Police, polisse, polis

« La psychiatrie n’est pas en crise, c’est la crise qui est psychiatrisée »

paru dans lundimatin#478, le 3 juin 2025

Après avoir lu l’article Sur l’autisme, la psychose et leurs interprétations sauvages, Le ratage de Pulsion de Sandra Lucbert et Frédéric Lordon, un lecteur nous a transmis cet excellent billet d’humeur dans lequel il raconte, depuis la position de patient, c’est qu’est la psychiatrie, son pouvoir, son savoir, ce que ça fait sur les corps, et comment y trouver un petit peu d’air.

Je suis bipolaire. Je dis ça pour faire joli, apparemment ça fonctionne pour certains dans les médias. En vérité on m’a dit que j’étais bipolaire. Moi, je dis timidement que j’ai été diagnostiqué bipolaire, c’est tout ce que j’ai trouvé quand On m’a écrit, quand On m’a décrit, quand On m’a saisi. On, c’est qui, c’est quoi ? C’est personne et quelqu’un, une ombre et un corps, incarné ou désincarné, On est tout et On n’est rien, On est partout et On n’est nulle part, On est parole et On est langage, On ne pense pas mais On me pense, On me soigne, On me souffre, On me souffre et surtout me pénètre, par ses mots, par ses mots qu’ils m’injectent, ses pastilles qu’ils me distillent, dans le creux de mes entrailles, de mon bide, de mon âme. On est là, On me regarde, On m’observe, On m’épie. Pas un psychiatre bon ou mauvais, ce fin gourmet psychotropique, pas un hôpital, foyer de l’errance généralisée, pas un médicament, cette camisole polissique, pas un CMP, pas une blouse blanche, pas une chambre empoussiérée, pas un lit mal fixé, pas une sortie accordée, pas une hospitalisation sous contrainte, pas un isolement, pas une contention, On est composite, enlevez une de ces pièces et l’ouvrage s’écroulera. Certaines fondations, comme le bon psychiatre par exemple, puissent-t-elles rester, à quoi serviraient-elles à présent. Chacun remplit sa fonction dans cet organisme autonome. On ne me soigne pas, On me gère. On ne m’écoute pas, On m’entend. On ne discute pas, On prescrit. On n’identifie pas, On trie. On ne cherche pas, On catégorise. On n’est pas conciliant, On est catégorique. On n’est jamais compétent, On est fonctionnel. Par quel bout, on se laisse prendre, un cul de sac se laisse deviner. Maintenant que le chemin est balisé, il faut faire avec, il est encore possible de se faufiler à travers « On ».

Pour toutes ces raisons, parler psychiatrie c’est parler politique, parler psychiatrie c’est parler idéologie. Voyez comment on traite la dite « crise de la psychiatrie ». Des lits, des lits, des lits supplémentaires, les médias en font de belles pages. Moi, je veux bien, je prendrai tous les psychotropes qu’il faut pour ne pas avoir mal au dos là-bas. La crise, c’est de la gestion, là, et des lits, c’est de l’enfermement. La psychiatrie n’est pas en crise, c’est la crise qui est psychiatrisée, j’y reviendrai.

Prenons aussi, la cause nationale, cette sacro-sainte maladie mentale, rendez-moi ma folie, c’est tout ce qui me reste et sur laquelle j’ai un petit peu d’emprise, (à ne pas dire à un psychiatre surtout). On sait très bien comment ils ont vidé la folie, trop dangereuse, pour y fourrer la santé mentale. C’est l’histoire de la pierre et du puit, qui l’emporte au final. Non franchement, c’est une belle opération, avoir réussi à déposer le voile de la santé mentale sur la puissance de la folie. Fallait le faire ! Au moment, où la folie était réappropriée, je m’incline, c’est talentueux. On change alors de mode de gouvernance, la police, n’est plus frontale, la police est gestionnaire, le management a triomphé. Car l’économie n’est pas un mode détaché de la gouvernance, de la politique, de la gestion des hommes et des âmes. L’économie n’est pas un mode, l’économie est un monde, la psychiatrie en fait les frais. Quiconque entre 5 min dans un hôpital psychiatrique, en fait ce constat implacable. L’économie est la religion, le chiffre un dogme qui régit les petites têtes dociles et pieuses. Alors, en HP, On, fait donc des chiffres. Combien de médicaments aujourd’hui ? Combien d’entrées ? De sorties ? De babybels mangés ? Et gâchés ? Combien de lithium ? Combien de lits ? Mme Aliénor a bien pris ses huit comprimés cette fois-ci ? Pourquoi On fait ça ? Pour remplir des tableurs. Si nous sommes une donnée statistique, On, lui s’est évaporé et ça c’est embêtant. Bon, en fait, On est dans son bureau mais il est souvent fermé, On aime être mystérieux, ça permet de ne pas franchir la limite du soignant/soigné, manquerait plus que ça. On doit rendre des comptes, des taux et des courbes, des camemberts et des graphiques. Se voir là-dedans relève d’un travail herculéen. C’est à ça que ça sert finalement la santé mentale, du quantitatif qui fonctionne, du qualitatif qui démissionne. Il y a la bonne santé et il y a son opposé, et son opposé, c’est en gros l’inadapté, le petit cailloux dans la chaussure qui grippe la marche néolibérale. Surtout pas de qualitatif, non, ne pas chercher à savoir qui on est, ne pas aller chercher dans la trame narrative, non, On risquerait de devoir ne pas donner de médicaments. Et puis si tu es défaillant, c’est que tu n’as pas fait assez ou trop, enfin tu es défaillant dans tous les cas.

Et puisque la psychiatrie est chapeautée par l’économie, elle finit par être gouvernée par la peur du manque. Le patient devient qu’un individu de besoin. Tout n’est évalué que par cela, manque de lits, on l’a vu tout à l’heure. C’est ce que révèle également la pénurie de médicaments en ce moment, distiller le manque, cette possibilité, qui nous rend encore moins autonomes, dépendants et fragilisés. Une aubaine pour le pouvoir psychiatrique, cela le renforce.

Alors dire « Je suis malade mental », quoi de plus normal finalement ? Par opposition, c’est parler du management, ce journaliste, il a compris, subvertir, mais pas trop, choquer mais pas trop, un peu comme un psychiatre qui administre un traitement. Des anxiolytiques, mais pas trop. Des somnifères mais pas trop, des antipsychotiques seulement le soir.

Il a fait couler beaucoup d’encre ce journaliste, et vendu des livres. Si j’avais fait pareil sur mes réseaux, j’aurais gagné 5 abonnés, ce qui finalement sur mes 100 abonnés aurait été une bonne stat’ (je parle comme On.) Mais ce journaliste aurait du aller au bout, vraiment parler, et non pas juste communiquer. La santé/maladie mentale, c’est la communication. S’adresser aux malades mentaux, c’est bien mais s’adresser aux tarés, aux dingos, aux cinglés, aux masos, aux complètement marteaux, aux givrés, aux zinzins, aux ravagés, aux piqués, aux déjantés, aux toqués, aux frappés, aux loufoques, aux maboules, aux timbrés, aux détraqués, c’est mieux et ça parle.

Alors quand On parle de libérer la parole, permettez-moi d’en douter. D’ailleurs libérer quoi ? Tout est déjà balisé, On a déjà tracé le chemin pour nous, et ce journaliste, malgré lui peut nous y avoir enfermés, un peu comme ce couloir qui se dessine, la porte à notre dos qui se renferme et le sourire de la blouse blanche qui « rassure ». Libérer, c’est peut-être bien, s’émanciper c’est mieux. Au final, c’est On qui finira par me parler et il me dévaluera par la petitesse de ses mots qui puent de la gueule.

Mais surtout On, ce qu’il aime, c’est sculpter du moi, en fait, il dégrossit, il modèle, il taille, il rabote. Il en résultera un joli Moi, moulé. Non pas moi, dans ce que j’ai de singulier (ma folie m’appartient, crois-je) mais Moi, dans ce qu’il a de plus impersonnel. Moi, c’est ma réduction au visible, au dicible. Les petits copeaux de bois sculptés n’intéressent personne. De la souillure, en moi, ils en feront de la sciure. Moi est malade mentale, Moi est bipolaire, schyzo-affectif, anxieux généralisé, Moi est irritable, Moi part en logorrhée, Moi est mégalo, méfiant et parano. Et c’est là que la souffrance notamment intervient. On veut nous condamner à la souffrance, qu’elle soit là, tapie dans l’ombre, qu’elle surgisse, qu’elle domine, qu’elle classe. En ce sens, la psychiatrie, et c’est bien là, vous le dites le problème, de même que ceux qui critiquent la psychiatrie, ne peuvent concevoir le psychotique, que comme celui qui souffre. Ainsi, la psychiatrie conçoit la vie comme un pendule qui oscille entre le pathologique et la souffrance. Et entre deux, rien, du moins rien qui ne vaille. Il ne s’agit même pas d’une ligne droite, non il s’agit d’une courbe délimitée qui vacille d’un point A à un point B. Cette courbe finit par contaminer Moi, il ne lui reste que ça, il a perdu le reste, pour ne plus qu’exister en souffrance. Moi n’ose plus se dire que sa petite crise psychotique, c’était bien, un petit peu quand même (imaginez ce que ça fait de se savoir le dernier prophète), Moi aurait alors peur d’être fou, et faut le comprendre.

Cette réduction à la souffrance va de pair avec une certaine forme d’infantilisation, par le ton surtout, manifestation de la bienveillance dévorante. Vous savez, les tonalités, ça vous rentre dans la tête, alors voir son psychiatre, c’est comme entendre par surprise une chanson de Patrick Sébastien et de l’avoir dans la tête toute la journée, sauf que là on est prévenu. J’avais vu ça, dans une maison de retraite, la façon dont on parlait aux personnes qui y vivaient, ça déshumanise. Est-ce conscient ? Je ne sais pas. Peu importe l’intention, seules comptent les conséquences. Cette infantilisation, elle est utile, elle tient en respect, elle garde la distance. Un psychiatre ne parle qu’à nous comme ça, on le sait, on est à part. Et puis c’est aussi une façon, de dire « tu vois, vu que tu comprends rien, je vais bien séparer les syllabes. Pour que tu comprennes quoi ? Bah que t’es con ». Qu’il le pense ce On tient, ne serait-ce pas un signe de santé que d’être con dans une société qui déconne. Le ton et les mots créent une distance entre le professionnel et le patient, pour qu’aucune rencontre ne se fasse. Traverser un CMP, c’est comme traverser une zone commerciale, le désert, il ne s’y passe rien. Pour ma part j’y vais sans attente.

Car oui, il ne s’agit pas de comprendre, encore moins de savoir, et puis quoi encore. « Le savoir c’est moi » se répète-t-il tous les matins face au miroir. Quand on émet une objection sur ce qu’un psychiatre dit, tout de suite, il s’agit d’une méfiance, alors surtout si vous parlez de Big Pharma, attention, c’est l’isolement directement. J’exagère.

Suis-je le seul à avoir cette impression qu’en vérité si la psychiatrie coule, c’est qu’elle n’a jamais aussi bien marché ? Suis-je le seul à ressortir déprimé d’un rendez-vous avec le psychiatre ? Suis-je le seul à me sentir étranger, par mes gestes, mes codes, mes mots que j’essaye de faire valoir ? Evidemment non, alors comment faire ?

Ils veulent sauver la psychiatrie, qu’il le fassent, nous on s’en va, on va se sauver nous, et nous- mêmes.

Dans tout cela, la question ne sera jamais tant où nous trouver, mais comment nous trouver, nous retrouver ? Contre l’utilitaire, comment retrouver le nécessaire. Se rencontrer, c’est court-circuiter le réel et se détacher de tout ce que l’On a fini par nous faire croire. Existe-t-il tout un langage à définir, tout un langage à découvrir, dans les regards dans les sourires ? Dans un hôpital, dans un CMP, une manif ou un lycée, dans une cours de récréation, dans une chambre à coucher, peu importe le lieu, seul compte le jeu. Créons des mèches, allumons la brèche. Il faudra se reconnaître, de l’espoir pourra renaître. Mais nous sommes habitués, nous sommes aguerris, nous les avons reconnus, les regards, les sourires, l’entraide, les querelles, toutes ces petites choses qui font qu’au sein d’un univers froid, morne et impersonnel, une lumière politique jaillit. De-là il sera temps de compter ce que l’on nous a volé et fort de notre alliance nous re rentrerons dans la psychiatrie, et nous nous engouffrerons dans les jeux laissés par On, sa machine et son pouvoir et nous nous jouerons de lui.

Lors de l’une de mes hospitalisations, un camarade de galère me proposa un babybel en plus qu’il avait réussi à prendre en échappant à la surveillance des infirmières. En fait, il en avait plusieurs, plein les poches. Je l’ai appelée la théorie du Babybel, et il n’y a pas plus politique que cela, et les Lordon ne le comprendront jamais, enfin je ne sais pas. Perso, je m’en fous de savoir si la Psychanalyse c’est bien mais qu’elle est devenue ça, que l’anti-psychiatrie changera le monde, car j’ai toujours l’impression qu’on parle à ma place. Je n’ai pourtant pas le monopole de la compréhension ni de l’analyse, mais je rêve juste d’un jour où la multitude de Moi finira par prendre la parole en son nom ( et pas seulement la libérer) sans finir par la case « témoignage ».

Il existe déjà des choses, des initiatives effectivement. Moi-même je fais partie d’une association, France dépression, ça a l’air de rien mais il s’en passe des choses là-bas. Il y a toujours cette posture passive un peu, ce rapport aigu à la souffrance (que le groupe cherche à consoler, les liens à la fois faibles et d’une incomparable force) et surtout une absence de questionnement de l’Institution. Mais quand même, on peut partir de là, de ce qui existe déjà et qui n’est pas trop pourri, partir de ces petites structures qui n’ont rien de politique à première vue et aller voir. Je sens que certains ne demandent que ça. Faisons commun, déclarons les polis.

Enfin, enfant, j’étais fasciné, par ceux qui ne savaient pas se garer, dans mon entourage, on fulminait, moi je trouvais cela quasi esthétique, du Rimbaud en carrosserie. Je priais pour devenir comme ça, ce le fut. Que fait quelqu’un qui n’arrive pas à se garer sur une place ? Il en trouve une plus grande. La psychiatrie peut être utile mais La psychiatrie nous enferme aussi. Elle veut nous conduire alors nous allons fuir et agrandir. Car si le monde est trop petit pour nous, seul agrandir le périmètre, permettra de le faire, par les gestes. Oublions les On, devenons des psychiartistes en folie.

Je ne rêve plus de savoir si je vais un jour pouvoir le faire ce créneau, je rêve de me dire qu’un jour, j’aurai une place suffisamment grande pour me garer. Vous m’y accompagnerez ?

A bientôt !

Im-patient

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