L’être est le zéro en tant qu’il est le vide, le vide où peut advenir l’espace sans ce que la langue suppose de l’être. À partir de cet endroit, de ce point zéro, nous pouvons envisager de bâtir une cabane, sans murs ni toit, telle une communauté négative.
La langue tâtonne contre les murs de la cabane, elle cherche le bruit de son sang jusqu’à s’y perdre — se perdre dans ce besoin irréfragable du non-être : ne plus être la langue qui dit ce qui est, voilà la terre où nous creuserons et les ciels et les souterrains pour y placer un désert, notre refuge.
Comme toute matière, pour faire cosmos, une cabane a besoin d’antimatière. Le non-être se tient face au réel comme la permanence d’une contingence, comme l’impermanence de ce qui y persiste malgré tout. En cela, la cabane flotte en nous davantage qu’elle ne va à notre devant, elle nous libère en nous jetant tout au-dedans de ce qui se refuse au monde.
Une cabane sans murs et sans toit ne cesse de s’effondrer et de se reconstruire : persistance de l’accident qui fait dévier le soi en lui-même. On ne construit pas une cabane, on la reconstruit toujours, pour mieux la détruire et la reconstruire encore, pour nous situer entièrement dans un geste dialectique de croissance.
Toute construction naît du souhait de vouer les potentialités de ce qui institue la réalité à leurs effritements futurs.
Nous construisons une cabane à partir des ruines de ce que la société nous dit être, pour espérer que les ruines deviennent une contamination de ce qui renonce à la langue des scléroses. Nous construisons une potentialité des ruines à partir des ruines — ainsi disparaissent les ruines en leur totalisation.
La métaphysique est une stratégie du vide. On cherche à inhabiter le dehors, à faire du dedans un désert inhabitable, à se situer dans une chute sans fin, mais dans une chute qui dévie d’elle-même — la cabane, ce petit clinamen du dedans.
La fonction d’habiter le monde est une réduction du réel opérée par la logique de préservation pour opacifier ce qui excède le monde. Avec notre cabane, nous renonçons au monde et choisissons l’immonde.
Aucun ouvrier n’étale du vide sur les surfaces de notre cabane, ou alors cette cabane n’est plus notre cabane, mais celle de l’ouvrier du vide.
Seuls nous étalons du vide sur les surfaces de notre cabane pour mieux entendre l’écho de l’horloge qui s’y arrête.
Une cabane au milieu des ruines comme une porte d’étoile, comme un trou noir : Rejoindre l’un sans l’être. Le non-être comme voie vers l’harmonie pure.
La catastrophe se situe dans la continuité du même, dans l’apparence causale de la différence qui ne fait que maintenir un même joug sur l’histoire, qui ne fait que produire de mêmes ruines, sans rien en attendre, sans rien y entendre.
Notre cabane a la forme sphérique du cube qui produit la sphère, telle la catastrophe nucléaire qui demeure un possible de la vie humaine s’échappant de sa propre définition — toute destruction demeure une production de destruction.
Angelus ruinosus. Les ruines s’amoncellent sur d’autres ruines dans l’indistinction de leur forme. Elles partagent une identité commune, indistincte, qui révèle la nature de la catastrophe. Leur accumulation jusqu’aux ciels obstrue l’horizon d’un devenir autre.
Fomenter dans la plasticité moderne une dialectique de la ruine et de l’avancée vers la ruine.
Une ruine est déjà une cabane qui fait fi de la létalité de l’advenir et tente malgré tout d’y faire ressurgir des spectres enfouis en ses gravats.
Les ruines n’existent que par le souvenir entretenant leur histoire. Ergo, seules les ruines des vainqueurs existent.
L’instant du danger correspond à l’instant où l’image du passé perd toute sa capacité imageante, à cet instant précis où elle ne sait plus faire espace.
Le progrès se développe dans le déni de la discontinuité qu’elle instille en son souhait d’homogénéité. Il y a là l’opportunité d’une brisure des temps, non comme un retour en des temps anciens, mais comme une traversée de l’amoncellement.
Tracer un plan avec du sable pour murmurer à tout vent un nihilisme du nihilisme : éviter le rien positif pour affirmer un néant négatif, celui qui fait place, plutôt qu’il occupe une place. Et planter dans le néant l’idée que nous ne sommes pas — et laisser au monde qui nous tient en joue l’idée de ce que nous ne sommes pas.
Le nihilisme peut se faire pessimisme révolutionnaire s’il désire secrètement la ruine pour espérer enfin s’en échapper. Toute discontinuité naît de l’idée de continuité.
L’acceptation du néant est une offrande à la plénitude qui vient.
Première brique pour ne pas construire un mur : le néant existe en tant qu’il n’existe pas en lui-même, mais ne cesse de s’engendrer.
Un labyrinthe a été construit à l’intérieur d’un centre commercial, et le Minotaure a été cloné en un troupeau de vaches à viande : ex nihilo nihil fit.
Le nihilisme est l’instrument politique de la destruction de toutes les hiérarchies qui imposent à l’humain une limitation de sa puissance, en le dressant dans la finitude de son existence — il faut entendre la polysémie politique du verbe dresser pour souhaiter un soulèvement qui prendrait la forme d’un effondrement.
Il ne s’agit pas de tenir un propos nihiliste, mais de se tenir tout au bord du nihilisme pour couler dans le vide une dalle de béton : on ajoute du vide au vide — rien n’est plus vide, plus fixe et plus vide, qu’un horizon vide du béton.
La résistance à la modernité se construit à partir d’une temporalité de l’acte manqué.
Nous souhaitons construire une cabane où nul ne pourra habiter. C’est un temple — infime — du vide.
Cibler la clef de voûte : l’acte passé justifie le déséquilibre à venir, puisque le présent tout entier s’efface dans une construction permanente du déséquilibre que représente l’avenir.
Commencer par abattre les édifices à l’intérieur de la langue, tout ce qui y dit l’être et le néant, pour que ne subsiste que ce qui ne dit pas, mais vit, que l’être est le néant.
Le non-être du non-être : ce qui se limite à une fixité de l’être, ce qui est et qui s’en contente avec autorité. L’être de l’être : puissance sombre qui tente de se déborder elle-même, mais qui sombre, indéfiniment. Le non-être de l’être : l’avers de ce qui se déploie dans la langue, une spatialité de l’empreinte négative de la fixité, comme la marque d’un pas qui trébuche dans la neige. L’être du non-être : la forme spectrale de notre cabane.
Le néant serait une technique éthique et politique qui découlerait d’une esthétique — celle-ci débuterait par la couleur de la chaux couvrant les ruines sur lesquelles nous construisons notre cabane.
La langue qui s’avale sauve l’être de devoir énoncer ce qu’il est. Elle s’absente à elle-même, elle s’absente dans une absence du son, quasi totale, puisque demeure le battement du cœur et de l’espace, dans ce seul interstice où grandit un écho inhumain, détaché de tout ce que l’humain peut y mettre. La langue devient une langue des fantômes, elle est au-delà de la langue de cendre, elle a déjà intériorisé la fin du monde pour offrir au vide une cabane : un langage négatif.
Le langage négatif fait du soi un portrait d’ombres, qui se perdent dans le mouvement spiralaire qui les emportent en elles-mêmes. Il ne s’agit plus de chercher la causalité de l’ombre, mais son effet sur le réel. L’ombre doit s’envisager à partir du miroir qui lui est tendu.
Construire une cabane n’est pas l’édification de quatre murs, mais la destruction des cloisons de l’espace. Sa construction débute par l’établissement d’une situation entre deux sphères concentriques : le ressouvenir de l’exosphère et de la lithosphère. Toute cabane est de ce fait l’illusion du cube : elle doit s’envisager seulement comme un cube représentant une orthogonalité d’un mouvement humain restreint à une corporéité humaine, orthogonalité pourtant continûment traversée par l’idée de sphère.
Construire une cabane ou construire un creusement dans l’espace. Creuser un espace dans l’espace, mais d’une autre espèce que l’espace qui s’impose à la vie, au social, à la vie sociale. Construire une cabane comme une résistance, y mettre du vide et des rhinocéros. Mâcher les ruines longuement. Y recracher une échappée — une échappée à la langue.
Excavation dans la norme : bâtir une sorte de terrier que l’on gratte dans la langue. On s’y enfonce avec la certitude d’y trouver de la lumière, si ce n’est la lumière le magma. C’est une tentative : celle de l’espace négatif, jusqu’à la terre devenue feu, liquide, à la manière de ce que dit la théologie négative, car cet espace se déroule au-dedans pour dire que l’on ne peut pas dire.
Se dérouler : à la fois advenir et revenir, pour que du vide s’entende l’écho d’une plénitude creusant son roulement infini — c’est seulement entre les atomes que se déroule leur collision. Le vide se fait ainsi espace négatif, et par conséquent espace premier, du surgissement.
Le geste qui construit une cabane déroule son langage autour du monde. Il ne cherche pas à dire la fixité de l’espace du dedans, mais affirme que le dedans enrobe le monde davantage qu’il ne s’y incorpore.
Nous habitons, sans arriver à nous déprendre, une cosmogonie centrée sur sa durée. Tout nous y enferme. Tendue prétendument depuis de quelconques origines qui se déroulent sans cesse vers leur fin. Depuis ce temps fini s’établit l’espace fini de nos façons d’exister et de faire monde tout autour. On abîme la spirale en son déroulement — voilà la grande méchanceté de la modernité.
Ne pas dire une cosmogonie nouvelle à partir des interstices d’une cabane vide.
Les effritements ténus de la langue provoquent l’étincelle d’une anticosmogonie : la mise en abyme des mondes jusqu’à leur dissolution — l’infini qui triomphe, à la fin, du fini.
Rechercher un espace négatif, c’est tenter de faire signe de l’infini dans le fini.
Ne pas construire une cabane comme l’on construit une prison. Construire une cabane comme on construit une poterne.
Depuis la poterne du monde, s’avancer au-dessus du vide et y entendre l’écho du soi.
Construire une cabane sans fenêtres ni porte, en espérant un écho que personne ne pourra dire entendre. La cabane doit se jouer de sa propre forme en adoptant la forme d’un cube parfait enfoncé dans une infinité de sphères qui le traversent.
La cabane, non pas comme un espace clos, mais comme un point de fuite pour la langue qui désire se défaire, qui cherche sa défaite. Le verbe se tend comme l’arc d’Héraclite : dialectique des dehors par le dedans des choses, vers la nécessité de l’échappée, mais entendre l’échappée, non comme une fuite, mais comme un recouvrement.
La grande musique est une affaire de petite musique, comme l’écho d’un rocher qui tombe dans un puits. Elle résonne longuement entre les évidences pour les rassembler en leur négation. C’est par le silence qu’elle se déroule autour du bruit, comme c’est par le fait d’inhabiter le monde que l’on peut envisager d’habiter le soi.
La ville est paisible. L’écho d’un mur qui s’effondre. Musique des ruines pour musicalité du monde, par le crible de l’inconscience de sa situation. Le monde tombe en lui-même. Il cherche l’abîme, la mise en abyme : être-au-monde du monde dans le réel.
La cabane dessine une courbe dans l’espace, comme le négatif d’une clairière, celle d’une spatialité qui ne va pas, mais revient, harmonieuse, à l’évidence du vide qu’elle constitue.
Construire une cabane et abattre l’idée de ses murs. Le toit flotte en parallèle des ciels salis de satellites.
Une cabane au milieu des simulacres du flux — tout va à la stase dans un monde mû par la valeur unique de sa valeur d’échange. Contre le simulacre, en appeler aux virtualités du ver qui sait ronger le cuivre. S’avancer, et ne pas dire : pour sentir dans l’isolement de ce qui nous traverse les virtualités que nous peuplons.
Reflux plutôt que flux, pli et repli du monde, jusqu’à la déchirure du simulacre.
La logique de construction est le simulacre que nous plaçons sur notre langue pour nous faire accroire l’implacabilité de notre raison, sa verticalité triomphante. Que pourrions-nous faire du monde sinon ? Une drogue, tout au plus, vendue à bas prix à la périphérie de l’urbain.
Le béton retourne à la poussière : la cabane est faite de sable, un sable constitué des gravats de la langue qui édicte.
La cabane demeure la forme première pour inhabiter la langue ordinaire des choses. La voilà comme le cristal qui catalyse le vide, toujours mouvement qui transporte, ramène ce qui est à ce qui n’est pas — mais tout ceci, à partir de l’ordinaire, de cet ordinaire moderne qui obstrue.
Débuter la construction de la cabane : jeter du sel en son endroit. S’en aller en parallèle des souterrains et des ciels. Abandonner l’idée de construire des murs pour rejoindre l’idée de détruire l’idée de mur. Ne rien chercher d’autre. Telle est la cabane négative qui ouvre le soi à la traversée des ruines du monde.
Il faut détruire le monde en ouvrant très grand la bouche et en la refermant d’un coup sec, sans laisser entendre aucun son, mais, à partir de ce silence, du silence d’une déchirure, en laissant sinuer l’ombre d’un écho, telle la graine contingente de toutes les destructions.
Un immeuble qui s’effondre ne fait pas de bruit au-dedans de l’être qui porte déjà en lui le désert.
Le monde est pris dans le béton comme le moustique dans l’ambre, là où le flux de la marchandise forme la sclérose du réel.
Une cabane n’est pas un enclos, mais un désert qui ronge les appartements, les propriétés d’appartements, la propriété qui enclôt les propriétés d’appartements.
Il s’agit de briser l’humain pour le dissoudre dans l’idée que l’on se fait d’un humain sans espace, enfermé — sans but — dans une téléologie des ruines.
Détruire le monde, mais à partir de nous-mêmes. Y libérer le néant. Détruire cette situation qui nous permet de dire qu’une chose, qu’un monde, que le réel tout entier se déploie à partir de nous-mêmes. Nous devons exécuter ce sujet qui nous restreint en des balbutiements centripètes. Nous devons devenir les sujets du rien — assujettis au rien, et à rien d’autre. Et, en retour, ne plus rien accepter, si ce n’est la table rase dont le vide libère de ses contraintes l’être auquel nous participons : un être négatif. Nous devons faire émerger l’être du non-être — et ne pas le dire, le laisser ne pas dire, et devenir avec lui.
Jeter de l’acide sur la notion de temps, sur tout ce qui se déploie à partir d’elle, jusqu’à nos existences qui connaissent des matins et des fins, car le temps cloisonne l’espace et fige l’évidence du monde.
La continuité des temps constitue une religiosité du rapport à l’existence dans la compréhension linéaire de sa durée, tout comme une vision finaliste de l’histoire qui envisagerait une quelconque plénitude de son développement.
Le temps est une affaire de dialectique des temps, dont le renouvellement continuel est dû au regard renouvelé que le présent porte sur ce qui l’enserre. Le présent se renouvelle par le glissement spatial qui advient en son endroit. C’est en ce déplacement que peuvent se révéler les éclats d’une réalité sans monde, d’une transsubstantiation définitive de la ruine.
Faire revivre le passé permet d’y déceler ce qui existait en lui de présent, et aiguille sur la manière dont l’avenir peut séparer le temps de sa continuité du temps de sa révolution.
Le présent est un paradigme de l’impermanence qui refuse à toute présence ses résurgences.
Mépriser le mépris du monde comme geste premier d’anarchitecture du soi.
L’espace de la cabane doit recouvrer son vide, un vide vidé de l’idéalisme qui le ferait stagner en une fixité de l’absence. Nous devons nous recroqueviller jusque dans le creux de cet espace que nous tordons à l’intérieur même de l’idée du dedans, pour qu’il existe une fuite, un dedans dans le dedans, une possibilité de briser la coquille du monde. Ab ovo : détruire ce qui enclôt l’espace.
Un instant à inhabiter (y mettre tout le dedans que l’on retire au dehors des choses) : intensité atomique de notre situation allant jusqu’à la fissure des figements dans le dire-être.
Une cabane, c’est un cénotaphe du non-être.
Il faut détruire l’instant de notre situation, pour ne faire voir que l’instant brut, sans passé ni avenir, dans notre seule présence, telle une contingence dialectique avec le néant. Il n’existe rien d’autre que notre situation immédiate dans la structure spatio-temporelle qui porte la fragilité microscopique de nos agitations.
Une cabane n’est pas faite de murs, mais d’opalescence.
Ce que nous percevons comme temporalité est une topologie de notre enclos où s’accumulent des situations hors du soi, privées du soi.
L’esclave est le fruit d’une ontologie qui cimente la langue pour faire habiter l’esclave hors de lui-même.
L’esclave est privé de soi, il est l’existence située hors du soi, qui doit, par l’audace de cette situation jetant le soi hors de lui-même, être réduite au seul service du soi de l’autre — l’esclave est l’autre sans soi au service du soi de l’autre. Son existence s’institue dans l’impossibilité d’habiter son dedans.
La cabane du dedans dessine le plan d’une évasion.
La cabane ne vise pas à se séparer du monde, mais à dire que le monde repose sur l’empêchement de sa puissance. Son édification tente de destituer l’idée d’un monde fait d’opacité. La cabane n’est donc pas un espace de la dissociation, mais un espace qui cherche à imprimer en sa situation la totalité des situations qui prétendent le contenir — la totalité plus une : plus la situation qui ne s’envisage pas dans la langue, celle de son autodestruction.
La cabane occupe le vide pour opérer un renversement par le néant.
Il n’y a pas de différence entre le verre et le béton. Seul demeure le sable, la permanence de son mouvement.
La cabane se meut dans le vide. Elle est ouverte à tous les autres, à toutes les autres manières que le soi a de se représenter. L’autre n’est alors plus qu’une temporalité autre d’un même espace ouvert au mouvement négatif des choses.
Bâtir une fissure pour inhabiter notre manière de dire l’espace.
Une cabane est une bulle qui se construit sur le mouvement d’une sphère : tout y cherche l’explosion.
Il nous faut fissurer l’humain pour fissurer le monde, pour faire entrevoir son cœur atomique : le vide comme engendrement du plein.
On retire au monde pour faire de notre cabane l’idée d’une défaite, celle du soi, celle qui permet au soi de se défaire de lui-même.
Pourtant sans histoire, un joueur de bonneteau glisse invariablement sous l’une de ses trois coupelles la balle avec laquelle il sera un jour, sous cette légère bruine des prisons grises, exécuté par la police politique qui patrouille entre ses rêves. — L’anarchitecture de notre cabane doit ressembler à la fois à la coupelle du joueur de bonneteau et à la douille vide de la balle avec laquelle il sera exécuté un matin d’hiver, à l’aube.
Faire de notre cabane un cirque sans représentation : notre monde est une négation tenace du cirque, mais tout cirque, cette permanence spatiale du carnaval, demeure en ce monde la résistance d’un possible — l’émancipation de la politique.
Le monde est un ensemble cohérent de réalités, qui dialoguent par l’articulation collective, et inconsciente le plus souvent, qu’elles forment à partir du réel — c’est-à-dire de la physique qui devient —, mais spéculer à partir d’une réalité unique, et non du réel, revient inévitablement à pousser la langue dans ses retranchements : la réalité, quelque peu ennuyée, cherche alors l’extase en jouant à la roulette russe avec des balles à blanc.
Nous ne travaillerons jamais, ni à construire ni pour construire une cabane nôtre. — Le monde moderne est un monde qui ne supporte pas que d’autres mondes puissent y éclore. Il s’entend par la valeur du travail qui le meut, et il ne peut souffrir qu’un espace puisse lui échapper. La nature devient alors une simple spatialité de la ressource nécessaire à la croissance du travail. La nature n’est en cela qu’une virtualité de la progression de la modernité en l’espace, à savoir de la valorisation de ce qui est en ce qui peut être à. Le progrès moderne débute par une progression dans l’espace du règne de la valeur, qui se conçoit inversement à l’évidence d’une conquête de la culture sur la nature : la modernité naturalise sa culture. La modernité fait du travail individuel un état de nature — toute cabane du dedans n’existe plus dans la nature, ni dans son édification possible ni même dans le geste de sa destruction, il n’y a plus que des espaces identiques du dehors, espaces modernes à louer, à posséder.
L’histoire doit être l’histoire des vaincus, si elle souhaite renverser le temps homogène et vide qui sépare le présent, en tant que présence dans le vide, de sa plénitude.
Un arbre n’a que faire de composer une forêt, il participe en sa croissance aux circonstances harmonieuses de son environnement. Il est sujet avec son environnement, avant d’être un sujet individualisé en son environnement. Aucune cabane ne peut donc s’envisager à partir d’un arbre, mais uniquement à partir d’une forêt.
La cabane contre l’immeuble, le rêve contre la fantasmagorie, le non-lieu contre le lieu où le sujet se trouve rasséréné dans ses choix, aveugle de leur imposition. Le monde doit chercher sa fin dans le renoncement à la continuité homogène de son temps.
La cause de la ruine est une illusion de la logique qui n’arrive pas à entendre la plasticité spatiale de sa dimension temporelle. L’humain est causalement empêtré dans l’homogénéité de son temps, tout y est une permanence, sans cause, de la ruine ; il a su y mettre le vide sans la puissance du vide. — Une cabane ou un bâton de dynamite, cela revient au même.
Notre métaphysique des ruines est en soi problématique, puisqu’elle tente de se situer au-delà de la physique des ruines. Ce n’est pas tant qu’il n’existe pas d’au-delà à la ruine, c’est la notion même d’au-delà qui est à questionner jusqu’à sa moelle. Rien n’existe au-dehors de la situation qui permet ce mouvement d’effondrement des choses — de la stature du soi hors du soi, telle une chute du soi qui refuserait la géométrie de son dedans.
Le problème de la métaphysique est donc la métaphysique, comme le problème de la cabane est celui de sa porte d’entrée qui demeure invariablement une porte de sortie.
Une cabane comme l’infime dans l’infini : indissociable lien qui structure le réel par la disposition interactive de ce point de surgissement dans le réel.
Le temps d’une cabane est l’infime dans l’infini du temps du cosmos. Il exprime à la fois le rien de l’événement absorbé dans les tiraillements autoritaires du monde, telle une résistance fragile, mais qui, par sa présence, esquisse l’annihilation de tout ses dehors — l’événement cherche sa pureté. La cabane contient un dedans tel un tout qui peut advenir à partir du néant, et y resombrer : le néant devient le fil tendu de l’existence, contre l’idée de ligne droite, tel le fil qui s’enroule sur lui-même pour former la tension de la spirale — le funambule s’avance sur une forme spiralaire davantage que sur l’évidence rectiligne de sa destinée. Le présent, par la brisure spatio-temporelle de la cabane, se fait théâtre des présences à qui sait y découvrir cette fragilité de la brisure ordinaire, de la brisure de l’ordinaire, du langage ordinaire. La cabane se fait alors manière d’inhabiter le monde, d’inverser le verbe être en son silence, là où l’espace infinitésimal de l’instant dit la puissance infinie de ce qui peut advenir, mais préfère demeurer en deçà de son événement — dans sa pureté événementielle.
Un égale zéro puisque un plus un égale un.
Kosmokritik