Projet de loi sur l’euthanasie : une réflexion chrétienne anticapitaliste

Collectif Anastasis

paru dans lundimatin#355, le 17 octobre 2022

Le collectif Anastasis qui entend déployer une réflexion politique et anticapitaliste depuis la théologie chrétienne, nous a transmis ces réflexions sur l’euthanasie. Faut-il laisser à l’État le droit de déterminer les contours d’une une vie digne d’être vécue ?

Alors que les attaques sur l’hôpital public ne cessent pas depuis des décennies, que le gouvernement Macron accélère l’emprise du capital sur nos vies, une nouvelle proposition « progressiste » vient contenter le ventre mou du social-libéralisme : le projet de loi sur l’aide active à mourir. Cette perspective de réforme, ouverte au nom du « progrès », risque en réalité d’être une régression morale.

La voie sur laquelle s’engage la majorité présidentielle doit susciter une réaction ferme de la gauche anticapitaliste. Nous, chrétiennes et chrétiens, pensons qu’il faut engager une réflexion sur l’euthanasie à partir de ce que nous sommes : des êtres inégaux face à la mort, face au système validiste et à l’eugénisme rampant qui marquent notre société.

Fin de vie sous le capital

En régime capitaliste, on ne meurt pas bien : ce n’est pas une nouveauté.

Riche ou pauvre, notre espérance de vie en bonne santé n’est pas la même. Métiers pénibles, accès aux soins tout au long de la vie, habitat, exposition au bruit, à la pollution de l’air, aux pollutions industrielles et agricoles, accès à une alimentation de qualité... Le corps des ouvriers et ouvrières, des femmes, des paysans et paysannes est bien abîmé quand la dernière heure arrive. L’œuvre, la vie et la mort de Joseph Ponthus nous le montrent bien.

La mort est de plus en plus une épreuve solitaire, vécue dans des structures publiques ou privées au fonctionnement dégradé marquées par une recherche de l’efficacité économique. Les personnes âgées, notamment, parce qu’elles ne peuvent plus prouver leur valeur économique, sont considérées comme des poids : poids sociaux et poids pour les proches. Cela sépare le monde en deux catégories de personnes : valides et non valides, sur le seul critère de la rentabilité économique et de la capacité à participer au système productif capitaliste.

Dans ces conditions, comment penser que libéraliser l’euthanasie va rendre la vie et la mort meilleures, plus « dignes » ?

Contre un droit au suicide, pour l’accompagnement

Soyons clairs : ce n’est pas à la possibilité de choisir la manière dont nous serons accompagnés vers la mort que nous nous opposons. Il nous faut cependant affirmer notre opposition à un quelconque « droit au suicide », si on entend par là un droit universel donné à chacun d’exiger de l’Etat une mise à mort au nom de la liberté.

Un tel droit laisserait une marge de manœuvre trop importante aux dispositifs de pouvoir que sont l’Etat et la médecine telle qu’elle est organisée aujourd’hui. Un droit au suicide assisté semble ainsi être en contradiction avec l’idée que nous nous faisons de la dignité de toute vie humaine, en particulier dans le contexte actuel, marqué par une action constante des gouvernements dans le sens d’une réduction des dépenses de l’hôpital depuis des décennies. Toute demande de mort doit avant tout pousser à questionner les conditions d’où elle émane.

Quelle liberté ?

Pour nous, la priorité de la société ne devrait pas être de se satisfaire d’un « droit au suicide assisté » mais d’exiger des conditions de vie de qualité pour tous qui auraient pour effet de limiter drastiquement les désirs de mort. Certes, en situation d’incurabilité et de souffrance, la personne en fin de vie biologique doit avoir la possibilité d’être accompagnée vers la mort, comme cela est déjà prévu dans la loi.

Le Comité consultatif d’éthique a souligné dans son avis récent sur la fin de vie qu’il serait urgent de renforcer les soins palliatifs, autre pilier de la loi Claeys-Leonetti de 2016. Les soins palliatifs, visant à accompagner la personne dans les derniers mois de sa vie en soulageant sa douleur et en rompant son isolement, sont aujourd’hui très insuffisamment développés. Là où de tels services existent, ils sont bien souvent sous-dotés, et marqués, comme le reste de la fonction publique hospitalière, par le problème de la tarification à l’acte et par le manque de personnel. Dans de nombreuses structures, aucune proposition de soins palliatifs n’est possible.

Nous ne pouvons approuver une modification du projet de loi que s’il garantit un choix libre et dans le respect de la dignité des personnes : mais comment peut-on garantir la liberté de choix d’une personne à qui on fait comprendre qu’elle constitue un poids pour sa famille et la société parce que sa vie coûte trop chère pour être vécue jusqu’au bout ?

Mener le combat contre le validisme et pour la dignité

L’enjeu, pour nous, est bien plus d’engager une transformation de fond de la manière dont nous voyons les personnes âgées, les personnes handicapées, toutes celles et ceux qui vivent différemment, qui ne sont pas considérées comme « valides », d’adapter notre modèle de société pour inclure toutes les formes de vie, et les accompagner jusqu’au bout de leur chemin sur terre.

Nous voulons, aujourd’hui, prendre au sérieux cette parole qui fonde notre espérance de croyants et croyantes, une parole attribuée à Dieu, tirée du livre d’Isaïe dans la Bible : « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime » (Isaïe 43,3). Nous la comprenons comme un engagement à ne rien lâcher face au capitalisme destructeur, qui considère comme un déchet tout ce qui n’est pas utile à l’économie quitte à nier la dignité fondamentale de chaque personne, quelle que soit sa position dans les rapports de classe, race, genre, ou sa place dans la hiérarchisation de nos corps et de nos vies.

COLLECTIF ANASTASIS

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