Lettres de la Vallée de Susa

À propos de la situation dans les prisons et des délires antiterroristes

paru dans lundimatin#237, le 6 avril 2020

Comme chacun sait, les prisons se sont soulevées dans toute l’Italie contre un confinement meurtrier. La revendication d’une amnistie et de réduction de peines qui videraient ces hauts lieux mortifères n’a cessé de monter depuis. Le mercredi 1er avril, elle a pris la forme d’un « tapage », dans toute l’Italie, de Naples à la vallée de Susa, accompagné de banderoles et d’écriteaux : un début de reprise de la rue…

[Photo ci-dessus : "Solidarité avec les détenus de Rebibbia [grande prison “moderne” romaine], toutes et tous libres"]

En voici quelques échos, dans une lettre d’un ami dans la vallée de Susa, et dans une autre, via la même vallée, de Nicoletta Dosio : militante No-Tav de 74 ans elle était emprisonnée depuis le 30 décembre dernier pour avoir refusé la détention à domicile qui lui avait été infligée pour son avoir « bloqué la voie publique » , et elle vient d’être libérée pour raisons de santé (et placée en détention à domicile).

« Dans la prison de Rebibbia au moins quatre détenus contaminés. Une protestation est en cours. Personne ne retourne en cellule. Amnistie. Réductions de peine. #prisonsenrévolte #sesouvenirdesresponsables »

D’un ami dans la vallée de Susa :

« Bonjour, comment allez-vous, que faites-vous, nous nous essayons de pratiquer l’autodiscipline par la distanciation, qui est la seule possibilité non invasive, qui ne prévoit ni vaccins, ni tortures hospitalières, etc. mais en compensation permet de continuer la lutte. Nicoletta est sortie de prison [et placée en détention à domicile, ndt], comme tu sais peut-être, juste à temps pour participer à l’appel national pour l’amnistie. Tapages et banderoles aux balcons et par petits groupes, distanciés et avec gants et masques dans la rue. Nicoletta est aussi sortie de la prison de sa maison et a fait elle aussi le tapage. Chez nous, comme tu sais peut-être, les services et la DIGOS [équivalent de la DGSI, ndt] parlent de possibles révoltes au Sud, de pillages, de ceux qui soufflent sur le feu, etc. Barbara [Balzerani, ndt] a été attaquée par les médias, on parle d’une enquête de la DIGOS pour des posts sur les morts de Gênes, tués de sang-froid par les troupes antiterroristes [1], à l’occasion du quarantième anniversaire. Accusée par les médias d’être « la possible chef » de ce délire policier d’une unité entre BR et anarcho-insurrectionnalistes, à les en croire un péril en cours. Mais nous, nous continuons à vivre et à lutter. Nous te serrons fort dans nos bras. Communisme ou barbarie. Faites-nous savoir si quelque chose démarre aussi chez vous… »

Naples : « Les détenus crient : tous en sécurité ! Tous à la maison ! Amnistie. Réductions de peine. 1er avil 18h. Faisons du tapage sur nos balcons, comme eux le font sur ces maudits barreaux, accrochons des banderoles pour faire entendre leurs cris. Faisons entendre aux personnes détenues qu’elles ne sont pas seules. »

Via une amie de la vallée de Susa, cette lettre de Nicoletta :

« Va comprendre le cœur humain…

« A la prison des Valette, je ne pensais qu’à ma maison, aux sentiers qui montent vers la montagne et les bois de la Clarea [zone proche du chantier du tunnel du TAV et lieu de rassemblement - ndt] aux ruelles du village qui mènent à la Crredenza [excellent restaurant populaire et QG informel des no-tav – NDT].

« Maintenant que je suis rentrée, ma pensée court là-bas, entre ces murs, auprès de mes compagnes de détentions qui attendent encore, derrière les barreaux, un acte de simple justice qui leur est du. Elles aussi, comme moi, ont le droit de fuir l’épidémie qui avance et qui, dans la surpopulation et l’invisibilité des prisons, fauchera des vies en masses.

« Qui ne l’a pas éprouvé ignore la peur d’attendre immobiles et sans défense et ne connaît pas la générosité incommensurable des paroles dites au bon moment contre l’angaoisse qui monte, du café offert avec amitié à qui est sur le point de se laisser aller…

« Je pense à ma compagne de cellule qui depuis des mois devrait être chez elle, n’était le poids d’une bureaucratie perverse auquel personne n’apporte de remède : j’entends les voix des nombreuses femmes âgées et malades qui, leur libération demandée, attendent chaque soir dans les palpitations d’entendre prononcer leur nom dans la liste des sortantes. Et qu’en est-il de la jeune gardienne de chèvres sur les monts de la province de Cuneo, ma compagne de bibliothèque et de pensées dans les heures de promenade passées à marcher ensemble dans cette cour murée que peuples images et souvenirs…

« Je ne supporte pas de savoir ces femmes, ces hommes emmurées vivantes, emmurés vivants par un pouvoir qui les condamne à mort et cache derrière un grand déploiement de drapeaux patriotiques la dévastation pratiquée depuis longtemps sur les biens publics, les droits de tous, êtres humains et nature. Je ne supporte pas les indifférents qui, préoccupés seulement de leur propre sécurité, se taisent sur les noyés, les derniers de toujours. D’ici peu, le 18, bien qu’isolée, je serai sur mon balcon pour faire le tapage pour le droit à la santé et à la libération du risque d’épidémie aussi pour les détenues, en union idéale avec mes compagnes de chaîne et leurs familles. »



[1Il s’agit d’un épisode sanglant de la lutte antiterroriste au cours duquel, le 28 mars 1980, les carabiniers du super-héros de la post-gauche le général Della Chiesa, renseignés par un super-repenti, l’infâme Peci, firent irruption dans un appartement et liquidèrent trois membres des BR et le jeune propriétaire du logement.

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