Monchoachi - Retour à la parole sauvage

Mireille Jean-Gilles
[Note de lecture]

paru dans lundimatin#385, le 31 mai 2023

Jeudi dernier paraissait le second livre des éditions lundimatin : Retour à la parole sauvage du philosophe et poète martiniquais Monchoachi. Si la présentation qu’en a fait Jean-Christophe Goddard la semaine dernière ne vous a pas convaincu de courir chez votre libraire le plus proche, nous publions cette semaine cette brillante note de lecture que nous a transmis la poétesse Mireille Jean-Gilles.

Un livre d’essais vivifiant de Monchoachi

Un livre à avaler d’un seul coup vloup,
comme un sèk,
ou à savourer à petites gorgées,
tel un feu qui vous vivifie ...

Retour à la parole sauvage, c’est d’abord un beau livre, une beauté épurée, presque une page blanche en guise de couverture, avec quelques très petites lettres vertes, d’un vert sauvage, entre deux lignes vertes, elles aussi, Retour à la parole sauvage, c’est un recueil d’essais d’une beauté profonde plus immédiatement accessible que les poèmes de Monchoachi qui eux ont besoin d’obscurité pour s’épanouir, dialoguer avec les forces invisibles, là, dans Retour à la parole sauvage, la poésie volant la vedette à la pensée s’impose d’emblée, pure, effilée, transparente, même si le poète aurait désavoué ce mot, lui qui aime tant frayer avec l’ombre, pour in fine débusquer ce qui ne se montre pas, ne se nomme pas, là, à la faveur d’un recueil d’essais voulu par les Editions Lundimatin, c’est encore la poésie qui apparaît, qui semble vouloir tenir la pensée en bride, Retour à la parole sauvage, c’est un retour de Monchoachi vers la prose avec des textes inédits ou rares qui se mêlent à des textes plus connus, comme le superbe La case où se tient la lune qui, positionné à la suite du subversif Dans la glace du Temps présent, apparaît sous un jour nouveau, paré de nouveaux atours, l’agencement des textes pour indépendants qu’ils soient nécessite que le lecteur les lise dans l’ordre pour profiter de l’enchantement du poème, un poème c’est la rencontre d’un mot à côté d’un autre mot, là, c’est l’entremêlement des textes qui apporte à l’ouvrage cette impression de grandeur, la sélection des textes a été un travail de longue haleine, un assemblage proprement poétique, et le résultat foisonnant est étourdissant, vous me permettrez, , une fois n’est pas coutume, de faire l’éloge de l’œuvre de pensée et de poésie de Monchoachi, car, une fois n’est pas coutume, je suis sûre de l’avoir bien comprise, saisie, et là, il ne s’agit pas d’une posture, où l’on se dit « c’est beau », parce que « la grande poésie, c’est forcément beau », là, c’est beau comme une mer violette de glycérias en temps de carême, Monchoachi écrit sans même la nommer (ou si peu) sa terre natale, son attachement indéfectible à sa terre natale où il a assuré son retour, sa terre natale qui avec l’assimilation (« action de réduire en pâtée » nous rappelle le poète) a supporté la perversité la plus cruelle que l’Occident n’a jamais expérimentée, jamais tentée sur l’humain et qui en fait, de ce fait, un laboratoire de la déchéance promise à l’Homme sous le vocable de Progrès, un Progrès dont la visée ultime, mise à nue par Fanon dans la magistrale conclusion des Damnés de la terre, est l’Homme, en finir avec l’Homme, le massacrer par tous les moyens, et à cette aune l’Humanisme, comme avatar du Progrès imposé à la Terre entière par l’Occident, ne trouverait, en réalité, sa justification que dans le seul impératif de tenir un discours « lénifiant et enjôleur » face à la barbarie qu’instaure les Temps Modernes, une Modernité inaugurée par le massacre des Indiens d’Amérique, le pillage de tout un continent, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, y compris les îsles « nées d’une discorde entre l’eau et le feu » débaptisées, rebaptisées, décimées, repeuplées (et...recolonisées par le peuplement jusqu’en en plein XXIe siècle...), pour bâtir sur ces cendres ardentes le Nouveau-Monde, d’où va émerger l’homme-Nouveau et son emblème la Liberté, la liberté de la chasse à l’Homme (l’Esprit/Corps) dans tous les recoins de la Terre sous les bons auspices d’un Dieu/Science Unique, « Ce ne peut être que la fin du monde en avançant », prévenait déjà Rimbaud, d’où l’urgence, face à une ’langue machine«  triomphante et nivelante et  »le totalitarisme technologique planétaire«  qu’elle induit, d’un Retour à la parole sauvage, et la Parole ce ne sont pas des mots, se payer de mots ( »pawol nan bouch pa chaj« ), la parole sauvage  »parle dans toutes paroles, dans tous gestes et actes qui, traversant de part en part le dispositif de mainmise de l’Occident, le criblent, le taraudent, le lardent, et, le démaillant de haut en bas et de bas en haut, le met à nu ..."

Retour à la parole sauvage, une parenthèse dans l’œuvre monumentale entreprise par le poète, à travers le chantier Lémistè qui à terme, et en six volumes, embrassera tous les recoins de la Terre pour y débusquer les richesses voilées par le regard de l’Occident et menacées par son appétit insatiable.

Retour à la parole sauvage, le pendant en prose de Lémistè, une lãnmanière « petits poèmes proses » qui nous éclaire davantage sur la place de la poésie et le rôle du poète en ce monde, à une époque où l’on n’aura jamais autant désespéré de l’entreprise humaine :

Le bélier rit, il marie sa fille.
Le cœur d’un vautour a été cuit.
Le devin rêve de choses lointaines :
Si elles PAS arrivent cette année

riveront l’année prochaine.

Qu’ont-ils donc converti la tablette des oracles
en table de calcul le réel
en certitude

En CLARTÉ ?

(Lémistè 2, Partition noire et bleue, Obsidiane 2015)

« Parler la poésie », un art subtil de la guerre, Retour à la parole sauvage nous invite à rentrer dans la ronde.

Mireille Jean-Gilles

Lire Monchoachi, restituer l’envers de la modernité par Jean-Christophe Goddard.

Pour savoir dans quelle librairie indépendante vous procurer le livre, nous vous invitons à consulter Placedeslibraires.fr.

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