Rejoindre le Rojava - Épisode 4

paru dans lundimatin#92, le 8 février 2017

À 21 ans, ce jeune révolutionnaire français a décidé de rejoindre le Rojava où s’affrontent les kurdes des Unités Populaires du Peuple (YPG) et Daesh. Nous publions cette semaine le quatrième épisode de son récit.

Académie militaire des YPG pour volontaires étrangers, Rojava, le 5 Février 2017

Nous voilà à la croisée des chemins. Notre formation s’est officiellement terminée hier soir, et d’ici un à deux jours nous quitterons l’académie pour rejoindre notre unité d’affectation, et éventuellement, le front de Raqqa.
Je sais que de nombreuses idées reçues, parfois contradictoires, circulent sur le traitement des volontaires étrangers, alors je vais m’appliquer à les clarifier tout de suite.

Tout d’abord, les YPG n’envoient pas les volontaires étrangers directement au « casse-pipe ». J’ai entendu des camarades, en France, suggérer cela, prétendant que les YPG voudraient au maximum « préserver les vies kurdes ». Mais le fait est qu’à chaque fois qu’un étranger meurt, cela fait mauvaise presse pour les YPG, et leur apporte un tas de problèmes diplomatiques, particulièrement quand il s’agit d’un occidental. En vérité c’est même l’inverse, les YPG rechignent à directement envoyer des volontaires au combat, ils préfèrent les envoyer, au moins dans un premier temps, dans des tabûrs défensifs (des unités statiques prenant peu de risques, affectées à des postes de garde) ou alors dans tabûrs offensifs mais pas dans les groupes de combat (c’est à dire que les volontaires restent au camp, ou bien sont à l’arrière des lignes, pas dans les groupes d’assaut).

Pour être envoyé directement au combat, dans un groupe d’assaut, il faut réunir 4 conditions :
— Connaître les bases primordiales du kûrmanjî (le kurde du Rojava).

— Être apte physiquement/sportivement, ce qui vous l’avez compris, est loin d’être le cas de la majorité (nous ne sommes plus que 3 sur 10 en moyenne à tenir le coup lors de l’entraînement matinal, parfois 4, parfois 2).

— Être apte militairement/tactiquement (soit avoir un background militaire, soit avoir bien réussi les entrainements à l’académie).

— Ne pas avoir eu un comportement « inadéquate » lors de la formation (c’est à dire que si vous êtes ouvertement fasciste, psychopathe, dépressif, etc, vous n’avez pas votre place au front. Évidemment il arrive souvent que certains passent entre les « filtres » des YPG).

Ensuite, les YPG ne nous imposent pas notre lieu d’affectation, sauf cas exceptionnel (si un volontaire est vraiment à la ramasse, il sera assigné à des tâches de gardes mineures à l’arrière). Le volontaire émet des choix d’affectation, en discute avec le commandant et le général (oui, un général YPG vient parler en privé avec vous, pour faire un bilan de votre formation, écouter vos critiques, et comme je le disais, prendre en compte votre choix d’affectation). Généralement les volontaires peuvent, dans une large mesure, aller où ils le veulent.

J’avais initialement l’idée de rejoindre l’International Freedom Bataillon Of Rojava (IFBOR, que l’on désigne généralement comme « le Bataillon International »), pour me retrouver avec d’autres internationalistes. Mais l’IFBOR, bien que faisant un travail remarquable et subissant parfois les raids de DAESH, n’est pas une unité offensive. Généralement, ils restent dans leur base, suivent le front de loin. Grâce à mes rencontres dans les montagnes, j’ai la possibilité de rejoindre le MLKP (Parti Marxiste-Léniniste des Travailleurs, organisation révolutionnaire kurdo-turque) ou le TKEP/L (qui est plus ou moins un groupe affilié, avec un soupçon de stalinisme en plus, ce qui me refroidit légèrement, vous comprendrez). Il m’est bien sûr également possible de rejoindre une unité classique des YPG mais politiquement ce n’est pas forcément le plus intéressant.

Mais il y a une semaine, le commandant m’a recommandé auprès d’un groupe venu faire du recrutement, la Brigade Antifasciste Internationale (très libertaire, donc politiquement plus proche de moi), connue aussi comme « le groupe de Marcello ». Oui, le camarade qui a écrit le livre « Le combattant ». Je l’avais rencontré par hasard lors d’une de ses conférences en Italie, l’année dernière. Le revoir ici était amusant. Le monde des révolutionnaires est décidément dramatiquement petit. Enfin, autre possibilité intéressante, rejoindre une unité combattante de « qadro » turques et kurdes (des révolutionnaires « de carrière » pourrait-on dire, le terme se traduisant littéralement par « cadres », des apoïstes convaincus donc). J’ai déjà pris ma décision, mais pour vous emmerder je vous indiquerais mon choix lors du prochain message.

Bref, sinon j’ai passé un jour et une nuit à l’hôpital. Pas de blessure au combat, juste malade à crever, bien moins glamour n’est ce pas. Enfin bon, vous aurez les détails dans quelques jours, normalement j’aurais bientôt une longue et régulière connexion, ce luxe.
Toujours est-il que j’ai hâte de partir du camp d’entraînement. Ici, un vieux facho est arrivé, et je sens que sa sécurité est menacée si je reste trop longtemps.
J’ai rencontré le camarade anarchiste français. Il est actuellement avec moi au camp. Des bribes de nouvelles de France nous parviennent. Flics et fachos, de Paris à Nantes, se sentent pousser des ailes. Ne vous inquiétez pas, on leur coupera.

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