Pour que la Clef ne passe pas sous la porte

Pourquoi faut-il empêcher l’expulsion du cinéma la Clef

paru dans lundimatin#323, le 28 janvier 2022

La Clef est un cinéma parisien, occupé et autogéré. Malgré deux ans et demi d’effervescence culturelle ayant réuni 14 000 spectateurices autour de 400 films, le propriétaire des murs, le comité social d’entreprise de la Caisse d’Epargne, souhaite en expulser les usagers. À partir du lundi 24 janvier, le cinéma sera donc ouvert de 6h à 23h afin de décourager une éventuelle tentative d’expulsion par les forces de l’ordre. Les occupants nous racontent l’histoire de ce lieu et les raisons de se battre pour qu’il reste ouvert et occupé.

Pourriez-vous rappeler ce qui vous initialement motivé quant à l’idée d’occuper un cinéma ?
La Clef est un lieu historiquement lié au cinéma indépendant.

Avant l’occupation et depuis sa création dans les années 70, c’était un cinéma d’Art et Essai indépendant comme il en existe bon nombre à Paris. Il a rapidement été racheté par le Comité Social d’Entreprise de la Caisse d’Epargne (CSE), ce qui permettait de poursuivre la programmation tout en réservant les parties privées à des activités du CSE.

En 2018, le CSE a décidé de vendre les locaux, ne les jugeant plus rentables. Les lieux sont restés inoccupés un an, faute d’acheteurs, jusqu’à ce que des membres de divers collectifs squat y entrent et redémarrent le cinéma. Depuis, exception faite des confinements, ont lieu à la Clef des projections quotidiennes.

Le mot d’ordre de l’occupation de la Clef est la démocratisation de l’accès au cinéma et à la création cinématographique. Toutes les projections sont proposées à prix libre, et nous privilégions des films rares et indépendants, en somme tous les films qui sont rejetés par les autres exploitants parce qu’ils ne sont pas estimés suffisamment rentables.

Si la programmation reste le nerf de la guerre, à la fois symboliquement et en terme d’accueil de public, nous ne souhaitons pas nous limiter à cela et de nombreuses initiatives ont été lancées depuis le début de l’occupation. Plusieurs web-radios ont eu lieu pendant les confinements, un fanzine a été créé. Mais aussi La Petite Evasion, un atelier d’initiation à l’image pour des centres aérés du quartier ou autres ; et le Studio 34, qui permet à de jeunes cinéastes indépendants à travers divers ateliers et rencontres d’aboutir leur premier film par l’autoproduction.

Il s’agit en somme de faciliter l’accès à un cinéma en voie de disparition et de le perpétrer à travers la démocratisation de la création en dehors des sphères du cinéma institutionnalisé.

Seulement, il y a presque un an, une offre d’achat a été faire au CSE par le Groupe SOS, un géant de l’économie sociale et solidaire qui produit des milliards de chiffre d’affaire par an, et qui n’a de social que le nom, une vitrine associative qui prétend sauver des lieux associatifs en perdition avec pour unique but de les faire disparaître pour étendre leur parc immobilier. Ce groupe est dirigé par Jean-Marc Borello, directeur général adjoint de la République En Marche et figure proche d’Emmanuel Macron. Leur projet pour la Clef n’est bien évidemment pas le nôtre, et depuis un an, nous nous battons pour que le lieu reste occupé, empêchant ainsi la finalisation de l’achat.

Comment avez-vous géré votre programmation au fil de ces années d’occupation ?
Depuis le début de l’occupation, la ligne directrice de la programmation est définie par trois mots : cinéma indépendant, rare, précaire.

La programmation est une œuvre collective, chacun est libre de programmer les films qu’iel souhaite sans que l’aval du collectif soit nécessaire, ce qui donne un panel très diversifié. Nous procédons parfois par cycles autour d’une thématique (Cycle Révolution, Cycle Libération Sexuelle, Cycle Spatial…). Il s’agit, tant que possible, de donner une voix à des réalisateurs et réalisatrices méconnues ou dont l’œuvre a été oubliée. Nous essayons tant que possible de rassembler les fabriquant.e.s de ces films pour qu’iels viennent les présenter avant les séances et discuter de leurs films avec le public a posteriori, dans une volonté de désacraliser le rapport qui peut exister dans les institutions cinématographiques entre les réalisateur.rice.s et leur audience.

Les films nous sont prêtés gracieusement par des distributeur.rice.s souhaitant nous aider dans notre projet (remerciements spécifiques à ISKRA et à Potemkine).

Cette dynamique passe également par le fait de réhabiliter les projections en 35 mm : a eu lieu ce samedi 22 janvier 2022 la première projection 35 mm de l’occupation. Cela permet de réhabiliter certains films disponibles uniquement dans ce format.

Nous essayons tant que possible de former toutes personnes le souhaitant à la programmation et à la projection, dans une logique de transmission des savoirs techniques et théoriques.

Quelles sont les actions que vous avez menées dernièrement ?
L’action notable la plus récente, et se conduisant depuis plusieurs mois, est le lancement du fonds de dotation. Il s’agirait de pouvoir racheter le cinéma avec ce fonds de dotation, formé de dons de spectateur.rice.s et d’autres personnes, afin de le sortir du marcher immobilier et des logiques spéculatives et d’en faire un bien commun. Cela permettrait de pérenniser le projet porté par la Clef, en en faisant définitivement un cinéma associatif et libre, régi uniquement par ceux qui l’occupent et s’en occupent.
Ou en est-on de l’expulsion ? Comment peut-on vous soutenir ?
Bien que la situation est toujours été précaire du à l’illégalité de l’occupation, les derniers jours sont particulièrement critiques. Le CSE a porté plainte contre la préfecture de police de Paris pour inaction. Suite à l’audience au résultat de l’audience, reçu le 13 janvier, la préfecture a été sommée d’expulser les occupants de la Clef dans les deux mois à venir.

Cependant, le propriétaire du bâtiment, le CSE de la Caisse d’Epargne Ile-de-France, et le potentiel acheteur, le Groupe SOS, dirigé par Jean-Marc Borello, directeur général adjoint de la République en Marche, font pression pour que l’expulsion du bâtiment se tienne cette semaine (du 24 janvier). Nous nous mobilisons donc afin d’éviter cela, avec de nombreuses programmations et prises de paroles de politiques, cinéastes, etc., et des séances en continu de 6h à 23h.

Le programme de la semaine est disponible ici : http://laclefrevival.com/actu/expulsion-imminente-portes-ouvertes-a-la-clef-revival-des-lundi-24-01-a-6h00/

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