La fiche technique indique qu’il provient d’une « idée originale » de Jean Chichizola et Christophe Cornevin, deux journalistes du Figaro. Ils ont l’air d’écrire beaucoup ensemble, sur l’influence des frères musulmans en France ou les initiatives des islamistes sur les réseaux sociaux pour forcer les hommes à forcer les femmes à porter le voile. Des articles sourcés à ne pas manquer. Quant aux réalisateurs, outre Jean et Christophe bien sûr, il y a Stéphane Rybojad, qui a réalisé plusieurs documentaires sur l’armée, et qui arbore fièrement une casquette « special forces » sur plusieurs photos. La 4e, Anna Roch, appartient à la boîte de prod’ Memento production, et a réalisé d’autres documentaires, notamment dans le cadre de l’émission « Opérations spéciales ». Des journalistes de droite et des documentaristes qui aiment couvrir les forces de l’ordre. On sent qu’on va beaucoup aimer. Bon, en tant que citoyen vigilant éthique, on précise d’emblée qu’on a squatté un compte Canal pour le mater. On nique Bolloré comme on peut.
Le documentaire commence tout de suite très fort : plusieurs anonymes de dos situés place de la Bastille (on présume), et une voix off : « En France, ils sont autour de nous. On les croise parfois. Ça peut être votre femme, votre voisin, une amie, un frère ». Putain ça c’est du teasing. La voix off poursuit : « et sans que personne ne le sache, ces hommes et ces femmes veillent à notre s-é-c-u-r-i-t-é ». Et là, il lâche la bombe : « ce sont en réalité les agents d’un des services les plus confidentiels de France. La Direction générale de la sécurité intérieure ». L’effet est total. Bon, perso, si un de mes frères était agent de la DGSI, cela m’étonnerait du genre énormément, et je me ferai du souci pour la Fronce. Quant à mes ami-es, j’en ai peut-être un-e ou deux qui portent des doudounes sans manche ou qui ont trajectoire de vie non-oblique, mais de là à ce qu’ils veillent à notre sécurité, tout de même. Poursuivons notre visionnage vigilant. Un gros « DGSI LA MAISON DU SECRET » s’affiche avec des messieurs armés qui avancent avec des boucliers ou qui écoutent au téléphone ou qui fouillent un appartement ou qui tapotent un ordinateur bref QUI SONT EN ACTION et là tout de suite on sait qu’on a à faire à de l’élite de l’élite (en plus avec la musique).
La voix off présente ensuite les trois grands thèmes d’action de la DGSI : « contre-terrorisme, contre-espionnage et protection des intérêts économiques de la France ». Et qui est dans la place pour nous présenter la Maison des Secrets ? LA MAMAN DES SECRETS, Céline Berthon, patronne de la DGSI depuis 2023, et anciennement directrice adjointe de la police nationale. Première femme à occuper de telles fonctions, s’il-vous-plaît. Donc on la voit bien posée dans son fauteuil, au milieu du Palais d’Iéna, le propos sûr et pas du tout lu sur un prompteur.
« 5000 agents ; 150 métiers différents » nous dit la voix off. Alors, « comment parler d’un service qui ne peut par essence rien révéler ? ». On voit le niveau de problématisation très élevé des documentaristes, mais rassurez-vous, ils ont trouvé comment faire : en présentant trois récits d’opérations rondement menées par la DGSI, le tout raconté par des agents de la DGSI eux-mêmes pardi.
La première opération concerne de l’antiterro, bien sûr. Bertrand entre dans la place, responsable des enquêtes, filmé de dos, ce qui nous permet de voir qu’il porte un genre de catogan un peu grisonnant et un col roulé. On se dit qu’un catogan, c’est quand même peu commun. Donc soit il est très fort et il a changé de style en se laissant pousser les cheveux pour ce documentaire, soit il est très con parce qu’il va se faire reconnaître. Bertrand pose le cadre, avec les 1400 français qui ont rejoint l’État islamique au milieu des années 2010. Pénélope intervient aussi, pour expliquer que la période était chargée. On ne va pas entrer dans le détail, mais en gros, c’est un agent du service interministériel d’assistance technique (SIAT) qui apprend que des djihadistes cherchent des armes. Et donc toute l’opération consiste, pour cet agent, à se faire passer pour un marchand d’armes, et à échanger avec son interlocuteur de Daesh. Le documentaire est vachement bien fait faut dire, avec plein de reconstitutions, du barbu qui est au téléphone kalash en main en Syrie aux agents de la DGSI qui installent des caméras dans la forêt de Montmorency, sur la cache d’armes. Ils ont mis les gros moyens. Je vous passe les détails, mais en gros tout se passe bien, les terroristes sont arrêtés et poursuivis. C’est le moment où Emma arrive, commissaire de police à la DGSI, pour dire que « même dans le cas du terrorisme, les actions des agents sont soumises au cadre de la loi ». On est rassuré, l’état de droit est là. Elle nous dit même qu’il « existe un service judiciaire au sein de la DGSI pour transformer des faisceaux d’indice en preuves tangibles pour le parquet antiterroriste. Pour judiciariser les informations collectées ». On comprend alors que c’est Emma qui chapeaute les notes blanches.
On l’aura compris, cette affaire est présentée comme une opération réussie, une belle « aventure humaine » comme dit Frédéric. On pourrait s’attendre à avoir un peu de remise en question, un petit retour sur quelques ratés dans des opérations, mais on sent bien que ce n’est pas le style du documentaire. Non, là, on est plutôt dans l’affiche, avec Maman des secrets qui nous dit « depuis 2017, la DGSI a déjoué 52 projets d’action violente, et donc attentats ». BOUM. Là elle lâche le mic et elle sort, mais on a envie de la rattraper et de lui demander « dis-moi Céline ma divine, tu ne pourrais pas préciser un peu quand même les 52, il doit bien y avoir quelques subtilités, des gradations, c’est quand même pas 52 commandos à la kalash à chaque fois dis ? », mais non, on a pas le temps, parce qu’il y a tout de suite une TRANSITION VERS D’AUTRES MENACES.
Et oui, car la démocratie peut être mise en péril de partout, notamment du fait d’in-gé-rence. Céline revient nous expliquer ce qu’est une ingérence – vous l’aurez capté, c’est un peu celle qui cadre le docu à chaque fois que c’est chaud et que ça peut partir en yeuks. La scène qui suit est importante, et pour la comprendre au mieux, on va vous décrire, comme un bon citoyen vigilant, le propos et les images qui l’accompagnent, sinon vous passez à côté du message. Donc Céline, toujours bien posée, explique que « l’ingérence qui vise à influencer la politique d’un pays est quand deux pays [IMAGES D’UN HOMME NOIR VRAISEMBLABLEMENT EN AFRIQUE EN TRAIN DE BRANDIR UN DRAPEAU ‘‘Merci WAGNER’’] sont en conflit [SCÈNE DANS UN PAYS D’AFRIQUE AVEC LE DRAPEAU DU MALI (on pense) ET DE LA RUSSIE (on est sûr)], l’ingérence déployée par les services de renseignement adverses peut avoir pour vocation à essayer de déstabiliser l’ordre interne et à perturber l’ordre social dans notre pays [IMAGE DE GILETS JAUNES VENERS AHAHA ILS N’ONT PEUR DE RIEN] et nous devons le prendre en compte dans notre activité » [RETOUR SUR UNE IMAGE D’UNE ARTÈRE PARISIENNE VUE D’UN DRONE]. Ce documentaire est d’une intensité rare.
Bon, donc là, c’est la 2e opé’ qui commence, avec Bertrand qui raconte comment ils font du contre-espionnage, c’est très important, surtout à Paris, décrite comme une capitale idéale pour être ciblée par la Russie. Et il faut dire que les russes ils sont quand même super forts de café. L’objectif de ce contre-espionnage, c’est la « protection du patrimoine économique et scientifique des cyberattaques ». Pour cela, la DGSI fait des formations pour former des ingénieurs (des « auditeurs »), des cibles potentielles, à cette menace, à les détecter, à être v-i-g-i-l-a-n-t. Et c’est justement un auditeur de cette formation qui les prévient : lors d’un pot après une journée de travail, une connaissance ingénieure lui raconte qu’il a posté une annonce pour des cours de maths, et qu’un ingénieur tchèque le paye 500 balles de l’heure. C’est louche, tout cette oseille, alors il le signale à la DGSI (sympa le gars). La DGSI enquête, et en fait, le consultant tchèque n’est autre qu’un espion russe. Et il est très fort. Il fait des contre-filatures pour s’assurer de ne pas être suivis, mais comme le dit la voir off, « c’est sans compter la perspicacité des agents de la DGSI ». Et tout est reconstitué dans le documentaire, avec des acteurs qui font pendant très longtemps des filatures, des contre-filatures, qui installent des caméras, etc. Il y a aussi des acteurs de la DGSI en terrasse avec une pinte, un trentenaire à moustache, un autre avec un vélo de course vintage, il y en a même un qui fait du skate. C’est fou, ça peut vraiment être n’importe qui. Les gars de la DGSI finissent donc par le choper en plein rendez-vous dans un resto avec son prof de maths de luxe, et c’est sûrement la meilleure scène du docu’, puisque nos journalistes d’investigations hors pair ont pu diffuser la caméra cachée des agents quand ils abordent les deux loustiques. Ce que veut faire la DGSI, c’est une opération de « disruption » dans le jarguon, c’est-à-dire lui faire savoir que la DGSI connaît son « manège » depuis un an, pour qu’il arrête et rentre au pays. Donc les deux gars de la DGSI les abordent, ils interrompent le rdv des deux gars, qui sont attablés en terrasse avec un gros burger chacun, et leur demandent d’où ils se connaissent. L’ingénieur dit qu’il avait mis une annonce pour des cours de maths et de physique, et là un agent lui dit : « et vous êtes en cours là ? » AHAHA sacré Bertrand.
En parlant de prénoms d’agents, d’ailleurs, on tique un peu sur la liste jusqu’à présent : Wilfried, Cécile, Emmanuel, Pénélope, Thierry, Bertrand, Emma. Finalement, ils ne sont pas tant que ça les sœurs ou voisins de n’importe qui. C’est marrant, c’est pareil à la SDAT. Mais passons. Le plus important, c’est que le méchant russe est finalement expulsé vers la Russie, il y a même une reconstitution de son trajet jusqu’à l’aéroport.
Et là, qu’est-ce qu’il se passe à votre avis ? La prochaine scène ? MAMAN CECILE évidemment. Elle fait toujours des phrases super bien faites sur les différents types de menaces, et on en vient donc à la troisième opération-succès, elle a nommé : le contre-espionnage dans le monde académique et scientifique.
La voix off commence direct par « La France, 7e puissance économique mondiale a une capacité de recherche et d’innovation technologique très performante » (on est tenté de leur dire d’aller jeter un œil dans une fac pour voir les moyens financiers mais passons là encore). Donc après la menace russe, la menace chinoise sur les semi-conducteurs et autres ordinateurs quantiques. Un agent de la DGSI nous explique que « tous les moyens sont bons pour récupérer de la donnée ». D’ailleurs, à chaque fois, on a l’impression que la Fronce est une grosse vicos des espions étrangers ; la Fronce n’espionne pas, elle. Les services secrets fronçais, ils sont gentils, eux. Ils n’achètent pas des données aux vilains databrockers pour surveiller les fronçais.
On n’a pas précisé jusqu’à présent un truc important : très souvent dans le documentaire, entre des mots de Cécile et des reconstitutions, on voit une personne de dos, cagoulées, de noire vêtues, qui flotte parmi une foule, dans la rue, sur une artère, dans une gare. Et donc on ne sait pas trop ce que représente cette personne : est-ce une menace qui rôde, ou un agent qui surveille ?
Donc l’opé’ en question concerne un chef d’entreprise du sud qui a vendu des puces aux chinois, et menait une double vie : vie normale avec femme et enfant d’un côté, hôtels de luxe et maîtresse de l’autre. Habile. Sauf que la maîtresse revend des puces super secrète aux chinois, dans un resto de Belleville (N’Y ALLEZ PLUS). Là encore, reconstitution (le chef d’entreprise typique du sud est vraiment bien fait), arrestations, belle histoire. Parce que c’est important de faire attention à qui est-ce que l’on vend des puces super sécurisées. Comme le dit Bertrand, ça pourrait être vendu « à des pays sous embargo », ces systèmes se retrouvent alors « au cœur des champs de bataille ». Alors que nous, la Fronce, on ne fait « pas d’exportation vers des pays sous sanctions ». Non, non, non, la Fronce ne mange pas de ce pain-là, ni de ce pain-ci.
Et c’est déjà la fin. La voix off nous dit que « nous sommes rentrés dans une nouvelle ère, l’ère des guerres hybrides, où les règles ne sont plus respectées, et le droit international est bafoué. Les menaces contre notre nation, nos valeurs et notre patrimoine n’ont jamais été aussi élevées ; face à elles, les hommes et les femmes de la DGSI sont les derniers remparts ». Toujours ce discours de la Fronce grosse vicos des autres. Et on est un peu dans le doute aussi, parce que Nathalie Perrez elle, elle dit que c’est la SDAT le dernier rempart. Alors moi, en tant que citoyen, je ne sais plus qui sont mes policiers secrets préférés. Le dernier mot revient bien sûr à Céline, avec des mots qui font peur mais aussi avec de l’espoir. Et la musique de fin vient remettre un peu de peur. Faut pas regarder ce documentaire un dimanche soir, c’est un coup à attraper le blues. Mais heureusement, le générique est là, et il vaut son pesant de cacahuètes : en plus des trois « acteurs évocations » et des 23 « silhouettes » listées (gros docu, on vous l’a dit), il y a les remerciements : « Marie-Hélène R, Jacques R, Chantal A (...) » on les fait pas tous, il y en a moins une quinzaine, et bien sûr « à l’ensemble des personnels de la Direction Générale de la Sécurité Intérieure ». Au cas où on avait encore des doutes.
Bon, donc si on résume, on a un documentaire qui se compose de 40 % d’images qui sont soit des vidéos de com’ de la DGSI (en action), soit des scènes de filatures recoupées ; puis 20 % d’agents de dos qui témoignent ; 20 % de Céline la divine, les 10 % restants étant la cagoule au milieu de la foule. Pas de question-réponse, on ne voit jamais les journalistes, qui sont trop occupés à dérouler le tapis (Olivier Tesquet de Télérama le dit de façon polie : « un regard trop lisse sur les arcane du pouvoir »). Et si on prend le tableau général, on a un documentaire en 2024 sur la DGSE (« DGSE : la fabrique des agents secrets »), puis un bouquin sur la SDAT, « au cœur de l’antiterrorisme », et maintenant un docu sur la DGSI, avec à chaque fois la même recette : « jamais des agents secretos n’avaient osé parler » + des portes ouvertes par le service de renseignement en question. Alors, de quoi cette communication coordonnée est-elle le nom ? Un citoyen-vigilant dirait que c’est pour instiguer la peur. Mais c’est aussi pour rassurer sur l’action de la Fronce : dire aux citoyens gentils qu’on les protège des méchantes menaces, c’est montrer que la Fronce fait bien son travail. On irait même jusqu’à dire que c’est de la propagande. Mais on n’est pas aussi radical, car il y a tout de même un secret qui est dévoilé, et pas des moindres : le type de nœud utilisé par Bertrand pour son catogan.