Mercredi, jour des enfants

À propos de la visioconférence présidentielle du 6 mai au sujet de la culture
— Brigade d’Intervention Linguistique —

paru dans lundimatin#244, le 25 mai 2020

La Brigade d’Intervention Linguistique (BIL) s’était déjà livrée, dans nos colonnes, à deux interventions d’urgence (pour rétablir l’ordre et le sens des mots) portant sur deux discours présidentiels. La première concernait le Big Debate National (organisé en réponse au mouvement des gilets jaunes) et annonçait moins un débat qu’une vaste enquête zoologique. La seconde opération visait les « voeux » - ou plutôt les menaces - adressés aux travailleurs à l’occasion de l’annulation du dernier 1er-mai. La Brigade réitère cette semaine, à propos de l’hallucinante visioconférence qui a lieu entre le chef de l’Etat et le « monde sinistré de la culture ». Et nous pose cette question : allons-nous plus longtemps nous laisser « mépriser, martyriser et tyranniser par un enfant-président » ?

Ainsi avons-nous appris par voie de presse qu’une visioconférence fut organisée le mercredi 6 mai de l’an de grâce 2020 par le palais de l’Elysée pour évoquer les questions qui concernent le vaste monde de la culture (VMC).

C’est devant un panel d’artistes (PA) triés sur le volet parmi leur carnet d’adresses par les éminences grises du président en ce précieux domaine qu’eurent lieu ces deux inénarrables heures dont les échos visioconférencés captés par les antennes de la BIL n’ont pu que motiver une nouvelle intervention d’urgence de notre part.

Sur un fond gris souris rehaussé d’or voilà d’abord que ce panel put découvrir que non, le ministre de la Culture n’était pas mort. Simplement, il devait avoir disparu, mais semble-t-il vivait toujours une vie propre et digitale dans le vaste monde numérique, derrière l’écran de visioconférence.

En bon émissaire, il se chargea de transmettre l’annonce phare : « des mesures seront prises ».

Nous reconnaissons bien là dans l’emploi de ce futur faussement sibyllin un indice caractéristique de la rhétorique gouvernementale : occuper le terrain des mots pour ne rien dire tout en feignant l’activité. Autrement dit, établir un habile écran de fumée (EDF).

S’il a pu troubler les sens de l’auditoire, ce tour de magie ministériel révèle malgré lui d’une part que le ministre n’avait rien à dire, et d’autre part qu’il ne se passera rien.

Mais il est aussi le socle d’une stratégie d’hypnose qui déstabilise l’adversaire avant le coup fatal : ici, achevant de charmer les ménestrels présents en abattant une carte-maîtresse, le président se montra, et déroula ses vues sur la vie (VV).
Nous indiquons en passant qu’il s’agit d’un flagrant délit de récidive de dispositif : faire venir à soi quelques individus, établir un écran de fumée, discourir, et disparaître (ce que permet la visioconférence avec une puissance inégalée).

Après force mouvements de bras au rythme d’une intense valse de dates et de lieux fermant, ouvrant et fermant encore, le tout agrémenté de nombreux adverbes qui comme nous le savons modélisent le discours, et en l’occurrence prolongent et épaississent durablement l’écran de fumée préalablement mis en place par le zélé ministre, le président décida de couronner le tout par quelques préceptes en images, vidéoprojetés sur le solide écran de fumée préétabli.

Voici : l’œil vif et humide, le fauteuil tournant d’une habile poussée du pied, le président intime à tout un chacun de « chevaucher le tigre » en bras de chemise.

(Ici la BIL en profite pour vous mettre en garde, et ne saurait trop vous rappeler qu’un tigre ne se chevauche ni ne se dompte.)

C’est alors que le ministre de la culture rentra en lui-même. Il tenta par une immobilité remarquable que nous avons pu pratiquer pour traverser des moments difficiles, de disparaître sur place. Mais las, le président n’en était qu’au début !

Porté par son élan donc, chevauchant vite et loin dans l’obscure végétation de son esprit, le président ajoute que tel Robinson Crusoë dans les moments difficiles, il faut savoir aller chercher « du jambon et du fromage à la cale » (dans la cave ?).

Encore faut-il en avoir une ! Lui répondrions-nous.

Voilà donc que le mythe du baroudeur explorateur - Survivor ! , comme le chantaient les Destiny’s Child - le couteau entre les dents et le tigre entre les jambes semble agiter fort l’imaginaire présidentiel. Se rêver Robinson, se croire Moogli (du tigre à la panthère il n’y a qu’un coussinet) : voilà un président en flagrant délit de fantasme peter-panesque.

Mais qu’est-ce à dire ?

Si doute il y avait encore, nous voilà désormais certaines que nous sommes bien gouvernées par un individu à l’inconscient agité de fantasmes de virilité coloniale infantile.

Et nous insistons bien sur ce dernier adjectif -infantile- qui à lui seul, nous mène à formuler un accablant constat, puisqu’il nous révèle la nature profonde de celui qui possède un tel inconscient et s’adonne à ce genre de discours délirant (DD). Il s’agit d’un enfant.

Mais ne nous arrêtons pas en si bon chemin et poursuivons : si l’on en suit la définition fort intéressante d’un certain Sigmund F. au sujet de ces petits êtres qui, avant de devenir adultes, les enfants donc, rêvent de conquêtes, de domination, de folles cavalcades et chevauchées, nous sommes en présence d’un pervers polymorphe (un PP, à ne pas confondre avec président parfait), en pleine puissance.

Ainsi, le président est un pervers polymorphe.
Aussi peut-être, un président pervers polymorphe en pleine puissance (soit un PPPPP, ou 5P).

Surprenant constat, puisque nous avions mis au jour le 1er mai un inconscient présidentiel mal contenu qui au détour d’une phrase nous avait plutôt révélé un individu paternaliste et tyrannique. Un dictateur, donc.

Mais nous savons que les deux ne sont pas incompatibles : le dictateur est tyrannique, l’enfant aussi.

Le faisceau d’indices est en ce sens tout à fait concordant, et nous amène au fond à la conclusion suivante : le président à la personnalité tyrannique change habilement de place et de statut, tour à tour Petit Père des Peuples et Enfant de la Nation. Ce qui fait de lui un Janus bifrons, un être biface qui comme le facétieux dieu Janus montre tantôt un visage, tantôt l’autre.

Alors aujourd’hui, nous voilà gouvernées par un enfant tyrannique.
Que faire ? Pas de panique. Si la lutte contre le dictateur est connue, la lutte contre l’enfant tyrannique aussi : dire NON. Un intéressant point de conjonction des méthodes et de convergence des luttes.

Ce renversement de paradigme politico-familial nous mène au constat suivant :

D’une part, nous ne pouvons décemment nous laisser mépriser, martyriser et tyranniser par un enfant-président, individu mû par un désir débridé qui rêve tour à tour de coucher avec nous et de nous tuer et qui, de plus, a les moyens de le faire (ce qui n’est pas commun à beaucoup d’enfants). Il en va de la survie qui est la nôtre.

D’autre part, cette insurrection fait de nous les seuls individus autonomes et responsables en mesure de déterminer quand les limites sont franchies, et de le manifester, en parents désireux de continuer à mener leur vie.
Ce ne serait d’ailleurs que rendre service à l’enfant-président qui comme chacune et chacun le sait, ne peut toute sa vie durant surfer sur la vague du désir illimité de pouvoir et de puissance sans mettre en péril sa santé mentale. Encore eût-il fallu que nous eussions envie de l’aider.

Aussi après cet instructif voyage au pays des préceptes présidentiels visioconférencés, nous savons que :

— le tyran biface omnipotent à la tête de l’État est en roue-libre
— nous n’avons besoin de personne, ni en Harley Davidson, ni pour nous gouverner

Et que la lutte continue

Brigade d’Intervention Linguistique

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