Pour des chantiers reprises de savoirs

Le programme 2023

paru dans lundimatin#385, le 31 mai 2023

Depuis 2022, à la suite d’un appel pour des reprises des savoirs, des chantiers collectifs à visées pédagogiques et autonomes sont organisés un peu partout en France. Il s’agit, en quelque sorte, du pendant « constructif » et à long terme des percées activistes des Soulèvements de la Terre, une invitation à à se réapproprier l’autonomie politique et matérielle. En voici la présentation et le programme pour le reste de l’année 2023.

Creuser une mare contre la bétonisation d’un quartier ; construire une vanne à moulin tout en parlant écologie des rivières ; randonner entre une centrale nucléaire et une centrale à gaz pour débattre sur la centralisation énergétique et ses alternatives ; rénover un centre social en parlant gentrification ; organiser une cantine pour une action de désobéissance avec des personnes venues de multiples horizons… 

Ici et ailleurs, de multiples lieux de vie et de luttes s’inventent pour résister à l’aménagement capitaliste des territoires. À travers mille et un chantiers, ils s’attellent à la fabrique quotidienne de leur subsistance (se nourrir, se loger, se défendre…) et de leur autonomie.

Issu·e·s de divers horizons – militant, associatif, universitaire (enseignant·e·s et étudiant·e·s) – nous habitons et traversons ces lieux et ces luttes où s’entremêlent partage et transmission de savoirs ancrés dans les manières d’habiter, et attentifs à dépasser les dominations qui minent nos mondes communs.

Depuis plus d’un an nous avons accompagné un mouvement de Reprise de Savoirs, décentralisé et autogéré, qui propose de mettre en réseau ces chantiers – existants ou en germe – afin de bousculer nos logiques affinitaires et de construire collectivement une culture politique de résistance et d’autonomie.

Nous souhaitons que ces chantiers puissent se multiplier, s’étendre dans le temps et dans l’espace, jusqu’à sortir des marges et s’imposer aux lisières des institutions qui s’accaparent aujourd’hui le monopole de la production des savoirs légitimes.

reprisesdesavoirs.org

 

L’année dernière, 23 chantiers-école se sont tenus à travers la France hexagonale, ciblant diverses problématiques. Durant ces chantiers et dans une égale dignité des savoirs, les participant·e·s ont alimenté des réflexions sur les façons d’apprendre, de s’instruire mutuellement, et proposé des idées pour faire et vivre collectivement. Chaque chantier constitue un moment particulier, autour de besoins propres au lieu, à la fois pratique, relationnel, politique et théorique. 

Tous ces chantiers ont soulevé encore plus de questions qu’ils n’ont apporté de réponses :

Comment rendre ces chantiers plus accessibles ? Comment sortir d’un certain entre-soi des milieux écologistes, être solidaire de luttes plus distantes de nos réseaux affinitaires ? Comment lutter contre les oppressions reproduites malgré nous ? Comment déconstruire ensemble nos manières d’apprendre, de réfléchir, de faire groupe, si profondément ancrées pour reconstruire des formes d’apprentissage plus émancipatrices ? 

On le sait, les inégalités de genre, de race, de classe, de handicap, déterminent profondément l’accès aux savoirs. Certains enseignements sont plus valorisés que d’autres, comme les grandes écoles, les cursus universitaires au long cours, face aux formations professionnelles - dites manuelles - et les pratiques de subsistance, pourtant essentielles à l’intendance quotidienne de nos vies. Le plus souvent, l’école telle que nous la connaissons impose une transmission descendante, rigide, et souvent traumatisante. Il nous importe donc de remettre en question la manière dont les savoirs et les pratiques sont hiérarchisés, partagés et transmis.

Ici ou ailleurs, d’innombrables collectifs ont inventé des méthodes pour se (dé-)former ensemble, enseigner, apprendre et mettre en commun les connaissances, les idées et les savoir-faire : éducation populaire, écoles libertaires, universités autogérées ... En 2023, Reprises de Savoirs continue de s’en inspirer, pour prendre soin des formes de vies et des luttes terrestres, en construisant des ponts avec l’éducation et l’écologie populaire, la solidarité avec les personnes en situation d’exil, en mettant des moments, des lieux ou des connaissances au service de luttes multiples.

Fort du succès de la première année de chantiers et de l’enthousiasme qu’ils suscitèrent, une rencontre fût organisée en novembre dernier à l’espace autogéré des Tanneries (Dijon), invitant organisateur.ices et participant.es. Ce moment nous a permis de prendre un recul autocritique, d’accueillir de nouveaux membres dans le groupe de coordination, et de commencer à assembler des traces de nos apprentissages.

Nous nous sentons les compagnon·ne·s d’innombrables initiatives qui structurent l’horizon politique actuel pour contrer la méga-machine qui homogénéise et dévaste la vie. C’est un fait, des mondes et des façons d’appréhender le terrestre s’affrontent. 

Il a un monde qui creuse des méga-bassines, qui privatise l’eau, crée des déserts ruraux et agricoles d’un coté ; de l’autre il y a une agriculture paysanne qui veut rendre accessible le foncier agricole pour repeupler les campagnes et réparer la cohabitation avec les vivants non-humains.

 

Ailleurs, dans un quartier de l’agglomération parisienne, certain·e ouvre une maison de l’écologie populaire pour cultiver la richesse des liens et de la diversité, tandis que la puissance publique via des cabinets d’urbanismes impose d’une gentrification élitiste, normée et socialement excluante.

Nous pensons qu’il est important d’enquêter sur l’utilisation mortifère de certains savoirs qui maintiennent le régime de destruction des milieux et des communautés, mais aussi d’aller à la rencontre de celles et ceux qui permettent aux diversités d’éclore. Créer des outils et des espaces d’organisation ou de refuge, faire des ponts avec différents collectifs et milieux, pratiques ou luttes. De nombreuses pistes s’offrent à nous. Nous pensons qu’en contribuant à un chantier ou à son organisation, vous aussi pouvez donner forme à ce mouvement, aussi varié et multiple que ses participant·e·s.

Pour une autre rentrée

En plus de divers chantiers dans des lieux de vie et de lutte, nous explorons l’hypothèse d’une ’autre rentrée’ (https://www.reprisesdesavoirs.org/acceuil/autre-rentree/)en rencontrant diverses personnes à l’intérieur et à l’extérieur des espaces ’traditionnel’ de transmission de savoirs. 

Par exemple, chez des personnes qui fréquentent le pôle universitaire Paris Saclay l’idée d’une autre rentrée fait son chemin, voici leur invitation :

« Chaque année le plateau de Saclay et ses multiples instituts engloutissent de nouvelles vagues d’étudiant·e·s. Certain·e·s sortent du lycée, d’autres du carcan des prépas. Beaucoup amènent avec elleux l’excitation d’un nouveau lieu à découvrir et des désirs de rencontre. C’est un mélange bien dangeureux pour les gouvernants qui voient dans l’université une machine à produire des travailleur·euse·s plus ou moins diplomé·e·s, plus ou moins « excellent·e·s », mais surtout dociles et serviables. Heureusement, le dispositif est bien huilé. Les journées de cours à rallonge assurent qu’il n’y aura pas trop de temps-libre pour penser et critiquer. Dans les écoles, un foisonnement d’associations se tient en embuscade pour sauter sur la moindre seconde de temps-libre et le transformer en travail bénévole, où l’on apprend à gérer tout en jouant sa place dans une insidieuse hiérarchie sociale (les cool kids tiennent le bar). A la fac, la pression des notes et les multiples filières sélectives instillent un climat de compétition larvée. En quelques semaines, le ronron du train-train s’installe, les énergies sont canalisées, les désirs récupérés et mis au travail. Tout le monde gère. Tout va bien. Chacun·e est seul·e.
On se prend alors à rêver d’une autre rentrée, où les nouveaux·elles seraient accueilli·e·s pas des collectifs, des étudiant·e·s, des chercheur·euse·s qui leur montreraient comment elles et eux voient ce plateau sur lequel iels viennent de poser leur valise. Quel rôle joue cette université ? Qu’y avait-il ici avant tout ce béton ? Quelles existences on mène, par ici ? Et on pourrait alors se rencontrer, trouver des allié·e·s avec qui penser contre ce qu’on nous impose, et penser avec conséquences. Opposer à la machine à isoler une occasion de tisser des liens qui durent. 
Un appel à organiser ces « autres rentrées » a été lancé par le collectif Reprises de savoirs. Sur plusieurs campus du pays, des initiatives sont en cours d’élaboration. On est plusieurs sur le plateau de Saclay à vouloir faire quelque chose sur notre territoire, avec toutes celles et ceux à qui ça parle.
Alors on vous invite, ami·e·s, allié·e·s, camarades, syndicats, associations, collectifs, à venir discuter avec nous de ce à quoi pourrait ressembler notre « autre rentrée » sur le plateau de Saclay. »

Liste des chantiers déjà lancés pour 2023

Retrouvez leur présentations complètes sur le site reprisesdesavoirs.org

3-7 avril 2023
Semaine Prenons les terres !
Au 38 rue d’Alembert, Grenoble (38)

10-16 avril 2023
Chantier autonomie alimentaire
Tarnac (Plateau de Millevaches), Corrèze (19)

8-28 mai 2023
Sauna mobile à Bure
Mandres-en-Barrois, en Meuse. (55)

29 mai-11 juin 2023
Rénovation de four à pain
Collectif des Chats Noirs, Nord-Isère (38)

4-11 juin 2023
Quelles constructions en terre crue pour demain ?  
Des Idées Plein La Terre – Local Les Bons Restes, Reims (51)

26-30 juin 2023
Pour des constructions hospitaliTerres – 
Bâtir et cultiver les semences d’histoires en français langue étrangère

Ferme collective de Combreux, Seine et Marne (77)

Début juillet 2023
Habiter des milieux énergétiques
Moulin d’Angreviers (44)

9 – 16 juillet 2023 et 21 – 27 août 2023
De Rives en Rêves – Auto-construction & aménagements aux jardins
Rumilly (62)

12-16 juillet 2023
Chantier Écoféminisme Minervois – Subsistance / Cantine solidaire/ Maisonnées
Azillanet en Minervois (34)

Fin juillet 2023
Habiter le commun : semer et manger d’égal à égal : réaménagement d’une serre (à confirmer)
Association A4 – Lannion, Côtes d’Armor (22)

21-24 juillet 2023
Se nourrir et agir ensemble entre Loire et forêts  
Hameau des Loups – Bonny-Sur-Loire / Arboraison – Briare (45) 

27-30 juillet 2023
Festival écoféministe La Sève (3e édition) : multi-chantiers autogérés 
Espace autogéré des Tanneries, Dijon (21)

29 juillet-13 août 2023
Alterfixe, 2e édition – camp autogéré pour l’installation paysanne dans le bocage Ornais
GAEC du Mont Hardy, Saint-Hilaire-de-Briouze (61)

3-6 août 2023
Les Résistantes 2023 – rencontres de luttes locales et globales
Larzac

Trois témoignages des chantiers 2022

Énergie, pouvoir & autonomie à La grange de Montabot, Basse Normandie
« Nous étions pas loin de 80 personnes à se retrouver pour réacquérir collectivement différentes formes d’autonomie énergétique. Accueillir ce type de chantiers est presque une évidence pour ce lieu autogéré depuis 2012. Héritier de la lutte locale de 2009 contre la ligne électrique THT Cotentin-Maine, il relie l’EPR de Flamanville au réseau national. Si cette bataille a été perdue, l’esprit de résistance à l’ordre électrique et pour des autonomies énergétiques a perduré ainsi que le lieu, qui n’est relié ni à l’eau courante ni au réseau électrique, et qui s’est donc muni d’une chaumière en terre-paille, de poêles à bois, d’une éoliene Piggott, de quelques panneaux photovoltaïques et même d’un sauna. Au programme du chantier, fabrication de nouveau poêles à bois et de fours en terre crue, initiation à l’électronique en mixité choisie, récupération de batteries, tout cela entrecoupé de témoignages de femmes du Rojava, de discussions sur la propriété d’usage mais aussi de belles soirées pizzas au fournil autogéré. Une dizaine de jours qui filent à toute vitesse tellement c’est passionnant et joyeux d’apprendre et de faire ensemble. Vivement d’autres chantiers énergie, à Montabot et ailleurs ! »

Nourrir et penser nos luttes dans La Var
« On est accueilli·e·s sur une grande ferme en polyculture en pleine canicule dans le Var, avec l’idée de mettre en place une cantine pour nourrir 150 personnes qui arrivent 4 jours plus tard pour des rencontres des soulèvements de la terre. Avec des produits de la ferme, mais pas que. En parallèle, on fait des arpentages (lectures collectives) sur le thème des luttes écologiques. Entre la confection des menus, la mise en place du coin cuisine et repas, la logistique courses et approvisionnement, l’auto-gestion de notre groupe de 20-30 personnes, on discute des victoires et des échecs des mouvements des luttes écolos, de la convergence des luttes, on mange, on va se baigner à la rivière. Puis tout le monde débarque, les tentes poussent comme des champignons. Nous on se relaie pour faire à manger et servir entrée-plat-dessert à quasiment chaque repas, tout ça végan ! Les assiettes sont colorées, les gens sont content·e·s, et on gère les petits imprévus comme on peut. Le dimanche, on est 200-300 à faire des vendanges sauvages dans la vigne de Bernard Arnault dans une ambiance festive (une action prévue par la Confédération Paysanne). Pour moi ce chantier c’était d’abord de belles rencontres ; c’était aussi la première fois que je faisais à manger pour autant de monde et ça m’a motivée à m’impliquer dans des cantines militantes. »

 

Ruine associative dans le Tarn
« Dans un hameau du Tarn, on restaure un mur en pierre pour faire une salle collective pour une asso qui fait vivre le hameau. On décide collectivement qu’on fait le chantier de 8h à 14h tous les jours, puis c’est repos et autres ateliers. On se répartit aussi les tâches du quotidien comme la cuisine, les toilettes sèches, la vaisselle... Des maçons et tailleurs de pierres professionnels nous apprennent à monter le mur pour qu’il soit bien stable, à tailler la pierre, à faire et utiliser du mortier. On s’aide les un.e·s les autres en se transmettant les compétences apprises la veille. Finalement, on a bien avancé le mur à la fin de la semaine, et l’arche de pierre est en place ! Les après-midis ont été bien remplis aussi : rencontres à Vaour avec des personnes qui ont monté et construit un bar associatif, atelier de l’antémonde pour imaginer le monde de demain, discussions sur les mines et le numérique, soirée chants... Je suis repartie toute joyeuse, et je suis encore en lien avec des personnes rencontrées sur ce chantier. Ah et je ne verrai plus jamais les murs en pierre de la même façon ! »

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