Quand les cendres appellent l’eau

Rencontre avec Camille Louis. La conspiration des enfants.

paru dans lundimatin#311, le 1er novembre 2021

« La toux a cessé mais le souffle n’a pas été retrouvé. Il s’est exilé et ne trouve même plus, dans la scansion des quintes et la suspension des râles, la plasticité par laquelle se dessinent les plis de possible et les pliures des après. Tout tombe, tout s’arrête, tout s’est arrêté.

Pourtant, à bien y regarder, juste après l’embrasement de Moria et juste avant l’évacuation de Pikpa [1], en ce 15 octobre 2020, quelque chose semble continuer à se mouvoir dans une étrange suspension. La petite communauté mélangée découvre un interstice au bout de l’île que l’Union est en train de saccager. Ce jour-là, les flammes ne sont pas encore là. Elles ne brûlent plus le camp de Moria et pas encore celui de Pikpa. Pourtant, tout parle du feu, tout le transporte mais personne ne panique. Ni les enfants, ni les coraux, ni les racines, ni les éducateurs ne tremblent. Car avec les flammes, chacun voit s’élever, à la manière des après, des devenirs métamorphiques et des promesses renouvelées. Les enfants dorment encore moins qu’auparavant : se passent le relais de veillées imaginées non pour surveiller le terrain mais pour veiller sur les constructions souples et la foule des turbulents que le petit monde accueillait. La turbula revient ; elle n’a rien perdu de sa puissance à la fois terrible et parodique, que seuls connaissent les enfants. Certes, dans le monde des Grands, malgré les oppositions au démantèlement exprimées par plusieurs citoyens européens rassemblés sur le campement de Pikpa, l’évacuation aura lieu. Mais les enfants la convertiront en eau déchaînée qu’ils forment comme autant de petits précipités d’océans. Le feu a assez pris pour que les cendres deviennent les flots des commencements. »

Réalisation : Nicolas Zurstrassen

[1Pikpa est d’abord le nom d’un site occupé par le réseau de solidarité « The Village of Altogether », formé à Mytilène afin d’accueillir dignement les réfugiés qui, dès 2012, arrivaient en grand nombre sur l’île de Lesbos. Il se pense et se fait à l’inverse des camps officiellement gérés par les États européens et l’Union européenne tel celui de Moria lui aussi basé sur l’île de Lesbos. Pikpa repose en effet sur des principes d’accueil digne des personnes, en écart radical des pratiques de détention, de contrôle et d’exclusion qui sévissent dans les autres camps. Il reçoit en priorité les familles et les plus vulnérables et, dès 2017, l’initiative Mikros-Dounias s’y installe sous la forme d’une école à ciel ouvert réunissant enfants grecs et étrangers et suivant des méthodes de pédagogie alternative qui prennent l’enfant comme acteur premier de son apprentissage et créateur premier de son environnement naturel et social.

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :