Quelques leçons de Sainte-Soline

[Retex]

paru dans lundimatin#359, le 14 novembre 2022

Le rassemblement de Saint-Soline contre les méga-bassines des 29 et 30 octobre dernier a fait couler beaucoup d’encre. Qu’une manifestation écologique contre l’accaparement de l’eau voit s’agréger une foule bigarrée et déterminée au point de mettre en déroute un dispositif de 1700 policiers et 6 hélicoptères, cela a de quoi faire s’étouffer plus d’un ministre de l’Intérieur et quelques brochettes d’éditorialistes. Mais par-delà le brouhaha médiatique, de nombreuses questions stratégiques se posent. Des participantes et participants au mouvement nous ont transmis ce retour d’expérience et les leçons qu’ils en tirent.

« je me disais encore hier soir qu’il me manquait quelque chose pour descendre les poubelles. »
Anémone, actrice et habitante intemporelle de Sainte-Soline

Déjà deux semaines se sont écoulées depuis la manifestation sur les terres rouges de Sainte-Soline contre le deuxième chantier de mégabassines des Deux Sèvres. Elle fut marquée par un tel allant qu’elle ne cesse de bouillonner dans les têtes, et continue de mobiliser l’attention médiatique et politique. Mais après un temps d’interruption forcée des travaux, le gouvernement a opté pour une reprise du chantier et promis dans la foulée la construction de 30 nouvelles bassines dans le département voisin.

Ce jeudi sera donc annoncée une prochaine date nationale d’action, avec pour objectif d’impacter plus durablement encore ces projets et d’obtenir leur mise à l’arrêt définitive.

En attendant de s’organiser en conséquence, nous voulions partager quelques considérations sur les leçons à tirer selon nous du 29 octobre, à partir du chemin que nous avons parcouru depuis 1 an avec le mouvement. Nous voulons croire qu’il y a par là quelque chose de plus palpable à en retirer qu’au travers des projections parachutées de la foule d’experts en tout genre qui se sont succédés après coup dans les médias.

Ce que nous cherchons à explorer ici tourne autour des deux hypothèses suivantes :

A partir d’une région donnée et d’un forme d’infrastructure relativement nouvelle que ses promoteurs envisagent de diffuser partout, c’est la pelote entière de l’accaparement de l’eau, du maintien du complexe agro-industriel et de l’appui pour l’instant intangible que l’Etat lui offre qu’il est possible de dérouler. Ce sont par là deux horizons adverses pour les territoires concernés, et donc deux côtés de la barricade qui ne cessent ainsi de se clarifier, autant que des tournants possibles face à la crise climatique.

Plus qu’une action de résistance écologiste qui fait grimper d’un coup le rapport de force dans une lutte spécifique, le déploiement de Sainte-Soline participe de la nécessaire reconfiguration du champ politique. Sa texture offensive - faite d’ados grandis dans un monde en naufrage, d’amoureux.ses de l’outarde canepetière, d’émeutier.es déluré.es, de retraité.es que l’âge rend d’autant plus déters, de syndicalistes qui retrouvent le goût du sabotage, et d’élu.es pour une fois courageux.ses - donne à voir ce que pourrait être des moments de révoltes climatiques, tel qu’ils devraient désormais se dessiner partout en réponse aux urgences absolues de l’époque.

Retour sur un an de montée en puissance d’un mouvement depuis le terreau du marais et le chantier de Mauzé

La force éprouvée collectivement à Sainte-Soline fait événement en soi, tout en étant le résultat des actions qui l’ont précédées. Avant d’en interroger plus précisément la portée, il s’agit de remettre brièvement en perspective la séquence qui nous a entraîné.es jusqu’à la tempête des Terres rouges.

Il y a plus d’un an déjà, un chantier équivalent à celui de Sainte-Soline était envahi et mis à mal. Il s’agissait du cratère lunaire de la mégabassine de Mauzé sur le Mignon, en bordure du marais poitevin. Celui-ci inaugurait la longue série des 16 ouvrages que la préfecture et les regroupements d’irrigants souhaitent réaliser dans le département. Avec le démarrage des travaux et après des années de mobilisations en tout genre, de soirées d’informations et de recours juridiques, nécessaires mais visiblement insuffisants aux yeux du gouvernement, le passage à un autre stade de la lutte s’imposait pour la coalition locale Bassines Non Merci. Un convoi paysan parti de Loire-Atlantique vint décaler le récit schématique porté par le camp adverse en marquant qu’il ne s’agissait pas uniquement d’un combat entre écologistes d’un côté et agriculteurs de l’autre, mais tout autant d’un clivage entre deux horizons agricoles possibles. Les 30 tracteurs, rejoints à Niort par quelques centaines de personnes prirent de court le dispositif policier en s’élançant subitement vers la bassine à une quinzaine de kilomètres de là. Une fois les grilles abattues, la foule accompagnée dune bande de brebis mit joyeusement hors d’état de nuire l’une des pelleteuses abandonnée par son chauffeur. Tandis que la figure locale de la lutte annonçait devant les caméras que « pour une bassine de construite, il y en aurait 3 de détruites ». Cette intrusion donna un premier signal fort sur la vulnérabilité et la matérialité désertique de ces infrastructures, autant que sur le nouveau régime du mouvement. Cette rencontre en acte entre les Soulèvements de la Terre, Bassines non Merci et la Confédération Paysanne, appelait à une suite rapide.

Aussi, un mois plus tard, c’est à 3000 que nous nous rassemblions dans le bourg de Mauzé avec cette fois-ci un déploiement beaucoup plus massif du maintien de l’ordre, bien résolu à nous empêcher d’accéder au chantier. Celui-ci étant pour l’occasion lui-même occupé par les troupes de la FNSEA venues défendre leur trou. Ce fut la première grosse épreuve de force qui donnera naissance à l’épisode 1 de « la prise de la bassine » par un détournement concerté de l’objectif initial pour cibler la bassine voisine et déjà existante de Cran-chabam, à l’opposé du gros des troupes adverses. Déjà, il s’agissait de passer des lignes de gendarmes, de franchir un ruisseau à plusieurs milliers, de courir dans les champs, de percer des grilles en essuyant des tirs de grenades, avant d’atteindre le grand cratère, puis de démonter sa pompe et d’ôter sa bâche de plastique en dansant autour d’un bateau pirate. 10 jours plus tard, face aux rugissements du gouvernement, de la FNSEA et aux menaces de répression, des personnalités et représentant.es nationaux d’une cohorte d’organisations politiques et syndicales dont la plupart n’avaient pas encore mis les pieds dans les Deux-Sèvres, venaient pourtant affirmer la nécessité de la « désobéissance » et appuyer le débâchage face aux mégabassines. C’était la confirmation, autour de la défense de l’eau, de la constitution d’un front à la fois largement soutenu et déterminé à se donner les moyens nécessaires pour stopper les chantiers. Ce fut un second camouflet pour le préfet des Deux-Sèvres qui sautera quelques mois plus tard, remplacé par Emmanuelle Dubée, missionnée pour en finir avec cette lutte [1].

Malgré ces deux premières mobilisations, le chantier de la SEV 17 (petit nom de série de la bassine de Mauzé) arriva à son terme, au prix de moyens considérables pour assurer la surveillance continue de l’ouvrage et permettre son remplissage. Mais pendant ce temps, la punchline lancée effrontément aux gendarmes sur le chantier de Mauzé avait de toute évidence été plus que prise au sérieux. Entre septembre 2021 et septembre 2022, près d’une dizaine de bassines existantes furent en effet démantelées de nuit par divers groupes aux titres évocateurs - à l’instar du « gang du cutter à roulettes », des « fremens du marais poitevins » ou encore des « rivières en colère » - qui avaient ainsi décidé à leur manière de renforcer l’impact des mobilisations publiques. Avec au final 10 bassines détruites pour 1 construite, la montée de tension était palpable dans le Poitou [2].

Elle s’incarna publiquement avec un autre rassemblement en mars de cette année dans le petit village de La Rochénard toujours avec la SEV 17 en ligne de mire. À cette occasion 2500 gendarmes furent mobilisés et la manif interdite sur un périmètre de plusieurs dizaines de km2. Ce qui n’empêcha pas 7000 personnes de braver les checkpoints pour converger jusqu’au campement. Cette mobilisation alors record était un démenti cinglant aux quelques voix qui prophétisaient que des actions plus déterminées risquaient d’isoler le mouvement et de « décourager les masses », de toute évidence plutôt satisfaites de pouvoir prendre part à des manifs directement impactantes. Tout avait été de nouveau mis en œuvre pour empêcher l’approche du site. Déploiement de gendarmes à pieds, équipes motorisées dans les champs, hélicoptères, et surtout pression accrue des services préfectoraux et instances agricoles sur la confédération paysanne alors déclarante de l’événement. Dilemme dans l’organisation du week-end, fallait-il entrer dans la zone rouge ou changer de cible ? C’est la deuxième option qui fut privilégiée, par timidité sur les possibilités d’arriver ensemble sur le chantier mais aussi parce que ce qui fut alternativement visé à coup de pioches - des tuyaux d’alimentation d’un futur projet - permettait d’étendre le domaine de compétence du mouvement. Ce nouveau geste pointait en effet, au-delà de la bassine même, le caractère tentaculaire et donc indéfendable de ce type d’ouvrage. Couper une bâche, découper une pompe ou des canalisations à la disqueuse devenaient autant de petits gestes simples à partager pour entrevoir le désarmement de toutes les bassines existantes et donner quelques sueurs froides à leurs promoteurs.

Pour l’étape d’après, le mot d’ordre ne s’embarrassait plus de faux-semblant : s’ils démarraient un nouveau chantier, nous viendrions y mettre fin 4 semaines après. La clarté de l’objectif n’empêcha pas que plus de 150 organisations se joignent à l’appel. Et début octobre, dès que les premières grilles sont posées autour de Sainte-Soline, les assemblées de préparation battent leur plein et une carte des entreprises impliquée dans le projet est publiée. Depuis maintenant quelques mois, le maillage territorial de BNM avec ses antennes, sources d’informations et relais solidaires dans les différents corps de métiers et strates sociales, n’a cessé de nous étonner. Sauf que le terrain est de prime abord bien moins complice dans le périmètre immédiat de Sainte-Soline qu’autour du marais poitevin, berceau de la lutte. La pression sociale des irrigants du coin et de la préfecture s’abat sur les soutiens et fait d’abord obstacle aux recherches de lieux de convergence. Quelques réunions publiques bien remplies permettent cependant pas-à-pas de trouver des ouvertures in extremis. Un immense champ à moins de 3 km du chantier est discrètement proposé par son propriétaire, un ancien irrigant en rupture avec les bassines et décidé à faire ce courageux cadeau au mouvement. Alors que deux syndicats déclarent la manif, l’équipe logistique prend un coup d’avance sur sa très prévisible interdiction en préparant l’installation surprise d’un campement. Celui-ci débarquera en convoi de camions et tracteurs au coeur de la zone rouge le lendemain de son annonce par la préfecture.

Le bras de fer commence ainsi dès le mardi avec le montage des premiers chapiteaux tandis que le propriétaire explique aux médias présents pourquoi il a décidé de finalement passer dans l’autre camp et d’inviter les opposant.es sur son terrain. À partir de cet instant, c’est la réaction en chaîne. La préfecture hausse le ton mais peut difficilement trouver une prise juridique pour nous expulser directement. Elle multiplie les arrêtés d’interdiction tout autour, vide le chantier des ses engins et redouble de menaces pour dissuader les manifestant.es. Mais les premières images du campement font boule de neige, aimantant les opposant.es autant qu’elles hantent les autorités obsédées par le spectre de la construction d’une zad, mirage qui va incontestablement participer au déferlement médiatique. Quand l’interdiction de circuler dans la zone entre en vigueur à la veille de la manifestation, une masse critique de plus de 1000 manifestants occupe déjà le terrain.

Le samedi matin, dès 7h le jeu du chat et de la souris commence. Mais la campagne melloise, ses champs et chemins de terre sont un gruyère qu’il leur est impossible d’étanchéifier, surtout pour qui est disposé à marcher un peu avec une petite carte en main. Un dispositif de communication mêlant infoline et points d’accueils dans les bourg alentours, permet à plus de 6000 autres manifestant.es de rejoindre le camp.
Première victoire de la journée. Les camions bâchés et les fourgons de gendarmerie sont déjà positionnés sur la départementale 55 qui nous sépare du chantier, appuyés par 6 hélicoptères. Face à eux nous allons répondre par un jeu. Entre 10h et 14 heures, plusieurs équipes sillonnent la foule en distribuant un tract intitulé 1,2,3 bassines ! On peut y lire la proposition de se répartir en 3 cortèges pour tenter de fondre par des itinéraires et des ambiances différentes vers la cible et faire tomber son grillage d’enceinte.

Ce jeu, tou.tes les participant.es acceptent de s’y livrer en formant quasi instantanément - au top départ - 3 groupes de plusieurs milliers de personnes. Les lignes de gendarmes visiblement désemparées par l’ardeur des cortèges et déroutées en tout sens par leurs déploiements singuliers sont dépassées successivement par des farandoles, des chaînes, des courses ou des vagues de projectiles. Une équipe, les rouges, épaulée par la mobilisation que requiert en d’autres points l’avancée des deux autres, entre finalement en masse pendant quelques minutes sur le chantier avant d’y planter son drapeau. Elle met à terre une bonne partie de grilles, ce qui stoppera effectivement quelques temps la reprise des travaux Les 3 cortèges se retrouvent pourtant peu après devant la bassine en chantier pour un goûter interrompu par des tirs de grenades de désencerclement. Nous venons d’assister à l’épisode 2 de la « Prise de la bassine ». Le lendemain, une canalisation destinée à servir au remplissage de la bassine est déterrée et déconnectée par des centaines de personnes autour d’un pick up "irrigants en roue libre" qui diffuse de la maloya plein tube. On célèbre alors le démembrement d’un des 6 bras de la pieuvre et la mise à nu de ses canalisations souterraines.

En lieu et place de la zad annoncée unilatéralement par le gouvernement pour pouvoir affirmer malgré tout qu’il avait réussi à empêcher que quelque chose se réalise, une simple vigie est laissée sur le champ. Nous savons que nous pourrons y revenir ou nous redéployer ailleurs. Et 10 jours plus tard, alors que le chantier mis en pause redémarre et qu’un protocole pour la construction de 30 nouvelles bassines est signé dans la Vienne voisine en pleine COP 27, personne ne doute plus que le gouvernement s’enferme et que Sainte-Soline aura des suites. Les élaborer après ce tournant nous oblige à interroger la portée de ce combat.

Ce que Sainte-Soline offre à nous

Cette lutte qui existe depuis de nombreuses années vient donc de connaître en un an une accélération considérable qui agrège autour d’elle la question de l’eau et de son partage. Pourtant, il y a une quinzaine d’années, une vingtaine de bassines construites en Vendée n’avaient pas connues de résistance. Quelle différence aujourd’hui ? Avec l’augmentation des tensions liées aux sécheresses successives, il y a bien sûr l’éclosion d’années de lutte des habitants et voisins du marais poitevin contre le désert agro-industriel qui menace de l’assécher définitivement. Le lien réel, concret et irrémédiable qu’ils nouent avec les cours d’eau, avec les populations qui les habitent et les survolent, avec les terres qui les entourent est d’abord ce qui donne corps à la lutte dans les Deux-Sèvres. Si ce front est possible c’est que même là où ne s’étendent plus en apparence que les champs illimités de l’agriculture productiviste, il y a encore des personnes, des lieux, des recoins qui font communauté et que la colère causée par le ravage relie. Pour qui vient les appuyer de plus loin, il peut s’agir parfois de rendre la pareille à ceux du marais qui ont parcouru régulièrement des centaines de kilomètres, quelques années plus tôt, pour sauver d’autres terres humides. Pour tous/tes, il est aujourd’hui question de retrouver une prise commune, de converger autour d’une cible qui incarne la manière dont les bouleversements profonds que notre planète subit nous sont imposés, et d’en tirer le fil jusqu’au bout. Au coeur du "désastre", puisque c’est ainsi qu’on le nomme, il y a l’ensemble des mesures de réajustement que le pouvoir tente de mettre en place pour régler (et prolonger) la situation catastrophique qu’il a lui même perpétré. Par delà leur spécificité apparente, les projets de méga-bassines sont emblématique de cette logique. Perpétuer pendant quelques années encore un modèle agricole en bout de course, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus une goutte d’eau. On verra bien ensuite. S’y opposer nous permet de ne nous ressaisir par un angle du changement climatique et de porter depuis ce point la nécessité de constituer un front de résistance opérant. C’est chemin faisant une manière de réinterroger les pratiques de tous ceux qui depuis des décennies tentent d’agir au nom de l’écologie politique.

Le problème de ce que l’on s’accorde généralement à appeler « mouvement écologiste » c’est qu’il est paradoxalement constitutif de notre histoire politique mais trop souvent capturé par les dispositifs adverses et tendanciellement défait depuis plusieurs décennies. Les victoires pourtant notables qu’il compte à son actif restent en effet bien éparpillées et il lui faut aujourd’hui trouver un régime de dépassement substantiel ou sombrer avec le monde qu’il aura échoué à sauver.

On est bien en peine de définir les horizons possibles de ce dit mouvement entre ceux qui attendent que l’Etat agisse véritablement dans le sens de la « transition écologique », celles et ceux qui veulent prendre les rênes du pouvoir, ceux qui cherchent à lui accoler une identité non-violente, à lui faire porter un espoir révolutionnaire ou à lui refuser absolument cette prétention, ceux qui luttent avant tout localement contre un projet d’aménagement, celles qui cherchent à défendre un autre modèle agricole ou ceux qui essentialisent la question de la nature et réactualisent par là les idées les plus nauséabondes et fascisantes de l’histoire. Il n’y a pas de mouvement écologiste unifié aujourd’hui. S’il n’y a pas à chercher à mettre tout le monde d’accord sur un plan théorique, il faut en revanche prendre acte des différences stratégiques et parfois même politiques et philosophiques qui nous séparent. Tout en guettant ce que le mouvement réel en bouleverse.

Plus la situation climatique et sociale se tend, plus elle semble nous ôter notre capacité d’agir. C’est un phénomène qui a de quoi rendre pour le moins perplexe tant que nous ne trouvons pas son point de renversement. Il y a comme une résignation dans l’air que la complexité de l’héritage des luttes écologistes ne vient pas atténuer en théorie. C’est donc avec un certain pragmatisme, entre autre depuis le terrain concret du marais poitevin et les complicités qui s’y trouvent que nous cherchons à dépasser cette résignation. Nous parions aujourd’hui sur le fait que ce jeu de complicité en construction dépasse les alliances de circonstance, les contours trop strictement idéologiques et les conventions militantes.

La dernière à en avoir fait les frais est la préfète des Deux-Sèvres qu’on s’étonne de voir encore en poste aujourd’hui après le camouflet qu’elle vient de subir. Tout l’arsenal du maintien de l’ordre républicain était rassemblé pour rendre impossible le moindre levé de petit doigt à 10 km à la ronde autour du chantier. Pourtant, tout ce qui ne devait pas avoir lieu a eu lieu. Et l’arrivée de Darmanin à la rescousse - dégainant les grands mots pour canaliser l’attention des journalistes et promettant, une fois n’est pas coutume, la plus grande fermeté - n’y change rien. On note à ses côtés l’expertise d’un général de haut rang (Richard Lizurey qui a coordonné les opérations d’expulsion sur la zad de NDDL en 2018) qui réduit le conflit à une simple question de militarisation des prétendus radicaux. Comme pour chercher désespérément à justifier leur déroute en mettant sur un pied d’égalité 1700 gendarmes surarmés aidés par un appui aérien inédit et quelques milliers de manifestants équipés de pierres glanées dans les champs et de quelques mortiers d’artifice. Plus de 10 ans de répression et de mutilations policières face aux zads comme aux gilets jaunes suffisent à comprendre cet énième mensonge derrière lequel se cachent les autorités de ce pays, décidées à meurtrir les chairs pour se venger une fois les grilles de Sainte-Soline tombées, au risque de rejouer le cauchemar de Sivens et au prétexte de défendre un chantier vide. Mais le mal est fait et quelle que soit l’importance que prennent les caricatures de débats sur la violence, la question de l’accaparement de l’eau crève à présent l’écran et les sécheresses à venir n’aideront pas à la conjurer.

Pour faire reculer plus définitivement le gouvernement, le mouvement anti-bassine va devoir continuer à agréger. L’histoire nous a montré que faire grandir un rapport de force implique presque systématiquement d’ajouter à son répertoire une diversité assez étendue de pratiques de luttes et d’acteur.trices. Mais la diversité en question ne doit pas devenir le coeur de ce qui nous rassemble, ni même l’objectif collectif à atteindre. Il faut d’abord élaborer et partager un certain sens tactique du surgissement, une manière de tirer partie des différents outils que nos prédécesseurs.euses nous on transmis, et les réinventer autant de fois que nécessaire.

Jusqu’ici les forces politiques qui sont au coeur de ce combat ne cherchent pas à contenir ou déborder les autres. Leur attention est plutôt entièrement tournée vers ce qui va permettre d’impacter le dispositif adverse et de faire naître des agencements inattendus - avec la collusion désormais emblématique de groupes masqués, de paysan.nes et d’élu.e.s en écharpe, d’ados et d’ancien.nes qui fondent sur la même cible. Ensemble, il.les repoussent alors un peu plus loin les limites de ce qui est tolérable et entendu dans les schémas de contestation connus. Les limites de ce qui permet de maintenir le statu quo. Et comme la portée du mouvement des Gilets Jaunes a rapidement débordé celle du prix du carburant, on se prend forcément à espérer que Sainte-Soline marque les imaginaires au-delà de la seule question des bassines.

Quel est cet au-delà ? Celui d’une révolte plus généralisée ? Est ce que l’émotion contagieuse qui a permis de franchir dans les 3 cortèges de Sainte-Soline plusieurs lignes de gendarmes nous dit quelque chose de ce que l’on peut attendre d’une percée majeure à même de renverser la vapeur ?

Une révolte est toujours un point de dépassement de toutes les forces qui la composent, mais une révolte qui se donne les moyens de durer, donc de devenir autre chose, est généralement aussi le résultat d’un long et minutieux travail d’élaboration qui comprend la construction d’un langage, d’un répertoire, d’une grammaire. Elle est la mise en circulation d’une culture commune entre tous ceux qui ont le désir de chercher un chemin qui les absout de l’identité qui les a façonné. Dans ce chemin, des questions apparaissent, celle des territoires, des déterminismes sociaux, du genre, des rapports de pouvoir, etc. Autant de sujets impossibles à balayer d’un revers de main pour dessiner les contours de ce que serait le camp des révolté.es.

Si la question révolutionnaire se pose après un week-end comme celui de Sainte-Soline, ce n’est pas parce qu’un joli coup tactique a été accompli. Cette question a surgi inconsciemment ou non dans l’expérience inattendue d’un rapport de force asymétrique qui pourtant s’inverse, dans le sentiment diffus des milliers d’âmes qui ont éprouvé une puissance qui déjouait successivement l’armée de gendarmes qui nous faisait face et les idéologies qui neutralisent presque systématiquement toute possibilité de victoire (même éphémère). Ce qui l’a emporté à Sainte-Soline c’est la détermination en acte, par farandole ou par pluie de cailloux, et c’est la fête pour célébrer le sentiment d’avoir accompli quelques chose d’important. DÉTERMINÉ ET FESTIF. C’est aussi l’énergie de toutes les initiatives qui ont permis de prendre soin les uns des autres, de veiller sur les corps meurtris, d’accompagner ensuite ceux que les gendarmes ont emportés avec eux et de tenir bon face à la déferlante de mensonges que nos ennemis ont déversée pour sauver leur peau. Ce que l’histoire nous a montré c’est qu’une révolution tient forcement un peu de tout cela, à une échelle très largement supérieure.

L’émotion qui a traversé ce week-end du 29 et 30 octobre nous apprend quelque chose de précieux sur notre capacité à nous tenir ensemble face à l’adversité capitaliste et à lui porter des coups. C’est cette émotion collective que nous voulons convoquer à nouveau pour mettre un terme à ces projets dans les prochains mois. Mais nous sommes en droit d’attendre que cette énergie particulière ne trouve pas comme seul point de concentration la bataille livrée dans les Deux-Sèvres, qu’on ne se reprenne pas à jeter toutes nos forces dans un seul et même combat pour se trouver désemparé.es lorsqu’il arrivera à son terme, quelle qu’en soit l’issue.

Le désastre aujourd’hui est partout, au point de ne plus savoir où donner de la tête et la tâche à accomplir pour tenter de réparer les innombrables erreurs que les êtres humains ont accumulées semble souvent hors de portée. Pourtant des lignes de front apparaissent et aussi modestes soient-elles face à l’étendue de la catastrophe, elles appellent à être rejoint. La lutte contre les mégabassines en est une. Elle est même devenue, chemin faisant, un sérieux point de ralliement. Il en faudra d’autre assurément pour étendre la menace et étaler nos forces vers de nouveaux horizons.

No bassaran

Des anémones

[2Deux communiqués de revendication sont à retrouver ici et . Un tutoriel disparu de la plateforme viméo est quand à lui visible ici :

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