Balkan Beat

Les étudiants macédoniens triomphent de leur gouvernement.

paru dans lundimatin#12, le 1er mars 2015

Depuis plus de quatre mois les étudiants de Skopje luttent contre ce qui n’était au départ qu’un projet de loi relatif à l’enseignement supérieur, prévoyant la mise en place de « tests externes » - de nouveaux examens évaluant les étudiants à la fin de la deuxième et de la dernière année d’étude. Leurs résultats sont jugés par une commission de l’État qui décide de la poursuite des études et de l’obtention du diplôme. L’objectif est de pallier au manque de partialité de certains professeurs, connus pour accepter des dessous-de-table. Il n’est apparemment pas exceptionnel en Macédoine d’être diplômé d’une université où l’on n’a jamais mis les pieds. Les étudiants reconnaissent le problème, mais refusent cette solution qui entrave l’autonomie de l’Université.

En novembre, une première manifestation regroupe plus de 3000 personnes. En décembre, une deuxième en réunit au moins 10 000. De nombreux passants se joignent spontanément aux marches, tandis que des habitants expriment leur soutien depuis leurs fenêtres. Ces chiffres font de ce mouvement une mobilisation historique, la plus importante depuis l’indépendance du pays en 1991. C’est aussi la première fois que ce gouvernement, inchangé depuis 9 ans, connaît une réelle opposition.

Pourtant, à ce moment, les autorités n’ont pas jugé bon de réagir. Le chef du gouvernement, Nikola Gruevsky, s’est simplement contenté d’un petit commentaire taxant les étudiants de « militant pro-SDSM », parti de l’opposition qui boycotte le parlement depuis les élections législatives très controversées d’avril dernier. Déclaration qui a eu pour effet de renforcer la cohésion des étudiants, qui ont déclaré n’avoir pour seule carte de parti : leur « indeks », livret d’étudiant équivalant aux cartes d’étudiant françaises. Ce livret rouge est devenu le symbole du mouvement.

Le Parlement étudiant, l’association étudiante officielle, est lui aussi resté muet face à ces événements. Et pour cause : son dirigeant est un proche du gouvernement. L’inutilité notoire de ce parlement a donné naissance au Plenum étudiant, dont la présence représente pour beaucoup un soulagement. Il est considéré comme la première organisation à ne pas craindre le gouvernement. Une autre a vu le jour depuis lors : le Plenum des professeurs, qui soutient les étudiants dans leur lutte.

Après les manifestations, les jeunes macédoniens se sont essayés à d’autres types d’actions. Nombre d’entre eux sont allés, par équipe, accrocher des banderoles en haut des bâtiments, sur des centres commerciaux, sur des ponts, exprimant leur opposition face à la loi et appelant à la solidarité et à la mobilisation. De nouveaux tags se sont multipliés.

C’est dans ce contexte que la loi a été adoptée mi-janvier. Les étudiants, dépassés, ont donc décidé, début février, de reprendre le contrôle de leurs universités en les déclarant « zones autonomes », et ce jusqu’à l’abrogation complète de la loi et la prise en considération de toutes leurs demandes. Une vie collective surprenante a rapidement vu le jour, de nombreux ateliers se sont organisés - dessin, musique, « lectures alternatives ». Il y a eu quelques concerts et des cours de philosophie et de droit tenus par les étudiants. Les habitants ont montré une fois de plus leur soutien en apportant aux occupants de quoi tenir leur siège : de la nourriture, des plats, des couvertures, etc.

Après deux semaines de blocage complet de plusieurs universités à Skopje et à Bitoli, le gouvernement a cédé. Les « tests externes » ou « examens d’État » ont été supprimés et une nouvelle loi va voir le jour, introduisant les demandes des étudiants. Du jamais vu, les jeunes macédoniens auraient-ils eu raison du gouvernement ? La situation très problématique dans laquelle se trouve ce dernier depuis que l’opposition a apporté les preuves révélant la corruption du premier ministre Nikola Gruevsky et de son parti (écoutes téléphoniques, contrôle de l’appareil judiciaire et des médias) y est-elle pour quelque chose ? Les étudiants ont néanmoins décidé d’arrêter les occupations, provisoirement ; ils se disent cependant prêts à reprendre l’offensive à la moindre occasion. Peut-être que les récentes révélations constitueront ladite occasion dans les mois à venir.

Le mouvement étudiant aura donc tenu plusieurs mois. Il a pris de l’ampleur et bouleversé la vie d’un pays fatigué par la corruption de ses dirigeants. Dans une Macédoine où le clivage ethnique entre Macédoniens et Albanais (représentant 20 % de la population) est constamment mis en avant par le gouvernement pour diviser la population, cette lutte aura permis l’organisation de tous les étudiants au-delà de cette séparation.

Depuis l’automne dernier un mouvement similaire anime la vie de Belgrade. En décembre, ce sont les travailleurs bosniaques de Tuzla qui, un an après les révoltes populaires, n’ayant toujours pas obtenu ce qui leur avait été promis, ont organisé une marche jusqu’en Croatie afin d’y demander l’asile. 2015 sera-t-elle l’année d’un réveil dans les Balkans, une sorte de printemps balkanique qui dépasserait enfin les questions identitaires et nationalistes ?

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