Les vérités du fossé #1

Depuis les occupations de théâtres en cours...

paru dans lundimatin#279, le 14 mars 2021

Suite aux « occupations » de lieux culturels qui se multiplient partout en France, quelques personnes malintentionnées sont intervenues lors de l’A.G de vendredi à Nantes, devant l’Opéra Graslin pour déclamer le texte qui suit. Cette petite pièce de théâtre qui voulait scandaliser le petit monde Nantais de la culture et les quelques élus présent sur place aura en réalité reçu une poignée d’applaudissements gênés, bien loin des huées espérées.

Pour télécharger ce texte en affiche A3, cliquer ici.

Les vérités du fossé #1 / Misérable Luxe

« La culture coûte cher ? Essayez l’ignorance »
Abraham Lincoln repris par les « acteurs du monde culturel ».

… Bon, il est peut-être des mots qu’il convient de ne pas trahir.
D’autres, qu’il nous est nécessaire d’oublier pour avancer.
Reprendre à l’appareil culturel ce qu’il croyait nous avoir volé.
Rendre la pareille.

Bon bon... La culture.
l’art... Bon bon bon.

Considérer un mot ou un geste, c’est prendre la mesure de ce qu’il dit ou ne dit plus, de ce qu’il fait et ne fait plus. Et de quoi la kulture est-elle encore le nom ?

[Silence dans la salle]
* * *
Encore une bande de poètes désoeuvrés ?


« Je vais faire un poème sur la guerre, ce ne sera peut-être pas un vrai poème, mais ce se sera sur une vraie guerre. » René Daumal, La Guerre Sainte, 1940.

[Silence dans l’assemblée]

Soudain, il y a les mots et les gestes, les paroles et les actes ;
Au milieu de tout cela, on trouve la kulture, du moins celles et ceux qui la cherchent. Au milieu de tout cela, encore, la dure réalité de l’inconséquence, sa terrible précarité.

Nous voulons toujours du sentiment esthétique.
Mais nous voilà à jamais civilisés.

Nous exorcisons jalousement ce besoin impérieux d’un narcissisme collectif.
La kulture est depuis si longtemps ce coupable désir d’un miroir aux accents canaille.

Alors, Acte I
L’occupation de l’opéra Graslin ou
un siège à l’opéra

— Mercredi 10 mars, 12h00.
Il y a un but possible, mais fait de moyens
rendus jusqu’ici impossibles.
Mais si la lâcheté moral est juste,
nous ne comprenons pas son ambition.
Misérables nous le sommes tous,
chacun choisit sa forme.
Alors, bien souvent,
les mots ne sont plus à la hauteur.
Et c’est peut-être ainsi que naissent les formes ?
Elles grandissent parfois pour faire œuvre...
des-œuvres culturelles (désordre ponctuel)
Une salle à moitié vide, une verre à demi plein.
Un vide que l’on comble et qui parfois nous comble.
Un commerce ouvert en jauge-limitée : et je succombe !

— Encore un !

Acte II
État des lieux
des lieux de l’Etat

— L’histoire d’une « occupation » légale...
encore une.
Une industrie de circonstance :
de belles paroles, de beaux gestes,et ainsi de suite...
Une usine à l’arrêt... encore une.
Cette fois, ce n’est pas une mise en scène.
Loin des représentations,
nous restons à l’ombre des projecteurs.
De Samuel Beckett à Jeff Bezos,
De l’absence : à la demande.
Nous attendons.
Mais de quoi nos larmes sont-elles le nom ?
Nous exigeons la réouverture sans délai.
Nous, nous chantons la reprise des hostilités.

— Encore une fois...

Acte III
Du symbole de la quête,
à la quête elle-même.

— Une mise en mouvement,
un diptyque « nature-culture » comme dirait l’autre.
La nouveauté inerte,
ce cadavre que l’on anime artificiellement.
Une institution aussi éphémère qu’effarante :
le mensonge in situ.
Voilà peut-être là un rituel de l’époque ?
Si l’absurdité s’exhibe,
se montre en bonne compagnie, bien que masquée ;
rappelons qu’elle est docile plus qu’elle n’est subversive.
Si elle est aujourd’hui inattaquable,
peu rentable et profondément vaine.
L’inattendu, lui, reste à l’affût.
Tout est possible ici, maintenant.
Il faut savoir composer avec le symbole,
travailler sa fuite.
Guetter l’opportunité du sens,
d’un fond sans entracte : une éclatante profondeur.

— Encore le relief morne ?
— Non pas cette fois.

Acte IV
Présence et dénouement,
présente conclusion.

A chaque jour son air blême,
la peine ne suffit plus.
serait-il venu le temps des apparats sans emblème ?
L’hiver et sa couleur nous indiffèrent,
nous voulons la ville toute entière !
La magie comme marchandise,
l’absence comme présence :
Trop peu pour nous.
Nous sommes les 99 %
qui ne se contentent pas du 1% artistique .
Nous sommes de braves gens,
qui n’aimons guère la paix.
Nous préférons braver le couvre-feu,
baffer la BRAV et éviter les balles.
Nous n’avons que faire de leurs jargonneuses réponses,
qui, assurément n’en sont pas.
La rue, même vidée, est notre terrain de jeux :
la clef du trésor ?

— Oh que oui !

* * *
Et voilà le printemps,
mon père était intermittent,
nous aimions la musique.
Il m’a transmis la haine de l’agit-prop’,
l’amour de la révolte et des pierres.
Martinez à l’opera, j’ai toujours voulu voir ça !

Alors depuis j’espère des choses qui m’échappent.
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