Qu’est-ce que le despotisme économique ? [4/4]

La poilade Trump ou Marx dépassé

paru dans lundimatin#206, le 9 septembre 2019

Comme de nombreux confrères, nous profitons de l’été pour vous proposer des feuilletons. Nous profiterons donc de ce mois d’août pour revenir sur le concept de despotisme économique développé par Jacques Fradin. Il s’agira de mieux comprendre l’ordre dans lequel nous vivons, ses logiques, sa mécanique et évidemment, le caractère théologique de l’économie.

Conclusion : La poilade Trump ou Marx dépassé

Selon le marxisme le plus traditionnel, l’État serait le conseil d’administration du capitalisme collectif ou pris comme un système.
Il faut bien sûr approfondir cette intuition certainement géniale ; et nous avons commencé à le faire en introduisant l’idée de retour à l’ancien régime ou du capitalisme comme système despotique.
Quoiqu’il en soit, il est impossible de considérer l’État comme une entité « neutre » ou un pouvoir qui pourrait être réapproprié ou qui pourrait être utilisé « pour le bien du peuple » (comme tend à le faire croire la mythologie de l’État providence d’avant).
L’État, instituteur de l’économie, est trop profondément engagé, de lui-même, pour lui-même et pour le service de l’oligarchie capitaliste et de la noblesse d’État associées, pour pouvoir être réformé ou récupéré.
Une véritable politique anti-économique ou anti-capitaliste, une véritable démocratie donc « sera organisatrice du dépérissement de l’État et de ses lois ».

Mais le phénomène Trump, cette pustule américaine, est tellement caricatural de l’imbrication de l’État et de l’économie, qu’il dépasse toutes les intuitions du marxisme classique.
Marx, lui-même, serait certainement resté sans voix. Mais sans doute l’objectif caché du gros camelot est-il de laisser toutes et chacun sans voix !
Voilà un clan féodal qui réussit à prendre une place prédominante grâce à un système électoral archaïque, mais trop bien étudié pour maintenir l’oligarchie au pouvoir. Et qui, sans frein ni vergogne, déploie tout l’aspect féodal, encore plus clanique, que recèle le despotisme.
Ou l’obscène, l’envers familialiste caché, devient un spectacle qui masque « la rationalité » (supposée) de l’action politique normale.
Trump, en un éclat de rire narcissique immense, exhibe devant tous sa richesse féodale (son domaine, son château, ses femmes, etc.) et pose sur le devant « l’irrationalité » qui aurait dû rester masquée.
Bien loin de maintenir le rôle de l’État à être le conseil d’administration de capitalisme collectif, il fait de « l’administration publique » une machine mise au service de ses intérêts familiaux, au service de ses entreprises familiales, au service de son narcissisme.
Là, dans l’Amérique technique moderne, nous plongeons au plus loin dans le passé, aux origines, peut-être, du despotisme, au féodalisme des clans et des familles, féodalisme qui transparaît sans cesse dans la rationalité du despotisme éclairé.
Là, dans l’Amérique orgueilleuse, dans « la véritable démocratie », nous sommes propulsé vers le passé de la plus noire Europe, nous sommes renvoyés à la royauté mérovingienne, à l’archaïsme féodal des barons ou des ducs, lorsque ces seigneurs se battaient pour qu’un d’entre eux (souvent le pire d’entre eux) puisse prendre un ascendant passager sur les autres, puisse s’emparer, un temps, du sceptre royal (si décevant cependant) pour agrandir son domaine propre et pour faire exploser son égocentrisme.

Quel est, de ce point de vue, la morale de la poilade Trump ?
Que le progrès éthique n’est jamais assuré.
Et que le despotisme est bien un régime flou ou évolutif, qui peut glisser de la bienveillance à la coercition, verser dans le sécuritaire autoritaire, ou, tout simplement, régresser d’un saut vers son noyau féodal, noyau qui réapparaît soudain à la stupéfaction de tous.
Après tout, l’enrichissement personnel, faire ses affaires, s’occuper de ses intérêts propres, agrandir son domaine, est bien le socle de la morale du despotisme (la liberté des modernes).
Et même la corruption, dont Trump est la métonymie (du conflit d’intérêts), n’est-elle pas une simple forme, un peu biaisée, de l’enrichissement si désirable ?

Pourquoi le despotisme est-il un régime flou, glissant ?
Parce que le fameux État de droit, qui est censé le caractériser, n’a aucune signification (nous en avons beaucoup parlé en introduisant la corruption).
Tout dépend du droit ! Et de son exécution !
Avec l’Amérique la plus moderne, nous retrouvons l’arbitraire PAR le droit.
Plus de deux cents ans après que l’on ait cru combattre l’arbitraire par le droit !
Le droit est un champ de bataille annexe dans la grande guerre pour éraser un monde soumis à l’économie, soumis aux maîtres de l’économie, soumis aux oligarques de « la vérité avant dernière ».

Ainsi il est un conflit extraordinairement violent, quoiqu’oublié ou caché, qui est le symptôme de la nature belliqueuse, sécuritaire, au service des puissants et de leurs intérêts, de la nature armée du droit (supposé égal pour tous !).
C’est le conflit entre les normes juridiques françaises, les normes comptables, par exemple, et les normes anglo-saxonnes, ou, carrément, entre les systèmes de droit. L’absorption du droit public par le droit privé, la transformation de tous les tribunaux en tribunaux de commerce avec des « juges » corporatistes, le remplacement du droit par l’arbitrage privé, tout cela manifeste ce retour au féodal dont Trump est l’emblème.
Il n’est pas indifférent que ce soit par les États-Unis que ce grand saut arrière s’effectue ; en même temps que se développent, dans ce pays qui est leur patrie protectrice, les corporations des techniques avancées (surtout en matière de surveillance).
Nous glissons de Philip Dick à Frank Herbert. De la vérité avant dernière à Dune.
Trump est-il le seigneur d’une corporation devenu État ? Ou l’empereur d’un État dissout dans les jeux des corporations ?

Imaginons, à titre d’autre poilade, franco-française, ce qu’aurait pu devenir le contrôle financier (des élus, mais pas seulement) si Fillon l’anarchiste filochard avait été élu !
Que peut signifier « conflit d’intérêts » (la forme dominante, en despotisme économique, de la corruption) dans une royauté mérovingienne à la Trump et généralisé au monde ?
Nous n’avons pas parlé de la Russie, des sous-dictatures africaines (de la France à fric), de la Chine, le tour du monde globalisé en 80 chapitres de l’enrichissement personnel.

Les États-Unis seraient le parangon de la modernité ? De « la démocratie » ? Le modèle de tout ce qu’il faut faire ?
Poilade Trump !
Trump, le révélateur le plus grossier que l’alchimie politique américaine a pu produire !

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