Aux ami.e.s lapines et lapins

paru dans lundimatin#110, le 26 juin 2017

Nous avons reçu ce texte extrait du blog sans attendre.

– 1 –

Avec des ami.e.s on a voulu occuper la maison de la poésie de Paris et y organiser une soirée mousse. On a contacté des gens qui appréciaient les concepts et réalités de maison, de poésie, et même de Paris, pour faire ça joyeusement, mais ça n’a pas franchement pris. On peut même dire que ça n’a pas pris du tout. Peut-être ça n’a pas pris parce qu’on était pas assez « mousse », ou peut-être trop« maison », ou trop « poésie » ou peut-être « paris » on ne l’entendait pas de la même manière.

Moi,en fait : j’ai eu peur.

À la place de ça, on s’est déguisé en lapins roses et on a fait un mini pink block dans l’énorme cortège de tête du 14 juin – 2016.

Un cortège de tête – énorme, composé de 10000 personnes, à Paris, le 14 juin 2016 – c’est un cortège de tête où entre choses vues et entendues, toutes sortes de langues s’articulent sous les habits noirs et aussi de couleurs. On entend de l’italien, de l’allemand, de l’anglais, du français, et peut-être du russe ou du polonais, et du portugais, peut-être aussi du peul ou de l’arabe ou de mandarin, va savoir.

Je ne me suis pas déguisé en lapin rose. J’ai eu peur.

Celles et ceux qui pensent que le ridicule ne tue pas sont des chanceuses et chanceux qui ont trouvé les moyens de défaire deux ou trois mesquineries produisant ridicule et peur et tout et tout.

La chance : n’est pas le hasard.

Toute chance est une conséquence d’une succession de bons positionnements.

Bon : signifie qui convient.

Et le 14 juin 2016 la manif est énorme, en tout cas le cortège de tête est énorme et ce jour-là l’émeute va prendre et se répandre dans toute la ville et tout le pays.

C’est ce jour-là que ça déborde et que la ville prend feu et que l’émeute et l’insurrection et que le pouvoir vacille, chute, est défait, et que la fin d’un monde vieux et mort-mais-encore-là, adieu cadavre.

Je n’utilise jamais le mot « pourri ».

À chaque fois que j’entends le mot « pourri », j’entends l’énonciation d’un jugement – du haut, vers le bas. J’essaye d’éviter tout jugement du haut vers le bas et même du bas vers le haut et un jour je comprends que le problème n’est pas même le jugement – avoir de la jugeote, ce n’est pas con. Non, le problème c’est : le haut et le bas. Le problème c’est avoir un haut et un bas. Je crois d’abord cela. Mais non. Ce n’est pas même cela le problème, je le comprends ce jour-là : le problème n’est ni dans le bas ni dans le haut mais dans les rapports de hiérarchisation, dans les rapports structurant toute mise en relation du bas et du haut et des ni hauts et des ni bas et de tout et de tous et de toutes. Le problème, ce sont sont les rapports de valeurs et de notations et de classifications et d’évaluations et de comptages et de chiffrages. C’est ça le problème n’est-ce pas ?

Et.

Arrivés place des Invalides le 14 juin 2016 il y a des affrontements, des blessé.e.s, une dispersion, des contrôles policiers aux moments de quitter la place. Et c’est fini.

Pas d’émeute par toute la ville.

Pas de grand feu.

Et ça ne reprend pas. Jusqu’à maintenant, ça ne reprend pas.

Le parti socialiste, aussi mort qu’il soit, aussi à l’agonie qu’il soit en juin 2016, le parti socialiste et le gouvernement de Machin et le président de la république française avec un prénom et un nom qui font à la fois penser à la France et à la Hollande et la police de la république française et les gendarmes et tout ça : ils ont beau être un peu morts, ils font quand même ce qu’il faut pour que la possibilité de l’émeute et du grand feu, et les joies, débordantes, du printemps, ça ne reprenne pas, à la fin du mois d’août.

Ils font comment ?

Ils font avec leur jugeote à eux car ils en ont également une – eh oui – et entre autres choses ils comprennent que ce qui se trafique et se prépare pour accueillir de certaines manières ce que la bellealliance populaire – bap ! - organise sous le nom d’université d’été du parti socialiste, pourrait ressembler à un joli cortège de tête énorme à l’échelle de toute une ville – Nantes – , avec des languesde toutes sortes sous les habits noirs et aussi de couleurs et alors : possible que l’été et sa production de vacances traditionnelles n’ait pas pour conséquence la retombée du mouvement de joie débordante d’un printemps, qui souhaite durer.

La bap annule l’université d’été du parti socialiste.

Le mouvement de joie débordante d’un printemps qui souhaite durer se retrouve sous les arbres, fin août, mais sans ennemi présentement prêt à en découdre.

J’ai peur.

J’ai peur, je pleure.

Entre le mois d’août 2016 et le mois de mai 2017, j’ai peur et je pleure. Chaque matin. Tous les soirs.

L’ami Gilles me confirme que dans la philosophie de Baruch, il y a deux types de joie : une joie-passion, et une joie-action.

Dans la joie-passion, on connaît la joie mais on n’est que partiellement ou peu ou pas du tout responsable des causes qui ont produit le sentiment et les sensations de cette joie.

Plus on est responsable c’est-à-dire co-responsable des conditions qui produisent la joie, plus on est dans une joie-action.

Entre le mois d’août 2016 et le mois de mai 2017, je suis dans la peur et la tristesse et je pleure chaque matin et aussi le soir et parfois à midi trente.

Il n’y a qu’une seule forme de tristesse dans la philosophie de Baruch me dit l’ami Gilles.

Elle est conséquence du fait que l’on est peu ou pas responsable de, disons : la présente situation à laquelle on participe, plus ou moins, ou, pour le dire plus justement : on est responsable c’est-à-dire co-responsable d’une manière triste de vivre. On est responsable c’est-à-dire co-responsable de nos manières de vivre, qui sont alors inadéquates avec notre désir. On est responsable c’est-à-dire co-responsable de l’impuissance à vivre au mieux notre désir.

L’avantage d’être encore en vie réside entre autres choses dans le fait qu’il est possible d’actualiser notre compréhension de l’adéquate et donc de notre désir.

Selon Félix et Gilles, désirer n’est pas chercher ce qui manque. Désirer, c’est être vivant par les manières que nous avons d’agir.

Par ailleurs, actualiser est un acte pratique et non théorique.

– 2 –

Dans un Ouibus c’est-à-dire en pleine consommation d’une conséquence de la loi d’un mec aujourd’hui président de la république, Pépé la mort sait que ça ne va pas durer, ça ne peut pas durer, ça ne va pas pouvoir durer comme ça. Pépé la mort est mort, est super mort, a une boule de mort dans le ventre, dans la gorge et pourrait se branler des heures avec des heures de plainte. Il ne lui est utile en rien de ramener l’époque à sa personne : énoncer je suis un parfait représentant de la mort de l’époque ne sert à rien sinon à se foutre sur la gueule – ou sur quiconque – la misère de l’existentielle nullité de cette situation majoritaire de Pépé la mort. Il a peur à crever sans avoir connu, jamais libre, rien sinon la plainte, longue plainte, au secours, Pépé la mort pleure, il a peur, il est Pépé la mort.

Pépé la mort a peur, c’est la domination de quiconque par quiconque.

Pépé la mort a peur et l’émancipation du mâle n’a pas eu lieu.

Aide-moi, aide-moi, aide-moi, aide-moi, aide-moi, le désir c’est faire.

Au secours, viens m’aider, tout tétanise Pépé la mort, il dit aide-moi. Merci de ne pas lui répondre.

Il faut qu’il prenne une décision. N’a jamais pris de décision. Pépé la mort. C’est faux.

Avait jadis pris la décision de poursuivre une scolarité en passant par une école où son cœur et ses mains l’appelaient mais on a dit au petit mâle d’alors tu es intelligent de l’intelligence intellectuelle – il ne savait pas qu’il existait une intelligence du cœur – , il a dit, ok : ainsi a-t-il continué la scolarité de l’intelligence intellectuelle – baccalauréat : scientifique. Ainsi est-il devenu Pépé la mort.

– 3 –

Quand elles ont mis leurs costumes de lapin rose elles étaient tout contentes. Quand ils ont mis leurs costumes de lapin rose ils étaient tout contents. Moi j’avais des habits normaux et j’étais content avec elles, avec eux. On était ensemble. On a fait la manif ensemble. Notre petit groupe existait choupi c’était bon comme on était ensemble, pendant toute la manif, comment on faisait très attention, à chacune, chacun. Lacrymo. Charges. On est tous, là, toutes. On fait ça ensemble. C’est bon.

– 4 –

Ils s’organisent pour s’extraire du continuum conservateur.

Qu’est-ce qui fait que Pépé la mort ne parvient pas à s’en extraire.

Pépé la mort a besoin d’un chef, ou d’un héros. Pépé la mort veut être un chef. Ou un héros. Pépé la mort est parfois un chef. Il est très facile d’être un chef. Il suffit de donner des ordres. Dire : c’est cela que je veux car cela est bon pour moi. Faites ce que je veux. Faites cette chose qui est bonne pour moi. Faites-la pour moi. Souvent le chef dit : faisons-la tous ensemble pour notre bien commun. Pépé la mort sait faire cela et le fait parfois. Mais l’intelligence du cœur n’est pas toute morte en lui et Pépé la mort peut encore ouvrir son cœur et cesser d’être Pépé la mort.

Pépé la mort veut être un héros. Pour être un héros Pépé la mort doit être prêt à affronter l’ennemi.e, les ennemi.e.s. Être prêt à le faire. Et le faire. Quels sont les ennemi.e.s de Pépé la mort. Pépé la mort ne veut pas avoir d’ennemi.e.s. La mort est le seul ennemi de Pépé la mort pense Pépé la mort.

L’affirmation du chiffrage est une modalité de la mort. La négation des personnes humaines –réification – est une modalité de la mort. Le meurtre est une modalité de la mort. La destruction est-elle une modalité de la mort ?

– 5 –

J’ai voté Macron au deuxième tour des élections présidentielles organisées par l’actuelle administration de l’actuelle république française. Aujourd’hui, je me terre et me tais.

Les ennemi.e.s sont celles et ceux qui se vantent d’agir ou énonce tout type d’injonction d’action et n’agissent pas.

La situation politique présente est la suivante : il est impossible de ne pas agir.

Pour quiconque n’a pas voulu de Marine Le Pen au pouvoir et à permis à Macron d’y accéder, il est impossible de ne pas agir contre Macron au pouvoir. Sauf à considérer que Macron au pouvoir était l’objectif. Sauf à estimer que la méchanceté du système – c’est-à-dire la méchanceté des personnes humaines qui font tourner ce système qui n’est pas une abstraction – ne va pas croître avec Macron au pouvoir et que Macron au pouvoir va faire ce qu’il faut pour que nos vies soient meilleures. C’est ce qu’on demande à un chef. Que nos vies soient meilleures.

Que nos vies soient meilleures on croit pouvoir le demander à un chef en pensant que ce travail il le fera pour nous et qu’on sera dès lors allégés de ce travail à faire mais non. On sera léger, bien plus léger, si c’est nous-mêmes qui faisons le travail.

De toute façon, ce travail il ne le fera pas.

Pour quiconque n’a voulu ni de Marine Le Pen ni de Macron au pouvoir et quelque soit le passage par l’isoloir isolant et les urnes ou pas : il est nécessaire d’agir.

Quelles actions ?

Tu fais quoi ? Je fais quoi ? Nous faisons quoi aujourd’hui concrètement et réellement pour modifier la situation présente ?

As-tu sincèrement le moindre espoir dans un processus représentatif pour réaliser une émancipation commune ?

As-tu d’autres perspectives que la révolution pour mettre fin à la misère existentielle actuelle ?

Qu’appelles-tu révolution ?

Si tu penses que la révolution, l’émeute, l’insurrection, ne peuvent produire que violence et chaos et que dès lors tu ne choisis pas cette option, quelles autres options, autres que celle d’accompagner la misère existentielle et les ignominies régnantes, envisages-tu, envisagez-vous, envisageons-nous ?

Je n’ai pas d’autres options et je n’en choisis aucune autre et par défaut de choix j’accompagne la misère existentielle et les ignominies régnantes et par conséquent ce sont elles que je choisis. Je pleure.

Ce sont des larmes qui disent mon appartenance à l’une des classes moyennes. Call me Pépé la mort encore vivant.

Oui Madame. Oui Monsieur. J’ai voté Mélenchon que je n’aime pas puis Macron qui est un ennemi et j’appartiens à la classe moyenne avec valeur ajoutée culturelle+ + et je pleure

Ami.e.s – ou ennemi.e.s ? – des classes moyennes. Que décidons-nous de faire ? Choisissons-nous aujourd’hui le camp de quelque action ou attendons-nous plus d’ignominies partout et encore plus de tristesse en nous ? Faisons-nous aujourd’hui le choix de la mort fasciste – si le mot fasciste convient –et de son consentement – quelques formes qu’elle prenne, quelques formes qu’il prenne – ou bien faisons-nous le choix de la vie et de son débordement. J’ai peur.

Aux ami.e.s lapines et lapins en chacun.e de nous qui ont fait appel au barrage contre le fascisme – si le mot fascisme convient. Sauf à considérer que cet appel ne fut qu’une posture mais cela je ne peux le croire puisque nous sommes ami.e.s, il est temps si ce n’est déjà fait de passer à l’action. Allons.

Aux ami.e.s lapines et lapins en chacun de nous qui font barrage. Quotidiennement, réellement, fougueusement car amoureusement, avec toute la jeunesse qui : est notre vie même shabadabada.

Allons.

Personnellement, je n’imagine pas tuer une personne humaine. C’est d’abord une question émotionnelle, avant d’être une décision éthique. C’est ce que je pense aujourd’hui, tandis que je me souviens du jour, enfant, où je dis ok à l’intelligence intellectuelle contre l’intelligence du cœur. Ce jour-là, au moment où sans m’en rendre compte je deviens Pépé la mort, RTL diffuse une chanson de Chantal Goya.

Ce matin

un lapin

a tué un chasseur

c’était un lapin qui

c’était un lapin qui

Ce matin

un lapin

a tué un chasseur

c’était un lapin qui

avait un fusil.

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