Micromégas, qui avait traversé des soleils effondrés et des astres silencieux, descendit un jour sur cette poussière que l’on nomme Terre. Il y vit un spectacle plus affligeant que l’agonie des mondes. Deux peuples y occupaient un même territoire : les Azariens de Philistide, réduits à mendier leur subsistance derrière des murailles, et les Jacobites de Yérosalane, qui, brandissant la mémoire de leurs supplices anciens, avaient pris pour règle de persécuter sans relâche ceux qui vivaient là depuis des siècles.
Micromégas s’étonna : « Ayant subi jadis l’horreur de l’extermination, comment pouvez-vous transformer votre douleur en licence d’opprimer ? » Les Jacobites répondirent que leur dieu leur avait remis la terre entière et qu’ils ne devaient tolérer aucun voisinage. Pour garantir ce droit sacré, ils avaient détruit des villages, incendié des moissons, et enfermé tout un peuple dans des enclos où l’air et l’eau se distribuaient comme des faveurs.
Les Azariens montraient leurs maisons écroulées, leurs champs ravagés, leurs enfants morts de faim. Ils expliquaient qu’on les abattait à la frontière lorsqu’ils cherchaient à passer, qu’on les bombardait lorsqu’ils restaient, et qu’on appelait cela « sécurité ». Micromégas vit des files d’attente devant les puits balayées par le fer, des familles ensevelies sous les pierres, des mères tenant contre elles des morceaux de chair arrachés aux leurs. Tout cela se faisait au son des cantiques et des prières, comme si le ciel bénissait l’extermination.
Il interrogea les nations voisines : que faisaient-elles ? On lui dit que les Providents d’Occidentie envoyaient des armes tout en proclamant la paix, que les Ostriens d’Euronia calculaient le nombre des cadavres pour leurs chroniques, et que les Gétules de l’Onurie rédigeaient des résolutions aussitôt foulées aux pieds par ceux qui régnaient.
Micromégas nota dans ses tablettes que l’homme est cet animal capable d’élever ses anciennes chaînes en sceptre, de transformer sa mémoire en arme, et de donner au massacre le nom de justice. Ceux qui furent voués jadis à la fournaise imposent maintenant la fournaise aux autres, et trouvent des alliés complaisants pour applaudir.
Avant de quitter ce globe, il écrivit que la Terre n’est point un lieu d’habitation mais un atelier d’anéantissement, où les victimes apprennent à devenir bourreaux, et les spectateurs à se laver les mains dans le sang d’autrui. Puis, regardant une dernière fois ce théâtre d’horreurs, il éprouva moins d’indignation que d’épouvante : jamais il n’avait auparavant rencontré dans l’univers de créature plus obstinée à nourrir ses enfants de ses propres cadavres.
Lahoucine Duvaast






