Occire, occire et envahir

Leïla Chaïx

Leïla Chaix - paru dans lundimatin#454, le 2 décembre 2024

Il y a maintenant un an, nous avions publié (en vrai papier) Ok Chaos, le premier livre de Leïla Chaïx. D’ailleurs, notre amie Audrey Vernon vient d’en faire un très bon podcast. Bref, Leïla continue de tracer son chemin et prépare un livre aux excellentes éditions du Sabot qui s’intitulera sereinement Haïr le monde. Elle nous en a envoyé un bout, une sorte de teaser avant l’heure et pas de très bonne humeur.

l’Occident est un appartement
encore un petit peu luxueux
au-dessus d’un par-terre en flammes
et en-dessous d’un ciel sans yeux

on entend les détonations
on sent l’odeur du charnier
les victimes se filment elles-mêmes en train d’hurler

l’Occident est la devanture
d’une vieille banque barricadée
on se calfeutre et on s’embrouille
pour savoir par quel côté
la vengeance va nous arriver

Occident comme occire le monde
Occire occire en envahir
piller violer mentir partir, exterminer
on se rend compte de ça maintenant
l’Occident est un barbelé
c’est une frontière qui s’étend

on entend les détonations
on sent l’odeur du charnier
les victimes se filment elles-mêmes en train d’hurler

on sait que l’État est létal
on ne met plus de majuscule
État Emprise Technique Empire
on ne sait plus comment le dire

l’Occident est un accident
une machine à labourer
tuer, tailler, faire des parcelles
on regarde la nuit tomber
le monde béton

nos sommeils sont artificiels
la terre comme une pute maltraitée
le ciel nu, acheté, volé
devenu parc immobilier

*

on nous maintient la tête sous l’eau
dans un état épileptique et apeuré

l’État est un papa sadique
pris dans un délire narcissique, incestueux
déni pervers
technocratie automatique autoritaire
on ne sait plus comment le dire
on le décrit, il persévère : ça continue
on écrit de la science-fiction et il l’imite
ça le constitue

topinambour et dystopie
État Technique Emprise Empire
on ne sait plus comment le dire
tellement c’est pire
jamais jamais ça ne finit

il nous maintient
humiliations illuminées
dans un instant interminable
préoccupé et agité

on est transformé..es en soldats
en putes à clic
on zoom on zoom et on zoombie
venez déambuler un peu
dans le zoo des vieux selfies

nazi zombie état zombie
on réinvente des concepts
pour mourir plus intelligents
on ne sait plus parler aux gens

on se rend compte de ça maintenant
l’Occident est un accident
un appartement
on y reste cloîtré..es sous Covid
au-dessus d’une ruelle de sang
et en-dessous d’un ciel tout vide

*

Occire occire et envahir
l’Étal m’étale
BigState BigTech
poison qui tue et s’insinue
Assassin’s creed qui s’institue
Starbucks Starlink je n’en peux plus

j’habitais sur un lien clicable
un lieu pérave
inhabitable et haïssable
maintenant je m’éparpille en poudre
je fuis je fuis alors tu suis

on sait que l’État est létal
et que la technopolitique
on ne sait pas c’que ça veut dire
mais on le sait : on est produits

il nous ôte toute présence au monde
mais il nous host
alors on l’aime
même s’il nous ghost
il a l’air fair
il fait ce qu’on ne veut pas faire

on nous donne du divertissement, de la misère
on lit des articles sur la guerre
on nous dit allez, déléguez
ils disent vous nous avez élus
ils disent vous nous avez voulus
et nous même si l’on n’y croit plus
on a la flemme
on fait autre chose et puis on fuit

car ce monde n’a même plus besoin qu’on croie en lui

nos corps nous manquent, ils sont partis
déployés en millions d’parties
il y a des réactions chimiques
on se rend compte de ça maintenant

l’Occident est une réaction, un oxydant
ses frontières font encore écran
il est perdu
il est perdant
comme un vieux mâle blanc et sans dent
qui ne fait pas dans la dentelle
mais qui regarde (les yeux crevés)
sa femme maigrir sous sa tutelle

l’Occident est un accident
ignominieux
au-dessus d’un parking tout neuf
et en-dessous d’un ciel si vieux

*

j’habite dans un état anxieux
et virtuel paranoïaque
mon esprit devient vidéo
je voudrais redevenir humaine

des câbles me sortent par les trous
je cherche une prise, frénétiquement
le monde me hait
c’est réciproque
je ne peux pas m’y attacher
son emprise sur moi est toxique
je ne peux pas lui échapper

**

on entend les détonations
on sent l’odeur du charnier
les victimes se filment elles-mêmes en train d’hurler

**

l’Occident est un appartement
encore un petit peu luxueux
au-dessus d’un par-terre en flammes
et en-dessous d’un ciel sans Dieu

Léïla Chaix

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