Nous sommes tous des casseurs

paru dans lundimatin#55, le 4 avril 2016

Parce que, comme on peut le voir tagué sur un arrêt de tramway en face de l’université Lyon 2 : ’il devient urgent de tout niker’.

 Si le 31 mars marque l’avènement d’une nouvelle ère en matière de contestation de l’ordre établi, ce n’est pas tant par le nombre de personnes effectivement mobilisées (impressionnant partout en France) que par la détermination d’une part sans cesse croissante de ces dernières à refuser les formes classiques de la manifestation. Il faudra bien que nos maîtres et leurs chiens fassent leur deuil du gentil parcours balisé ’Manufacture/Bellecour’, ’Italie/Nation’ : il n’y aura, il n’y a déjà plus ni début ni fin, nous avons déjà fait savoir que nous pouvions donner un souffle nouveau au vieux mot d’ordre de la révolution permanente. Aujourd’hui et demain, ici et partout ailleurs, c’est la casse méthodique des institutions classiques -de la manifestation et du capitalisme tout ensemble- que nous avons entreprise, et ils n’ont encore rien vu. Comme l’a bien remarqué Lordon a Tolbiac, ’nous nous foutons de la loi El Khomri’, comme en vérité nous nous foutions déjà du CPE et de l’état d’urgence : il est au contraire heureux que les laquais interchangeables du capital, qu’ils soient du gouvernement, de la radio ou de la télévision, tiennent aussi piètrement et ostensiblement leur poste. Au vu et au su de tous s’étale une vérité que ni l’union sacrée minable des gentils-républicains-contre-les-terroristes et la propagande de guerre qui la soutient, ni l’effort pitoyable pour redorer le blason d’un état corrompu ne pourront jamais cacher sous le tapis : ces gens là sont des crétins - . Hollande, Valls, Sarkozy, Gattaz, les Crésus du MEDEF, les syndicats qu’on a pas vu dans la rue, les putes du commentariat, les vendus qui s’accaparent le droit, les managersqui aimeraient détenir la clé de nos esprits - et j’en passe... Des crétins, répétons-le, produits d’un monde dont plus personne ne veut, produits d’écoles que l’on fait à crédit et où l’on apprend à tout faire sauf à voir le monde tel qu’il est. Et en effet, c’est bien cet autre crédit, ce crédit que trop longtemps ils se sont cru acquis, que nous nous apprêtons à leur reprendre. 

 

 

 Et c’est là une vérité savoureuse et émancipatrice pour tout ceux qui avaient pris le pli, bien malgré eux, de courber l’échine devant la violence économique et symbolique d’une culture capitalophile dont les critères de sélection, de tri, de discrimination débiles commencent à reparaître tels qu’ils sont sous le jour de la critique populaire. Tels qu’ils sont, c’est-à-dire conçus pour nous rendre dociles et maintenir encore un peu la chape économique et intellectuelle qui pèse depuis des années sur les peuples d’Europe et qui tremble désormais. Le joyeux corollaire de cet effondrement civilisationnel des ’valeurs capitalistes’ est maintenant sous nos yeux : nous ne sommes plus sur la défensive, nous sommes passés et continuons une dynamique de révolution offensive. Et si des slogans comme ’Pastis trop cher, CRS en colère’ ’Pétain reviens, t’as oublié tes chiens’ ou ’ Tout le monde déteste la police’ semblent à leurs yeux n’être que des revendications négatives et dénuées de contenu effectif, c’est de toute évidence parce que le contenu effectif est à chercher ailleurs : nous ne revendiquons rien, et beaucoup plus à la fois, dans un langage qu’ils ne peuvent comprendre tant ils sont habitués à la manifestation-barbecue tranquille - à laquelle nous mêmes, un temps, nous sommes crus astreints. Nous ne voulons pas de ’meilleures conditions de travail’, nous sommes même plutôt certains de ne pas vouloir du tout de travail, du moins est-il devenu limpide que le dégoûtant monde de l’entreprise (que d’aucunes larves manageriales voudraient réenchanter pour faire de nous, comble de l’horreur, nos propres patrons) ne séduit plus personne - pas davantage qu’une demi-vie au RSA, quoi que ce dernier demeure pour l’instant une alternative plus ou moins viable pour échapper au monde de l’emploi. Les ’métiers’ de caissier, d’opérateur téléphonique, de serveur à McDo, de vendeur en grande surface, d’intérimaire chez Amazon (rajoutez le vôtre à la liste), n’ont jamais fait rêver personne - et personne, a fortiori, ne veut d’une vie sociale faite de bavardages entre collègues. Il n’est pas jusqu’aux ’métiers de l’enseignement’ et nos facultés décharnées qui ne soient pourris par l’assujettissement aux logiques de formatage au ’monde de l’entreprise’. L’entreprise, comme diraient certains phénoménologues ne fait pas monde, ou bien un monde invivable, à piétiner ASAP.

 

 

 Le dégoût des politiques sociales-libérales - et bien sûr, du libéralisme tout court qu’il cache maladroitement - est quoi qu’il en soit devenu le plus grand dénominateur commun de cette Europe à bout de souffle. Si l’on se demandait encore ce que recouvre ce ’nous’ que nous employons avec, ne le cachons pas, une certaine délectation, ce n’est pas ici un ’je’ auteurial qui se dissimule, mais bien le ’nous’ retrouvé de la rage trop longtemps contenue des feu dominés. Comme les camarades du Comité Invisiblel’écrivent si bien, ’nous’ sommes ’ceux pour qui la fin d’une civilisation n’est pas la fin du monde’. Ce ’nous’ là est amené à s’élargir tant son terreau est fertile, et ici il est difficile de ne pas penser à ceux qui, au premier chef, pâtissent de l’ordre établi - les périphéries urbaines déclassées, les banlieues pour les nommer par leur nom, auxquelles il faut tendre la main parce que leur rage vient de la même injustice, inégalement déclinée. Et il y en a, pour sûr, des lycéens prêts à foutre le feu, des chômeurs, des esclaves pour l’instant résignés mais qui sont nos alliés objectifs - aussi dangereux pour l’ennemi commun qu’il n’ont, comme nous, rien à perdre dans ce merdier qu’ils détestent. Qu’on ne vienne pas nous reprocher que nous incitons à la violence : c’est parfaitement vrai, et de surcroît parfaitement légitime. Il s’agit, littéralement, de casser le capitalisme, corps et âme, avec toutes les implications non-pacifistes qu’on voudra y voir. On dit de nous que nous sommes des casseurs et peut-être le terme n’est-il pas, réflexion faite, si inapproprié que ça. Le pacifisme du statu quo a fait son temps.

 

 

 En guise de conclusion - conclusion qui n’a de fait rien de conclusive - nous pouvons faire l’inventaire des motifs de satisfaction de la mobilisation du 31 mars. Les lycéens premièrement, qui se sont déplacés en masse pour bloquer facs et lycées avec une efficacité et un enthousiasme qui a forcé l’admiration des cégéto-communistes les plus endurcis. L’ampleur et la teneur des manifestations deuxièmement qui, on l’a dit, vont bien au delà de la simple revendication de retrait de la loi-travail. Il y avait de tout : jeunes, vieux, syndiqués, étudiants, travailleurs, noirs, arabes, blancs, femmes, hommes - de tout vous dis-je ! Enfin, la détermination de la foule à ne pas céder aux mots d’ordre de dispersion et à se regrouper sous la pluie des lacrymogènes ou/et organiser des nuits rouges - manifestation concrète et symptomatique de notre volonté de ne pas s’arrêter en si bon chemin. Reste à trouver de nouveaux moyens de mettre en échec les forces de l’ordre et de bloquer, autant que faire se peut (et faire nous pouvons) les engrenages rouillés de l’ordre établi.

Vadkerti Thomas

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