Ni écologie ni société

Rendez-vous les 29-30 octobre à Sainte-Soline

paru dans lundimatin#356, le 24 octobre 2022

Après un été caniculaire qui a encore une fois affolé les baromètres de l’urgence, certains intrépides n’hésitent pas à appeler cette période « l’automne chaud », projetant ce qu’il leur reste d’espoir dans la conjonction entre la sempiternelle date de rentrée de la gauche (grèves dans les raffineries, lutte contre l’inflation) et l’appel à soutenir la lutte contre un nouveau projet de méga-bassines dans les Deux-Sèvres. En cette époque du « en même temps », une formule consacrée émerge de nos souvenirs : « Fin du monde, fin du mois, même combat ! »

Ce slogan retentissait encore il y a peu dans nos rues jusqu’aux Champs Élysées où les Gilets Jaunes arrachaient de la force à cette phrase cyniquement prononcée par Nicolas Hulot, ministre de l’Environnement. Aujourd’hui sa force s’est émoussée. Elle s’est même retournée contre les luttes et a retrouvé sa fonction initiale, gouvernementale. Nous assistons à la construction d’un nouvel écrin pour les luttes, faisant tenir côte à côte, séparées mais ensemble, les deux catégories de pacification massive : le social - qui a maintes fois prouvé sa pertinence pacificatrice - et maintenant l’écologie, nouveau fourre-tout anesthésiant.

La civilisation est arrivée à un perfectionnement exquis dans sa production de subjectivité aliénée. L’absence au monde qu’elle parvient à insuffler a atteint un nouveau stade. Parvenue jusqu’ici à faire passer toute expérience de communauté comme criminelle, tout partage d’usage comme terroriste, elle avait réussi à faire accepter la question de l’organisation de la solitude - le social - comme une question extérieure, hors-de-nous. Dans le processus de civilisation du monde, l’emprise sur les êtres et les choses est inséparable de l’emprise sur les questions. Ainsi, dans sa quête éternelle de raffinement, il lui est nécessaire de soustraire une autre question aux habitants du désastre : la question écologique. Qui est en réalité toujours la même - la question de son rapport au monde - mais qu’il convient de continuellement diviser, maintenir séparée, détruire morceau par morceau, réduite à n’être que le parquet de l’individualité. L’écologie comme ultime séparation où les choses n’ont plus qu’à s’empiler sans jamais se rencontrer, sans plus jamais résonner.

L’époque accouche d’un nouveau tyran, fruit de la réunification de ces deux domaines séparés : L’ECOLOGICO-SOCIAL.

La production de l’individu est inséparable de ses amputations ‘sociales et écologiques’ qui par un retournement deviennent ses principaux attributs. Enfant abject de l’appartenance, l’identité n’est plus la possibilité de ressaisie collective des questions et des manières d’y répondre. L’identité, en fait, sert même d’unité élémentaire à la gouvernance civilisationnelle. À chacun alors de se placer, en fonction de sa sensibilité, sur les différents curseurs de sa future identité politique, de qui sera le plus touché par les questions sociales, à qui aura atteint une conscience plus aiguë des problèmes environnementaux.

La première tâche est ici de se souvenir de la part importante jouée par l’utopie sociale-démocrate dans le désamorçage des luttes les plus tranchantes du siècle passé, et alors seulement on pourra distinguer le rôle à venir de la conscience écologique comme bras armé de la contre-révolution dans ce XXIe siècle.

La question totale

Une rumeur persiste, l’écologie serait une voie de politisation parce qu’elle diffuse et dissimule un problème qui s’adresserait à TOUS.

Seule l’amnésie générale explique comment peut être présenté comme nouveauté un attribut qui était il y a moins d’un demi-siècle, adossé au problème social, celui de l’UNITÉ de l’espèce humaine. Amnésie alimentée à coup de grands mythes historico-scientifiques, notamment celui de la coïncidence entre les premières incursions humaines dans l’espace et la prise de conscience écologique. En 1972, année des premiers sommets gouvernementaux ayant pour objet le changement climatique (Sommet de Stockholm), la NASA va apporter la preuve technique de l’unité des humains avec la photographie de « notre planète bleue flottant dans le vide », Blue Marble. Voulant imposer sa radicale modernité, ce mythe dissimule mal ses profondes racines traditionnelles. Avant les différentes et similaires prises de consciences écologiques et sociales, l’unité de tous les humains a toujours été le fantasme des grandes religions. Sécularisation des vieux problèmes de gouvernance, l’antinomie entre tradition et modernité semble se dissoudre dans l’accomplissement mythifié de l’unité-séparation de tous les hommes, non plus avec Dieu, mais avec la figure hautement technologique de l’astronaute.

Nouveau monarque, l’astronaute pourrait dire qu’à cette distance de la Terre il ne connaît plus aucun parti, il ne connaît que des hommes. Mais la définition d’une unité depuis une telle distance, depuis proprement le vide, l’absence au monde, ne peut qu’être une preuve d’hostilité, une unité de gouvernance. Dans un sens, il n’y a d’humanité qu’extraterrestre car c’est dans la terreur d’avoir à penser sa situation singulière et commune que vient se loger le fantasme réconfortant de la totalité, de l’unité terrestre.

Au fond, l’écologie est un dispositif-clé de la dépolitisation contemporaine, soit parce qu’elle s’identifie ou s’en remet au bloc de gouvernance, soit parce qu’elle perd tout horizon politique dans la sectorisation du combat et le repli sur la morale.

Étude de milieu

Mais pourtant, alors que cette soudaine unité contrainte se veut dépolitisante, l’expérience de la séparation et du manque de prise devient source de politisation. Cependant, se rendre compte de sa dépossession ne donne pas encore accès aux questions.

Faire émerger une position révolutionnaire ne pourra se faire sans la critique radicale et en acte du milieu écologiste - ceux qui ont si peur d’en manquer, d’être hors-sol, pataugent pourtant bien dans un milieu : celui de la gauche. La gauche, c’est la perpétuation du fantasme de la juste gouvernance, dont le grand débat sur le partage de l’eau ou la redistribution foncière sont certaines des nombreuses illustrations. Disposer ou ne pas disposer, détruire ou préserver ; pour maintenir une telle relation d’extériorité avec les choses, il a fallu nier à la fois la dimension ontologique des lieux et la dimension géographique des êtres, rendre impossible tout rapport non-utilitariste. La non-séparation, l’entrée dans l’usage, n’est possible qu’en abandonnant toute volonté de gouvernance, en se mettant à égalité avec le monde face aux questions. Inutile de lire les œuvres complètes de Philip K. Dick ou de regarder l’intégralité de la série Westworld pour voir que derrière chaque proposition utopique se cache une dystopie bien réelle - qu’elle soit parsemée d’automates garantissant la fin du travail ou articulée autour d’une figure, d’une forme-de-vie, le paysan cultivant un rapport honnête à la terre. La civilisation ne cherche pas à avoir le contrôle, elle cherche à ce qu’il y ait du contrôle.

C’est donc le contraire de la production qu’il s’agit de trouver, on ne peut pas se contenter d’un simple changement du mode de production (slogan de Greenpeace : « Produire avec la nature »).

Il faut sortir du marais du discours urgentiste sur le désastre environnemental et comprendre que le rôle historique de la civilisation a toujours été celui de produire et d’étendre l’environnement du désastre.

La brèche

Toutes les tentatives du pouvoir - redécoupage, reformulation dans ses termes, déploiement de la gauche - dévoilent aussi aux yeux de qui sait regarder qu’une brèche existe, qu’un débat est ouvert sur la perpétuation ou le renouvellement des logiques de contrôle et que par cet entrebâillement on peut apercevoir la civilisation à nu, vulnérable. Cette fenêtre de tir n’est pas acquise, il ne faut pas retomber dans les travers qui ne manqueront pas de la refermer, pour la civilisation toutes les contradictions sont résolubles, mort au marxisme.

En ces temps d’invocation d’un automne chaud, rappelons-nous un des événements fondateurs de l’autonomie ouvrière en Italie, la révolte de Piazza Statuto en 1962. Ce jour là, l’alliance entre les syndicats et le Parti Communiste Italien, plus encline à défendre l’ordre républicain qu’à relayer les revendications ouvrières, ne passe plus. Pour la première fois, une manifestation d’ampleur prend d’assaut le siège d’un syndicat. Les carabinieri s’interposent brutalement pour protéger les syndicalistes, redéfinissant ainsi la ligne de conflictualité. Il s’ensuit trois jours d’émeutes et d’affrontements autour de la place. Par cet acte fondateur, les jeunes révoltés débloquèrent pour eux-même et les générations futures l’accès à la possibilité d’une remise en cause radicale du travail, de son organisation et des institutions en charge de cette dernière, modifiant radicalement la teneur des luttes qui suivirent.

Le dépassement qu’ils ont opéré est toujours possible. Les luttes révolutionnaires ne seront alors ni écologiques ni sociales. Trouvons ensemble les usages qui feront résonner à travers le temps les possibilités de la Révolution. Les rencontres et la création d’une position révolutionnaire sont situées, car c’est dans la pratique de la lutte que naît la plus grande destitution. Ne ratons pas l’occasion de nous trouver les 29 et 30 octobre à Sainte Soline.

« Les haies si fleuries de ces belles vallées cachaient alors d’invisibles agresseurs. Chaque champ était alors une forteresse, chaque arbre méditait un piège, chaque vieux tronc de saule creux gardait un stratagème. Le lieu du combat était partout. »
Balzac

Rendez-vous les 29-30 octobre à Sainte-Soline

astronaute at riseup.net

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