Les nouvelles aventures de Coyote

Fabrice Reymond

paru dans lundimatin#181, le 4 mars 2019

Coyote est apparu au tournant de la Voix, il est né d’une tête d’épingle comme Athéna toute armée du crâne de son père.

Coyote est né de ce qui n’a ni forme, ni couleurs, ni odeurs, il est né de la possibilité du vide.

Coyote a suivi de près la dispersion des poussières qui font l’univers. Il a pris forme dans la faible brume qui a suivi l’explosion. Coyote est l’ancêtre de l’ombre.

Assis la tête dans les mains Coyote voit le cosmos entre ses pieds.

Assis dans son lit, il souffle au ralenti sur les fleurs de pisenlit de la voix lactées.

Coyote saute par-dessus l’horizon, shoote dans les nuages. Coyote enjambe les barrages de CRS, Coyote est un athlète. 

Je l’ai rencontré au musée, échappé d’un tableau, coincé derrière un mur. Je l’ai pris sur mes genoux et je l’ai trouvé beau. Comme une liberté inutile, comme une puissance qui se perd, comme une prise de terre. 

Coyote cherche son anéantissement en chacun de nous. Quand il touche enfin à sa fin, un flash traverse l’humanité, seule preuve de l’imago dei apportée au procès de notre ubris. 

Coyote est le croche patte de notre orgueil.

Coyote escalade les chameaux, met sa tête dans la gueule des enfants, joue avec les lions. Coyote est drôlement copain avec Dionysos. Il vide les piscines de Californie, skate les lignes électriques, met son sexe partout. 

Coyote ne marche pas, il trébuche. De sa naissance, il trébuche dans sa tombe et recommence pour faire marrer les copains, Coyote a l’art de la chute comme le mécano de La Générale. 

Coyote inspire et ça le projette en avant, expire et ça le projette en arrière. Le corps cabossé de Coyote cherche des surfaces à faire résonner. Le corps de Coyote est un carillon dans une cloche.

Coyote rue dans les brancards ou dans tout ce qui fait du bruit en tombant. Coyote regarde tomber ce que sa vie a construit comme s’il était un autre. Un jour Coyote monte des barricades, le lendemain il les détruit. Un jour il peint la chapelle Sixtine, le lendemain il la brule. Coyote ne met pas de fin à l’action, il ne règle rien, il transforme ce qu’il voit, il suit la voie du changement.

Coyote porte un sombrero, soleil négatif, point noir dans lequel il marche. Coyote poinçonne la terre, frontière toujours en cours. Les pas de Coyote ne vont nul part, ils dessinent des pays. Mais quand il croise la beauté que la lumière accroche, elle tombe en poussière dans l’ombre que son chapeau fait à ses pieds.

Coyote sait quoi faire du vent. Il joue à faire tomber les oiseaux, passe sa main dans le feuillage des arbres. Coyote est un geste invisible, un mouvement sans raison apparente. 

Comme le vent qui d’une seule direction fait bouger les arbres dans tous les sens, Coyote fait danser les hommes, leur donne d’autres formes, les pousse les uns dans les autres, les fait déborder. Coyote ne fait pas du modelage, il sculpte l’argile de l’intérieur, il donne de grands coups de pieds dans la table du potier.

Coyote dort dans son être comme la nuit la couleur dans les choses. 

Coyote est tapi dans l’ombre, prêt à nous sauter dessus, à nous embrasser où à nous battre, prêt à nous débusquer et à nous chasser de nous-mêmes. Connais-toi toi-même et débarrasses-t-en, dit le Coyote. Quand l’autre volait le feu aux dieux, lui soufflait déjà dessus. 

Coyote combat le mal par le mal. Faute de pouvoir ne rien faire, il fait n’importe quoi. Coyote est désœuvré de métier. Il libère les gestes et les choses de leur fonction. Il roule des pelles aux ruisseaux, danse avec les poireaux, fait des poèmes à la calculette, prie dieu dans les toilettes. L’action fait tic-tac dans la tête de Coyote.

Ses mains veulent prendre et ses pieds partir, les membres de Coyote ont déclarés leur indépendance.

Il mord la patte qui l’a fait trébucher, frappe le placard contre lequel il s’est cogné. Coyote prend tout au sérieux, répond à tout ce qu’on lui dit.

Coyote ignore tout de gagner. Coyote joue toujours à autre chose, il joue à jouer et dans les heures qui le séparent de la nuit, il veut toucher tout ce que la lumière touche, caresser chaque surface, pénétrer toutes les épaisseurs. Coyote lance ses 5 sens à la fois, ils lui reviennent comme des boomerangs, l’œil au beurre noir, le bras cassé, trophées gagnés d’avance sur ses courses contre le soleil ou la gravité. Coyote n’a pas d’adversaire, il traverse la matière le long du terrain, tend à travers la lumière des fils dans les yeux de ceux qu’il croise, et avance comme l’homme araignée suspendu au regard des autres.

Coyote vérifie la continuité du minéral à l’organique, il remonte par la racine des plantes, par la voix des animaux et dans les gestes des Hommes, il est le court-circuit de la parole, le plomb qui saute ! Coyote était mort dans la terre avant de pousser dans l’air, il est le retard des matières fossiles, l’apocalypse en avance, l’humus de l’humilité. Coyote est un courant d’air qui essaie d’en traverser un autre.

Un jour Coyote voulait jeter du poivre dans les arbres pour faire éternuer la forêt. Mais c’est lui qui éternua sur le tas qu’il avait préparé et les vents dispersèrent les grains de poivre sur les tribus. Les tribus s’en servirent pour écrire, certaines de gauche à droite, certaines de droite à gauche, et d’autres de haut en bas mais aucune n’écrivit jamais de bas en haut, de peur qu’à nouveau il n’éternue.

Quand Coyote grince des dents le sol vibre comme la peau d’un tambour. Coyote grince des dents comme une craie qui dessine au tableau et se casse en tombant sur l’estrade pendant que le professeur se retourne. Coyote fait vibrer son sexe avec ses dents. Il le plante dans la fourmilière pour voir la colonie s’enfuir, il le plante dans la terre pour réveiller les volcans. Attention quand grincent les dents de Coyote. 

Coyote pousse à l’intérieur des Hommes. Il bondit d’un corps à l’autre par leur bouche. Enceints de Coyote, les Hommes ne savent plus qui ils sont.

Le sujet est le maitre de la phrase et Coyote celui du chaos.

Coyote fait mourir le sujet au combat, surgissant d’un arbre, d’une route ou d’un homme, il se jette sur lui et ils se battent comme Jacob avec l’ange jusqu’à ce que le sujet y laisse sa peau, mue, éxuvie dont Coyote fait des rideaux pour attraper les mouches.L’éternel enfant du sens naît tous les jours de ce combat avec le décepteur.

Coyote est déceptif, il déçoit et désoeuvre. Coyote trompe l’attente des autres et même la sienne. Sa main gauche est déçue par sa main droite, Coyote n’est pas d’accord avec ce qu’il fait mais il s’y fait. Il regarde ce que son doigt lui montre alors que son pied lui botte les fesses. Coyote épuise l’attente et l’emporte dans ses bras quand elle s’évanouie. Coyote déçoit et nous laisse avec ce qui est là. Il déçoit comme un toréro esquive au dernier moment la volonté qui se précipite vers lui.

Coyote s’assied face à la mer et pense à la vitesse des rochers, il se retourne et court comme un lapin. Coyote voit son sang comme d’autres leurs mains, ses veines son blanches comme le marbre, vertes comme les chemins, rouges comme les autres, Coyote circule entre les mondes par les routes de son corps. Il ne voyage pas, il habite ce qu’il touche, il regarde d’ailleurs, depuis la mouette ou depuis la fougère, depuis la brume qui s’avance ou depuis le rocher qui l’attend, il voyage dans leur forme, dans leur couleur, dans leur vitesse.

Coyote se glisse entre l’immobile et le mobile. Il est la fessée sur la croupe de la jument, la trace en avant. Coyote se glisse à l’intérieur de la répétition pour que cela change, à l’intérieur du changement, pour que cela continue. Il a l’esprit de contradiction. Il retient celui qui veut sauter, pousse celui qui ne veut pas. Coyote garde l’équilibre instable, il est le tic-tac du mouvement perpétuel, il est fou à chaque coup.

Coyote plonge dans l’action, comme dans la parole, sans savoir ce qu’il va y trouver. Il nage au milieu des bouteilles en plastique et des filets de pêche, des informations qui saturent la surface et des intentions qui meurent au fond. La toile du haut débit empêche l’accès au sacré comme le faisaient les grands prêtres et les formules magiques. Quand Coyote tombe sur un rocher ou sur une île il sort pour plonger de plus haut. Son vocabulaire s’épuise parfois à bout de brasse et c’est en se taisant qu’il coule enfin. L’action est le repos dans l’épaisseur, des paysages pour les amphibiens 

Coyote est amoureux de l’action pure celle qui ne laisse rien derrière elle, celle qui disparait en apparaissant. Coyote est alchimiste.

Coyote libère les esprits comme des lévriers de leur box. Et ils se mettent à courir sur la lande et sur les vagues. Coyote nous apprend à courir comme un lapin, à nager comme un poisson. Coyote l’animiste, réveille dans nos corps, la mémoire de l’évolution. Entrainés par les animaux, éduqués par la nature, sans arbres comme tuteur les hommes ne tiendraient pas debout.

Coyote préfère parler. Dans sa voix, il y a toutes celles qu’il a entendu, aussi celle qui a tout étendu. Coyote ne parle pas il prend le train en marche, il saute sur les sièges, ouvre les valises, casse les fenêtres. Coyote braque le langage comme Dada mais Coyote ne finira pas dans la pub. Coyote est un feu dans la nuit qui n’arrête pas de tourner, du poil à gratter qui n’arrête pas de gratter. Coyote est un comique mais Coyote pleure quand on lui demande de rire. Coyote surgit dans la parole et retourne les ordres contre eux-mêmes, le miroir de La Fontaine et le glaive de Luther, sa langue est le fourreau de l’esprit, le fil de sa lame ne s’émousse jamais.

Coyote pleure. Aussi vite qu’il court entre eux il ne peut pas relier tous les hommes. Les hommes trouvent toujours des failles dans leur généalogie, des failles où s’entretuer. Coyote passe entre les hommes pour séparer les tribus. Les tribus massacrent à leur échelle. Coyote préfère le couteau au canon, le bannissement à l’extermination. Il se méfie des grandes échelles, elles ne montent que pour mieux dominer.

Coyote n’est pas pour rien dans la chute de Babel. A Pise Coyote s’est appuyé sur la tour pour sauter par-dessus le pomerium. Coyote aime les meutes.

Coyote s’assied dans son être comme Actarus à l’intérieur de Goldorak. Coyote attaque le monde depuis les corps qu’il habite. Il peut se retirer bien en deçà de lui et se propager bien au-delà.

Au poste de commande Coyote ne veut pas gagner, il veut disparaître. Il attaque dans le vide pour se défaire de lui, comme d’un papier collé

Épilepsie du vide, renouvelement de l’énergie comme du sang, son anéantissement renforce sa puissance. Coyote ne prend jamais le pouvoir, la volonté qu’il demande en retour empoisonne les corps comme les acides saturent la chair des animaux qui se débattent avant de mourir. Coyote porte sa puissance en bandoulière, comme une boule de bowling qui renverse le pouvoir quand il se dresse, comme une boule de feu qui disparaît en apparaissant. Coyote slalome entre ses désirs pour éviter que son esprit ne les réifie.

Coyote est dans la perspective d’autres choses, d’autres espèces, d’autres cultures. Il traverse les époques dans les plis de Warburg : Hermès, Loki, Lutin, Viltensou… Coyote sort la tête de la poche de l’histoire au meilleur moment, quand la civilisation a tout posé sur la table, a ouvert les têtes et les coffres, défait les liens et les structures. Coyote sort la tête à l’étale quand la mer a fini de monter ou de descendre, il est le signe de l’histoire à l’arrêt, la folie comme ultime preuve de sagesse. Coyote sort la tête à ciel ouvert, puissance d’enracinement, il murmure à l’oreille des civilisations. Il leur rappelle leur immense vanité dont le vent se débarrasse d’un revers de manche et leur misérable condition dont leur besoin de domination est la meilleure preuve.

Coyote n’a pas d’âge, on dit qu’il est archaïque. Mais Fripon est un fil tendu dont on ne distingue pas l’autre bout. Fripon vibre comme les atomes sur leurs cordes, il est là et pas là, ou deux fois là. La question n’est pas de savoir si Coyote a un âge mais de savoir quand il va nous tomber dessus.

Coyote traverse les générations. Né de ses frères, il enfante sa mère. Coyote est l’enfant intérieur, le père de l’homme. Il nous apprend à ne pas savoir, à jouer, à croire, à ne plus marcher, à ne plus parler, à ne plus penser.

Coyote fait l’amour avec sa voisine au moment de partir à la guerre. Coyote fait dériver les décisions, il crée des bifurcations par l’énergie de l’ennui, par sa disponibilité à l’instant. Coyote est un aboulique hystérique, il a pris le chemin de l’acédie qui mène aux vices et à l’illumination.

Coyote a inventé tout ce qu’on raconte sur lui, ses histoires sont toutes vraies, Coyote c’est celui qui les raconte.

Coyote travaille à vue. Aucun rideau derrière lequel se retirer. Coyote n’est pas obscène, il met tous le monde sur scène. Il n’a pas peur du regard des autres parce qu’il est son seul juge et qu’il l’a tué. Coyote est un artiste qui dort en vitrine, qui baise aux tribunes. Coyote c’est une voix qui traverse les champs et les forêts à la recherche de l’écho, c’est une vibration qui traverse la matière. Coyote n’a nul endroit où se retirer parce qu’il ne connait pas les frontières de son corps. Coyote est l’antidote à la maladie de la séparation dont les hommes sont atteints. Les hommes produisent des différences en séries, ils fabriquent des individus derrière les murs de leurs corps. Coyote shoote dans les différences comme un punk en Doc’s Marteens dans les feuilles mortes, qui se ramassent à la pelle. Coyote n’a pas de pronom possessif, il ne dit pas ma femme, mon mari, mes enfants, ma maison, mon travail, il dit peut être mon Dieu ?

Coyote est parti dans le centre commercial d’à coté renverser les caddies, faire jaillir les vêtements en gerbe dans les rayons, pique-niquer sur les manèges, démonter les meubles à coups de hache, casser les vitrines qui coupent les yeux de ce qu’ils voient.

Coyote réalise les promesses qu’il tient, il détruit celles qui nous tiennent. Qui nous tiennent dans des désirs qui se cognent contre eux-mêmes et dont les bleus font naître la peur en leur coeur. Des désirs apeurés devant des murs vitrés, le trompe-l’oeil de la liberté. Coyote voit ce qu’il voit, casse ce qu’il casse, il entend le bruit de murailles que font les vitrines en tombant, il voit dans les ruines ce que la transparence cachait, le mur et le désir de voir au delà.

Coyote walk with you like fire, il brule tes traces au fur et à mesure.

Quand tu parles, la guerre est ouverte, chaque mot veut gagner, même les syllabes. Ton souffle, ton larynx, tes cordes vocales, imposent jusqu’à ta bouche, la paix au sein des sons et forment des bataillons plus ou moins bien ordonnés, mais au contact de l’air ils deviennent de l’alphabet et se répandent comme une trainée de poudre dans la steppe. Coyote est dans ton dos et jette des allumettes, sans lui le danger planerait éternellement, les coeurs seraient définitivement suspendus, à défaut d’allumettes, il exerce son souffle ou sort sa loupe.

Coyote walk with us, purificateur d’espace, Atilla des conséquences. Il nettoie les scènes de crime que laisse chaque mot. il sort les cadavres des placards, vide les rues…

Par le chaos Coyote appelle Dieu à recommencer.

[Ilustration : Stéphane Calais]

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