Longue vie à la ZAD de Gonesse

« Si un quart des marcheurs pour le climat rejoignait la ZAD, on construirait une ville et on ferait plier le projet »

paru dans lundimatin#277, le 1er mars 2021

Mardi 23 février, une impressionnante opération de police venait déloger la ZAD du triangle de Gonesse installée sur les terres les plus fertiles d’Ile-de-France mais vouées à être bétonnées. Des habitants reviennent sur l’occupation, l’expulsion et l’inéluctable riposte qu’elle appelle.

Récit d’une expulsion

Le mardi 23 février aux alentours de six heures du matin, les flics entourent les cloisons en tôle de la ZAD. Certain-es camarades chargé-es de vigie les aperçoivent de loin, et s’empressent de réveiller les autres dans la confusion la plus totale. Brutalement, nombreux sortent de leur sommeil et se retrouvent au centre du terrain, quand d’autres n’entendent pas les appels et seront réveillés par des coups de matraque sur les tentes. Très vite, les flics pénètrent une des entrées et entourent les gens présents sur la zone. Enclavés dans ces quelques mètres carrés de terrain, nous n’avons le temps de rien faire face à leurs quinzaines de camions. Nous sommes faits comme des rats, dans un espace difficile à défendre. Dans l’empressement, certain-es réussissent à sortir, d’autres sont déjà parti-es pour observer depuis l’extérieur les allées et venues des forces de l’ordre. Un bus de la police nationale a été affrété pour embarquer jusqu’en garde à vue les vingt-cinq personnes qui seront arrêtées ce matin. La garde à vue se passe calmement pour la plupart, et les vingt-cinq écoperont d’un rappel à la loi pour deux chefs d’inculpation : « occupation illégale » et « regroupement en vue de commettre des actes illégaux ». La clémence de la sentence en réjouit certain-es - au vu des condamnations qui ont pu tomber pour d’autres occupations - mais témoigne aussi de leur stratégie : « vous êtes bien gentils mais ne recommencez pas ou ce sera pire cette fois ». Il faut aussi noter que sur le matériel que nous avions laissé sur place, les flics se sont largement servis. À la carte : une visseuse, un magnétophone, des duvets ont disparu, mais on nous a gentiment laissé les vieilles affaires de ski. Les cabanes sont en train d’être détruites, et des trous en forme de tranchées fleurissent sur le sol de l’ex-ZAD, comme si l’Établissement Public Foncier d’Île de France, nous empêchant de récupérer le terrain, cherchait ainsi à symboliser la bataille gagnée dans la Guerre en cours. (un peu de lyrisme ne fait pas de mal)

Rappel des faits

Le Triangle de Gonesse est une parcelle de terre située dans le Val d’Oise près du terminus du RER D, Villiers-le-Bel Gonesse. C’est une terre très fertile, où on cultive surtout du blé comme dans la plupart des terres du Vexin. Le Triangle a d’abord été menacé par le projet d’un méga-centre commercial et de loisirs : EuropaCity. Ce projet s’inscrivait dans le cadre du Grand Paris Express, et devait s’accompagner d’une gare permettant le passage de la ligne 17 qui desservirait l’aéroport de Roissy, qui devait accueillir un nouveau terminal. La région a du abandonner le projet du Terminal 4 il y a quelques semaines, jugé « obsolète » par la ministre de l’Écologie, en raison des nouveaux attendus impliqués par le réchauffement climatique. Malgré tout cela, le projet de la gare est maintenu. Une « gare en plein champ », qui serait en fait entourée d’ici les prochaines années d’une zone urbaine : quartier d’affaires et autres propositions des plus rocambolesques. Depuis dix ans, le collectif pour le Triangle de Gonesse (CPTG) mène un travail monumental pour la préservations des terres : recours juridiques, mobilisations, information… Après une première victoire constituée par l’abandon du projet de centre commercial, le CPTG et ses soutiens espéraient enfin pouvoir obtenir la mise en place du projet CARMA (Coopération pour une Ambition agricole, Rurale et Métropolitaine d’Avenir) qui constitue une alternative à la bétonisation : mise en place d’une production agro-écologique sur 680 hectares de terres agricoles entre le Bourget et Roissy, permettant de préserver des terres qui protègent du réchauffement climatique en absorbant la chaleur, mais aussi de constituer un réseau agricole écologique, local et dynamique en Ile-de-France. Le projet permettrait la création d’emplois locaux, non délocalisables et surtout intéressants, dans une zone au taux de chômage et de déscolarisation très élevés. C’est un projet ambitieux, qui a encore ses imperfections mais qui nous paraît bien plus désirable que les mortifères « smart cities » proposées par la région. Le projet CARMA n’est pas soutenu par le maire de Gonesse, le socialiste Jean-Pierre Blazy, qui utilise l’argument des emplois créés par le quartier d’affaires pour justifier l’urbanisation de la zone. Tout comme sur le plateau de Saclay, où la constitution d’un « pôle d’excellence » est en cours, ces zones desservies par les nouvelles lignes de métro (lignes 17 et 18) ne seront pas investies par la population locale mais par des cadres supérieurs de la région parisienne. Violence de la métropole versus territoires habitables. (CQFD)

Après des « ZADimanches » organisées sur le Triangle pour poursuivre la lutte, le CPTG et d’autres montent d’un cran en occupant la zone. Dans un froid polaire, les premières cabanes se montent. Les premières nuits sont difficiles, mais les occupant-es tiennent le lieu. Du fait des réseaux militants et du CPTG, le matos et les denrées affluent, réchauffant le moral des troupes. Cuisine, « saloon », dortoirs, auto-wash, toilettes sèches, salle de bain, barnum sortent de terre grâce à l’énergie des zadistes. La population est bigarrée, ce qui contraste avec d’autres expériences d’occupation, et nous parait très rafraichissant : retraités, étudiant-es, autonomes, squatteurs, zadistes professionnels, militant-es d’Extinction Rébellion, Gilets jaunes, flâneurs, passager-es d’un jour. Au début, les journées sont rythmées par les prises de parole du CPTG. Ensuite, des AG informelles s’organisent, des référent-es sont désignés les matins pour gérer la logistique ou l’accueil des médias présents sur site. Ces derniers sont souvent présents, c’est la stratégie du CPTG que d’avoir une « existence médiatique » pour peser dans le rapport de force. Les débats fleurissent évidemment, certain-es proposant d’autres stratégies de lutte. Il a semblé a beaucoup d’habitant-es de la ZAD que c’est cette diversité des âges, des tactiques et des expériences militantes qui a donné du souffle à ce groupe mouvant qui a depuis le début été agi par un puissant feu sacré. La bienveillance, le refus des comportements oppressifs sur la zone, la joie, les tentatives d’auto-organisation sont autant de choses qui ont fait de ces dix sept jours une brèche précieuse. Les week-ends, nous organisions des repas et des chantiers collectifs, qui ameutaient du monde venu de toutes parts de la région. Nous nous sommes pourtant étonnés du peu de personnes présentes sur la zone par rapport à la proximité de la ZAD de la métropole parisienne. Mais la possibilité d’un tel événement en Ile-de-France donne toutefois espoir pour la suite. Entendu sur la zone : « Si un quart des gens qui viennent aux marches pour le climat venaient, on construirait une ville et on ferait plier le projet ». Ou comment devenir une masse, tout en restant mineurs (au sens deleuzien) dans nos pratiques. Les 150 ans de la Commune, le 18 mars ?

Pour la suite de la lutte

Cette ZAD, au delà de la force des liens affectifs qui y ont pris part sur place, a permis de faire gagner en ampleur la mobilisation pour la défense du Triangle. Nous avons organisé des rencontres autour des marchés de Villiers-le-Bel-Gonesse et des écoles pour échanger avec les gens autour du projet du Triangle et de plus larges questions. Nous poursuivrons ces actions, en contact avec des associations locales à Gonesse. Les collectifs présents sur la zone et le CPTG ne s’arrêteront pas, et comptent bien faire plier la gare malgré l’expulsion.

On vous invite à donc nous rejoindre dimanche 7 mars à midi sur le Triangle pour une nouvelle ZADimanche, où pique niquer, échanger sur les luttes en cours, et se retrouver, ce qui nous parait plus que nécessaire. (plus d’infos à suivre bientôt sur les réseaux sociaux)

Face à l’écologie façon Bruno Latour et les fachos rampants, organisons-nous,
Des ZAD partout pour un futur désirable, parce que y en a marre,
les habitant-es de la ZAD de Gonesse, encore plus déter

Pour nous rejoindre : RER D jusque Villiers-le-Bel - Gonesse
Ligne 20 arrêt Fontaine - Cypierre
Marcher tout droit jusqu’à la Patte d’oie
Le site du CPTG : https://ouiauxterresdegonesse.fr/
Facebook : Zad du Triangle de Gonesse (https://www.facebook.com/ZAD-du-triangle-de-Gonesse-100340405436565)
Instagram : zad.du.triangle (https://www.instagram.com/zad.du.triangle/)

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :