Pas d’école ? Profitons-en pour apprendre

« L’école à la maison telle que nous venons de la vivre n’est pas une solution »

paru dans lundimatin#242, le 12 mai 2020

Aujourd’hui ou plutôt jeudi, ou plus sûrement lundi d’après ou celui encore d’après selon les établissements, les écoles et collèges doivent rouvrir leurs portes. Ce grand retour se fait sur la base du « volontariat », ce qui tombe plutôt bien puisque les consignes sanitaires n’autorisent pas plus de 15 élèves par classe ; le plus souvent les élèves n’auront cours qu’une semaine sur deux ou bien deux jours dans la semaine, quant aux professeurs, ils se dédoublent eux aussi entre cours présentiels et cours à distance. Ils sont par ailleurs tenus de respecter et faire respecter les 65 pages de protocoles d’hygiène afin d’éviter d’endosser la responsabilité de nouveaux foyers épidémiques.
Face à cette situation, de nombreuses familles disent ne pas vouloir renvoyer leurs progénitures en classe - ce que certains enseignants leur demandent d’ailleurs.

Partant du constat que « l’école à la maison telle que nous venons de la vivre n’est pas une solution » (notamment parce qu’elle limite « les échanges sociaux hors de la cellule familiale ») ce texte, écrit notamment par un professeur, propose une alternative : organiser collectivement l’école à la maison pour des petits groupes d’enfants. Cette proposition ne se veut pas une solution aux nombreux problèmes que va poser ce déconfinement scolaire, mais offre néanmoins quelques pistes expérimentales.

Pas d’école ? Profitons-en pour apprendre

Il parait que l’école va se déconfiner et bientôt reprendre ? Que cela va permettre à tous les parents de retrouver le chemin du travail pour sauver l’économie... Mais ce qui se profile, pour peu qu’on arrive à suivre les cafouillages du discours gouvernemental, c’est un concentré du pire de l’école. Comme d’autres l’ont déjà dit et le diront, les mesures sanitaires ne seront pas applicables pour faire classe, et si les écoles ouvrent, il s’agira de garderies appliquant des mesures coercitives, éminemment anxiogènes. Le meilleur de l’école, l’échange et le mélange social qui y existent encore, seront impossibles. Et on ne nous fera pas croire que deux mois de classe de plus vont permettre de régler inégalités sociales ou difficultés d’apprentissage.

Ce n’est donc pas la peine de compter sur l’école en ce retour de confinement ni pour apprendre, ni pour garder nos enfants à plein temps, ni pour leur assurer un accueil serein et détendu. Plutôt que de s’en plaindre, plutôt que d’attendre que l’État ne résolve l’équation impossible qu’il s’est lui-même posée : rouvrir une institution sociale en prônant la distanciation sociale, ne pourrait-on pas profiter de cette occasion unique pour expérimenter autre chose à côté de l’école ? L’école à la maison telle que nous venons de la vivre n’est pas une solution. Nous avons étendu les contraintes de l’école à la cellule familiale et supprimé les espaces hors du domicile qui permettent aux enfants et aux parents de respirer. Ce qui manque dans nos appartements confinés avec nos enfants, ce n’est pas l’école et les apprentissages, mais bien les échanges sociaux hors de la cellule familiale.

Une solution peut être imaginée pendant cette période particulière : se rassembler à plusieurs familles pour partager le temps de présence auprès d’un groupe d’enfants. Un intérêt très pragmatique en apparence, un parent pouvant animer en alternance un groupe de 5 ou 6 enfants pendant que les autres travaillent, paressent…, qui peut de plus s’avérer solidaire si ce groupe reproduit la diversité sociale de l’école. Mais cela va bien au-delà. Pas besoin dans un premier temps d’être tous disponibles, il suffit d’un noyau de familles proposant à d’autres leur temps. Il n’est pas non plus nécessaire d’être expert dans une discipline scolaire, il suffit de désirer transmettre une passion, un savoir-faire ou même de découvrir un sujet qu’on ne connaît pas avec les enfants [1]
. Le contenu des apprentissages proposés n’est pas primordial, attachons-nous plutôt à suivre une organisation autogérée de la journée (apprentissages, sorties, repas…). Les enfants doivent pouvoir participer aux décisions qui concernent leurs apprentissages, en élaborant leurs propres propositions au sein du groupe. C’est le succès de cette première expérience qui attirera d’autres familles qui pensaient ne pas avoir envie, ne pas avoir de temps ou ne pas pouvoir transmettre de savoirs.

Si nous nous autorisons à vivre pleinement cette expérience maintenant, alors qu’une fenêtre s’ouvre, cela changera notre perception de l’école par la suite. Cela nous aidera à déconstruire la représentation du maître sachant qui seul peut délivrer un savoir, inaccessible sans lui. Nous réaliserons à quel point l’école décide des savoirs dignes d’être transmis, en excluant tous les autres, participant ainsi à la discrimination sociale. Les familles dont les aspirations sont trop éloignées de ces savoirs se retrouvent en effet exclues de l’école. Tant que la frontière entre les familles et l’école restera imperméable, on pourra réformer l’école autant que possible et recruter le plus d’enseignants possible, la reproduction des inégalités sociales restera la norme. Nous comprendrons que le savoir ne s’acquiert pas de manière linéaire, mais par de petits assemblages bricolés, et que les élèves ne sont pas des récipients que l’on remplit de connaissances graduellement avec l’âge. La diversité des approches des différentes personnes qui interviendront auprès des enfants fera la richesse et l’ouverture nécessaire à tout apprentissage. Nous prendrons conscience que les pédagogies qu’on nous propose à longueur d’ouvrages participent au contraire à resserrer le cadre autour du savoir. Il nous faut désapprendre ce qu’on nous dit depuis toujours : « On n’apprend qu’à l’école ». Nous apprendrons enfin que faire en commun de manière égalitaire, situation tellement rare aujourd’hui, est le moyen de s’émanciper, autant pour les adultes que pour les enfants.

Cette expérience nous permettra aussi d’éprouver l’influence de l’école sur nos façons de penser et sur toute notre société. L’influence de l’école est évidemment prédominante dans le champ du travail puisque qu’aucun emploi n’est accessible sans diplôme. C’est aussi l’école qui formate nos modes de pensées et qui nous rend incapables de prendre des décisions qui concernent notre société de manière autonome, sans se référer à des experts en telle ou telle discipline. Nous attendons toujours qu’un cadre et des contraintes nous soient donnés dans les choix les plus intimes de nos vies, l’actualité nous donnant un exemple frappant dans l’acceptation sans broncher de consignes infantilisantes, autoritaires et liberticides pendant la pandémie, conduisant entre autre à l’impossible réouverture des écoles. La boucle est bouclée !

Forts de ces expériences embryonnaires d’« école communaliste » [2]. nous pouvons imaginer que nous aborderons l’école de manière différente à la rentrée prochaine, et que nous serons capables d’aller faire des propositions concrètes de changements aux enseignants de nos enfants. La pandémie a réussi l’impensable dans les domaines en crise actuellement : en explosant en quelques semaines les règles qu’on croyait immuables de l’économie, en donnant un nouveau souffle à l’écologie, et décrédibilisant encore un peu plus nos modèles sacrés de Démocraties représentatives. Le gouvernement demande aujourd’hui aux enseignants d’inventer en quelques jours sous régime sanitaire une nouvelle Institution scolaire qui trie des enfants et les organise dans un cadre carcéral. A nous de proposer très vite une École qui déborde de ses cadres…

Véronique et Guillemin

[1Jacques Rancière, Le Maître ignorant, Fayard, Paris, 1987.

[2Voir les interviews et les ouvrages correspondants de Jérôme Baschet et Laurent Jeanpierre sur https://lundi.am/La-Commune-revient et https://lundi.am/La-Commune-revient-2-2.

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