Quitter le navire ne suffira pas

Justin Delareux

paru dans lundimatin#233, le 13 mars 2020

après la fuite,
cerné partout en dehors de nous,

on nous accroche à la branche,
avec le poids des siècles qu’on porte,

on se reconnaît, même mutilés, pendus là,
on reconnaît le temps qui passe comme celui qui manque,

les panaches de fumées, on tousse,
on sait encore dire qu’après les explosions de joie
s’en suivent souvent des mois d’isolement,

dire pour ne pas s’éteindre,
on était tous là comme disparus,
on était tous là à produire une atmosphère électrique,
sans l’arbitraire atomique,

une forme d’excitation historique,
en dehors de vos lumières,
cerné de toutes parts c’est ce qu’on ressent,

pourtant on connaît les issues celles sans retours,
on n’est pas tout à fait au bord,
on n’est pas tout à fait au fond,
on est juste un peu au dessus du fond,

main tendu vers le bon moment qui ne vient pas,
main tendu depuis des années, en dehors de nous,
main en moins,

on voit les choses se produire devant nous,
les choses qu’on a apprises à l’école se déroulent devant nos yeux,
on se tient sage,

en dehors ou en dedans des écrans la même léthargie semble opérer,
le temps est pressé par des affairistes accélérant,
les incendiaires sont en grève à notre plus grand regret,
alors on envisage une formation,

un stage dans le domaine,
quelque chose en immersion
en milieu forcément hostile,

on hésite, entre le plat de la table du bureau,
et le plat du pied avec lequel on court,
on essaie de trouver des appuis,
on fabrique ses petits abris de formes ou de mots,

on retourne les valeurs, on tourne autour du feu, de l’eau,
cernés par des niches, des nasses,
on bricole de frêles sortes d’abris
dont on ne sait pas combien de temps encore ils tiendront,

on avance sur ce fil là que d’autres corps tiennent,
entourés de vieux mondes qui n’en finissent pas,
entourés de manœuvres et de déclarations,

voilà qu’on en vient à reformer les contours de nos contours,
devenus trop étroits pour s’adapter,
au mètre carré d’inflation,
disposés à toutes sortes d’impositions,

intégration et exclusion participent du même monde,
ce même monde qui nous a semblé suspect
dès les premières années de notre puberté,
on y entretiens depuis lors le feu qui est pour nous synonyme de vie,
c’est sans métaphore,

on fait état du lieu simple qu’est notre enclos,
là où l’on enferme ouvertement,
pris de rien,

après la fuite le mouvement meurt,
partout manquent les points d’accroches,
partout poignent des participants,
tantôt remerciés, tantôt insultés,
partout rétrécis,

on dit que l’état se resserre,
dessiner faire crier des formes muettes,
cerné et pétri d’oublis,

en vers et pour le bonheur de tous,
on se passe le mouchoir des promesses,
on revient sur l’histoire qu’on invente,
et c’est tout les jours un nouvel appel,

en dehors de nous des feux éteints,
nous incitent à quitter la paix,
à rejoindre les centres,
à s’extraire de l’extrait,

littérature extorsion,
on fait comment maintenant,
après la fuite, quand on est cerné,

partout en dehors de nous,
on a corps de quitter
on a corps de réparation suite à charges,
ce à quoi nous sommes tenus d’acceptation,

érigez des murs, interdisez les déplacements,
on a corps de mourir de part vos coups,
ce à quoi nous sommes tenu d’accusations,

on cherche la place pour écrire mais la place a disparue,
clôturez et l’air et l’eau, clôturez tout,
on empreinte à l’excès les pronoms de l’usine,

la place est prise,
on espérait autre chose,
on espérait autrement, notre erreur a été d’espérer,
de reporter à demain le dégagement d’horizons meilleurs,

on cherche la place et le mot pour occuper,
occuper le temps dont nous sommes privé,

il est tout à fait possible de commercer de clôtures et de pénitents,
la place est entourée,
nous sommes au centre,
et les centres sont partout,

corps quotidiens
et les murs de la ville endormis que nous habitons,

on patiente le droit d’attendre,
la possibilité de quitter,

les rues sont des dispensaires,
les corps sont frappés, roués de coups, asphyxiés, traînés sur le goudron,
les corps ne sont plus grand chose pour ceux qui les mutilent,
sont des ressources dont l’obsolescence est organisée,

il s’agirait d’ombrer un peu,
là où l’on ne nous prétend que lumière,

et le problème du poème,
c’est encore qu’il manque de combustibilité,

quel est ce temps dans lequel nous sommes jeté
oui, il y a une entreprise à défaire
avant qu’elle ne nous défasse tout à fait,

quitter le navire ne suffira pas,
des réponses viendront,
à la mesure de l’offense,

on se dit qu’il n’est pas trop tard,
pour tenir encore,
on dit que ça va.

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