Made in France

Julien Tribotté

paru dans lundimatin#313, le 22 novembre 2021

« Il y a des folies qui se prennent comme les maladies contagieuses. »
Maximes, La Rochefoucauld.

Furies de sang sur les épaules des agneaux
des marchés nationaux remplis de fruits légumes et autres aliments pourrissant
non pas tant sur les étals que dans les encéphales
la viande qui pense y est couverte de mouches
des larves dans les pores explorent les sillons
une odeur de décomposition s’installe dans les narines
la bile remonte à la bouche
l’envie de déglutir

l’orgue de barbarie a laissé place aux aboiements
de ceux désireux de sirènes incendies
de ceux désireux comme autrefois qu’on leur porte la missive

leurs yeux comme des miradors de chasseurs qui n’attendent que l’autorisation pour sortir les cutters

des enfants boucs émissaires cachés la nuit dans des cartons et poubelles à la vue de tous
devant des bijouteries de luxe protégées par des vitres en verres caméras hommes armés et anti-vols high-tech

si le jour les rues semblent propres
une boue invisible fait déraper dans l’immondice
la fange n’est pas une fiction
elle est là omniprésente
dans l’eau qu’on boit
sur les feuilles d’herbes piétinées jetées aux crématoriums
dans les feuilles des journaux
dans l’écorce du vide
et elle ne vient pas de l’extérieur

et on n’est pas les seuls à la produire

*

Vous avez remarqué que pris en photo
certains politiques sentent mauvais
qu’un Vol-de-mort se dégage de leurs images
comme de leurs paroles
« on n’est plus dans le monde des Bisounours
on est dans un monde horrible
donc de temps en temps il faut prendre aussi des mesures d’autorité
quitte à choquer »
leur credo :
non pas résoudre les difficultés mais les dissoudre

Pol Pot ne disait pas autre chose

*

Les bûchers de philosophes éclaireront la ville
de leurs lumières
lorsque la nuit barbare
aura pris possession des foyers
les enfants iront à l’école pour apprendre à tuer
l’autre
celui avec qui un temps on chantait la victoire des bleus
du spectre des couleurs
il ne restera que le blanc et le rouge
ainsi qu’un noir infini
qui n’est pas une couleur
au-dessus des toits
la ville chantera l’eugénisme dans une symphonie pastorale
où les bergers et les bergères seront joués par des loups
avec des fleurs dans les cheveux
et des cocardes revisitées
la lyre mondaine trouvera son château
les églises fleuriront à nouveau
alors on apprendra
à ceux qui ont oublié
que le plaisir n’a de sens que s’il sert à enfanter
des fœtus dans des abattoirs
qui finiront en steak
il ne faut pas gâcher
voyons
où est la hache oubliée ?

*

On observe la pendule
pondre des œufs
sans poussins à l’intérieur
des éléphants sur la falaise
oreilles déployées
se demandent s’ils peuvent voler
le soleil de fin de temps darde de ses rayons les libellules
aux ailes trouées
les rives des rivières deviennent impraticables
privatisés par des cadres rêvant de déguster leurs cafés du matin en face de nénuphars
hier l’accès à l’eau était un bien commun
hier
sans nostalgie malvenue
ce temps est d’une obscurité confondant en meilleurs les plus mauvais d’entre nous
nous aimerions nous lier
nous lier dans des liesses populaires
mais quelque chose à nos cous nous retient
serions-nous devenus chiens ?
nous aimerions chanter et célébrer la terre
mais nous avons oublié
oublié qu’il était possible de chanter avec les arbres et les fougères
les pensées encombrées de glaires publicitaires
nous pourrions inspirer à pleins poumons
se libérer du stress
mais nous craignons les particules fines
les bouches protégées derrière des masques
nous nous rendons dans des musées d’art
regarder des bric-à-brac d’œuvres diverses avec l’espoir qu’elles nous rappellent ce qu’est vivre
d’œuvres d’artistes qui pensent parfois moins à lutter contre le fléau des temps
qu’à se payer les brevets d’exclusivité de couleurs
quel est donc ce monde que nous avons créé ?
ne serait-il pas temps de le défaire ?
les Experts de l’Expertise parlent de Réussite
en définissant l’humain
être de compétitivité prêt à défendre la Marche du Progrès
ils multiplient cocktails et autres congrès
mais dans les bouches
un arrière-goût persiste

*

Entendez-vous financiers de l’amiante
le ras-le-bol général circule de lampadaire en lampadaire
de veine en veine
d’arbre en arbre
partout la jeunesse et les peuples se réveillent
électrochoc collectif
prêt à faire tomber les barrières
les murs des empires
et surtout
ce discours ambiant qui donnerait envie d’abandonner
de tout quitter
de s’en aller au pays des ours blancs
là où il n’y a pas de caméra pour surveiller nos faits et gestes
où on peut se défaire de nos soucis de carrière en regardant les aurores boréales
sans se faire contrôler déshabiller matraquer

regarder l’horizon
ouvrir les possibles
redonne confiance en soi et en les autres
permet d’échapper aux miroirs du culte moderne qui nous confondent dans le vide
n’est-ce pas une blague des oligarques qui se soucient de ton bien-être ?

eux qui rigolaient que les peuples d’hier aient été soumis aux propagandes
ils ont élu Trump-Macron
et la mascarade continue
alors combien la nuit
alors combien le jour
rêvent de casser les vitres des banques lycées tribunaux
et de jouer des cocktails Molotov sur les gardiens de la paix-faiseurs de guerre

mais qu’il est bon d’écouter les chiens de garde
histoire de se détendre
de ne pas se stresser davantage

pendant qu’ils montrent des images de grèves de cheminots avec des micro-trottoirs de DRH de BHL et de travailleurs qui disent en avoir plein les bottes de perdre du temps à cause de preneurs d’otages

les ronds-points incarneraient-ils le 21e siècle du genre humain ?

tourner en rond
tourner
et sur les plateaux télés
se révoltant avec audace contre « la pensée unique »
les polémistes se remémorent le bon temps des rails de Treblinka
se désolant de la décadence de ce beau pays qu’est la France
avant de s’interroger sur les bienfaits de la potence pour celles et ceux qui osent défier la toute-puissance de l’État de droit
te rappelles-tu
quand nous découvrions les caricatures fascistes des rouges aux couteaux entre les dents
en se disant qu’il fallait être bien naïf pour se soumettre à de telles propagandes
pourtant
n’y en a-t-il pas encore pour dire que les valeurs importent peu quand il y a la croissance ?
ces mêmes qui s’« indignent » qu’il n’y ait pas plus de fusils pour faire régner la justice
quand ils ne se gênent pas de faire du darwinisme social en dégageant des entreprises les plus lents des candidats, ceux qui se trimballent un fauteuil, les vieux en fin de carrière, les idiots du village

marche ou crève
si tu ne le savais pas
te voilà prévenu

mais l’aurore se lève

*

Loin des conneries télévisuelles qui atrophient le cerveau en l’engraissant
voguer
loin des politiques managers qui te demandent de faire le beau
de tendre la papatte
sans sortir les dents
sans colère
quand ils dynamitent tes quelques droits restants
voguer
voguer
avec la lucidité du combattant

ACAB tatoué sur la cuisse
il s’agira de réveiller
les pavés
la hache de guerre étant déterrée depuis longtemps

eux qui aiment quand une classe se tient sage
eux qui parquent des streets-medics en garde-av’ pour « menaces terroristes »
eux qui visent une vieille dame à son balcon

mais continuez messieurs les bâtards !
les révolté·es qui s’ignoraient
grâce à vous
se découvrent

sous le masque de l’anonymat

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