On a maté les CRS

(voyons comment)

paru dans lundimatin#376, le 31 mars 2023

Comme à chaque période de contestation sociale et politique, le mépris de la police se propage et s’amplifie dans la population. Peut-on cependant se laisser aller à ses intuitions et sentiments viscéraux sans les examiner davantage ? Cet excellent texte nous propose une anatomie de ce personnage mystérieux, pittoresque mais parfois terrifiant : le CRS.

On a maté les CRS dans les trois sens du terme. Voyons comment. 

Dans un premier sens : les CRS ont été vus grâce à notre système de vidéosurveillance décentralisé qui s’appuie sur l’omniprésence des smartphones. Si la plupart des exactions policières restent invisibles, un échantillon suffisant est néanmoins prélevé puis diffusé en masse. 

Quand on mate les CRS, l’éventail d’actes répugnants surprend par sa diversité : testicule broyé à coup de bâton, hordes de police enragées matraquant des passantes ; ici, ils détruisent des terrasses de café et puis là, ils jettent un SDF à terre, le traitent de “sac à merde” et empêchent les bonnes âmes de le relever. Pensons encore à cette fameuse droite assénée gratuitement, avec une arme de catégorie D (gants de protection !). Horreurs qui n’en finissent pas : œil explosé, pouce arraché, visage pulvérisé… Bref, il suffit d’ouvrir une page web pour le constater : on a maté les CRS et vu de nos yeux le massacre des innocents en cours. 

Le deuxième sens intervient comme conséquence du premier : dans la mesure où les CRS sont ainsi vus dans leur nudité monstrueuse, on les mate à chacun de leurs coups et le roi se trouve mis en échec, sans issue possible. Quand on mate les CRS, on veut descendre dans la rue en masse. Tout décideur fonctionnel composerait avec cette fatale boucle de rétroaction positive : plus il y a de répression ostensible, plus la pression populaire augmente et plus la pression populaire augmente, plus il y a de répression ostensible. Le ba.-ba de la théorie des systèmes nous enseigne qu’il y a là un effet d’emballement, avec une amplification démentielle des phénomènes mis en jeu par le player

Dans le domaine écologique, de telles réactions provoquent des effondrements de populations. Sur le plan technique, vous aurez des court-circuits. En physique, vous causerez des explosions. Et en politique, vous irez droit vers la révolution. Ce dernier mot est d’ailleurs le titre du premier ouvrage de Macron, ce joueur invétéré dont la folie du chiffre se manifeste dès qu’elle se heurte au nombre. On a maté les CRS signifie donc que le roi se trouve de facto mis en échec dans chaque coup de son jeu : plus il agit, plus il se détruit. 

Le contexte général de cette petite mécanique s’explique par un troisième sens : les CRS sont des humains qu’on a matés en premier lieu. Ils portent sous leur casque la marque de l’avilissement total. Considérons un instant leur mode d’existence : au cours d’une année, ils matraqueront l’ensemble du spectre politique, y compris leurs congénères d’extrême droite. 

CRS :

Lundi, tu matraquais des zadistes, 
Mardi, tu flashballais des migrants, 
Mercredi, tu te faisais caillasser en cité, 
Jeudi, tu tabassais des footeux en famille et.. 
Vendredi, tu gazais des enfants à la Manif pour Tous… 
Samedi soir ? Tu détruisais des fêtards et leur matos… 
Tout cela avant de ne pas retrouver tes gosses qui ne veulent plus te voir… 
Et de recommencer ta semaine merdique sur une autre gamme.
Éternel retour de l’aliénation au quotidien. 
Quel travail ! 

On a maté les CRS au point de leur faire refouler la moindre affinité. Les CRS n’ont pas d’amis ; juste leur corps dont la devise est “Servir. “Servir” tout court. Certains diront qu’on ne précise pas à quoi ils servent car il s’agirait, disons, du “capital”. La vérité est plus terrible encore : les CRS servent à tout et à rien ; ils sont même à disposition de n’importe qui. La preuve en est leur mode de communication : par le passé, nombre de manifestants naïfs tentaient d’entrer en dialogue avec eux : en vain ! Le vide d’en face est total car avant d’être placés dans la rue, les CRS ont été matés afin d’obéir au moindre aboiement, point barre. 

Cette dernière assertion est vérifiable sur le terrain : placez-vous derrière eux et usez de l’impératif avec des ordres simples, proférés à haute voix : “Halte, les gars, avancez ! À gauche ! À droite ! On recule ! Halte !” Vous serez surpris de constater que les réactions sont alors excellentes, surtout si vous êtes dans le vif de l’action. Le CRS obéit à n’importe quoi et n’importe qui. Les gendarmes sont moins dociles à cause de leur hiérarchie plus forte et militaire. Les CRS et leurs dérivés consanguins de type Brav-M se pensent plutôt sur le mode de la meute de chiens errants mais vaguement dressés par le passé. 

C’est donc une erreur magistrale que de se prostrer, de paniquer, de crier, de regarder dans les yeux ou plus ridicule encore, d’engager un dialogue. Si un chien enragé vous menace, il faut garder une posture droite, sans être menaçante, tout en ayant les mains prêtes à se protéger les parties vitales. Si le danger se rapproche, proférez des ordres clairs et distincts sur un mode impératif. Évitez à tout prix l’indicatif ou pire, le conditionnel et le subjonctif. Le meilleur des chiens devient confus si vous commencez à lui faire des phrases. Par contre, il a été conditionné pour obéir à des mots simples du type “Halte !” ; ce qui donne les quelques secondes parfois nécessaires afin de se mettre à l’abri. Tirez parti des bons réflexes pavloviens incrustés dans ces débris d’humains. 

Le parallèle avec les canidés a néanmoins ses limites. Dans le cas du CRS, son dressage et ses conditions de détention nuisent in fine à une bonne obéissance. Nous tenons ici la cause de la boucle de rétroaction positive susmentionnée : l’humain initial a été broyé en miettes sur le plan psychosocial et il n’en reste plus grand chose en définitive, si bien qu’il propage son chaos autour de lui. 

À une époque, j’ai connu un CRS : il portait sur son corps les stigmates d’une blessure qui lui avait été infligée lors d’une de ses mobilisations. Pendant ses nombreuses et longues absences, sa copine le trompait à tout-va dans le quartier. J’ai mis plusieurs années à comprendre qu’il n’était pas un cas isolé : un tel cas de figure est la règle et non l’exception. Un ancien CRS, plus lucide puisque déserteur, résume ainsi la situation : “La majorité de mes collègues étaient divorcés et ne voyaient plus beaucoup leurs enfants.” Cette déclaration est corroborée par les statistiques : les CRS sont souvent quittés et méprisés par leurs familles. 

À cette solitude et ces humiliations externes, ajoutez maintenant les sévices internes que ce corps s’impose à lui-même afin de se mater. Les brimades par les chefs sont si nombreuses, intenses et avérées qu’une guillotine financière empêche les recrues de quitter leur calvaire, ce pendant des années : par exemple, ledit CRS déserteur aurait dû s’acquitter de 18 000 euros si au lieu de s’enfuir, il avait posé une démission officielle. Un tel fonctionnement ne se retrouve guère que dans les mafias opérant dans le trafic d’êtres humains… 

Mais ce n’est pas le pire : prenez l’usage du gaz CS. Celui-ci est interdit dans la guerre conventionnelle, grâce au traité sur les armes chimiques. Par contre, il y a une exception en ce qui concerne les populations civiles de chacun des États signataires : en conséquence, les CRS se trouvent gazés en permanence. Pas juste lors de leurs interventions, où le chef va parfois jusqu’à tomber dans les pommes parce que, ma foi, palper le sens du vent avec une paire de gants, c’est difficile… mais aussi et surtout lors des “entraînements” répétés. Non seulement les CRS s’y tapent dessus les uns les autres afin de s’endurcir : sachez qu’en prime, ils s’auto-nassent et s’auto-gazent jusqu’à s’effondrer sur place ! 

Pourquoi diable s’infligent-ils cela ? À cause d’une idée stupide qui plane autour des pratiques de combat, à savoir le schème de la pompe dévoyé : dans la mesure où un muscle se renforce par une sollicitation souvent pénible, on pense qu’il sera possible de s’endurcir grâce à n’importe quelle souffrance. Dans un sens oui : l’esprit s’endurcit au point de se scléroser. Néanmoins, en cas d’empoisonnement ou de coups répétés, le corps se dégrade : il n’y a aucune réaction cellulaire ou immunitaire intéressante. 

Qu’un CRS puisse partir en retraite à 52 ans ne relève pas d’un quelconque acquis social : il s’agit plutôt d’un âge de péremption au-delà duquel son salaire commence à devenir inutile. La mithridatisation avec le gaz CS relève du mythe : au bout d’un moment, ce poison atteint le système nerveux et n’y est probablement pas pour rien dans l’aspect à la fois robotique, cruel et valétudinaire des CRS. Ces Braves M***** ne se gazent pas quelques fois par an mais toute l’année, en continu, même quand les rues sont calmes, lors de leurs entraînements appelés “recyclages” par le gouvernement. Comment en sont-ils venus à se soumettre à ce type d’opération réservée aux déchets ? 

De façon troublante, il m’a été impossible de trouver le moindre chiffre sur l’espérance de vie des CRS et encore moins sur leur état de santé général. Un indice néanmoins : au Québec, les policiers consomment deux fois plus de médicaments que leurs autres concitoyens et ils meurent en moyenne à 66,8 ans contre 82 à 83 ans pour le reste de la population. Imaginez les surmortalités enterrées dans les statistiques du ministère de l’Intérieur ! En effet, les CRS français encourent bien plus de risques qu’un policier lambda du Québec… Dommage pour eux que leurs syndicats soient d’extrême droite. 

¯_(ツ)_/¯

Les CRS ont le seum parce que nous voulons partir en retraite à un âge où ils sont morts. 

Bref, on a maté les CRS et l’avenir est devant nous, tandis que le leur est compté. 

Ainsi sont-ils. 

Photos : Serge D’Ignazio

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