Malaise à Ouest-France

Le quotidien nie être le bras armé du gouvernement. La police tire les ficelles ?

paru dans lundimatin#60, le 9 mai 2016

Selon une source anonyme au sein du journal, une tendance « anti Ouest-France » prendrait de plus en plus d’ampleur dans la ville de Nantes et ses environs. Inquiète, notre interlocutrice précise « c’est à cause du traitement qu’on fait de Notre-Dame-des-Landes. Les gens sont vraiment remontés. »
La semaine dernière, le fossé qui sépare le plus grand quotidien régional de ses lecteurs nantais, semble s’être encore un peu plus profondément creusé.

En cause, un papier paru dans l’édition du 3 mai à propos de la page facebook "Nantes Révoltée". Selon Ouest-France, cette page qui informe des manifestations et mobilisations politiques passées et à venir compterait plus de 20 000 lecteurs. En Une, le quotidien dénonce : « Derrière des réseaux sociaux anonymes, très suivis par un jeune public, le bras armé de l’ultra-gauche tire les ficelles ».

L’article rédigé par Laura Jarry peut-être consulté dans son intégralité.

On peut y lire quelques extraits d’un entretien que la journaliste a mené avec différents rédacteurs de Nantes Révoltées. Laura Jarry, pèse ses mots : ses interlocuteurs ne se contentent pas de « écrire » ou de « modérer » une page facebook, non, ils « tirent les ficelles ». Ficelles au bout desquelles on devine cette jeunesse nantaise qui depuis des mois se mobilise énergiquement contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et plus récemment contre le projet de loi travail.

Toute la première partie de l’article consiste donc à accuser la page « Nantes Révoltée » d’être responsable de ce que le journal qualifie de violence ou de débordement lors des manifestations nantaises. Un peu plus loin, Laura Jarry explique aux lecteurs de Ouest-France ce qu’elle a pu observer sur le terrain lors de la manifestation du 28 avril :
« Ces « chefs », motivés par ce qu’ils considèrent comme de la « répression policière », ne sont pas en première ligne, mais trois rangs derrière et contrôlent l’ensemble. Ces membres cadrent l’avancée du groupe, surveillent la présence des forces de l’ordre, crient « Photo ! » quand ils sentent que des policiers en civil sont proches, font attention aux caméras de sécurité… Eux sont préparés, en noir de la tête aux pieds, cagoulés et gantés, et n’interviennent pas, sauf si le groupe entier est pris à partie.
Pendant les récentes manifestations, ceux « qui veulent de l’action » savent où les trouver. Ils laissent les plus jeunes s’énerver devant : « Laisse-les, ils ont besoin de se défouler », soufflait jeudi dernier l’un de ces « chefs » à un autre, alors qu’un groupe de lycéens, à visage découvert, frappait un caisson de chantier à coups de masse. »

Afin de donner du poids à ses propos, Laura termine son article par une citation d’un policier anonyme : « Nantes Révoltée lance une action sur Facebook, qui fait caisse de résonance. Les lieutenants recrutent dans les lycées des jeunes influençables, les forment, et les envoient en première ligne face aux forces de l’ordre. Ils manquent d’expérience, ne connaissent pas les méthodes policières et, eux, se font pincer ».

Face à la teneur de ce papier, les rédacteurs de « Nantes Révoltées » ont rédigé un droit de réponse dans lequel ils dénoncent la teneur de l’article écrit par leur consœur Laura Jarry. Selon eux, leurs paroles ont été tronquées et le papier serait un « torchon » visant à accréditer une narration intégralement policière. Ils s’étonnent aussi que sur la même page, un long article soit consacré au groupuscule d’extrême droite « Defend Naoned » sans la moindre distance critique.

Les accusations de « Nantes Révoltée » à l’endroit de Ouest-France et de Laura Jarry sont graves. S’il était avéré qu’un grand quotidien comme Ouest-France piétine toute déontologie journalistique afin de servir des intérêts policiers particuliers, cela pourrait constituer une faute grave aux yeux de ses lecteurs peu favorables à la loi El-Khomri et attachés à la devise du journal : « Justice et Vérité ».

Afin d’en savoir plus et de démêler le vrai du faux, notre reporter Stéphane Courtois, a joint Laura Jarry par téléphone ce week-end.

Laura Jarry a beaucoup de mal à contenir son incertitude et son stress. À peine l’objet de l’appel connu, elle désire y mettre fin et insiste : elle ne veut pas être citée, même anonymement et ne veut plus jamais avoir à reparler de cet article. Elle assure que sa rédaction soutient l’article et répète de nombreuses fois que « le travail a été fait ». Quand nous lui demandons ce qu’elle entend par « bras armé de l’ultra-gauche qui tire les ficelles » elle promet ne pas avoir rédigé cette Une et qu’elle n’est pas responsable de ce qu’écrivent ses collègues. Sur le contenu de son article, elle refuse de répondre et se braque. Est-ce une manière d’exprimer des regrets ou d’assumer ses propos ? Elle ne veut pas le dire. Pense-t-elle, comme elle l’écrit dans son article que les « débordements » qui se produisent dans les manifestations nantaises sont le fait d’une page Facebook ? Elle ne veut faire aucun commentaire. À propos de son « observation » des agissements de ces « chefs » et de leurs « lieutenants » lors de la manifestation du 28 avril, sa langue se délie. En réalité, nous n’avons pas bien lu son papier, dans cette description, il n’est plus question des « auteurs » de Nantes Révoltée, elle parle en fait « d’autres personnes ». Nous lui faisons remarquer que rien ne l’indique dans son papier qui est tout de même intégralement consacré aux auteurs de Nantes Révoltée. Elle insiste, nous avons mal lu. En réalité, ces « casseurs » qu’elle prétend avoir vu à l’oeuvre, ce ne sont pas les auteurs de Nantes Révoltée mais des « contributeurs occasionnels ». Comment a-t-elle fait pour reconnaître dans une foule anonyme les contributeurs anonymes d’une page facebook anonyme ? Elle refuse de nous le dire et insiste à nouveau pour ne pas être citée.

Avant de clore la conversation, la journaliste de Ouest-France nous précise : tous ces groupes de jeunes politisés, ils ne veulent jamais répondre aux journalistes car ils sont très anti-médias, ils n’ont pas du tout confiance. Pense-t-elle que son article les fera changer d’avis ? Là encore, Laura ne veut plus répondre.

Addendum 

Nous apprenons que le bras de fer entre Ouest-France et Nantes Révoltée a connu deux nouveaux rebondissements.
Des sociologues nantais se sont fendus d’une lettre ouverte à la rédaction de Ouest-France à l’occasion de laquelle ils torpillent l’article de Laura Jarry en l’accusant d’être absurde, diffamatoire et infondé.

Selon France Bleu Loire Océan, l’entrée des locaux de Ouest-France sur l’île de Nantes aurait été recouverte d’inscriptions hostiles dans la nuit de samedi à dimanche. On pouvait y lire « Faites votre boulot ou on fera le notre » sans qu’aucun rapprochement avec la lettre ouverte des sociologues puisse être fait.

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