Les valeurs actuelles de Lucky Luke

paru dans lundimatin#294, le 1er juillet 2021

« Le nouvel album des aventures du célèbre cow-boy se laisse envahir par la politique, sous sa forme la plus caricaturale, sur fond de dénonciation convenue de l’esclavagisme sudiste  » écrivait l’hebdomadaire Valeurs Actuelles à la sortie l’hiver dernier du nouvel album de Lucky Luke, Un cow-boy dans le coton.

On a voulu en savoir plus.

En résumé, vérifier à l’instar de ce bon journal de l’extrême droite française comment « ce fleuron de l’esprit français  » que fut Goscinny a pu être remplacé par le sémito-négrophile Jul dans le scénario du cow-boy ? René Goscinny est né dans une famille juive dont une partie a été décimé durant le génocide. [1] Une chose sur laquelle il ne s’est guère attardé, préférant rire de tout. Il rencontra Morris, le co- fondateur de Lucky Luke aux Etats Unis. Gotlib, ou Marcel Mordekhai Gotlieb, le fondateur de Fluide Glacial, de Rubrique à Bracs et de Gai luron a eu une histoire similaire. Il est né de parents juifs roumains et hongrois. Son père meurt au camp de Buchenwald en 1945. Gotlib doit tout à Goscinny qui doit tout à Laurel et Hardy et on peut dire encore aujourd’hui que FabCaro et Fabrice Erre, les duettistes les plus barjots du moment doivent tout à Gotlib qui doit tout…Voilà pour le chapitre des valeurs pas trop actuelles de nos héros.

Jul se serait éloigné de la finesse ? Il caricature. Sans suspense. Faux évidemment. Comme dans album La terre Promise où il faut avoir vu, soit Rabbi Jacob de Gérard Oury soit connaître un tant soit peu la culture juive, l’humour d’un cow-boy dans le coton est à deux degrés.

Souvent, il faut avoir trempé ses yeux dans l’histoire américaine pour comprendre les plaisanteries de l’album. Valeurs Actuelles fait procès de la laideur des blancs et de leur bêtise sous le crayon d’ Achdé. Est ce que le procédé dans la bande dessinée de représenter la laideur intérieure par la représentation n’est pas de bon aloi ? En tout cas, c’est le procédé de tous les caricaturistes de la presse. Goscinny ne se gênait pas vers la fin de sa carrière pour souligner les caractères de quelques personnages bien réels.

Dans l’album, les blancs ne sont ni moins laids ni plus beaux que les noirs. Et les Daltons sont toujours aussi niais. Les quatre chevaliers de la bêtise sont une trouvaille car ils mêlent le retour des quatre mousquetaires dans un pastiche où chacun est un défaut humain. Les habitants blancs du bayou, parlant cajun, sont des braves gens pauvres. Ce qui est dénoncé, c’est la société blanche, certes mais celle des propriétaires fonciers. En quelques pages, Jul dénonce ce qui est attesté : la ségrégation, le lynchage et la présence du trop fameux Ku Klux Klan. A son propos, Jul devient plutôt léger quand il fait dire à un Lucky Luke lynché « Vous avez 15 semaines de retard sur mardi gras !  » Ou quand Joe Dalton décrit les KKK comme des « Turlututu Chapeaux Pointus  » Les enfants apprécieront. Les fachos seront désarçonnés. Valeurs Actuelles a raison sur une chose : il n’y a pas parmi les lecteurs de Lucky Luke de gens qui pensent que l’esclavage soit une chose admirable. Mais peut-être parmi les lecteurs de l‘hebdo s’en trouvent-ils qui voient dans l’esclavage une forme de relations entre Blancs et noirs, empreinte de bons sentiments. Notons que l’album se situe cinq ans après l’abolition. Il montre comment les choses n’ont pas changé si vite. Les récents épisodes de flinguage d’afro-américains par la police ne sauraient apporter un démenti. Les noirs comptent aux Etats Unis mais leurs vies moins que celles des autres.

Le journal accuse l’auteur de proposer une « légende noire  ». Le terme reprend les accusations soi disant portées à tort contre les conquérants Espagnols qui n’auraient pas « tant que ça » exterminés les amérindiens. Du moins pas volontairement. Un peu comme les bons cotés de la colonisation française en Afrique de l’Ouest.

Notre Lucky Luke de Jul est pourtant plus simple que ça. Le cow-boy hérite d’une plantation dans le sud des Etats Unis. La maison est entièrement refaite en son honneur, couleur des prisonniers Dalton. L’horreur en somme. Il trouve des anciens esclaves apeurés sauf une certaine Angela (Davis ?) qui n’entendent pas se laisser gouverner. Il veut léguer la plantation à ceux qui la travaillent, ce qui pour le coup, tombe dans le domaine de l’imagination. Il est vrai que le cow-boy a toujours été porté plus sur la liberté, la justice et la solitude que sur le capital. Résultat « le moralisme ou prêchi prêcha  » de Jul tombe plutôt bien car il met à la portée de tous des faits relatifs à la fin de l’esclavage. Cet agrégé d’histoire ne place pas la barre trop haut dans cet album. Il nous apprend même l’existence de Bass Reeves, marshal noir.

Valeurs Actuelles qui a trempé sa plume dans la fange la plus abjecte avec l’affaire Obono, ramasse dans l’égout de quoi faire ses chroniques. Même les plus anodins articles de cet hebdomadaire droitier se tortillent dans les bas fonds.

Christophe Goby

Un cow-boy dans le coton. Lucky Luke d’après Morris. Achdé et Jul. Lucky comics. 2020, 48 pages, 10,95.

[1Le Roman des Goscinny. Naissance d’un gaulois. Catel. Grasset. 2019.

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