Pétition pour abolir l’homme

paru dans lundimatin#300, le 16 août 2021

Qu’on le remplace par autre chose : une chaise, un pot de fleur, un filet de bave, un silence, une hache, la nuit, la pierre ou l’arbre.

Et sans se rabattre sur le super-, post- ou trans-homme, qui est le crétin du crétin de l’homme, comme on peut le constater.

On demande aux instances internationales, à l’ONU, aux humanistes (il n’y a que ça), aux pluri-humanistes, tétra-humanistes, x-humanistes, etc., d’abolir l’homme et de penser d’ores et déjà à une suppression de l’espèce, d’abord dans le langage et les concepts, ensuite par les politiques hygiénistes d’usage visant à ramener l’ancienne espèce dite homme à quelques groupes libres et heureux de s’établir sur une planète débarrassée de la plaie-homme et de sa plainte, dont on ne sait laquelle est le pire.

Comme on a demandé à dieu de cesser d’exister, nous demandons à l’homme de cesser d’exister. L’épreuve est moins difficile qu’il n’y paraît et a des résultats surprenants dans le domaine de la légèreté et du bonheur.

Car :

il n’est pas possible de demander à un homme d’être heureux, comme il est impossible de demander à du granit de lire Shakespeare.

Nous ne visons plus l’homme, nous ne serons pas dupes des simulacres d’homme et des dépassements de l’homme qui ne sont que de l’homme encore plus homme.

Nous ne visons pas l’ailleurs.

Nous visons l’ici et la séparation définitive des vivants libres de l’espèce qui a produit, au nom de tous les simulacres, mensonges, violences possibles, la situation que l’on connaît.

Définition triste de l’homme : quitter ce monde de l’avoir détruit.

Définition comique de l’homme : être à la fois les dinosaures et la météorite.

Il faut aussi abolir les mots de l’homme.
Les genres de l’homme.
Les livres de l’homme.
Les armes de l’homme.
Les institutions de l’homme.
Les politiques de l’homme.
L’alimentation de l’homme.
Les espaces de l’homme.
Les histoires de l’homme.

Il faut les remplacer par la nuit, le vent, les nuages, la terre.

Nous ne revendiquerons pas l’enfant de l’homme, ni la femme, ni l’autre de l’homme, ni aucune relation d’annexant-annexé, aucun génital génitif, ce que nous revendiquerons à titre de reste enthousiaste, c’est le détruit, le déchet, le rien, le violé, le simulacré, nous revendiquerons, dans les espèces à venir, les futurs esclaves robotisés plutôt que l’homme. Nous préférons un robot ménager au projet homme.

L’homme peut très bien cesser de vouloir se succéder et laisser être le vivant dont il a jadis participé. La chose est parfaitement faisable, il s’agit d’une rétrocession de pouvoirs comme on en a vu d’autres pour des causes moins éminentes.

Ne me changez pas le récit, changez-moi la chose.

Il faut supprimer les mots de l’homme, séparer les mots de l’homme.
Il faut supprimer la « poésie » de l’homme, il faut donc supprimer la poésie. La poésie doit ne pas être de l’homme si elle veut trouver quelque chose à dire. Ne parlons pas des poètes de l’homme, des petits triquards qui visent à l’homme, à ce qu’ils ont cru voir chez leurs aînés que l’on nomme indiens.

Nos aînés sont les Tarahumaras, les Guaranis, etc.

A partir de l’oligarchie, qui est une gérontocratie, s’organise un monde de vieux, c’est-à-dire de mensonges, et de leurs jeunes vieux, des promus par la gérontocratie pour perpétuer l’éternel retournement des valeurs linguistiques, c’est-à-dire du rapport de toi à toi, de tu à tu.

Et de muet à muet aussi, là où se réservent les énergies de l’espoir et du désespoir, dernier objet de plaisanterie pour les plaisantins de l’homme.

Ton corps, homme, éviscéré par les crocs du loup, tel aurait dû être ton destin.

Tu l’as en quelque sorte dépassé avec tes camps d’internement, d’extermination, de cantonnement administratif, tes cimetières ouverts, fermés, ta privatisation du vivant à des fins dites spéculatives, ton libéralisme militarisé à frontières barbelées, en réalité seulement des pulsions de mort pas même occultées.

Tes écoles et tes rues privées, homme, toi qui es capable de produire le loup dans l’homme, et de te faire l’homme du loup de l’homme, jusqu’à l’extrémité où tu te retrouves à ne pouvoir plus désigner que toi-même comme loup.

On a parlé du dernier homme. Cela fait longtemps qu’il n’est plus. Tu es le dernier loup qui te prétends encore homme. Mais tu n’es pas non plus un loup, mais un simulacre non assumé de loup, une poule avec viseur et arme planquée dans un poulailler barbelé radioactif, à viser un monde préalablement vidé et désertifié, tirant sur des mirages, avant ton suicide.

Nous ne voulons pas que tu te suicides homme, fais mieux : abolis-toi. C’est plus doux et plus intelligent. Et si tu n’es pas intelligent et à aucun moment ne croyons à ta bonne volonté, sois bêtement pragmatique.

Laisse vivre le monde et le vivant, et tiens-toi à n’importe quoi qui ne soit pas toi. Fais ce que tu veux mais ne fais rien qui sois toi. C’est peu demander, car l’univers est vaste, me dit-on.

Pour cela il faut s’abolir, ce n’est pas drôle. L’histoire, l’anthropologie, la succulente sociologie, la pute psychologie, la chiennerie philosophique, tout ce qui te fait baver dès le matin, Freud, le centralisme, la charge bancaire, la filiation, les petits mots et la petite carrière, la voisine, le voisin, ta mère, la grosse politique qui t’excite tant.

Suppose d’abord que tout cela n’existe pas, et après l’avoir supposé fais en sorte d’en être définitivement sûr, ce n’est pas bien compliqué.

Alors, homme, à quoi bon ?

Aussi, dépose les armes. Dans quelques instants, tu vas écrire la lettre de déconnexion de ta petite machine, à l’ONU, à la Présidence, à l’Institut de l’Homme Universel, à ta famille, fais-toi griot ou ferrailleur, spécialiste en recyclage et quincaillerie, on t’autorise même à pratiquer la littérature, ce n’est pas très grave, mais fais ceci : dis que tu veux bien céder ta place.

N’est-ce pas simple ?

Et pour l’instant d’après, il te suffira d’attendre un peu.

Cette pétition sera publiée à la rentrée dans Détruite enfance de Victor Martinez, aux éditions Zoème (Marseille).
Illustration extraite de Cédric Demangeot, Une inquiétude, Paris, Flammarion, 2012, pp. 398-399.

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