« Nous avons construit ce pays et nous allons le détruire par le feu, s’il le faut ! »

Retour sur les six premières nuits d’insurrection aux États-Unis

paru dans lundimatin#245, le 2 juin 2020

Voici six jours et six nuits que le monde regarde ébahi les Etats-Unis d’Amérique. Pour mieux comprendre le soulèvement en cours, nous nous sommes entretenus avec des manifestants et émeutiers de Minneapolis, Chicago, Atlanta et New York. Reportage.

Voici six jours que le monde regarde l’Amérique, depuis que George Floyd a été tué, le 25 mai, par l’officier de policier Derek Michael Chauvin devant trois de ses collègues. La photo de l’agent, son genou appuyé pendant 8 minutes sur le cou de sa victime a fait le tour de la planète. Elle a immédiatement provoqué la plus grande révolte qu’ont connu les Etats-Unis depuis plusieurs décennies. L’histoire a été racontée jusque dans les journaux français : George Floyd, Afro-Américain de 46 ans, a grandi au Texas, où il fut notamment footballeur (pour le Yates High School), basketteur et rappeur (produit par DJ Screw). Le champion NBA Stephen Jackson, un ami d’enfance, disait de lui après sa mort : « La seule différence entre moi et ce frère est que j’ai eu davantage d’opportunités que lui ». Il avait déménagé à Minneapolis il y a plusieurs années et travaillait dans un bar avant que l’épidémie de Covid-19 ne le pousse au chômage. Le 25 mai, il est arrêté à bord de sa voiture, garée sur le parking d’un magasin Cup Food, accusé d’avoir voulu y acheter des cigarettes avec un faux billet de 20 dollars.

Dès le lendemain du meurtre, les habitants de Minneapolis ont commencé à manifester pour réclamer notamment l’inculpation des 4 policiers impliqués dans l’arrestation (dont deux ont déjà été accusés par le passé de violences policières). Boudant les rassemblements militants, ils se regroupent spontanément, notamment autour du commissariat où travaillait Dereck Chaunvin, le « 3rd precinct ». C’est à partir d ici, avec l’attaque à coup de pierres du poste de police (qui sera plus tard incendié) que les manifestations vont s’étendre, et tourner à l’émeute. Comme nous le raconte l’un des participants à cette première journée de révolte :

Je ne suis pas certain que les gens d’ailleurs saisissent l’ampleur de ce qui s’est passé. Le premier jour, à Minneapolis, la foule s’étendait sur trois kilomètres de long, depuis l’emplacement du meurtre de George Floyd jusqu’au commissariat de police du troisième district. Les choses étaient incontrôlables dans toute la zone, même si les affrontements étaient concentrés autour du commissariat.

L’émeute va se poursuivre pendant plusieurs jours, malgré l’instauration d’un couvre-feu, le licenciement des 4 policiers impliqués, l’arrestation de Derek Chauvin, et la condamnation publique des violences policières par les responsables politiques locaux. Alors que la police a repris le contrôle du 3rd precinct, la foule se déplace 3 kilomètres plus loin, autour du commissariat du 5e. La pratique du pillage-incendie en voiture disperse dans un premier temps les forces de police (occupées à sécuriser les extinctions de feux). Tandis que les unités de maintien de l’ordre restent fixées sur leurs positions (notamment le commissariat) l’émeute se propage dans les deux villes jumelles.

« C’était une forme de « be-water » [la stratégie des manifestants de Hong-Kong, dont les vidéos-conseils d’extinction de lacrymogènes circulaient dans l’émeute de Minneapolis] mais avec pleins de voitures, de flingues et d’incendies criminels ».

Quelque 270 commerces vont être vandalisés voire brûlés pendant ces trois premiers jours de soulèvement.

Le mouvement BLM et l’extension des manifestations

La mort de George Floyd intervient dans une série, certainement continue depuis la naissance des Etats-Unis mais particulièrement mise en lumière ces dernières années, de meurtres policiers impliquant des victimes noires. Il faut remonter à 2013 pour voir l’émergence du hashtag #BlackLivesMatter à la suite de l’acquittement du « voisin vigilant » George Zimmerman, accusé d’avoir tué par balle le jeune Trayvon Martin. Le mouvement a gagné en ampleur lors de deux séries de manifestations dans les années qui ont suivi. D’abord après la mort de Michael Brown à Ferguson tué par un agent de police en août 2014. L’annonce de son décès avait entraîné plusieurs nuits d’émeutes dans le Missouri, puis l’acquittement du policier (en novembre) avait entraîné des manifestations dans plus d’une centaine de villes à travers les Etats-Unis. Notamment à New York où un autre homme noir avait été tué par un policier en juillet de la même année : Eric Garner était mort étouffé, après avoir prononcé 11 fois « I can’t breathe ».

La seconde grande vague de manifestations aura lieu en juillet 2016 après les meurtres d’Alton Sterling à Baton Rouge, et de Philando Castile dans la banlieue de Saint Paul (Minnesota). C’est après cette mobilisation (dans 88 villes des Etats-Unis) que des stars du sport américain relaieront le mot d’ordre Black Lives Matter, et notamment le quarterback Colin Kaepernick qui refusera pendant plusieurs matchs de rendre hommage à l’hymne américain.

On aurait pu penser qu’avec l’élection de Trump, le mouvement gagnerait en ampleur. Mais il n’a pourtant pas réussi depuis 4 ans à réitérer des mobilisations d’ampleurs équivalentes. Il a fallu un nouveau mort, mais aussi une situation épidémique. Les Etats-Unis sont le pays le plus touché par le coronavirus, et la communauté noire y est la plus fortement exposée du fait de sa plus grande précarité économique et de sa concentration dans les zones urbaines les plus denses ; 40 millions d’américains sont actuellement au chômage. Et plus que jamais, les flux de l’internet irriguent les esprits, ceux-là même qui ont diffusé à vitesse grand V la vidéo de la mort de Georges Floyd.

Car à la suite des émeutes de Minneapolis, la révolte s’est répandue à la plupart des grandes villes américaines, reproduisant localement et systématiquement les mêmes pratiques : manifestations de masse, dégradations de commerces, banques, tribunaux, incendies répétés de voitures de polices, pillages. À Atlanta, le siège de CNN a été pris d’assaut par la foule et les magasins Prada, Louis Vuitton & Cartier du luxueux Lenox Square Mall ont été pillés. A Philadelphie des voitures de police ont été vidées de leur contenu puis poussées sur les forces de l’ordre. A Santa Monica, des pillages toujours. A Boston, les manifestants défoncent les vitres des SUV de la police avant de sauter joyeusement sur le toit du véhicule, des pillages de centre commerciaux, encore. A New York, malgré les 30 000 policiers que compte la ville, des voitures du NYPD sont là encore incendiées. La nuit dernière, c’est la célèbre 5e avenue qui a été la cible des pillages.

Il est difficile d’expliquer comment la révolte s’est propagée aussi rapidement à travers le pays. Notre émeutier de Minneapolis se le demande encore :

C’est difficile pour moi de dire pourquoi on a atteint une telle intensité aussi dans d’autres villes. Parce que partout, tout le monde est excédé par la violence policière ? Parce que tout le monde veut à nouveau se retrouver parmi une foule de gens ? Parce que tout le monde regarde son téléphone et constate la facilité avec laquelle on a forcé la police à battre en retraite ? Est-ce aussi à cause des chiffres du chômage dû à la pandémie et de la précarité qui va avec ? Ça a sans doute compté.

Un mouvement naissant…

Près de 6 ans après l’immense manifestation contre les violences policières qui avait rassemblé un million de personnes à Manhattan, presque sans incidents, le mouvement qui vient de s’engager apparait donc d’une nature toute différente. C’est ce dont témoigne un participant aux marches de ces derniers jours. Dans une mégalopole qui mobilise au quotidien une armée de 30 000 policiers, la manière d’occuper la rue a brutalement changé. Et le contraste est saisissant avec les manifestations passées, quand, dit-il :

« La police nous confinait littéralement, en encerclant les cortèges et nous maintenant dans certains quartiers. Cette fois la différence vient du courage de la jeunesse et du niveau d’antagonisme qu’elle déploie vis-à-vis des forces de police. »

De plus, si des organisations politiques sont bien à l’origine de certaines manifestations elles ne se montrent pas capables d’orienter la colère et la mobilisation. Dans ce moment Black Lives Matter est moins efficace en tant qu’organisation qu’en tant que mot d’ordre, et s’il est un mouvement, force est de constater qu’il déborde de toutes parts. C’est ce que raconte notre ami new-yorkais :

« Je ne pensais pas que quelque chose comme ce qui arrive était réellement possible. Non pas qu’une vague de révolte contre les violences policière ne puisse advenir, mais que quelque chose de si puissant puisse émerger, de plus en temps de pandémie, c’est ahurissant. Cela montre aussi à quel point la « gauche » est faible mais comment les masses sont belles, intègres et puissantes quand elles se soulèvent. Une pensée qu’on a tendance à gommer de son imagination quand on habite à New York. »

Pour illustrer le schisme entre le militantisme, tel qu’il put être éprouvé ces dernières années, et ce qui se vit actuellement dans la rue, il nous fait part de cette anecdote. Lors d’une manifestation dans les rues de New York, des activistes reproduisent une forme d’action symbolique bien connue qui consiste à se positionner pacifiquement en face des forces de l’ordre afin de mettre en scène l’opposition à la police et la « supériorité morale des opprimés ». Un block plus loin, un groupe de jeunes manifestants, des adolescents, des punks, des jeunes noirs en grande partie, boivent, dansent et font la fête en écoutant les chansons du rappeur de Brooklyn Pop Smoke (tué au mois de février à Los Angeles). Pour notre interlocuteur new-yorkais, c’est là que se situe le coeur battant du soulèvement. Un vieux militant vient pourtant leur faire la morale, son mégaphone à la main, mais c’est peine perdu. On voit pourtant poindre dans ces différentes manières de se rapporter au mouvement de protestation, la brèche dans laquelle ne manquera pas de s’engouffrer le pouvoir local, comme il l’a déjà fait en 2014-2016 et qui consiste à opposer militants minoritaires mais « responsables » à la masse jeune et énergique qui impulse la révolte.

Pratiques

Les distinctions dans le mouvement ont moins à voir avec les « pratiques » qu’avec une certaine manière de vivre la révolte. D’ailleurs lors des premiers rassemblements à Minneapolis, on trouvait aussi bien des jeunes occupés à piller, que des personnes plus vieilles qui tout en ne prenant pas part aux saccages, restaient et continuaient de participer à leur manière et à leurs côtés. Qu’il n’y ait pas de contradiction entre le fait d’être absolument en rage, et de transformer l’émeute en une fête, c’est aussi, ce qui s’est vécu quelques jours plus tôt, bien loin de là, à Minneapolis :

« Émotionnellement, oui, le chagrin et la colère à des intensités rarement atteintes sont les moteurs principaux du soulèvement. Mais quand la police est repoussée et que les gens pillent sans vergogne ou construisent des barricades, il y a aussi une ambiance très joyeuse et festive. Je ne pense pas que ce soit une contradiction – les gens sont en colère contre ceux qui les oppressent, mais ils ressentent également, peut-être pour la première fois, la puissance d’agir de concert avec des milliers de semblables. »

Ce témoignage recoupe ce sentiment évoqué plus tôt que malgré la colère, malgré la violence, malgré le risque (plusieurs personnes sont déjà mortes dans ces émeutes, et plusieurs milliers ont été arrêtées), le soulèvement produit aussi une forme immorale de joie.
 

« Je n’oublierai jamais les personnes que j’ai rencontrées autour du grand feu de joie qu’était devenu le 3e commissariat ce jeudi soir à Minneapolis. Tout le monde souriait et se partageait des marchandises pillées, dansant et se reposant, profitant qu’il n’y ait plus un flic à l’horizon. S’il vous est jamais arrivé de lire Dhalgren, le roman de Samuel Delany, vous pouvez imaginer à quoi ça ressemblait. Des blocs entiers brûlaient tandis que les gens se servaient dans les restes des magasins pillés, tiraient à l’arme à feu et pointaient des lasers vers le ciel, rencontraient d’autres personnes, dansaient ; c’est l’amour à l’américaine. »

Enfin, si la violence a occupé une place inédite dans les premiers jours de cette mobilisation, on ne saurait résumer les pratiques du mouvement à d’un côté l’incendie et le pillage, de l’autre les groupes de nettoyage des rues saccagées.

« Bien sûr, dans les médias on ne parle que de la violence et de la vengeance et c’est une partie du mouvement. Mais il y a pleins d’exemples de pratiques qui dessinent un horizon "positif". Les gens montent des tentes de Mutual Aid, et redistribuent de la bouffe et de l’eau notamment issus des pillages. Aussi du lait, qui sert à éteindre les brûlures des lacrymogènes. Il y a des Medics dans toutes les manifs qui aident les personnes blessées. A Chicago des écoles ont été ouvertes pour abriter des gens poursuivis par la police, à Minneapolis des manifestants ont pris possession d’un hôtel pour y héberger 150 sans-abris. Tout ça se diffuse et les médias n’en parleront pas. »

Revendications, et horizons

Partout les manifestants dénoncent le racisme systémique des Etats-Unis et plus particulièrement de la police américaine. Habitués à ce que dans de pareils cas les coupables policiers soient protégés, ils réclament que ceux qui ont tué George Floyd soient arrêtés et condamnés. Ceci étant, après deux mandats d’Obama, et 8 ans de mobilisations portant le sceau de Black Lives Matter, est-il possible de croire encore à un arrêt des exactions policières à l’encontre des Afro-Américains, et la fin de l’impunité des forces de l’ordre ? Est-ce que cette absence d’horizon concret peut expliquer que la mobilisation ait tant pris la forme de la destruction pure et simple ? Suspecter que les jeunes émeutiers soient animés par un pur nihilisme voici qui fait sursauter ce manifestant de Chicago :

« Qui peut dire que ces jeunes sont nihilistes ? Peut être que leurs méthodes le sont, mais il suffit de les rencontrer pour savoir qu’ils ont la liberté dans leurs coeurs. Peut être qu’ils sont sans espoir ou issus d’une genre de génération « no future ». Bien sûr une révolution paraît impossible ici aux Etats-Unis. Mais je ne dirais jamais que ces jeunes qui brûlent tout sont « nihilistes ». Parce qu’ils sont notre seul espoir. Sans ces jeunes hommes et femmes qui rendent coup pour coup à la police on n’aurait jamais vu ce qu’on est en train de voir ! Sans ceux qui brûlent et qui pillent on serait nulle part. Oui, on doit faire attention à ce que ce mouvement n’entre pas dans une lutte symétrique et armée avec l’Etat, mais beaucoup en ont conscience. Les gens ici combattent les porcs fascistes depuis 500 ans, aussi il y a une profonde connaissance de la résistance en Amérique. Et je pense que dans des moments comme ça on voit comment les américains peuvent être intelligents et pleins de ressources. »

Reste alors en suspens la question de ce qui meut un mouvement qui fait face à un mur - incarné ici par Trump. Pour beaucoup, il est évident que la lutte contre le racisme est le principal moteur de la mobilisation et que cela la place au coeur de l’Histoire américaine.

« C’est comme la révolte de Nat turner, aujourd’hui. Aux Etats-Unis la révolution ne débutera pas à cause de l’austérité, ou pour la sécurité sociale pour tous, ou pour le communisme. Quand tu marches au milieu des immeubles en flammes, tu continues d’entendre les gens crier « 500 ans, 500 ans ! » [référence à l’esclavage]. C’est une révolte contre les dispositifs de « racialisation » [the apparatuses of racialization]. Donc l’horizon du mouvement va bien au delà de la demande de réformes et de justice. ET c’est quelque chose de notable car ça n’était pas présent dans les précédents mouvement Black lives Matter. Bien sûr beaucoup de gens demandent que les policiers soient poursuivis en justice pour meurtre, ce qui est une requête quasi impossible à obtenir. Mais tout le monde dans les rues continue de chanter le même refrain : "Burn it all down. Blow it all up". Plus personne n’attend quoi que ce soit des institutions. Quand les gens se révoltent ici ils se souviennent des 500 années de génocide et d’esclavage mais aussi de 500 ans de résistance. »

En effet, aux Etats-Unis, la question des inégalités raciales ne semble pas pouvoir être contenue par une volonté de réforme et de répartition plus égalitaire des richesses ou de la violence institutionnelle. Dans les rues de Minneapolis, dans la nuit du 27 au 28 mai, le vidéaste d’Unicorn Riot retransmet en direct devant 1,8 millions d’internautes des dizaines d’entretiens avec des émeutiers, filmés au milieu des bâtiments en flammes. Au milieu du live un jeune homme s’avance devant la caméra et expose dans le plus grand des calmes les raisons de sa présence au cœur de l’émeute :

« Tout ceci c’est pour mes ancestres, c’est pour tous les gens du Minnesota. C’est pour tous les gens qui se disent être américains et tiennent au pouvoir de s’exprimer librement. Si vous croyez vraiment à la liberté, vous ne pouvez qu’être en phase avec nous et avec ce qui est en train de se passer.

— Concernant la police et les institutions, qu’est-ce qui pourrait être amélioré selon vous ? Quels sont vos espoirs pour l’avenir ?

Oh on pourrait avoir davantages d’incendies, davantages de feux. Même dans les formes locales de la mythologie américaine, nous avons plein de structures qui nécessitent d’être incendiées. On a régulièrement demandé aux dirigeants de la ville d’en finir avec ces structures mais ils ne font rien alors on s’en charge nous-mêmes. A vrai dire, c’est un boulot assez simple. Nous avons construit ce pays et nous allons y mettre le feu. Je suis un déscendant de natifs américains et d’afro-cubains, donc nous avons construit ce pays et nous allons le détruire par le feu, si on le décide.

Tout cela est justifié, si quand vous me regardez vous voyez un homme de couleur au chômage, sachez que je travaillais avec fierté, que j’ai perdu mon boulot dans tout ça et que je me lève pour nos droits. »

Depuis l’Arizona, Robert Hurley traducteur américain de Foucault, Deleuze, Bataille, Clastres ou encore de Tiqqun et du Comité Invisible suit de très près l’évolution du soulèvement. Nous lui avons demandé pourquoi selon lui, la question raciale était aussi immédiatement subversive outre-atlantique :

« C’est ce que les philosophes appellent une aporie, c’est-à-dire un problème insoluble dans un cadre donné. L’une de ces apories veut que le cadre « blanc et occidental » dans lequel nous évoluons s’est constitué autour d’un vide créé par l’exclusion de parties entières de l’humanité. Dans ce cas précis, il s’agit des noirs. Donc lorsque les noirs « entrent en action », c’est ce vide même qui se révèle. Je crois que c’est pour cela que l’on considère la situation comme « révolutionnaire ». Ce qu’il y a d’incroyable dans cette séquence, c’est que ce n’est pas le seul vide, pas le seul néant qui se fait jour, dans la mesure où l’on parvient à concevoir différents types de vides. »

Voit-il une continuité avec les soulèvements nord-américains précédents ? Watts, Los Angeles en 1992, Ferguson en 2014 ? Au vu du large soutien populaire dont bénéficie le mouvement et parallèlement du fanatisme libertarien des pro-Trump, peut-on parler d’une guerre civile de basse intensité ?

« La situation en cours ressemble certainement beaucoup aux soulèvements et vagues d’émeutes précédents. On pense évidemment aux réactions qui ont suivies le tabassage de Rodney King. Ce qui me semble néanmoins différent aujourd’hui, c’est qu’il n’y a plus de consensus libéral lié à l’idée de progrès social qui s’y rattache. Comme je le disais, les participants opèrent au milieu d’une sorte de vide, personne ne croit qu’une réparation est possible.Cela en tant que tel produit une colère massive. Nous voyons des centaines d’assassins potentiels dans la police qui nous attaquent dans les rues et donc même si la « justice » était obtenue pour George Floyd, cela ne représenterait qu’une brève bouffée d’oxygène qui ne durera qu’une journée ou une semaine tout au plus. L’intensité de la situation doit probablement beaucoup aussi à la gestion du covid19 et à la perspective pathétique des prochaines élections. »

La figure de l’ennemi extérieur.

Après les premiers incidents à Minneapolis, des politiques de tous bords ont dans un premier temps accusé de fantasmatiques « personnes extérieures » d’être à l’origine des débordements. Des émeutiers non-issus donc, de la zone géographique de Minneapolis-Saint Paul : le gouverneur de l’Etat brandissait ainsi le chiffre (qui s’avérera faux) de 80% de personnes arrêtées provenant d’autres villes. Mais par extérieur à la communauté, il faut aussi entendre « personnes non-noires ». Ainsi Bill de Blasio, maire de New York et soutien affiché au candidat démocrate « radical » Bernie Sanders, accusait les émeutiers de ne pas partager les préoccupations des Afro-Américains.

Les trois premiers jours, à Minneapolis, cette lecture des événements était réellement indécente, ainsi que le souligne un participant :

« Le soulèvement a un aspect très différent. Il est multi-racial, tout comme le quartier sud de Minneapolis dans lequel il s’ancre. La rengaine des infiltrés blancs responsables des violences est une vieille manœuvre, une manœuvre raciste. »

Identifier un ennemi extérieur (à la communauté des victimes) est arrangeant pour les politiciens : les responsables locaux, qui pour beaucoup ont fait des déclarations compassionnelles, comme pour ceux qui lorgnent sur le mouvement, pour le diriger ou en faire un réservoir de voix dans la perspective de l’élection présidentielle à venir. Enfin il permet de concéder que les noirs américains sont victimes d’une oppression, en gardant la main sur la définition de ce qu’est une victime acceptable : c’est-à-dire inoffensive.

Cette campagne a été appuyée sur les réseaux sociaux par une sélection hyper-partielle des vidéos d’incidents (montrant ici ou là des émeutiers visiblement non-noirs, ou visiblement politisés - donc par un raccourci raciste considérés comme non-noirs). Et s’est appuyée sur le malaise d’une partie de la gauche blanche américaine qui cherche la manière moralement tenable d’appuyer la révolte. Elle a culminé avec les accusations (sur Twitter) de Donald Trump vis-à-vis de la mouvance antifasciste.

Au delà de la stratégie conjoncturelle, il faut comprendre l’animosité qui anime le président américain vis-à-vis des dits "antifas". En août 2017, soit quelques mois après son investiture, des heurts avaient opposé à Charlottesville des suprémacistes blancs venus manifester à des militants antiracistes (venus les en empêcher). A cette occasion, un néo-nazi avait tué une contre-manifestante en lui roulant dessus en voiture. Le président Trump avait alors rejeté la responsabilité de cet événement sur les deux camps. Et admis qu’il pouvait y avoir « des gens bien » parmi les suprémacistes blancs. Quelques jours plus tard, plusieurs milliers de personnes s’étaient opposés à Berkeley à la venue sur le campus de l’université de manifestants de l’alt-right et de supporters de Trump. Là-aussi les "antifas" avaient été pointés du doigt.

S’agit-il ici pour Trump, au delà de la tentation de simplifier l’événement en pointant des coupables qui conviennent à tous, d’attiser le spectre d’une guerre civile - qui s’exprimait d’une certaine manière déjà entre ses partisans et ses opposants les plus virulents ? Pour Robert Hurley,

Il est notable que les « milices » fascistes n’ont jusqu’à présent pas montré le bout de leur nez. Peut-être que cela nous informe de ce à quoi ressemble la guerre civile : elle n’a pas de visage reconnaissable. De fait, l’ennemi, notre ennemi, c’est la megamachine elle-même. A titre d’exemple, le sort des populations brutalement touchées par la situation économique, et qui vont continuer de l’être ces prochains mois, n’a pas suscité le moindre intérêt des partis politiques. La machine, en tant que machine, n’a pas de cœur, seulement des partisans, et comme nous, ils sont légions. Donc oui, dans ce sens là, nous sommes bien en guerre. »

Dans son discours hier après-midi (dans la nuit en France), pendant que des manifestants se rassemblaient encore devant la Maison Blanche et que la police tirait des gaz lacrymogènes, Trump a de nouveau évoqué des actes de terrorisme intérieur et a menacé de déployer des forces militaires dans les villes où les pouvoirs locaux ne prendraient pas les mesures nécessaires pour arrêter les émeutes.

Un émeutier d’Atlanta lui répondait, par anticipation :

« Nous sommes nombreux maintenant. La police ne va pas nous arrêter. Trump ne peut pas nous arrêter, la gauche ne peut pas. Toute la souffrance, tous les traumatismes, toute la douleur sont à nu. On est en train de mettre ce pays à genoux. C’est seulement le début… » 

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