PUNK anarchism

Éléments de PUNK philosophie
Miettes N°10

Jacques Fradin - paru dans lundimatin#295, le 6 juillet 2021

Le pouvoir corrompt. Le pouvoir stable, durable, « parfait », supposé apporter « l’harmonie », ce pouvoir fixé transforme la corruption en architecture, pour un despotisme établi.
« La véritable démocratie » ne peut se suffire de se déployer contre l’État, ne saurait se suffire d’être anarchie.
« La véritable démocratie », non seulement doit déconstruire l’État, mais doit déconstruire tout état, toute position de stabilité ou toute institution installée, se prétend-elle « la plus parfaite ».
La véritable démocratie » est l’an-archie, le combat permanent contre toutes les institutions supposées « les meilleures » et posées irrévocables, le combat permanent contre les utopies merveilleuses et supposées éternelles. Y compris « les institutions anarchistes ».
Le seul chemin, pour éviter la dégradation de tout rêve en cauchemar, est d’empêcher tout « arrêt », toute stabilité établie, toute fantasmagorie d’une harmonie réalisable.
Le militant de l’an-archie ou du PUNK anarchisme est celui qui s’engage, sans effroi, dans le mouvement de la destitution des institutions, mouvement qu’il faudra, sans cesse, recommencer, sans halte ni fin.
NO FUTURE : tout Empire harmonieux de mille ans, que l’on tenterait de réaliser, puis de stabiliser, engage sur un chemin de corruption ; tout Empire sera désastré.

Miettes 10

Lecture anti-humaniste à la Badiou
De l’événement qui (nous) échoit (et n’est pas choisi).
Attendre la révolution
Ou s’engager dans le flux continu de l’événement démultiplié, qui est toujours déconstruction.

Politique négative & Agir négatif.

Commençons par quelques rappels.
Si le schéma métaphysique est celui de l’ordre hiérarchique, avec son pouvoir absolu, SORTIR du métaphysique implique de poser l’absence de centre (de poser l’an-archie comme « fond défondé »).
On peut traduire : absence de centre, centre absent, le centre est ce Vide nommé Réel.
Mais il ne faut pas réifier ce Vide : le Vide Réel n’est pas une substance (ni, a fortiori, un espace ou une localisation : « une commune libérée » n’est pas Réelle, mais une construction réalisée, qui sera donc déconstruite).
Le Réel Vide est le vide des dynamiques ou l’ensemble des flux de décentrement ; le Réel est un mouvement permanent de déconstruction (alors que toute construction est de l’ordre des réalisations faillibles et donc impermanentes).
Le Réel ne peut pas être réifié, même sous la forme d’un « usage » (« l’usage du vide »), l’engagement dans le flux désastreux, est destructeur seulement).
Le Réel est irrécupérable. Et les soi-disant occasions manquées ou voies oubliées ne sont jamais en Réel ; ce sont des illusions imaginaires, comme tous « les programmes » qui forment des « fondements réalisés » ; ce sont de nouvelles illusions qui conduisent sûrement à la guerre (des illusions ou des évangiles).
Le seul engagement consiste à se mettre en lutte, à prendre parti dans l’antagonisme, et se placer dans le flux comme Officier du Chaos – en sachant que la guerre n’aura jamais de fin, mais que j’ai pris parti (en Réel ou pour la réalité) par « fidélité héroïque », « la dernière volonté ».
L’honneur de l’Officier est de mépriser le désespoir – tout en étant désespéré.
Ce qui signifie : penser réflexivement en dualité, porter « en-soi » le clivage.
La guerre est théorisée par la dualité.
L’engagement militant (dans la guerre) pose des principes, qui sont des éléments d’éthique politique : (1) il y aura toujours de l’ordre (despotique), (2) toujours l’ordre sera déconstruit (mais la reconstruction inévitable peut rendre le despotisme dictatorial), (3) la déconstruction ne se terminera jamais, (4) et POURTANT mon « honneur d’Officier » sera d’être et de continuer d’être un militant « fidèle » de la déconstruction infinie (ce qui, par là même, me rend « éternel », ou participant du combat éternel).

Le Réel n’est pas un espace : il décentre.
Le Réel n’est pas un fond(ement), ni une essence, ni une substance, ni une infrastructure, etc.
On peut le nommer « matière », d’un point de vue cosmologique ; ce qui oblige à repenser le thème de la matière (la matière n’est pas une substance : la matière n’est que le flux énergétique dissolvant, le rayonnement cosmique).
Mais d’un point de vue « éthique », ce Réel peut être nommé de diverses manières : Étranger (nom gnostique, étranger au monde), Exilé (Heimatlos, sans patrie ni frontières, sans terre), Prolétaire (mais prolétaire radical, hors du jeu économique), Infâme ou En Femme, terme de Foucault (le 5e élément !).
Mais c’est l’émeute, la révolte, la rébellion, l’insurrection et, parfois, rarement, la révolution, qui nomment le mieux le Réel.
Le Réel de l’insurrection est ce qui provoque l’antagonisme qui détruit tout (d’où la recherche effrénée de « la paix » par les forces de l’ordre, ou gardiens de la paix).
Encore une fois : le Réel ne constitue pas une « utopie », au sens vulgaire, ce n’est pas un lieu de cocagne (ce n’est pas un lieu).
Le flux énergétique dissolvant peut être vu comme le fourmillement souterrain des hérésies et des insurrections hérétiques (hérétique voulant dire qui porte la scission ou la décision, de ce qui tranche).
L’univers, le Réel « universel » de tous les mondes possibles ou réalisés, est un champ dynamique de guerre, caractérisé par le chaos.
Un autre nom possible du Réel est : dynamique chaotique.

Si l’on reprend le vocabulaire d’Agamben, on peut dire : l’histoire est composée an-archiquement ou historialement par les « deceiving signatures ».
Deception, deceiving, qui ne reste pas, infidèle, instable, historial, contingent, erratique, mensonger, un simulacre.
La « déception » (au sens anglais du mot) est l’équivalent de la destruction ; deception, dont le contraire est : inception ou construction.
Les « signatures » d’Agamben étant les « époques » de Schürmann : des constellations de sens, performées an-archiquement ou erratiquement ; ces constellations de sens qui se déplacent historialement et peuvent exploser, sont « déceptives », des simulacres réalisés (des abstractions réalisées).
Nous disons toujours que le monde est en « autonomie relative » pour indiquer le caractère essentiellement négatif du Réel de déconstruction (le monde étant « auto-constructif » ou « auto-constituant »).
Toujours pour décaler Agamben, on peut dire que le monde est « usage », et plutôt mésusage ou usure, de la matière énergie.
La dialectique coupée (sans synthèse) : force → récupération → destruction → rematérialisation (dialectique analogue à la dualité physique onde / corpuscule, avec ses dynamiques de transmutations), place la force (et donc l’antagonisme) à « l’origine énergétique » du monde.

Nous retrouvons le plus vieux problème, insoluble, de « l’éthique » : comme la force est constituante de la réalité (par captation énergétique ou esclavagiste, ou capture des « femmes », le cas échéant spirituelle ou « amoureuse » – voir l’analyse essentielle de « l’amour du despote », le charisme peu charitable, L’amour du censeur, Pierre Legendre), comme le monde est une centrale énergétique « formante » ou conformante, il est évident que le point de vue « éthique » (à la Lévinas) est IMPOTENT.
Ce qu’exprime au mieux Pascal ; mais qui est « connu » depuis toujours. L’illusion contemporaine « pacifiste », après deux gigantesques guerres, et en retrait des guerres permanentes qui se poursuivent, souterrainement (les luttes des classes ne sont pas mortes) ou à ciel ouvert (l’impérialisme américain déguisé en gendarmerie de la paix mondiale), cette illusion n’est qu’une illusion ou une berceuse (pour endormir « les derniers hommes fatigués »).
Depuis toujours la guerre règne.
Le Réel anté-forme, matière du monde, génère l’instabilité radicale de ce monde.
Si l’on veut, l’ordre politique est l’équivalent de l’atmosphère (avec l’oxygène oxydant) : un bouclier contre la dissolution énergétique (ou l’oxydation).

L’idée du fondement « imaginaire » qui doit être affirmé, par un affirmationnisme prophétique ou messianique, ce schéma est totalement métaphysique : c’est celui de la volonté, et, même, de la bonne volonté.
Volonté : construire à la force du poignet, rejoindre les jeux de force, rejoindre les stratégies (économiques ou pas).
Sans jamais s’interroger sur « la force » mise en jeu ; en confondant force et puissance ; et, donc, en étant incapable de voir (théoriquement) les cercles ou circuits de la souveraineté ; et, donc encore et finalement, en tombant dans les pièges de la vanité : tout est vanité, tout est simulacre.
Nous le disons depuis toujours : il faut éliminer le vouloir (comme la vie, l’élan vital) – sortir du métaphysique.
Mais cette élimination théorique anti-humaniste ne correspond pas (exactement) au « non vouloir » des Taoïstes ou des Bouddhistes.
L’élimination « volontaire » du vouloir (contradiction apophatique de la dernière volonté) n’est que l’expression du flux énergétique dissolvant.
Le non vouloir est un engagement en Réel.
Encore une fois, et comme partout, on ne met pas en cause la volonté ou la bonne volonté : MAIS on la déconstruit en indiquant que la volonté est de l’ordre du monde, et N’est PAS Réelle.
La volonté (réalisée), comme « l’amour », est instable et corruptible, détruite par le flux Réel historialisant.
Du reste la volonté a besoin « d’appareils », de prothèses ou d’exosquelettes, les églises, les partis, les sectes, toutes ces constructions plus ou moins durables (l’église étant un modèle fascinant de conspirationnisme, voir notre article Hold Up Reloaded, LM 265, 30 novembre 2020).
Mais la volonté n’est jamais Réelle.
Le Réel est le flux de la PASSIVITÉ RÉELLE.
Path, Pathos, pâtir, pâte, etc. Le chemin sans personne. Mais avec des militants du chaos.

Revenons à Saint Paul (et à Agamben & Badiou).
Et introduisons « la dialectique » de Saint Paul, telle qu’elle est rendue par Agamben & Badiou.
La dialectique paulienne (reconfigurée) est celle de « la grâce » et de « la loi ».
Avec les définitions : « la loi » qui génère les divisions, les mesures, les classements, les classes, bref l’ordre social (économique – de la mesure).
Et « la grâce » qui casse les divisions, les destitue.
Les divisions, qui font loi, diviser pour régner, sont aussi des divisions internes du sujet « sous la loi », ou du « sujet de la loi » : la loi qui divise, pour instaurer le pouvoir, est aussi ce qui clive le sujet ; le sujet de la loi est clivé par la division instituante.
Mais le clivage est, également, « en même temps », l’expression de la fracture par le Réel de la grâce. La grâce soutient et fragmente les divisions instaurées par la loi ; la grâce démultiplie les fragmentations, pour arriver au chaos historial erratique.
Et le pouvoir se « complaît » dans cette fragmentation de la fragmentation par la fragmentation : l’ordre par le chaos.
Les divisions clivages, démultipliés et évolutifs, ne recouvrent pas tout le sujet, le PAS TOUT ; il y a un reste, un résidu ; ce résidu est la manifestation, dans la réalité, de la poussée Réelle ; ce reste n’est que le flux continu de la puissance Réelle.
Le sujet sous la loi est également un sujet sous la fragmentation, soumis (la passivité Réelle) à l’aléatoire de « l’avie ».
Nous le savons, le Réel agit sans cesse : sa puissance de fragmentation n’est qu’en partie récupérable ou réalisable.
La puissance s’exerce dans le temps et détermine l’histoire (comme historial chaotique) ; la caractéristique de ce temps historialisé est l’incomplétude, la contingence, le hasard.
L’emprisonnement dans la réalité est toujours incomplet (le PAS TOUT du chaos). Mais cette incomplétude, fragmentation des fragmentations, chaos ajouté à du chaos, ne « dessine » pas (dessiner au sens du design) une voie « destinale » en futur ou utopique ; elle n’est qu’une « ouverture » dénuée de sens.
Ce qui reste n’est pas une volonté.
La fragmentation sans fin, du monde par le pouvoir ET poussée par le Réel désastreux, cette division démultipliée (qui autorise la calculabilité) « destitue la loi » en même temps qu’elle offre toujours plus d’énergie au renforcement de la loi.
Le monde, la société, la loi, l’ordre, est sans cesse « défondée » ; mais sans cesse se reconstitue par la division qui défonde.
Et c’est l’absence de fondement, ou la détermination en Réel de la destruction, qui dissout la loi, la rend « inopérative » (pour reprendre Agamben) et, par le même mouvement de fragmentation des fragmentations dissout toutes les identités, habituellement supposées fixes (imaginons un touriste retraité contemporain « rencontrant » un militant des ligues chrétiennes intégristes).
Mais la dissolution n’est pas l’expression d’une « vocation messianique ».
Comme le dit sans cesse Agamben, l’humain est « sans vocation », « désœuvré », l’essence de l’humain est d’être sans essence.
Il ne s’agit pas d’une vocation messianique mais d’une dynamique messianique ; ou d’un messianisme SANS messie ; la dynamique messianique n’étant que l’expression de « la désactivation » Réelle, ou de l’abolition de toute réalité, fixe ou naturelle.
Désactivation ou destitution de la loi signifie que l’ordre n’est pas naturel ; mais est pris dans une dynamique de « refondation » permanente ; la fondation doit sans cesse être refondée ; ce qui fixe une « esthéthique » de l’ordre, par exemple par le mensonge permanent (l’affirmation de la naturalité de l’ordre).
Encore une fois, la désactivation destitution n’est pas le résultat d’une volonté ou de l’efficace d’un sujet supposé efficient (l’agency mythique) ; mais n’est qu’un effet complexe de la déconstruction historiale par la puissance Réelle ; le sujet sous le flux est à la fois construit, conformé, ET déconstruit, désidentifié.
« Ce qui est » est sans cesse menacé par « ce qui n’est pas ».
La déconstruction peut se voir « positivement » comme une fragmentation démultipliée ; ou même comme la constitution d’une nouvelle identité clivée ; la constitution de nouvelles identités historiques (ou ethnologiques) étant illimitée.
Ainsi peut se construire une histoire des subjectivités, des peurs ou des odeurs, etc. Et pour ce qui nous concerne directement, peut se développer une histoire du passage de « la névrose » à « la psychose », comme histoire du tournant d’une époque à une autre, du tournant de l’époque d’une subsomption encore formelle à la subsomption complète de « l’usine universelle ».

Mais les mondes, ordres, lois, subjectivités dénaturalisées, désactivées, sont-elles « ouvertes à un nouvel usage » ?
Ce serait supposer une volonté à l’œuvre, alors qu’il n’est question que de dynamique de désœuvrement.
Peut-on imaginer une subjectivité (désidentifiée ou « ouverte ») qui ferait un « usage gratuit », un nouvel usage non utilitaire de « la liberté » ?
Cette imagination fantasme serait la transformation anthropomorphique d’un mouvement Réel, non naturel, d’abolition de tout naturel.
L’idée « d’usage » ou de « nouvel usage » ne peut que renvoyer au flux de l’impermanence, au changement historial ou an-archique, qui détermine tout « usage » (de manière involontaire, passive).
La grâce est le nom donné à la puissance de destruction, qui brise tout cosmos, qui destitue les places, les classes, les rangs, et désactive l’ordre.
Mais il ne peut être question de désactivation « sous la main » ou volontaire.
Si la grâce est le temps Réel de la destruction, le « messie », qui annonce la grâce de l’événement permanent ou de l’apocalypse sans cesse reprise, ce « messie » est « toujours déjà là ». Mais il ne peut jamais prendre apparence humaine : il restera étranger et l’Étranger.
Le temps messianique est le temps de la fracturation Réelle ; cette fracturation est permanente et s’opère « sans messie ».
La messianicité est sans messie ou non messianique.
Aux stratégies sans stratège, s’ajoute le messianique sans messie (pour lequel « le messie est toujours déjà là » ; mais qui l’écoutera ou l’entendra ou le verra ?).
Le militant PUNK est celui qui entend le messie sans parole (retour à notre texte sur la révolution Grothendieck : la mathématique, selon Grothendieck, doit donc « s’appréhender » comme « mystique », la parole du silence).
La grâce et sa gratuité, hors de toute économie ou de toute structuration, ne peuvent constituer ou reconstituer un pouvoir positif, « sous la main ». La grâce n’est que l’expression, anthropomorphisée, du flux désastreux qui « libère » (ouvre) en brisant cassant toute loi, sans rendre possible aucun autre ordre, sinon par la capture « disgracieuse ».
La grâce, le Réel, se retourne en loi, la réalité, comme toute révolution se réalise ; mais loi, réalisation, qui sera soumise à la contra-diction, à la destitution par la grâce.
Il est impossible d’empêcher la destitution ; mais la destitution ne génère pas « un nouvel usage », gratuit ou libre (tout « usage » étant de l’ordre d’une réalité, d’une volonté calculante).
« Le messianique » est la tension Réel / réalisé, grâce à laquelle on peut annoncer « la fin de toute fin ». Le messianique s’inscrit donc dans la répétition cyclique. Non pas suspendu, mais sans cesse repris, sans cesse déplacé : il y a tant de « messianisme faible ».
Le messianique, sans messie ni annonce prophétique, est de l’ordre de la fuite sans fin.
La tension destructive en Réel (la grâce) n’est pas l’expression d’une subjectivation (ou d’un empowerment) ; c’est la subjectivation qui résulte de la puissance Réelle et est, ainsi, sans cesse déplacée.

Le Paul d’Agamben, déplacé, est un nom pour la déconstruction du pouvoir étatique (ou statique). Cette déconstruction, par effet de la grâce déconstructive, peut s’exprimer comme une formulation du reste (Le temps qui reste, un commentaire de l’Épître aux Romains, tel est le titre de l’ouvrage d’Agamben sur Paul, ouvrage écrit en réponse à celui de Badiou sur Paul, l’invention de l’universalisme), une formulation du « pas tout » ; mais cette expression n’est qu’une manière de dire que la puissance Réelle est inaliénable, et qu’elle agira sans cesse. Ce reste (ce qui reste) est une formule du « ne pas » du Réel qui abolit tout ordre.
Aussitôt détruit, aussitôt reconstruit ; et vice versa. L’ordre est auto-reproductif. Mais autonomie apparente (ou relative) puisque l’ordre sera toujours fracturé, au chaos.
L’action de (la) grâce est an-archique. Mais elle ne laisse jamais sans loi ; la loi se reconstituant sans cesse.
L’idée « sabbathique », à la Agamben, selon laquelle la loi est « ouverte » à l’usage et au jeu, est beaucoup trop volontariste ou humaniste. Elle « oublie » la dynamique de la dualité ; elle oublie que la grâce n’est pas humaine, mais Réelle (« divine » aurait dit Paul – mais nous avons assez parlé du « divin », dans les Miettes 9, par exemple).

On ne peut reprendre les thèses de Paul, Paul lu par Agamben, selon lesquelles la loi est maintenue mais désactivée (sous l’effet de la grâce), au sens d’ouverte pour une nouvelle subjectivation « messianique » (le pas de côté). Le rapport subjectif à la loi dénaturalisée serait changé par un « effort de volonté », ou par une militance bien intentionnée (tous termes que nous avons déconstruits). Mais ceci n’a de sens que sous le coup de l’événement, en Réel ; et en Réel, il n’est pas question ni de volonté ni d’intention.
Et encore une fois, il n’est pas question de condamner « la volonté » ou « les bonnes intentions » ; il est simplement question de voir qu’elles sont de l’ordre de la réalité et donc faillibles (et seront toujours désastrées). C’est l’effet de Vide, en Réel, la révolution comme coupure radicale, qui permet « le nouvel usage » ; nouvel usage qui sera toujours récupéré pour une reconstruction du pouvoir.
La loi, toute loi, toute construction, ne peut résister à la puissance désastreuse. Et ce que l’on nomme « liberté », faire le Vide, n’a rien de positif volontariste, mais n’est que l’expression de la dislocation Réelle. Dis-location, disparition de toute localisation, effet Réel.
L’humain n’est pas un être « capable » de ne pas être incorporé, inclus (c’est un être sociabilisable ou social).
Le désœuvrement, l’inopérativité, le sabbathisme, ne sont que des symptômes trop anthropomorphisés de la destitution permanente.
Il n’est pas question de « capacité », mais « d’occasion ».
Il n’y a pas de projet humain définitif (et ceci est « la bonne nouvelle ») : c’est cette absence qui autorise tout projet ; mais il ne s’agit pas de capacité subjective ou volontariste ; la fidélité à l’événement suppose l’événement ; et cette fidélité est aussi source d’infidélité.

Comment repenser « le temps messianique », où rien n’a changé, SAUF la perception subjective, qui est modifiée en Réel par l’évidement (par le Vide), la dénaturalisation ?
Il faut toujours introduire la mouvement dynamique historial : la perception subjective ne peut être modifiée que si l’ordre réalisé, lui-même, est modifié, ou fracassé par l’effet du Vide (de la vidange de la loi).
La perception subjective n’est pas modifiée par « un acte de foi ». Cette perception subjective (qui est de l’ordre de la réalité comme l’intuition ou l’intention, etc.) est beaucoup plus « établie » ou conformée (consommée) par l’ordre et les habitudes ; « l’acte de foi » exige « l’événémentialité » ; seul un événement (en Réel) peut produire de « la conversion » ; conversion qui est toujours une déconstruction (de soi et du monde) ; et nous le savons, le répétons, cette conversion est convertible.
L’ordre étant déstructuré en permanence, s’ouvre sans cesse « la possibilité » du changement – comme celui de Paul ou de Badiou, « saisis par la grâce ».
L’adaptation, la résilience, le réalisme, définissent les limites (la canalisation) de « l’espace messianique ». Limites hétéronomes et non pas autonomes.
Si l’on veut, le messianique est faible (Benjamin), très faible, très très faible.
Si l’on définit le messianique comme le changement subjectif « non héroïque », qui ne serait pas celui rendu nécessaire par l’engagement dans la guerre (l’office du chaos), alors ce changement « subjectif » sera soumis à la déconstruction, n’étant que l’effet du mouvement qui ne connaît pas de repos ou de stabilité.
Comme Derrida affirme que « la justice est la déconstruction », l’effet désastreux du Réel, et que, donc, la déconstruction n’est pas déconstructible, on peut dire : seul l’Office du Chaos est indéconstructible (le Réel est inaliénable). Les positions messianiques, fortes ou faibles, sont toutes déconstructibles.
Pour être un « appel » de justice (comme on dit « appel d’air ») la fonction messianique ne peut être que négative : annoncer le chaos, annoncer le désastre inévitable – sans peut-être « convertir » qui que ce soit (comme Zarathoustra descendant de sa montagne).
Le messianique ne peut être rien d’autre que « l’annonce » (ou l’énoncé) qu’il n’existe pas de nature humaine : l’énoncé de l’absolu de la contingence.
Le messianique est lié au clivage. Et donc à la mélancolie, au deuil. Le messianique ne peut être qu’un nom pour la lutte de soi contre soi.
L’inclusion réalisée n’est pas cessée par une promesse ou un appel, par une subjectivité extérieure. Elle est toujours déjà cassée ; et aussi cassée de l’intérieur (le clivage). Le messianique n’est pas une annonce, mais l’effet du mouvement désubstructurant qui casse l’individu et rend aléatoire l’effet messianique.

Jacques Fradin Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l'évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme.
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