La QLFite se répand vite dans les facs parisiennes et ailleurs. Après les ronds-points étudiants de rentrée et l’appel QLF international en plein regain de ferveur pro-palestinienne, l’article « le nouveau parti pris étudiant » a bien tourné : voici une brève réponse aux senteurs de tabac à rouler depuis la fosse de Tolbiac, aka Le Volcan, au mouvement qui vient au sein et par-delà les universités.
T’ENTENDS C’EST QLF À LA SONORITÉ
Tolbiac compte 12000 étudiants au total sur les 45000 que compte Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Le centre dispose d’UNE entrée (rue Baudricourt) et d’UNE sortie (rue de Tolbiac). Les salles de TD et CM, la fosse, les deux CROUS (un au rez-de-chaussée et un au neuvième étage), la BU, les amphis d’été et la rue tout devant sont des espaces de passage privilégiés par les étudiants. Les tables en pierre dans un coin de la fosse et le large trottoir à la sortie de la fac peuvent parfaitement devenir des zones QLF, des espaces de rencontre basés sur la gratuité, la fête, l’entraide.
À la fac, acquérir une large audience est facile pour les organisations molles ou rouges. Leur influence quotidienne est forgée à la sueur de leur base militante d’automates fatigués. Alliez la monopolisation des canaux de communication intra-universitaires, les accointances très légales (financières) avec l’admin mais aussi les distributions « solidaires » et autres revendications quotidiennes : leur discours creux est rendu persuasif par la charité, à peine condescendante, que les réformistes affichent envers les étudiants. L’intervention QLF dans la fosse de Tolbiac clarifie en actes cet état de fait fumeux par la négation intransigeante, concrète et joyeuse des rapports marchands et bureaucratiques qui aliènent les étudiants. Cultiver son bonheur indépendamment de la morosité de la « vie étudiante », libérer la puissance contenue dans la spontanéité affective des plus jeunes étudiants, c’est rendre possible l’auto-organisation de formes-de-vie séparées du règne du capital dont l’université n’est que vassale. Parce que c’est de rond-point étudiant en soirée gratuite, de crêpe chocolatée en banderole renforcée que résonne la grinta du mouvement QLF : faire le communisme moins que le dire.
La phrase « La constitution de la classe hors du capital n’est pas le dépassement du parti, mais la condition de sa fondation. » peut se traduire à la fac par : « La constitution des étudiants contre l’université n’est pas le dépassement de leur subjectivité mais la condition de son affirmation. »
ZGA ET JOIE DANS LE VOLCAN
Les gens à Tolbiac sont jeunes et plutôt politisés car le campus concentre les L1 et L2 de beaucoup de licences dites « littéraires ». L’avantage stratégique majeur est que ces étudiants sont pour la plupart curieux politiquement et, évidemment, récemment extraits du lycée. Enrayer l’emprise sociale des BDE, « assos » de licence et réformistes sur les étudiants implique d’esquisser à la fac une forme de sociabilité séparée des rapports marchands dans la continuité existentielle de ce qui est possible au lycée. C’est là le pari massificateur le plus réaliste. Par exemple : lycéen, on a tous séché les cours avec sa bande de potes ou traîné dans les alentours de « son » établissement ; à la fac, la justesse de l’intervention séditieuse correspond à sa capacité à réaliser la spontanéité affective des étudiants, à capter la survivance de débris d’indiscipline là où c’est possible. La fosse est le lieu privilégié de ce type d’interactions authentiques et de tissage d’une solidarité. Tous les recoins sont bons pour s’amuser, extraire momentanément puis durablement les étudiants des flux qui les aliènent et la tristesse du quotidien, ouvrir une brèche désirable et esquisser les autonomies.
Le dégoût du monde tel qu’il est construit jusque dans ses murs est la chose la plus partagée à Tolbiac, avec l’ennui et les singeries. De la clope fumée avec l’inconnu dans la fosse au brouhaha entre amis du fond de l’amphi, du retard en cours après le taff aux leçons révisées pendant l’AG, des cookies quotidiennement volés au CROUS jusqu’à la profusion de tags contestataires dans les escaliers : le dégoût du présent a la clarté de l’évidence pour les plus jeunes étudiants de la fac. Ce dégoût leur est aussi familier que l’hypocrisie crasse d’un manager, le mépris débridé d’une proprio ou l’arrogance assumée d’un contrôleur RATP. Et même pour la plupart d’entre eux, plutôt matériellement privilégiés, les étudiants sont frustrés ou dépressifs parce qu’encore nombreux à être précaires, soumis à la peine du travail. Ce fait, ajouté au temps accordé par leur emploi du temps universitaire, fait d’eux une force de travail peu ou pas vraiment intégrée au salariat formel et, par conséquent, une main d’œuvre distraite et peu expérimentée, remplaçable et maltraitable à souhait par le capital, ce qui la prédestine à la mutinerie.
Les étudiants de Tolbiac sont bavards, bruyants, peu disciplinés et cyniques quand ils ne sont pas déjà indifférents à l’académie. Cette fac a été construite pour eux, sur-mesure pour la profanation quotidienne du Saint-Savoir que représente, pour la Sorbonne millénaire, les rires entre ses murs d’enfants de prolos ou l’offense audacieuse de la bonne morale libérale quand ces post-adolescents turbulents ne se laissent pas faire. Contrairement à ce que ne comprendront jamais les trotskistes et autres arrière-gardistes, les jeunes générations agglomérées à Tolbiac n’ont pas besoin qu’on leur explique la lutte des classes ou le changement climatique : ils ont grandi avec des images de la catastrophe et sont les premiers témoins de l’exploitation de leurs aînés. Comment voulez-vous qu’à Tolbiac ces jeunes-là n’aient pas la subversion plein le corps et le commun dans le cœur ? Toutes les fois où la classe a de bonnes raisons de rendre coup pour coup, c’est à Tolbiac que la réponse se fait la plus rapide et la plus forte. Parce que c’est chaque jour, de soupir en soulèvement, que les étudiants sentent, pour certains jusque dans leur chair, la reprise de l’offensive prolétarienne.
Cela a valu audit Centre Pierre-Mendès-France la qualification ironique par Georges Haddad (ancien dirlo de la fac) de « volcan qui est prêt à entrer en éruption à tout moment ». Il avait avancé dans le documentaire « Tolbiac Poésie militante - Histoire de la vie militante de l’amphi N », produit par Paris 1 moins d’un an avant la Commune de Tolbiac : « Il y a une vibration particulière à Tolbiac. Il y a une sorte de force sismique. On sent cette vibration. » N’organisons pas le souffle du volcan : devenons le bouillonnement-surgissement de son feu intérieur. Deux occupations déterminées en deux mois et à plusieurs centaines d’humains pendant les retraites, ça ne s’invente pas !
C’EST VOLÉ DONC : GRATUIT
Il était inconcevable que Tolbiac puisse concentrer entre ses murs autant de « perturbateurs » sans en changer la forme de ses dispositifs : les grilles acculant la fosse n’ont été installées que dans les années 1990, le contrôle systématique à l’entrée des sacs et cartes Paris 1 a été généralisé par l’état d’urgence après les attentats de 2015 et le verrouillage systématique des campus universitaires par la police en cas de « débordement » a été rendu possible par la politique de lock-down et l’institutionnalisation du distanciel après l’occupation de la Sorbonne en 2022 (comme si, dans l’après-COVID, c’était la sédition qui est contagieuse à l’université). Par conséquent, sauf en la haute tension caractéristique d’un conflit (planifié ou non) appelant la déstabilisation directe du cadre universitaire, il ne faut pas négliger de penser que s’approprier l’université, contre son optimisation-pacification continue depuis l’après-68, veut aussi dire se localiser, situer sa présence au monde dans le quartier qui entoure la fac. Parce qu’étendre la reprise de la fac aux réformistes et vigiles à la redécouverte quotidienne de l’usage du territoire, aux côtés de tous ceux qui galèrent ou sont dégoûtés par le présent, c’est souligner la continuité existentielle de la lutte à mener. Non pas dans une dichotomie intérieur-extérieur mais à travers la fac, dans tous les aspects de la vie.
Prendre au sérieux les conditions d’une telle lutte existentielle – sans quoi nous serions semblables en tous points à n’importe quel groupuscule d’ultragauche – nous engage, par exemple, à investir le large trottoir rue de Tolbiac avec des évènements goleri et de la bonne zik mais aussi à se lier avec les bandes de jeunes et habitants du quartier des Olympiades de l’autre côté de la rue et (ce qui a déjà été fait) s’organiser avec les lycéens de Claude Monet. Pour transposer (saisir) l’antagonisme en dehors de la fac, il suffit de traverser la rue en comprenant que le règne du capital, avec les flux de « personnels et étudiants », ne fait que traverser l’université. Les étudiants de Tolbiac passent par la station Olympiades de la ligne 14, fréquentent pour certains la bibliothèque municipale en face ou se posent au bar-café d’à côté, consomment au Franprix sur la dalle et sont férus des sandwichs vietnamiens qui se vendent comme des petits pains dans tout le quartier, quand ce ne sont pas, plus malheureusement, les menus à emporter du McDonald’s du coin qui sont convoités : si la marchandise ou l’académisme amènent les étudiants en dehors de la fac, alors pourquoi pas nous ?
Par ailleurs, l’arrivée de la Sorbonne millénaire à Porte de la Chapelle doit à cet égard nous pousser à réinventer (encore) nos formes-de-vie dans un quartier que la mairie de Paris et ses investisseurs imaginent à la pointe du front de gentrification d’un 18e encore populaire. Que dire de ce nouveau campus pour L1 et L2 « littéraires » avec « espaces de coworking » aux poufs sous les caméras, la Gare du Nord, Paris 4, Paris 8 et Condorcet à portée de Velib’ ainsi que les lieux de passage des futurs exclus par la « métropole du Grand Paris » et l’Adidas Arena juste en face ? Ce cocktail nord-parisien explosif n’est sûrement pas sans présager de hautes luttes pour la défense de la répulsivité d’un quartier aux yeux du capital, après septembre 2025 et le deuil de Tolbiac.
Tenir une sensibilité irréconciliée avec le pouvoir en tant « qu’étudiants » implique de s’approprier l’espace pour réaliser immédiatement les désirs animant le plus grand nombre : « prendre au mot » les promesses de la publicité et en pirater les trésors, détourner de leur fonction idéologique des éléments de la « culture populaire » comme le foot, le rap, les mèmes, le tag, l’argot, le ciné… Tout (ou presque) devient possible avec la forme-rond-point QLF, sorte de commune éphémère et nomade, véritable générateur d’affects et liens incontrôlables par le pouvoir, parce qu’autonomes des rapports marchands et ciment de la politique, du mouvement QLF qui vient au sein et par-delà les universités. Si la forme-rond-point QLF est directement inspirée de celle esquissée par les Gilets jaunes, il est primordial que nous comprenions que c’est par la grogne sur les réseaux sociaux, l’affichage du gilet jaune sous le pare-brise avant l’occupation virale de l’espace puis des blocages, les « opérations péages gratuits » face au silence de Macron que s’est façonné le devenir-révolutionnaire du mouvement. Le haut potentiel agrégatif et sensible de l’investissement des ronds-points et la solidarité tissée par la chaleur humaine induite par leur occupation quotidienne, partout n’a été que la condition existentielle nécessaire du surgissement insurrectionnel des GJ dans l’Ouest parisien, après que Macron ait envoyé les gendarmes mobiles expulser leurs innombrables communes établies sur les routes.
« Devenir révolutionnaire, c’est s’assigner un bonheur difficile, mais immédiat. »
Les étudiants sont socialement de la dynamite, l’éclatement de la Sorbonne millénaire en de multiples campus est contemporaine (coordonnée) avec la fragmentation-précarisation du prolétariat dans les pays capitalistes les plus avancés : défaire quotidiennement l’isolement géographique et existentiel des étudiants, c’est se redonner une puissance, la force de relever la tête du long égarement depuis le dernier souffle des « années 68 » à l’aune de l’année 2025. Qu’est-ce qui est le plus massificateur, en termes de capacité agrégative et sensible contre le capital, entre un tractage jargonneux en noir sur blanc qui laisse le tout-venant indifférent ou une enceinte avec du bon son qui distrait et rassemble durablement des centaines de passants à Châtelet ?
QLF TBK
LEXIQUE QLF :
- QLF : Que La Fac, mouvement pirate dans et par-delà les facs qui exploite les failles du système capitaliste pour en détourner frauduleusement les trésors, en saboter joyeusement les fondements dans tous les aspects de la vie. Le mouvement QLF est basé sur la gratuité, la fête, l’entraide. Est QLF tout individu ou bande qui extrait son gagne-pain et ses plaisirs, se tient en sécession du règne du capital.
- Rond-point étudiant, forme-rond-point QLF, zone QLF : Des crêpes sur une table, une enceinte JBL, un ballon de foot et des sourires ; forme éphémère et nomade génératrice d’affects et liens incontrôlables par le pouvoir parce que politiquement séparés du capital et matériellement autonomes des rapports marchands.