Pour une écologie trans - Adèle Gascuel

« Nous sommes déjà exilés. Dans le noir, il faut prendre le tremblement de notre cœur et en faire une pompe à vélo. »

paru dans lundimatin#233, le 13 mars 2020

Il y a quelques années, le mot « crise » était sur toutes les lèvres. Le terme de transition semble aujourd’hui l’avoir supplanté. Nous avons réalisé que ce que nous vivions n’était pas une « crise » provisoire, qui passerait avec quelques sparadraps, un ou deux plans de relance, et une flopée de parachutes dorés.

D’autres crises économiques – similaires ou plus graves que celle de 2007 – vont certainement advenir. Le présent ne passe pas, il s’empire. Et nous n’avons pas de solution sur-mesure pour régler ce qui n’est pas une crise, mais l’extension à tous les domaines de la vie d’une disparition, celle du monde tel que nous le connaissons. À une Terre qui se modifierait plus lentement que le passage des générations humaines, nous devons substituer une Terre qui se modifie sous nos yeux, à l’aune de notre propre vie humaine : disparition des paysages que nous avons connu enfants ; vagues de chaleurs, augmentation des catastrophes dites « naturelles » ; prévisions qui annoncent la montée des eaux, la disparition de la calotte glaciaire, l’épuisement des ressources fossiles, la disparition d’une grande partie des espèces animales actuelles. Au-delà de ce qui s’annonce, nos corps et nos mémoires éprouvent, au présent, l’expérience d’une perte. Les plus endeuillé.es sont sans terre, en train de fabriquer comme elles peuvent un présent précaire. La perte est déjà là, agissant d’abord sur les corps les plus pauvres, sur les colonisés, sur celleux qui habitent des sols qui renferment du pétrole et autres ressources exploitables.

Pour ne pas céder au mot d’effondrement, qui entraîne le vocabulaire de l’apocalypse dans le sillage de la collapsologie, et implique l’idée d’une fin du monde contre laquelle nous ne pourrions rien faire, la « transition » a fleuri et met en valeur, a priori, notre capacité à agir pour faire dévier les courbes angoissantes des scientifiques et autres scénarios à quelques degrés de réchauffement climatique. Le terme de transition est chargé de connotations positives, et met l’accent sur notre capacité à inventer, collectivement, des modes de vie résilients. Il implique des réponses concrètes à l’urgence climatique, voire transforme ce qui était constat en défi, ce qui était échec en appel à l’innovation, ce qui était sujet à dépression en occasion d’être créatif, ce qui était plongée aux enfers en processus de transformation en vue d’une amélioration de nos conditions de vie.

Se faisant, la transition ne serait-elle pas l’alibi parfait pour reconduire le mythe du progrès – et sa version économique, à savoir la croissance ? De quoi la « transition » est-elle le nom ? Et comment la nécessité (légitime) de modifier nos modes de vie est-elle détournée au profit d’une « transition » qui a pour seule ambition de maquiller la perpétuation d’un système anti-écologique ?

L’Etat-Nation, garant et promoteur de la transition

Lors d’un colloque au 6 février 2020 intitulé Gaïa face à la théologie, Bruno Karsenti opposait la condition de l’exil judaïque au concept de l’Etat-Nation. L’Etat-Nation est une entité qui rassemble sous son tiret un Etat (avec un territoire limité et des frontières qu’il garantit), et le concept de Nation, impliquant des valeurs qui se veulent illimitées. L’Etat captive la nation, en même tant que la nation légitime l’Etat. Notre monde est ciselé par des Etats-Nations, qui saturent l’espace terrestre dans un jeu d’entre-limitation.

Et je me dis que la solution que l’Etat-Nation a trouvé à l’effondrement actuel du monde, c’est bien la transition écologique. Pour l’Etat-Nation, il s’agit de remplacer les pièces défectueuses. Chaque citoyen devra donc être éco-responsable. Il doit participer à l’effort vert, qui se substitue aux anciens efforts de guerre. La conscience écologique devient une valeur moralisante. Sont culpabilisés ceux et celles qui ne peuvent pas se payer l’écologie et doivent faire face à d’autres montées des eaux, à commencer par les difficultés à boucler les fins de mois. La Nation appelle chacun à participer à la transition – à l’image de la Convention citoyenne sur le Climat, créée selon E. Macron pour répondre au défi de la « transition énergétique ». Comme pour le « Grand débat national », les citoyens sont invités à s’emparer de la question afin d’adhérer aux préoccupations nationales. S’emparer de la question, c’est incarner provisoirement la nation – et, par ce biais, légitimer l’Etat. Ces conventions citoyennes et grands débats ont pour objectif non pas de répondre à des problèmes (l’urgence écologique, l’augmentation des inégalités sociales, ou encore la dégradation du service public), mais de relégitimer le pouvoir en place.

L’Etat délègue cependant sa transition à un ensemble de partenaires privés, qui captivent l’énergie produite. Car la transition doit générer de la croissance. Dès lors, la logique de profit exécute la transition nationale … et massacre la possibilité d’une véritable résilience. L’Etat est le garant et le contrôleur de la bonne marche de cette transition. Il réprime les alternatives écologiques qui se présenteraient sous la forme d’une révolte contre la transition gérée par les acteurs privés, étrangers aux territoires qu’ils investissent. Ces acteurs privés, sous la protection de l’Etat, se font colons des territoires qu’ils occupent [1]. Ils reproduisent la logique de colonisation propre aux premiers Etat-Nations : asservir les ressources d’un territoire – et les redistribuer à des investisseurs extérieurs au territoire exploité. Et si on aurait pu rêver qu’en abandonnant le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-landes, l’Etat tire la révérence à celleux qui ont travaillé à inventer d’autres modes de production et d’autres vivre-ensemble, il n’en fut évidemment rien. L’Etat-Nation s’est empressé de mettre à sac ce qui avait pu se créer de durable sur le territoire du bocage, durabilité arrachée malgré la précarité des luttes, des expropriations, des arrestations, de la criminalisation des militant.e.s et des destructions régulières de l’habitat local. L’Etat, garant et protecteur de la transition nationale, reprend son rôle autoritaire pour empêcher un certain nombre d’alternatives écologiques de prendre racine. Le citoyen doit produire du capital – son devoir de croissance est impliqué dans son devoir de transition. Et c’est ainsi que soulever des enjeux que l’on penserait écologiquement fondamentaux, comme par exemple celui de savoir ce que l’on fait de nos déchets nucléaires, devient criminalisé de la part de l’Etat – tout autant que sont criminalisés les sauvegardes de graines rares par des agriculteurs, ou encore les tentatives de protéger des habitants des épandages de pesticides.

Mondialisation / territorialisation

Or, on peut remarquer que :

  • le réchauffement climatique ne reconnaît pas le concept d’Etat-Nation
  • le capitalisme (et les multinationales) ne reconnaissent pas le concept d’Etat-Nation.

Les Etats ont en quelque sorte résolu le problème du capitalisme par un tour de passe-passe : si le capitalisme ne peut embrasser leurs valeurs, ils embrasseront les valeurs du capitalisme. Et ils rêvent que le capitalisme embrasse la lutte contre le réchauffement, dans un jeu d’enchâssement ou toutes les boîtes rentreraient les unes dans les autres. Mais le fonctionnement fait face à des contradictions internes. D’abord, capitalisme et transition globale sont incompatibles. La croissance des uns se fait au mépris de la vie des autres, le vert high tech des pays développés au prix de l’exploitation des pays qui ont des ressources fossiles. D’autre part, la croissance économique mondialisée implique une « croissance » de la température mondiale. La mondialisation agite ce qui peut être agité à la surface du globe : il s’agit de faire circuler, d’exploiter et d’exporter, de dégager du profit, d’extraire les ressources, ou encore d’exproprier les paysans. Dans tout les cas, il faut faire sortir, puiser et épuiser, tirer profit. Ce qui ressort de cette grande extraction d’énergie généralisée, c’est bien une production de chaleur. La mondialisation économique est incompatible avec des sociétés résilientes. Dans la même logique, la surexploitation des ressources finit par court-circuiter la croissance. On pourra toujours verdir tous les murs, ça ne les empêchera pas de se lézarder. Les ressources fossiles sont de plus en plus difficiles à extraire, donc de moins en moins rentables. À force de pêcher, les poissons disparaissent. La nature ne s’accroit pas avec la croissance, mais s’épuise. Dès lors, la croissance entraîne la rareté, et la rareté la concurrence.

Les Etats-Nations ont interêt à se battre pour les ressources, plutôt que de les protéger. L’Etat-Nation devient alors une entité qui s’oppose à l’ingérence que produit potentiellement l’urgence écologique mondiale. Jair Bolsonaro considère que l’Amazonie est sa forêt, et Trump préfère préserver ses intérêts nationaux. En se faisant délégué et porte-parole des intérêts capitalistes, l’Etat se fait l’écran entre les habitants de la Terre et cette dernière. Il devient Dieu le père par l’intermédiaire duquel nous devrions prendre soin de la planète... mais qui nous empêche en vérité de le faire.

Dans ce contexte, la transition écologique nous permet de ne pas remettre en question le système tel qu’il est. L’historienne Anaël Marrec, dans sa thèse sur l’histoire des énergies renouvelables en France de 1880 à 1990, montre comment le terme de « transition énergétique » est un leurre [2]. Dès le XIXe siècle, les ingénieurs ont cherché à transformer les éléments de la nature en énergie : le soleil, le fleuve, la marée, le vent... Mais le développement des énergies renouvelables appartient à une logique d’addition, et non de transition, afin de mettre en ressource la Nature et augmenter la puissance des Nations. De plus, les projets d’exploitation d’énergies renouvelables contribuent à l’exploitation des énergies fossiles, car ils légitiment l’idée qu’on peut toujours épuiser les ressources finies, puisqu’on trouvera de toute façon d’autres moyens d’avoir de l’énergie. Les énergies renouvelables, dans ce contexte, participent à mettre au pas d’une logique de progrès (intenable) l’ensemble des habitants d’une nation. Elles sont la cerise sur le gâteau pour les gourmands. Et les citoyens et citoyennes, évidemment, sont invitées à manger des cerises et à organiser des petits concours de jetés de noyaux à l’occasion de « débats sur la transition », pendant que nos gouvernants se partagent le gâteau.

Exil et rattachement

Pourtant, le nez dans nos cerises, nous nous inquiétons légitimement pour le printemps, à mesure qu’il se déclare à la mi-février. Notre perception de la planète Terre est modifiée par le réchauffement climatique. Notre vision globale du monde est de plus en plus liée au sentiment d’une urgence écologique. Notre affect se dézoome de la nation au monde. Tandis que le monde que nous connaissons s’effondre, nous mesurons notre attachement à ce que nous perdons. Le concept de nation perd de sa valeur à mesure que la Terre devient celle qui nous émeut, parce que celle qui se meut [3].

C’est un rattachement à la terre horizontal et vertical. Nous prenons conscience d’une surface globale, « horizontale », de la terre (la croûte terrestre, l’atmosphère, l’ensemble de la biosphère) que nous agressons, et nous prenons conscience de la terre sous nos pieds, celle à laquelle nous sommes ancrés, celle à partir de laquelle nous pouvons agir. Cette attache à l’ici est aussi liée aux menaces de demain. À l’aune de la manière dont le monde fonctionne aujourd’hui, l’avenir prend la forme de deuils qu’on ne peut concevoir, et génère potentiellement de l’angoisse. S’attarder à prendre soin du maintenant, créer une attention à nos capacités à modifier le présent, c’est participer à faire dévier ce que l’état actuel des choses promet pour demain. En modifiant maintenant, nous essayons de tracer un autre sillon que celui auquel mène logiquement le monde actuel. Ce retournement vers l’ici, à la verticale, est une manière d’appréhender l’avenir, autrement.

Le deuil du monde tel qu’il est nous place finalement dans une situation d’exil, exil à partir duquel nous pouvons réinvestir la terre que nous habitons. Ainsi que le souligne B. Karsenti, nous vivons actuellement dans la perception diffuse d’un exil généralisé. Les habitants de la terre se divisent en deux catégories : les négateurs conscients, et les néo-exilés. La transition entretient le mythe d’un passage d’un état stable à un autre, et la traversée temporaire d’un état troublé grâce à l’ascenseur high-tech magique du progrès. En deuil d’une terre perdue, l’exilé.e au contraire cherche à habiter une terre qui n’est pas celle dont il vient. Elle habite un territoire concret à partir de sa condition d’exil ; il invente l’avenir à partir d’un présent précaire. Elle est citoyenne de la T/terre dont elle fait le deuil, et habite le trouble, comme dirait la très chère à ma pensée, Donna Haraway [4].

Ecologie Trans

Le corps trans est un corps en exil. Qu’il se réassigne un genre, qu’il se revendique genderfluid, le corps trans est un corps qui s’est déterritorialisé. C’est un corps qui a quitté une terre. C’est un corps qui prend soin de l’autre terre, celle qu’iel s’est choisi. C’est un corps qui se battra pour être reconnu comme appartenant à cette terre d’accueil. C’est un corps attaché à cette terre pour des raisons émotionnelles, parce que c’est cette terre-là qui le meut et l’émeut. Le corps trans revendique une terre tandis que d’autres lui refusent le droit d’asile – peu importe. Pour le corps trans, la terre appartient à celui ou celle qui la cultive. Rares sont les femmes cisgenres qui cultivent aussi bien leur terre, qui réinventent ses codes et ses signes, que les femmes trans ; rares sont les hommes cis qui ont conscience de leurs privilèges masculins comme les hommes trans en ont conscience. Celleux-là prennent soin de ce qu’iels ont décidé d’habiter, d’investir, de chérir et de protéger. Et ce lien implique pourtant un exil. Et ce lien fait vibrer les normes et les assignations identitaires. Il dit que la frontière est trouble. Ce qui est binaire s’efface, quand des brèches se font dans la frontière.

Changeons de focal à 180 degrés. Le capitalisme peint en vert une architecture high-tech. Il upcycle : il utilise l’ancien, le débris, le pollué, pour le transformer en produit innovant du meilleur monde que sera demain. J’ai en tête les images d’architecture de Vincent Callebaut [5]. Il imagine transformer les ruines de la guerre à Mossoul en jardins suspendus de Babylone, grâce à des imprimantes 3D volantes, qui transformeraient les débris de la guerre en appartements de luxe. Lui et d’autres de ses collègues très chics, imaginent des modes de vie hors sol, des îles flottantes artificielles, des vies sur la lune ou des sociétés en vaisseau spatial. Ils fantasment des espaces artificiels, qui effacent l’histoire à coups d’imprimante 3D. Évidemment, l’objectif est de sauver la planète. Construire un autre monde, aseptisé, avec zéro-pauvres et zéro-déchets. En upcyclant, l’architecture capitaliste fonctionne comme une dose de botox. Elle efface l’histoire, les rides, les plis de la peau et leur respiration. Elle fait croire que l’homme vit dans un coquillage, et qu’il peut oublier que les murs de sa maison sont construits des débris de ciment et de sang de celleux qu’il a aimé. Le botox du capitalisme vert crée un corps attirant, répondant à des normes strictes (zéro-déchet, innovation, développement durable, énergies renouvelables, autonomie alimentaire...), mais qui s’est séparé du monde véritable – une respiration, une histoire, une terre. C’est un corps de surface, un spectacle qui fait croire quelques temps à l’immortalité, avant de laisser voir les boursouflures, les blessures et les histoires que l’on voulait enterrer pour toujours. Le capitalisme est un corps qui rêve d’une éternité sous perfusion, à l’image des nouveaux éco-quartiers qui fleurissent dans les pays développés. Evidemment, le spectacle prétend héberger les réfugiés climatiques et sauver l’humanité. Les architectures du futur imaginées par Vincent Callebaut et consort sont l’image d’un cauchemar, où nous serions comme des légumes grandis hors-sol dans d’immenses serres. Légumes-humains sans goût qui n’auraient connu aucune terre.

En vérité, malheureusement pour les logiques botox et heureusement pour nous, La Nature et La Femme n’existent pas. Nous ne serions alors en transition que sous la coupe de la définition qu’en fait Paul B. Preciado [6] – des corps trans qui ne se rattachent à aucune piste d’atterrissage, des corps transitionnels qui s’assumeraient en tant que tels. Des corps qui refusent de se soumettre à une norme identitaire, ou au système économique actuel. Des corps écolos trans, qui refusent de signer la politique du greenwashing, mais qui n’en demeurent pas moins en chemin vers ailleurs. Des corps en exil du capitalisme mondialisé. Car le désir de quitter le réel tel qui est/hait est légitime. Et nous avons raison de déclarer qu’il est plus que temps de décoller de la réalité actuelle. En partant, nous emportons les terres détruites, les animaux éteints et les glaciers fondus. Les morts, eux, n’oublient pas et réclament un autre futur [7]. Nous ne quittons pas le statut de citoyen consumériste pour devenir des citoyens verts et responsables. Nous allons beaucoup plus loin que ça. Notre horizon a quelque chose à voir avec ce qui s’invente dans les ZADs ; il a à voir avec les manifestant.es qui se battent pour que leur travail soit reconnu dignement, et qui se font gazer pour avoir réclamé une retraite solidaire ; il a à voir avec notre capacité à inventer dans et avec les débris d’hier. Il a à voir avec une pensée compost. Et cet horizon-là ne prend pas pour forme des visions de paradis, des petites biches toutes jolies et des gros sangliers à foisons, des cabanes de luxe dans les arbres et des chanteurs-grillons. Car à l’horizon du corps trans, la médecine n’a pas déguerpi. La tronçonneuse est bien utile. La biologie participe à la préservation des mémoires, et à l’instauration de nouveaux modes de vie. De toute façon, les forêts de paradis, cela fait bien longtemps déjà que les industries et la pollution les ont détruites.

Une écologie trans prendrait acte que le précaire n’est pas transitoire – que le précaire ne doit pas être réglé, mais aménagé. Il s’agit de « faire avec » - ce qui ne veut pas dire accepter l’état des choses, mais élaborer des stratégies de lutte à partir de ce qui a été perdu, tisser avec un espace abîmé et le réparer sans effacer les blessures. Un territoire abîmé doit être cultivé afin d’être rendu habitable, c’est-à-dire afin de pouvoir être attachant et attachable. Comme le souligne Pascale Joffroy, architecte militant pour une visibilisation des bidonvilles afin d’améliorer les conditions de vie de leurs habitant.e.s, « la norme fabrique l’exclusion et scelle l’inhospitalité [8] ». Le capitalisme vert nous propose un corps botoxé et inhospitalier, aseptisé et sous perfusion, avec plusieurs milliers de pages de règlement. Plutôt que d’habiter selon des normes qui participent à l’homogénéisation de nos modes de vie sous la coupe du progrès idéologisé, une écologie trans revendiquerait d’habiter le trouble. Il ne s’agit pas de glorifier les ruines, ni de faire durer la précarité. Une écologie trans aurait à voir avec le fait de rendre attachants et viables nos habitats, nos modes de vie. Faire de la réparation, et pas du hors-sol.

Nous ne voulons pas du corps-zéro de la transition écologique. Nous ne voulons pas du corps anatomique d’une terre sous perfusion, réduite à l’état de mort-vivante avec sa petite poche plastique.

Comme dirait l’Artaud, nous voulons respirer et faire caca. Nous voulons d’un corps capable d’inventer au-delà de l’organisme comptable, au-delà de la smart grid et de l’intelligence en réseau algorythmique d’aujourd’hui. Autrement, la science moderne nous condamne à la folie, lancée en transition vers le corps-zéro, l’éco-quartier, l’île flottante et La Femme impossible.

Nous sommes déjà exilés. Dans le noir, il faut prendre le tremblement de notre cœur et en faire une pompe à vélo. « Le secret est qu’il n’y a de secret que d’être justement cela qu’on n’est pas, et ce n’est pas un secret mais une âme [9] ».

[1Voir notamment Être Forêts, Habiter des territoires en luttes de J.-B. Vidalou, Editions La Découverte, Zones, 2017 – ainsi que sa conférence à la journée du 25 janvier 2020 de LundiMatin, consacrée à la question de l’énergie : https://lundi.am/La-revolution-est-une-question-technique-2730

[2Voir sa conférence à la journée du 25 janvier 2020 de LundiMatin consacrée à la question de l’énergie : https://lundi.am/La-revolution-est-une-question-technique-2730

[3J’emprunte l’expression à Bruno Latour, notamment dans Face à Gaïa, Editions La Découverte, Les Empêcheurs de tourner en rond, 2015.

[4Voir notamment Habiter le trouble avec Donna Haraway, Textes présentés par Florence Caeymaex, Vinciane Despret et Julien Pieron, Editions du Dehors, 2019 ; et Vivre avec le trouble, Donna Haraway, trad. Vivien Garcia, Editions des mondes à faire (2020, à paraître).

[5Ces projets, prospectifs ou réalisés, se trouvent sur son site internet personnel. Autour des utopies d’îles flottantes, écouter notamment l’émission « Silicon-Valley-sur-mer, Utopia, Architecture et Utopie 2/4 », LSD La Série Documentaire, de Camille Juza, réalisé par Guillaume Baldy, https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/utopia-architecture-et-utopie-24-silicon-valley-smer

[6Voir Un appartement sur Uranus de Paul B. Preciado, Editions Grasset, 2019.

[7Sur la dette envers le futur, contractée par les morts, voir notamment Solidarité, de Léon Bourgeois, Editions Armand Colin, 1896 ; et l’analyse qu’en fait Emilie Hache dans Ce à quoi nous tenons, Editions de la Découverte, 2019.

[8Pascale Joffroy, Pour les bidonvilles en France, La Revue d’architecture n°239.

[9Antonin ARTAUD, in Oeuvres Complètes XVIII, Paris, Gallimard coll. « La Pléiade », p. 191.

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