Que s’est-il réellement passé ce 1er mai 2017 ?

Le ministère de l’Intérieur évoque deux policiers à l’hôpital. Les street médics font état de dizaines de manifestants blessés.

paru dans lundimatin#102, le 4 mai 2017

Après la manifestation parisienne du 1er mai 2017 : une photo de policiers et de flammes a fait le tour du monde ; le ministre de l’Intérieur a dénoncé des agissements criminels (de la part des manifestants) ; la presse n’a vu que les communiqués de la Préfecture ; le préfet évoque 150 casseurs ayant agressé les forces de l’ordre ; les manifestants accusent la police d’avoir tronçonné le cortège sans raison ; les syndicats de policiers se plaignent de n’avoir pu utiliser leurs armes ; les street médics évoquent de nombreuses blessures provoquées par des LBD 40, notamment au visage.

Mais que s’est-il donc passé ? Lundimatin a déjà publié cette semaine un récit de cette « fête du travail ». Nous vous proposons maintenant un résumé de ce qu’il fallait lire (ou plutôt ne pas lire) ailleurs.

POLITICIENS

Le ministre de l’Intérieur, Matthias Fekl s’est exprimé rapidement sur les événements de la journée. Il avait bien appris la litanie post-manif que son prédécesseur, Bernard Cazeneuve, avait rodé durant le mouvement contre la Loi Travail. Il a ainsi monologué sur les « centaines de casseurs », « professionnels de l’agitation, de la casse, de la violence », venus pour « attaquer les forces de l’ordre, casser du policier, commettre des dégradations » et même « pour blesser et pour tuer des policiers ». Il annoncé que tout serait « mis en œuvre pour retrouver ces criminels ». Il a enfin promis de se rendre au chevet des deux policiers blessés. L’un, membre de la compagnie CRS 51, basée à Saran, près d’Orléans, a été brûlé au 3e degré à la main et au cou. « Il n’a jamais perdu connaissance ou été en urgence vitale comme cela a été dit hier, mais son état est très grave », comme l’a révélé le journal 20 minutes. L’autre a été « gravement touchée à la main par une grenade de désencerclement » - sa « propre » grenade de désencerclement.

En employant les termes « criminels » et intention de « tuer », M. Fekl redonne ses lettres de noblesse à l’expression « criminalisation du mouvement social ».
Comme l’avait fait avant lui M. Valls, qui, dans le but interdire les manifestations contre la Loi Travail en juin dernier, avait affirmé que ces dernières accueillaient des personnes déterminées « à tuer des policiers ». Et avait demandé à ce qu’on ne mette plus en cause les forces de l’ordre (qui nous défendent « contre le terrorisme ») pour de « soi-disant violences policières ».

Ce discours semble comme dicté par les syndicats policiers. Ainsi la CGT Police a t-elle dénoncé, à la suite de la manifestation du 1er mai, une « tentative d’assassinat » menée par des « criminels ». (Et en a profité pour condamner un tweet de la CGT Publicis qui souhaitait décaler le regard sur les violences subies par les manifestants). L’Unsa Police, par l’intermédiaire de Régis Debord [sic], s’est évidemment posée en victime, sur BFMTV.

[Régis Debord :]« Pour moi c’est pas des manifestants, c’est du tueur de flic »
[Voix off :]Pour répondre aux casseurs, les forces de l’ordre ont utilisé des gazs lacrymogènes et des grenades de désencerclement [sur l’image on voit un policier recharger son lbd40].
[Voix off :]On a des lbd 40mm, des lanceurs de balle de défense qu’on nous a interdit d’utiliser, de les laisser dans nos véhicules. [sur l’image on voit deux policiers avec des LBD 40)]

M. Fekl se contente donc de reprendre les éléments de langage des syndicats policiers et des ministres de l’Intérieur qui l’ont précédé. Mais cette idée de manifestants meurtriers s’en prenant à d’innocents policiers fait son chemin à Gauche… Ainsi voilà ce qu’on pouvait lire sur le compte twitter d’un certain JLM, le lendemain de la manifestation :

Le fait que le leader de la France Insoumise reprenne l’argumentaire Vallsofeklien peut surprendre. Mais c’est surtout le fait qu’il n’évoque pas les dizaines de manifestants blessés le 1er mai qui a fait réagir.

Il faut noter que sa conseillère en communication, Sophia Chikirou, ex-proche du PS (puis, rapidement, de l’UMP), est allée plus loin que son leader dans la surenchère verbale. Elle parle, elle, de « barbarie » et d’un homme qui « a été brulé vif » par un cocktail molotov. Elle réclame un sévère « châtiment ». Là encore, le manque de contextualisation lui a été vertement reproché.

Très occupés à célébrer leur défaite sur le boulevard Beaumarchais, ces deux Insoumis n’ont peut-être pas assisté aux affrontements qui ont eu lieu, trois heures durant ,sur tout le parcours de la manifestation. Et se sont-ils donc contentés, comme tous les absents, de lire la presse...

PRESSE-PREF

Le Figaro avait dépéché sur place, entre République et Nation, Thibault Izoret et Vincent Roux. Qui expliquent que :

Peu avant le départ des manifestants donné vers 14h30, nous avions appris qu’une centaine de personnes cagoulées avaient été repérées. Au total, les autorités ont annoncé avoir isolé environ 150 personnes masquées en tête de cortège. Toutefois, des jets de cocktails molotov ont été observés, des pétards ont également retenti. […] Des dizaines d’individus cagoulés ont en outre été vus place de la Bastille, où la manifestation devait se terminer. Visiblement décidés à en découdre, certains ont été aperçus en train de s’armer avant de passer à l’action, boulevard Beaumarchais. […] le corps du cortège était pour le reste bon enfant ; de nombreuses familles avec enfants étaient présentes.

« Nous avons appris », « les autorités ont annoncé », « ont été observés », « ont été vus », etc. Les deux compères ont visiblement fait la manif au téléphone. Et ont recopié les sms de la Préfecture de police. Ces derniers se trouvant condensés dans le communiqué suivant :

Le Parisien est-il plus au courant de ce qu’il s’est passé dans sa ville ? Là encore, le journaliste paraphrase la Préfecture de police :

Dès les premières minutes, peu avant 15 heures, alors que les manifestants venaient juste de quitter « Répu », l’atmosphère s’est tendue.
Une centaine de personnes, masquées ou encagoulées, vêtues de noir ont pris la tête de la foule plutôt bon enfant, pour jeter des projectiles et des cocktails Molotov en direction des forces de l’ordre. Qui ont répliqué en faisant usage de grenades lacrymogènes.

Le Huffington Post a d’autres sources :

Les heurts se sont concentrés principalement aux abords immédiats de la place de la Bastille, selon les images diffusées par les chaînes d’information en continu et l’AFPTV.

Il ne pleuvait pas, mais il vallait visiblement mieux, pour certains, rester au chaud devant les « chaînes d’info en continu ». Qui, elles, se contentaient de réciter les infos de … la Préfecture de police. On tourne en rond :

COEURS ET ESPRITS

On retient tout de même deux choses à la lecture de ces quelques articles : « Black Bloc » et « cocktail molotov ». Au moins deux personnes devraient donc pouvoir nous éclairer sur ce qu’il s’est réellement passé dans cette manifestation. Il s’agit d’Abel Mestre, journaliste au Monde, qui prétend avoir suivi le défilé, « au cœur du black bloc ». Et de Zakaria Abdelkafi, l’auteur d’une photographie qui a fait la Une de nombreux journaux, français et étrangers.

Le premier nous livre un récit des affrontements. Attention ! ça commence :

Ils l’avaient promis : le 1er mai 2017 serait « ingouvernable ». « Ils », ce sont les militants radicaux – se réclamant de l’antifascisme, de l’anarchisme ou de l’autonomie – qui constituent ce que l’on appelle le « black bloc », en raison de leur tenue entièrement noire, masques ou cagoules compris. Lundi, environ un millier d’entre eux ont pris la tête du défilé syndical parisien et ont violemment affronté la police pendant plusieurs heures.

De la suite de l’article on pourra retenir le scénario suivant : selon M. Mestre, le black bloc s’est « glissé » à l’avant du cortège, selon une « méthode éprouvée », pour aller, rapidement, « à la confrontation avec la police ». Le groupe, qui était « déterminé à livrer combat », a lancé des bouteilles sur la police, qui a, bien entendu, « répliqué ». Des tirs de mortier ont aussi visé les policiers. Un cocktail molotov a atterri sur un CRS. Les policiers « n’ont pas hésité à tenir en joue avec leur Flash-Ball les manifestants ou journalistes présents ». « Au bout de plusieurs minutes [sic] les forces de l’ordre ont réussi à isoler le cortège violent du reste de la manifestation. »

Au coeur du Black Bloc, Abel Mestre n’a donc rien vu - ou rien pigé.

Tournons-nous alors vers ce photographe syrien, qui couvre désormais les manifestations en France, et qui pour être certain d’obtenir des photos sensationnelles se colle aux « Black Bloc » :

J’ai vite repéré les types qui sont toujours en noir, et cachent leurs visages avec des foulards, les Black Bloc. Je les suis à toutes les manifestations parce que je sais par expérience qu’ils causent toujours des problèmes.

L’opportuniste ayant eu quelques ennuis avec certains manifestants (« je les prenais en photos pendant qu’ils étaient en train de détruire des choses, quand l’un d’eux m’a collé une cigarette sur l’objectif ») s’affirme plutôt proche des forces de l’ordre :

Je me suis déjà pris des coups par la police ici. Je me trouvais au milieu des rangs de manifestants. Et franchement, si j’étais policier, j’aurais fait la même chose.

Il a aussi de l’empathie pour le policier brûlé. L’événement lui rappelle les bombardements à Alep (pour bien faire comprendre le parallèle il fournit d’ailleurs à l’AFP, pour le making-of de sa photo, un cliché montrant cinq corps de victimes d’un bombardement aérien).

Le photographe n’a pas vu le cocktail Molotov partir. Il a « juste vu le policier enveloppé par les flammes ». C’est alors qu’il a « déclenché [son appareil photo] en rafale ». Cela ne l’empèche pas de critiquer encore une fois les manifestants : eux qui « s’en fichaient complètement » de voir le CRS aux prises avec les flammes.

Les seuls éléments de contexte qu’il apporte finalement sont ceux-ci :

Je me trouvais entre eux et la police, sur un côté. Et en prenant des photos, je me suis dit que l’histoire était celle de l’agression contre la police. Parce que les types en noir leur lançaient des pierres, des bouteilles en verre, tout ce qui leur tombait sous la main. Et la police se contentait de répliquer par des tirs de lacrymogène. Autant dire rien.

COUPS ET BLESSURES

On le voit, l’AFP, le Figaro, le Monde, le photographe starifié, ou les stars insoumises n’ont pas daigné évoquer les violences policières lors de cette manifestation.

De nombreux manifestants sont pourtant ressortis du cortège choqués. Leurs récits remettent notamment en cause le scénario simpliste d’une agression rapide et inattendue, par des manifestants violents, de CRS qui n’auraient fait que se défendre :

Certains (photo)journalistes ont eux aussi constaté la violence décrite ci-dessus. Notamment lorsqu’elle s’est retournée contre certains de leurs collègues. Ainsi le Nouvel Obs écrit :

Tous les reporters, dont ceux de « L’Obs », revenus du traditionnel défilé des travailleurs du 1er mai 2017 sont unanimes : il s’agit de la manifestation parisienne la plus violente vécue ces derniers mois. Pour Gaspard Glanz, de Taranis News « c’était la pire manifestation depuis un an ». [...] Des journalistes et des reporters sont également revenus blessés de leur reportage, avec du matériel détruit. Gaspard Glanz a vu une dizaine de ses confrères repartir blessés de la manifestation. « J’étais avec une équipe de Vice UK, qui revenait d’un long reportage en Ukraine. Ils n’ont rien eu. Mais hier, ils sont repartis tous les deux avec des blessures conséquentes , à cause de tirs de flash-ball et d’éclats ».

En effet, contrairement à certains récits journalistiques ou policiers que nous avons retranscrit plus tôt, la police ne s’est pas contentée de « répliquer par des gazs lacrymogènes ».

Or, l’usage de telles armes (lbd40, grenades de désencerclement) provoque des blessures graves.

Les Street Médics ont notamment publié après la manifestation un rapport accablant pour la police.

BONUS

Laissons une dernière fois la parole à M. Debord, syndicaliste policier. Il se plaint, encore, du manque de moyens des CRS :

[Régis Debord :]« L’engin lanceur d’eau n’était même pas présent. Ya une personne dans la chaine hieréarchique qui a dit « pas de lanceur d’eau » ! »

Régis...

LES MOTS DE LA FIN

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