Nantes : l’État reconnu responsable de la mutilation d’un lycéen lors d’une manifestation

Victoire juridique décisive contre les violences policières

paru dans lundimatin#152, le 26 juillet 2018

Après presque 11 années de procédures, la cour administrative d’appel de Nantes reconnait définitivement la responsabilité de l’État dans la mutilation d’un lycéen. Un policier lui avait tiré une balle de LBD 40 dans l’œil lors d’une manifestation en 2007. L’État est condamné à verser à la victime, âgée de 16 ans à l’époque, la somme de 86 400 euros. C’est un camouflet pour le ministère de l’Intérieur qui avait interjeté appel après une première condamnation en 2016. Nous publions ici le communiqué rédigé par Pierre Douillard suite à cette décision historique dans la lutte contre les armes de la police.

Le 27 novembre 2007, un agent de police expérimentait à Nantes une nouvelle arme : le LBD 40, plus puissant et plus précis que le Flash-Ball. Ce test in vivo était réalisé par un policier volontaire, sur une manifestation de lycéens qui défilaient contre la privatisation des universités. A l’âge de 16 ans, j’étais gravement blessé au visage par une balle en caoutchouc, et perdait l’usage d’un œil. Depuis, cette arme a été généralisée et les mutilations se sont multipliées.

En 2012, le tireur, Mathieu Léglise, était jugé et relaxé par le tribunal correctionnel de Nantes qui le considéra « responsable mais pas coupable » au prétexte qu’il avait « obéi à un ordre ». Nous avons alors décidé de poursuivre la chaîne de commandement du tireur, c’est-à-dire l’État. Il s’agissait d’attaquer l’institution en portant l’affaire devant la juridiction administrative.

Quatre ans plus tard, le tribunal administratif de Nantes déclarait l’État responsable de la blessure, et condamnait la préfecture. Pour la première fois, la justice reconnaissait l’extrême dangerosité de cette arme, mais les juges se livraient à un calcul scabreux, en effectuant un « partage de responsabilité » : l’Etat ne serait responsable qu’à hauteur de 50% du préjudice subi, l’autre moitié m’était imputée du simple fait d’avoir été présent lors de la manifestation. Quelques jours plus tard, le ministère de l’Intérieur faisait appel de cette condamnation.

Vendredi 6 juillet 2018, au terme de 11 ans de procédure, la cour administrative d’appel de Nantes a rendu son arrêt. Sans doute le point final de cette affaire.

Le ministère de l’intérieur s’est fait prendre à son propre piège : la condamnation de l’État est confirmée et très largement alourdie. Dans sa décision, la cour souligne la dangerosité du LBD 40, son caractère expérimental au moment des faits et l’absence de menaces à l’égard des forces de l’ordre au moment du tir. L’État est déclaré responsable à hauteur de 90% du préjudice subi. Selon l’arrêt, « La faute de l’intéressé se borne à s’être maintenu à proximité immédiate des manifestants ». Cette logique de « partage de responsabilité », même réduite, remet cependant gravement en cause le droit de manifester : la justice estime que lorsque l’on est blessé au cours d’une opération de maintien de l’ordre, on se retrouve de facto co-responsable de sa blessure.

Néanmoins, il s’agit d’une grande victoire, la première dans ce type d’affaire. Depuis 2007, près de 50 personnes ont été mutilées par des balles en caoutchouc ou des grenades tirées par la police. Trois en sont mortes. Cette victoire doit permettre d’enrayer l’impunité d’une police de plus en plus lourdement armée.

Par ailleurs, ce verdict survient à Nantes dans des circonstances particulières, alors que dans le quartier du Breil un CRS vient d’abattre d’une balle dans le cou le jeune Aboubakar. L’usage de plus en plus fréquent de tirs à balles réelles par les forces de l’ordre est la conséquence directe de la militarisation du maintien de l’ordre. Les Flash-Balls et LBD 40 ont banalisé l’acte de mettre en joue des individus, d’appuyer sur la détente et de leur tirer dessus ; un geste qui était jusqu’alors considéré comme exceptionnel. Cette banalisation a démultiplié l’usage des armes « à létalité réduite » ainsi que les tirs à balles à réelles. L’IGPN évoque une augmentation de 54% des tirs par armes à feu en 2017 au sein de la police. Rappelons que ce sont les habitants et habitantes des quartiers populaires qui sont les premiers touchés.

Les violences policières qui se multiplient et l’impunité quasi systématique dont elles bénéficient doivent être combattues partout : dans la rue, devant les tribunaux, dans les médias. La procédure au tribunal administratif n’est pas qu’un moyen d’obtenir une réparation matérielle pour un dommage en soi incommensurable : elle est une façon de faire payer l’Etat. S’il est quasiment impossible de faire condamner un policier responsable de violences, il paraît désormais possible de faire condamner sa hiérarchie. J’invite donc toutes les personnes touchées par les violences policières à attaquer l’Etat devant les tribunaux administratifs.

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