Lettres de la Plaine

À messieurs Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille et Jean-Louis Knidel, paysagiste pour APS

paru dans lundimatin#161, le 16 octobre 2018

Les médias font souvent les choses à moitié. Quand La Provence publie un article intitulé « Marseille : la bataille de la Plaine partie pour durer », elle témoigne d’un sens de l’actualité tout à fait fait actuel : rivé au scoop et aux manifestations explicites de ladite « bataille ». Le journal fait alors les choses à moitié car la bataille de la plaine, évidemment, dure déjà depuis plusieurs années. Sans parler de la guerre contre la gentrification des centres-villes qui se déroule depuis plus d’un siècle, un peu partout dans le monde. Couper ces batailles et cette guerre de leur histoire permet de les réduire à des conflits périphériques sans grand intérêt. Depuis plusieurs années, donc, la municipalité phocéenne entend réamenager le quartier de la Plaine et en particulier la célèbre place éponyme sur laquelle a lieu un marché plusieurs jours dans la semaine et où nombre de gens se retrouvent pour garer leur voiture, jouer avec leurs enfants, manger un sandwich ou prolonger leurs soirées. Depuis plusieurs années également, une assemblée de la Plaine entend contrecarrer les plans d’aménagement et d’urbanisme déployés par la Mairie et la Soleam (société d’aménagement de la Ville) : installation de tables, nombreuses déambulations et, surtout, retour en force du carnaval populaire de la Plaine comme symbole de la réappropriation du quartier. Pour une histoire plus détaillée vous pouvez vous rendre sur le site de l’assemblée de la Plaine et nous publions également cette semaine un article d’Alessi dell’Umbria qui remonte plusieurs décennies en arrière pour comprendre ce qui se joue aujourd’hui. En septembre, les forains, déterminés à perpétuer la tradition du marché sur la place, ont bloqué la ville à plusieurs reprises. Vendredi et samedi dernier, un semi-remorque est venu placer des blocs de bétons afin de ceinturer la place pour empêcher les voitures de se garer, quitte à devoir envoyer à la fourrière les centaines de véhicules déjà garés sur la place. Évidemment, le semi n’était pas le bienvenu et la Soléam en a également pris pour son grade. Nous publions ici des lettres, lues avec élégance, en forme d’avertissements à « Jean-Claude » et « Jean-Louis » de la part des opposants au projet d’aménagement.

Lettres à Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille, datée du 11 octobre 2018 :

Il a pour prénom Jean-Louis et pour nom Knidel.

Il est paysagiste. Il a pour prénom Jean-Louis et pour nom Knidel. Il travaille pour l’agence A.P.S. Il a pour projet de déraciner 87 arbres. C’est sa manière à lui d’aimer les arbres. Il est paysagiste. Il s’appelle Jean-Louis Knidel, il ne dit pas déraciner mais transplanter. Il est paysagiste-conseil de l’État. Il a pour projet de déraciner 87 arbres de la place Jean-Jaurès à Marseille. Il est fier de son projet. Il est membre de la Maison de l’Architecture de la Drôme. Il dit « contextuelle, poétique et sensible ». Il dit "Notre souci est de situer les projets dans leur géographie pour en révéler les potentialités et la mémoire des lieux, et de rendre compte des qualités d’usage et des pratiques sociales." Il s’appelle Jean-Louis Knidel. Il est né le 9 juillet 1960. Il est gérant de l’entreprise Agence A.P.S. Aménagement des Paysages et des Sites Paysagistes. Il veut déraciner 87 arbres de la place Jean-Jaurès. Il veut la place pour faire son paysage. Il a son idée. Son paysage est dans sa tête. Les arbres de la place ne sont pas dans sa tête. Il dit "Notre souci est de situer les projets dans leur géographie". Il s’appelle Jean-Louis Knidel. Il a 58 ans. Il aime les gros projets. Il en est fier. 87 arbres. Il en est fier. Il gagne de l’argent en déracinant 87 arbres. C’est son gagne-pain. Il gagne son pain à Marseille en déracinant 87 arbres. Il a son paysage dans sa tête. Il veut son paysage. Les arbres de la place ne sont pas dans sa tête. Il s’appelle Jean-Louis Knidel, il est membre de la Maison de l’Architecture de la Drôme et dans sa tête il n’y a pas sur la place Jean Jaurès 87 arbres plantés en 1981-1982, en bonne santé. Il s’appelle Jean-Louis Knidel, il est paysagiste-conseil de l’État et dans sa tête il a un paysage et dans son paysage il n’y a pas les arbres de la place Jean-Jaurès. Il s’appelle Jean-Louis Knidel et dans sa tête il n’y a pas de paysage. Dans sa tête il y a une idée et son idée a besoin de place a besoin de la place a besoin de déraciner 87 arbres. Il s’appelle Jean-Louis Knidel, il a 58 ans et il prend de la place. Il est paysagiste et il ne trouve pas les arbres de la place majestueux et suffisamment développés. Il est paysagiste et il veut planter ses arbres à lui. Il est paysagiste et il veut remplacer les arbres avec ses arbres à lui. Il est paysagiste et il veut remplacer une population qu’il trouve insuffisamment développée. Il est paysagiste et il veut une population développée. Il s’appelle Jean-Louis Knidel. Son nom est une machine qui déracine 87 arbres à Marseille sur la place Jean Jaurès. Son agence est le moyen par lequel il tire profit de sa machine. Elle est située au 31 grande rue 26000 valence. Elle a pour numéro de téléphone 04 75 78 53 53.

Une autre lettre au même Jean-Claude, datée du 12 octobre 2018 :

Lettre à Jean-Louis Knidel, paysagiste pour l’agence APS

Lettre à Jean-Yves Miaux, directeur général de la SOLEAM (Société Locale d’Equipement et d’Aménagement de l’aire Marseillaise)

Lettre à Emmanuel Macron, président de la République

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