Photos de classe et clichés laïcards

Quand l’Éducation nationale traque les signaux faibles et vestimentaires de radicalisation

paru dans lundimatin#360, le 21 novembre 2022

L’année scolaire avance, et nous continuons de recevoir des textes de professeurs, témoignant à la fois du délabrement toujours en cours des conditions d’apprentissage des élèves, de l’absurdité de certaines directives transmises aux fonctionnaires de l’Éducation nationale, et de l’incapacité grandissante de l’institution à se donner à voir comme autre chose qu’une vaste machine à broyer des enfants. Cette semaine, c’est le moment de la photo de classe. Dans certains établissements, en plus de la traditionnelle photo où l’on pose aligné épaule à épaule entre camarades et professeurs d’SVT, les élèves ont eu le droit à un cliché supplémentaire, appelée photo fun. Une enseignante nous dévoile certains conseils qui ont été donnés aux encadrants : vigilance absolue vis-à)vis des vêtements des élèves, dont certains envisageraient de venir en « tenue traditionnelle ».

Novembre 2022, mail d’un CPE : la photo de classe approche, les élèves auront le droit, en sus de la classique photo, normale, avec la tronche d’un de leurs enseignants à leur côté, de réaliser une photo ’fun’ avec le thème de leur choix... Non, en fait, pas tout à fait, toute latitude de choix n’est pas envisageable. En effet, le professeur principal de chaque classe fera remonter le thème choisi mais sera très vigilant le concernant. Le CPE, ou par sa bouche la direction du lycée, n’omet pas, en outre, de préciser que de terribles bruits circulent dans l’enceinte du lycée : certaines classes envisageraient de poser en tenue traditionnelle... !

Toute une classe en boubou ? En djellaba ? En pagne ? ... Passe encore. Mais le foulard, le hijab, l’abaya, le qamis, tenues traditionnelles bien connues ? Non ! Non et encore non !

Relisons fissa la fameuse charte de la laïcité qui fort heureusement saura nous protéger de toutes ces potentielles dérives et que nous pourrons arborer comme viatique afin de contrer toute velléité de photo de classe suspectée d’y déroger ! Quid cependant de la longueur des jupes, des bandanas suspects, un peu trop larges, trop couvrants ou trop sombres, ou au contraire, des décolletés trop plongeants, des tenues trop olé olé, féminines, évidemment... Ce qui ne devrait prendre que quelques minutes de discussion dure des plombes et confine au vrai casse-tête. Mais ouf, heureusement et finalement, en ce qui me concerne, la classe dont je suis en responsabilité, a su raison garder en choisissant finalement comme thème une couleur, Noir en l’occurrence. Pas d’inquiétude à avoir, me voilà donc rassurée et sauvée, même si je me prends, inquiète, à suspecter, peut-être, un look black bloc possiblement litigieux...

Concernant les tenues vestimentaires licites au sein de l’établissement et celles qui ne le sont pas, ce mail fut, depuis la rentrée scolaire, précédé de plusieurs autres, en appelant toujours et encore à notre vigilance, concernant la longueur des robes, le port de gants, de couvre chefs, de bandeaux et j’en passe. On n’omettait pas à l’occasion de nous signifier qu’il était de notre devoir de faire remonter toutes tenues suspectes, d’autant que celles-ci sont à coup sûr, c’est bien connu, le signe avéré de toute une idéologie mortifère, dont ces ados sont porteurs, même s’ils excellent à bien cacher leur jeu sous leurs airs badins et leurs amusements potaches. Imprudente que je suis de ne pas voir derrière toute jupe un peu trop longue le premier stade d’une radicalisation certaine à venir moi qui, a priori, ne m’en préoccupe guère et n’y vois tout au plus qu’une vague revendication identitaire, une façon de perpétuer une certaine tradition, voire un simple vêtement en somme…

Mais on n’est jamais trop prudent et une certaine dose de suspicion, voire de paranoïa est de mise en la matière, pour contrer toute naïveté dont le corps professoral, non toujours suffisamment vigilant, pourrait faire preuve...

Ainsi, je me croyais, candidement encore, juste prof, mais le fait est que, sans mon consentement et sans avoir signé pour, je suis, depuis plusieurs années, également membre d’une sorte de police des bonnes mœurs. Après avoir endossé, faute de personnels adéquats, et parce que la pénurie en est délibérément orchestrée, les habits de la conseillère d’orientation, du coach, de l’infirmière, du psy, et j’en passe, je suis, à mon corps défendant, enjointe de savoir reconnaître ainsi que de devoir dénoncer toute tenue vestimentaire non républicaine et contrevenant aux critères des ayatollah de la laïcité, au moment même où d’ailleurs mais ailleurs, à gorge déployée, nos autorités dénoncent en chœur les mollahs qui sévissent en d’autres contrées, mais loin, loin de notre beau pays, où là il est de bon ton de signaler et de stigmatiser ceux qui ne suivent pas les diktats laïcards.

Novembre 2022 toujours, un mail du chef cette fois nous est adressé, au ton particulièrement solennel et portant en objet ce terme décidément bien à la mode dans mon établissement : ’vigilance’. On y apprend qu’un élève de seconde a été surpris en train de faire sa prière dans une salle. Qu’il s’est également auparavant illustré en séchant les cours du vendredi après-midi en disant “qu’il croyait en Satan et que tout bon musulman doit croire en Satan” et en tenant des propos sur les femmes. Pour prouver sa réactivité et toute la vigilance qu’elle accorde à cette affaire, la direction précise qu’elle a reçu en entretien l’élève, qu’elle a tenté de lui apprendre à distinguer les valeurs fondamentales (lesquelles ?), les opinions et les croyances, à lui faire comprendre que la laïcité, ce n’est pas agir contre les convictions religieuses des élèves mais que c’est permettre à l’école de fonctionner sans la contrainte de différentes options religieuses, etc. Le mail précise également, quelle réactivité !, que l’élève a été sanctionné et que la direction a remonté ces informations à la DSDEN, avant que d’ajouter, pour finir, que nous devons, personnels de l’Éducation nationale, rapporter les situations inquiétantes et que si nous ne remontons pas ces informations, nous risquons de nous mettre en porte à faux vis-à-vis de la loi : article 434-3 du code pénal.

Cordialement… La charte de la laïcité est évidemment jointe au mail [1].

Ce mail pose problème, à plus d’un titre :

  • Oui c’est bien normal d’être vigilant, certes le fascisme islamiste existe… mais, en l’occurrence, nous parlons d’un gamin de 15-16 ans, en construction, identitaire et religieuse certes, mais d’un gamin en devenir ! Ce gosse n’a-t-il pas besoin d’aide plutôt que d’être jeté en pâture à la communauté éducative car c’est un sentiment de démolition d’un individu que procure la lecture d’un tel mail. En effet, à part des sanctions, des remontrances, des leçons de morale : l’élève a été sanctionné, les faits remontés... aucune autre “solution”, aucun accompagnement positif, n’est semble-t-il envisagé par la direction. Il n’en est en tous cas pas fait mention.
  • Nous sommes, d’autre part, tous, profs destinataires de ce message, intimidés, et ce au nom de la loi bien sûr !? Cette intimidation finale est proprement hallucinante, intimidation qui revient à nous dire : si vous ne faites pas de signalement, vous êtes de fait complices, coupables et potentiellement incriminables ! Signalement de quoi d’ailleurs ? Nous ne parlons, pour le moment, que de suspicions, nul passage à l’acte n’est, fort heureusement, à déplorer. Nous voilà donc sommés et menacés sur de simples supputations.
  • Enfin, lorsque le proviseur écrit ou recopie : la laïcité, ce n’est pas agir contre les convictions religieuses des élèves, cette affirmation est, qui pourrait encore aujourd’hui le nier, une contre vérité ! La laïcité, depuis fort longtemps déjà, à l’école et ailleurs dans la société, c’est agir contre les convictions religieuses des... musulmans et donc les discriminer ! Ainsi, si je ne souhaite pas veiller à l’orthodoxie vestimentaire de mes élèves, c’est bien parce qu’elle viole l’égalité de traitement, qu’elle revient à ne pas accueillir, à égalité, TOUT élève, alors même que l’école de la République se gargarise de ces principes qu’elle honorerait… [2].

Oui, “ce jeune garçon a un comportement et des propos inquiétants” mais non, je ne participerai pas à la chasse à la radicalité religieuse et, en l’occurrence, aux musulmans et je refuse d’être sommée par ma hiérarchie de dénoncer mes, nos élèves aux autorités. Le punir, le sanctionner, cela va-t-il permettre à cet élève de s’amender ? Ou, au contraire, le conforter, voire le radicaliser, dans ses opinions ? Pourquoi un accompagnement plus positif n’est-il pas envisagé ? Manifestement, ça ne tourne pas rond dans la tête de ce gosse et il a très clairement besoin d’un suivi psy, notamment.

S’il y a des coupables par omission dans l’Éducation nationale, les personnels de direction et les autorités départementales, régionales et nationales ne doivent-elles pas en supporter une très large part ?... En outre, comment accepter que les profs soient menacés pour régler des problèmes qui dépassent largement le cadre de leurs “compétences” ?!

Notons de plus le caractère proprement grotesque du fait d’imaginer que lire en boucle la charte de la laïcité à un élève “en voie de radicalisation” va lui permettre de s’amender :

Renie Satan vilain garnement ou bien nous allons te relire tous les articles de la charte de la laïcité. Tu ne dois plus tenir des propos sur les femmes, sans quoi nous allons te faire recopier tous les articles de la chartre de la laïcité. Ça suffit de sécher les cours le vendredi après-midi... pour aller à la mosquée ?, gare à toi, nous allons t’enfermer seul dans une salle du lycée où te sera diffusée en boucle la charte de la laïcité ! Gageons que ces procédés auront des effets totalement inverses de ceux recherchés…

Tu ne te sens pas à ta place dans l’école de la République… Que te propose l’institution pour y remédier ? De te dénoncer aux autorités, de signaler ton cas, avec possiblement au bout du compte, une exclusion de ton établissement scolaire. Il est bien clair que cette possible éviction du système scolaire sera très productive et ne brisera pas ce qu’il reste de liens de confiance avec l’institution scolaire. N’est-ce pas pourtant à l’école que pourrait se créer ou que se créent des liens de sociabilité, n’est-ce pas là que tu serais susceptible de rencontrer des adultes en dehors de ton cercle familial, ce qui pourrait te changer les idées ?

Notons en outre que plusieurs articles de la charte (articles 3, 6, 7 et 12 notamment) insistent sur l’exercice du libre arbitre des élèves, sur la libre expression de leurs opinions, comme conditions nécessaires à l’élaboration de leur personnalité et de leur citoyenneté. Mais comment exercer son libre arbitre et sa liberté de conscience si l’on doit taire certaines opinions ? De plus, pour pouvoir contrarier les préjugés, les inepties, voire les atrocités – ce en quoi consiste, entre autres, la mission éducative des enseignants – il faut tout d’abord pouvoir les dire et qu’ils aient été dits ! Même sophisme concernant l’article 12 qui stipule qu’aucun sujet n’est a priori exclu du questionnement, sauf ceux qui semble-t-il dérangent ou contreviennent au fondamentalisme laïque.

Pour ne prendre qu’un exemple du poids deux mesures dont l’Éducation nationale est si outrageusement coutumière et friande, évoquons l’école, collège, lycée Stanislas, sise Paris 6e : établissement d’obédience catholique, où pullulent, tant parmi les élèves que parmi les profs, des royalistes convaincus et patentés, des catholiques intégristes, des pro-vie à la pelle en veux-tu en voilà, et militant, assidûment pour certains, dans des associations dénonçant l’avortement, ce meurtre insupportable de fœtus. Ce “fameux” établissement privé mais sous contrat n’est-il pas lui aussi régi par la charte de la laïcité ? Pourquoi les dérives sectaires qui y ont cours, au vu et au su de tous, ne sont-elles pas dénoncées aux autorités compétentes ? Questions évidemment et éminemment rhétoriques s’il en est...

De même qu’au TGI de la porte de Clichy, à l’architecture effrayante et maculée d’un blanc aussi peu rassurant que celui d’un cabinet dentaire aseptisé où bientôt nous allons nous faire charcuter et souffrir bouche béante, TGI dont les murs arborent fièrement quelques articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, alors même que la “justice” qui y est rendue chaque jour, chaque heure, chaque minute contrevient en tout et viole, toute honte bue, ces dits articles ; de même la charte de la laïcité, dont on nous rabat les oreilles, dans l’Éducation nationale, en toute occasion, chartre prétendument symbole de notre école républicaine et soi-disant garante de notre pacte social, jette, jour après jour, à la vindicte nationale une partie des français, ou une frange non négligeable de ceux qui vivent sur “notre territoire”, en alimentant les élucubrations les plus nauséabondes mais si porteuses, électoralement parlant, que sont : l’ennemi intérieur, le grand remplacement, le terroriste islamiste qui sommeille en chaque musulman, la racaille à civiliser, d’un mot le racisme et, en l’occurrence et plus précisément l’islamophobie ambiante la plus crasse.

Sous couvert de nous faire croire qu’elle dénonce ce qu’elle alimente, la charte de la laïcité, et l’école subséquemment, n’accueille pas en son sein, à égalité ni avec libéralité, tous les enfants de la République, loin s’en faut ! Et cela commence à bien diablement se voir… Sous l’apparence de la “bienveillance”, autrement dit, cette charte alimente trop souvent de bien vilaines et violentes invectives ou discriminations dans sa mise en application.

À l’heure où tout individu suspecté d’entente avec l’ennemi risque d’être radié de l’Éducation nationale, où toute personne critiquant sa hiérarchie, ses méthodes délétères, son management pestilentiel, encourt le même risque, où tout fonctionnaire suspecté de non allégeance à l’autorité, ou bien tout militant œuvrant pour l’amélioration des conditions de travail de ses collègues et d’apprentissage de ses élèves (affaire Kai Terada, lycée Joliot-Curie de Nanterre) risque d’être muté d’office dans l’intérêt du service sans que rien de précis ne lui soit reproché, alors qu’on laisse en poste un proviseur maltraitant (lycée Mozart du Blanc Mesnil) lui permettant allégrement de continuer à sévir, alors même qu’il est avéré qu’il brutalise “son” personnel [3] ainsi que les élèves qui, quasi unanimement, réclament depuis plus de 7 mois son départ [4], on m’excusera j’espère de ne pas signer cet article ni de préciser de quel lycée il est question dans cette tribune.

À l’heure où toute mobilisation au sein d’un établissement scolaire, où toute future occupation d’un lycée ou d’une université est susceptible d’être sanctionné par une amende forfaitaire délictuelle pouvant aller jusqu’à 1600€ ! dans le cadre de la future loi LOPMI (loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur) en “discussion” cette semaine passée à l’assemblée nationale, on ne peut que désespérer des perspectives à venir mais souhaiter que l’étincelle du zbeul, qui ne peut manquer d’advenir, jaillisse, en quelque lieu, très prochainement.

Successeur de Blanquer ayant d’ailleurs fait toute sa scolarité à Stanislas, Ndiaye bounty, soit noir à l’extérieur mais tout blanc à l’intérieur et ne sachant rien de ce que signifie enseigner ou être élève, si ce n’est à l’école alsacienne où sont scolarisés ses enfants, ne remédiera certes pas à toutes ces violences en cours de la maternelle à l’université. Inutile de chercher à élaborer de nouveaux slogans, les anciens sont parfaitement opérants.

Bref, la maltraitance institutionnelle, l’offensive islamophobe dans l’Éducation nationale et ailleurs ont de forts beaux jours devant elles... Il ne fait pas bon vivre en France et la situation n’est pas prête de s’améliorer.

Sur ce, je m’en vais réviser la charte de la laïcité, en fonctionnaire éthique et responsable, beurk, sans oublier de glisser dans mon cartable de professeur un mètre de couture pour le cas où ma direction, demain, m’enjoindrait de mesurer longueur des robes ou largeur des bandeaux capillaires... Vigilance, vigilance !

Une prof du 93, légèrement vénère et dégoûtée

#CrameTonLycee et la charte de la laïcité

[2Voir à ce sujet les articles 1 et 4 de la charte

[3Un rapport CHSCTD (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail départemental), deux signalements de la médecine préventive pour souffrance au travail, de multiples dépôts de plainte de parents au commissariat contre le proviseur, etc et rien n’est fait !

[4Le lycée Mozart (ses enseignants) est maintenant sous le coup d’une enquête administrative, transformant ainsi les victimes en coupables…

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