Mairie de Montpellier : pas de Valls avec les bulldozers préfectoraux

paru dans lundimatin#306, le 28 septembre 2021

Ces dernières semaines, une curieuse vague d’incendies a touché des « bidonvilles » de Montpellier. Hugues Moutouh, préfet de l’Hérault fraichement installé, ami de Claude Guéant et Nicolas Sarkozy, en a donc profité pour expulser des dizaines de familles. Explications.

Depuis cinq ans, aucun bidonville n’avait été expulsé par la préfecture de l’Hérault. Les différents préfets avaient peu à peu accepté le principe : « pas d’expulsion sans solution » et favorisé la mise en place du travail social sur le temps long pour accompagner les familles. Deux associations et un opérateur portent ces projets : la Cimade, AREA et 2Choseslune.

Depuis deux ans, la municipalité avait accepté l’idée de se joindre au travail social, finançant à l’unanimité un projet novateur de « sanitation » d’un bidonville, avec l’aide des associations de terrain et d’une association parisienne d’architectes sociaux (Quatorze), incluant une « maison commune ».

Les protagonistes :

Mickaël Delafosse : le Maire socialiste soutient d’Anne Hidalgo, a des ambitions personnelles et la ville est l’une des rares gagnées par le PS.

Hugues Moutouh, Préfet : l’approche des élections entraînent la nomination d’un Préfet ami de Guéant et de Sarkozy. Il vient affirmer l’ordre et la sécurité dès ses premières déclarations.

Les premières décisions d’expulsions sont faites sans aucune concertation et visent à décrédibiliser la mairie. Cette dernière venait effectivement d’accepter de participer à l’effort de résorption des bidonvilles : financement d’un projet novateur de sanitation sur le Zénith 2 et d’une Maison Commune, porté par AREA, la FAP et l’association d’architectes sociaux 14.

Les terrains incendiés et expulsés sont des terrains communaux. La Mairie aurait pu s’opposer aux expulsions mais a choisi de ne pas le faire (malgré des communiqués outrés).

Le 5 août, le bidonville du Mas Rouge brûle en partie. Le 31 août, sur ce prétexte la Préfecture expulse le bidonville. Le même jour, en fin d’après-midi, le bidonville du Zénith s’enflamme à son tour, le feu partant de baraques inoccupées. Le 8 septembre le bidonville est expulsé sur le même motif lié à la « sécurité publique ».

Le 17 septembre, le bidonville de Nina Simone brûle partiellement. Là encore, le feu part d’une caravane vide. Immédiatement, la préfecture annonce son expulsion pour raison de sécurité.

Depuis le début des incendies, des récits circonstanciés et des témoignages d’habitants et d’associatifs révèlent la venue chaque nuit de « commandos » faisant le tour des bidonvilles, tirant en l’air, éclairant à l’aide de projecteurs les habitations et s’éloignant pour éviter tout contact. Pratiques bien connues des fascistes.

En 3 semaines :

Plus de 250 familles ont été jetées à la rue depuis le 31 août. Une moitié d’entre elles végète dans des hôtels sans cuisine et tentent d’y reconstruire un semblant de vie sociale. Elles vivent dans la précarité, suspendues à des fins de « prise en charge hôtelière » pouvant intervenir à tout moment.

Une autre partie a reconstitué des bidonvilles un peu plus en périphérie, un peu plus en marge.

D’autres encore dorment dehors. Tous ont dû renoncer à l’école pour les enfants, sauf une minorité aidée par des bénévoles. Et une grande partie d’entre eux se bat pour conserver les emplois qu’ils avaient trouvés.

Est-il nécessaire de préciser que ces emplois constituaient les premiers de corvées du Covid, nettoyant les chambres d’hôtels où dormaient des CRS, construisant les logements que viendraient occuper les parisiens attirés par le soleil, la mer et la « FrenchTech attitude » de cette vieille ville bourgeoise épargnée par la fermeture des mines cévenoles et gardoises, confite durant si longtemps dans les profits d’une viticulture peu respectueuse de son environnement.

Il faut encore parler de ceux qui n’étaient pas présents au moment des expulsions (« évacuations » en novlangue préfectorale) et qui ne reviennent que pour constater les monceaux de débris.

Qu’est-ce qui a motivé ce changement de politique ? Pour paraphraser Michelet « ils exagèrent les maux pour nous faire jouir plus vite de la félicité que leurs théories nous préparent  [1] ». Ce ne sont pas les bidonvilles qui dérangent monsieur le Préfet. Certes, il fut l’un des membres des cabinets de Claude Guéant, proche de Sarkozy, et si la rhétorique du Kärcher ne l’a pas quitté (« Il faut nettoyer la ville » a-t-il déclaré dès son arrivée), il est en revanche peu probable que les expulsions de bidonvilles soient le fruit d’une réflexion. Quel individu doté d’une intelligence moyenne, pourrait supposer qu’expulser sans solution conduirait des personnes vivant à Montpellier depuis plus de dix ans à quitter la ville ? Ce serait insulter la fonction de préfet que de le croire. Non. Si les bidonvilles sont aujourd’hui les victimes du PS et de la Préfecture LREM, ce n’est que la résultante de l’approche des élections présidentielles.

Le Préfet est là pour rappeler que pour éviter la chienlit dans une ville, le Parti Socialiste n’est pas à la hauteur. Et le Parti Socialiste en question, effrayé à l’idée de s’opposer au représentant de l’Etat, serre ses petits poings et se joint à la curée.

Les premières victimes, ce sont les habitants de ces habitats de fortune qui constituent les bidonvilles. Victimes de stigmatisation, de racisme, de rejet, cantonnés à leurs supposées appartenances ethniques et culturelles, la majorité d’entre eux vivaient à Montpellier depuis plus de douze ans. Ils n’intéressent pas vraiment en temps normal. Mais ils forment des cibles faciles dès lors qu’il faut parler d’insécurité, d’immigration, de délinquance d’« inintégrabilité » pour reprendre les mots de Valls et Collomb.

Depuis le 31 août, les déclarations fracassantes du préfet, qui décrit ces bidonvilles comme des « écoles du crime » où règnent des réseaux mafieux, allant jusqu’à déclarer que la variole y est présente (sic), se répandent dans la presse locale (aucun journaliste ne demandera au fonctionnaire les raisons qui poussèrent ses services à travailler avec les associations plutôt que d’envoyer la police). Le Maire, n’ayant pu ou su s’opposer au Préfet, reprendra ces inepties et justifiera son incapacité à affronter le représentant de l’Etat.

Mais ces glissements lexicaux qui s’étaient amenuisés au fil des ans à Montpellier repositionnent le débat autour de « délinquants » ou « non-délinquants ». Les associations, les journalistes, les militants chercheront à démontrer que les habitants des bidonvilles ne sont pas des délinquants, travaillent, sont en demande de logement. Une énergie énorme sera perdue en venant sur le terrain de ces discours racistes et stigmatisants, perdant de vue l’essentiel : la précarité et l’absence de choix de vivre sur un bidonville.

Ce que Gérard Noiriel décrit concernant Zemmour, « On comprend (aisément) pourquoi les journalistes pamphlétaires comme E Drumont ou Zemmour sont contraints d’alimenter constamment de nouvelles polémiques. Ils crachent leur venin pour faire scandale car c’est leur seul moyen d’exister sur la scène intellectuelle. Les invectives, les insultes, les propos humiliants ont pour but de faire vibrer la corde émotionnelle afin d’inciter ceux qui en sont victimes à répondre de la même manière » (Le venin dans la Plume, 2019), s’applique au discours légitimant l’usage de la violence d’Etat. Dénoncer, cracher du venin, insulter les habitants des bidonvilles pour justifier leur réification en tant qu’objet politique.

Ainsi, les individus victimes d’enjeux politiques se voient également délégitimés dans leur combat contre la précarité, réidentifiés de façons stigmatisante et de nouveau marginalisés.

Ce que leurs théories nous préparent : ordre et sécurité néo-libérale, un monde où le précaire n’est qu’une variable d’ajustement. Ah merde… on y est déjà.

Bravo !

Ribouldingue

[1Michelet, Le Peuple, 1846, page IX

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