
Extension de la lutte
Audio-visuel massifié
Consensus mou
Faire peur
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[1« En plus d’être, semble-t-il, un succès populaire (28 000 entrées payantes en trois jours, soit 4 000 de plus qu’en 2009), le 27e tome du festival rennais de musiques dites actuelles peut se flatter d’avoir livré un plateau aussi riche en artistes que varié en genres ». http://next.liberation.fr/culture/01012307666-trans-en-trois-temps

[2« L’artiste d’origine sri-lankaise était l’attraction numéro 1 du festival. Son show, aux décibels ultra puissante, a littéralement incendié le parc expo »
http://www.letelegramme.com/ig/dossiers/trans2010/rennes-35-58-000-festivaliers-en-trans-diapo-12-12-2010-1145369.php

[3« On lui demande juste de la musique festive, du soleil. Les détenues nous disent qu’elles ont envie de s’amuser, de rigoler’, explique Catherine Gloaguen, médiatrice culturelle de la Ligue de l’enseignement, qui organise régulièrement concerts, représentations théâtrales et spectacles à la prison ». http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5hFRHLGtfV8EfLjDvJo2YtCDPSaEQ?docId=CNG.d77243557f46c5406b1b2f2007d24294.1e1

[4« Le mot latin trans signifie « de l’autre côté » et est l’antonyme de cis, qui signifie « du même côté ».

Trans est souvent utilisé comme forme courte pour transexuel ou éventuellement transgenre.

Les Trans comme forme courte pour le festival des Transmusicales de Rennes (France) ». http://fr.wikipedia.org/wiki/Trans

[5« Ce n’est pas la marotte du fou qui teinte à nos oreilles, mais le trousseau de clefs de la raison capitaliste ». Th. W Adorno

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