Occupation de l’Université de Grenoble

#RÉUNIRLESCONDITIONS
OBJECTIVES

paru dans lundimatin#144, le 1er mai 2018

Depuis plusieurs semaines, l’Université de Grenoble est bloquée et occupée. Les étudiants en lutte nous ont communiqué ces réflexions stratégiques quant à l’état du mouvement.

En bref pour ces deux derniers jours : hier, dernière journée de l’interruption universitaire, les jardins d’utopie (jardins, et lieu de vie, occupés au centre de la fac depuis le CPE) ont subi un incendie pour la 3e fois depuis 3 semaines (la méthode oriente tout les soupçons vers les fascistes). 80 agents de sécurité ont été embauchés (par Patrick Levy, président de l’UGA, Frontex tout ça) pour empêcher la reprise des blocages. En vain. Nous les avons nassé pendant plusieurs heures hier soir avec des poubelles. Ce matin c’était un peu plus sport, un blessé de notre côté, mais au final ils servent plus de barricade que de débloqueurs. Par contre la présidence qui se gargarise de jouer l’’apaisement’, nous à également envoyer la police pour débloquer le bâtiment de science à coup de matraques et de gaz lacrymo ce matin, et faire une arrestation au passage.

Et au moment ou j’écris ces lignes une nouvelle attaque des forces de polices tente de nous reprendre le bâtiment Stendhal, qui est le principal bâtiment bloqué sur le campus. Apaisement on vous dit.

[Pour suivre la situation sur place, vous pouvez suivre https://twitter.com/berurier_.

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Contrairement au discours médiatique et gouvernemental qui s’acharne, jour après jour, à circonscrire au maximum la mobilisation sur les campus et à en réduire la réalité, force est de constater qu’il se passe bien quelque chose de l’ordre d’un mouvement dans les facs de France. Les blocages s’étendent, les assemblées générales réunissent désormais des milliers de personnes. Du jamais vu depuis 2006 et l’opposition au CPE. Mais si nous voulons réellement gagner cette bataille, il nous faut désormais nous donner les moyens de devenir plus forts ensemble pour faire « perdre ses facultés » à Macron.

1. Un mouvement étudiant est invariablement l’expression d’une hétérogénéité politique, reflet de la population des campus. On y retrouve des syndicalistes, des réformistes, des révolutionnaires, des militants rompus aux luttes, mais aussi tout un ensemble d’individu.e.s qui découvrent pour la première fois des pratiques telles que les blocages, les occupations ou les assemblées.

1.1. Cet ensemble forme, dans sa pleine diversité et ses contradictions, une communauté de lutte.

2. La communauté de lutte se définit dans un premier temps, non pas par une vision du monde commune ou un projet de société partagé, mais par un refus ou une opposition. Refus d’une loi, d’une énième réforme des conditions d’étude ou d’accès à l’université, d’une injustice. Opposition aux mensonges du pouvoir ou à son arbitraire.

3. Cette définition par la négative dessine alors deux camps antagonistes : cette alliance hétéroclite unie par la volonté de lutter contre la loi ORE et l’avancée libérale d’un côté, qui s’oppose aux partisans de la loi, défenseurs de la politique du gouvernement, aux directions universitaires qui veulent appliquer la réforme et aux militants de l’ordre. Il n’y a rien de conciliable entre ces deux positions.

3.1. À Grenoble, les mensonges et menaces répétées de la présidence, depuis l’intervention policière lors du colloque sur Frontex jusqu’aux coups de pression répétés face aux blocages et à l’occupation du CLV, n’ont eu pour seul effet que de faire basculer de larges secteurs du personnel dans le camp de la mobilisation. Il n’y a pourtant aucune particularité locale là-dedans, à la vue de ce qui se passe ailleurs en France, de Montpellier à Tolbiac, où les présidences se sont clairement rangées aux côtés des bandes fascistes et des flics. Le premier geste salutaire du mouvement ne peut être que d’exiger clairement la démission de Patrick Lévy.

3.2. La position de la présidence trouve, évidemment, un bel écho et une complicité sordide dans les médias, locaux ou nationaux. Les fameuses « dégradations », l’action de « groupuscules » de « professionnels du désordre » ou l’action salvatrice de la police pour « libérer » les facs sont allégrement reprises et relayées par le Daubé et autres torchons. Cessons donc de nous mettre des œillères sur une prétendue neutralité médiatique et développons nos propres relais d’information. Personne ne doit parler à notre place.

3.3. Le camp des étudiants opposés au blocage réunit également un ensemble composite, allant des syndicats droitiers ou prétendument « apolitiques » qui mobilisent pourtant en faveur d’une reprise des cours et qui n’ont jamais levé le petit doigt pour s’opposer à la loi ORE, à des groupes d’extrême-droite qui se sentent pousser des ailes et n’hésitent pas à provoquer le coup de force comme le 22 mars à Montpellier, le 6 avril à Tolbiac, mais aussi à Lille ou Nantes. Les incendies ou tentatives d’incendies répétés des jardins d’Utopie sur le campus de Grenoble devraient nous inciter à la prudence et à ne pas voir cela comme un spectre lointain mais bien comme une menace présente qui nous fait face.

4. Si nous sommes fermement convaincus que la loi ORE, tout comme l’ensemble de la politique macronienne, est nocive, liberticide et profondément inégalitaire, nous n’avons donc rien à discuter avec ses partisans. Encore moins les moyens de notre lutte. Ce n’est pas à nos ennemis de décider pour nous de notre manière de combattre. Plutôt que de remettre à chaque fois entre les mains de n’importe qui la possibilité de décider le déblocage et la reprise du cours normal des choses, il serait préférable d’opter pour une Assemblée de lutte réunissant les personnes mobilisées qui décideraient seules des gestes de la contestation.

5. Macron a anticipé la suite du rapport de force en déclarant que « le prochain enjeu, c’est la tenue des examens ». La question des partiels cristallise effectivement toute une part des tensions entre étudiant.e.s. S’il est vrai que c’est un sujet problématique, force est d’admettre que si nous nous arrêtons là et laissons faire la bonne tenue des examens, l’effet sera forcément démobilisateur et la lutte s’arrêtera. D’autres universités, avec le soutien des enseignants, ont déjà pris la question à bras-le-corps, en proposant par exemple le 20/20 politique à Nanterre. À nous d’approfondir cette réflexion.

6. Si la mobilisation étudiante ne veut pas se faire circonscrire, et donc affaiblir, en se cantonnant à son action sur les campus, il nous faut alors nous inspirer des derniers mouvements pour en tirer des indications pratiques et stratégiques. Nous ne sommes jamais aussi forts et dangereux que lorsque nous devenons imprévisibles. Bien que la poursuite des blocages soit une condition essentielle pour libérer du temps et permettre à toutes et tous de participer à la lutte, il devient envisageable de faire connaître les raisons de notre combat dans le reste de la ville pour trouver des soutiens et des solidarités inattendues, et créer des alliances avec d’autres réalités sociales. De péages gratuits en opérations escargots sur la rocade, de diff’ de tracts dans d’autres quartiers aux manifestations sauvages et blocages routiers ou économiques, autant de pratiques déjà utilisées lors du mouvement contre le CPE ou pour les retraites en 2010 qui permettent de sortir de l’entre-soi de la fac et d’étendre la mobilisation.

7. Il nous faut trouver des gestes pratiques d’entraide avec les autres secteurs en lutte pour intensifier les rencontres et faire grandir notre détermination commune. Dans plusieurs villes les cheminots ont aidé aux blocage des facs. Inversement des soirées de soutiens à leur lutte ont été organisées dans plusieurs facs. Des cheminots aux sans-papiers, des étudiant.e.s aux personnels de santé, c’est ensemble que nous sommes attaqués, et c’est ensemble qu’il nous faut résister. Nous pourrions envisager des assemblées communes. L’occupation de la fac, dans cette optique, pourrait devenir le QG de la lutte.

8. Ces dernières semaines, nous avons assisté à un recours complètement disproportionné à la violence d’État pour empêcher les blocages ou les occupations, mais aussi lors de certaines manifestations. Le pouvoir se raidit et n’hésite pas à montrer les muscles pour faire taire toute contestation et empêcher que celle-ci ne se déploie plus largement. 

8.1. Si la violence de nos adversaires est en effet impressionnante et effrayante, il ne faut pas se laisser paralyser par la peur. C’est principalement là-dessus que compte le gouvernement pour nous faire taire et nous inciter à rester tranquilles. Il est donc indispensable de se donner les moyens de notre autodéfense, de se faire confiance et de se tenir ensemble pour cesser de subir les humiliations et les violences policières ou fascistes.

8.2. Il nous faut également savoir garder à l’esprit que les victoires ont toujours été arrachées par la coordination de pratiques de résistance, qui allaient de l’émeute aux blocages généralisés, de la contre-information à la possibilité de tenir ensemble des gens aux sensibilités diverses mais néanmoins convergentes. La ZAD de Notre-Dame-des-Landes nous en offre encore un exemple actuel et vivace. Quant au CPE, il n’a pas été retiré par des votes électroniques et des pétitions sur Facebook.

Macron essaye de mener toutes les batailles de front pour marquer son territoire. De la ZAD aux cheminots, des facs aux personnels de santé, ce n’est pas seulement d’orientations gouvernementales qu’il est question. C’est avant tout une idée de la vie qui avance comme un rouleau compresseur et qui dépasse de loin les simples identités de cheminot, d’étudiant, de soignant ou de zadiste. Une vie libérale, individuelle, guidée par la recherche du fric et de la compétitivité pour écraser les autres. Une vie triste, atomisée, loin de l’idée que nous nous faisons du bonheur et de la liberté. Une vision de la vie qui est donc un véritable projet de société et qu’il nous faut enrayer au plus vite sous peine de la voir envahir tous les recoins de nos existences.

Nous sommes là, au début de quelque chose, nous sentons bien que tout peut s’arrêter demain.
Reste à nous de trouver et d’intensifier les rencontres et les gestes nécessaires à la victoire.

Le ciel est notre seule limite.

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