« Les nouveaux adorateurs de la force »

(Théorie du jeune garçon)

paru dans lundimatin#291, le 10 juin 2021

Je veux leur donner un nom qu’ils ne méritent même pas. Car donner un nom, c’est faire exister. Et l’on existe que de manière déterminée. Tant pis. Ils sont : les nouveaux adorateurs de la force. Immondes crétins, improbables prétentieux contents « d’être nés quelque part », plus dangereux qu’ils n’en ont l’air – car ils ont l’air pour eux, en guise de cervelet. On ne peut pas dire qu’ils étouffent, ceux-là ! De l’air, ils ont en excédent, qui passe les veines de tout leur corps. Et gonfle, et gonfle, les fantasmes de leur cœur héroïque ! Ah... misère, n’est-ce pas qu’on touche le fond de la misère humaine, camarades ?

Quand le fascisme parade, grotesque, en habits de ministre ou de youtubeur, avec un quart d’heure d’avance sur l’opinion graisseuse d’un peuple en sueur. Quelle ironie ! Que ces champions de la traction, racistes par voie testamentaire, schtroumpfs de la pensée abonnés aux salles de fitness, aient pu s’enamourer de Gargamel (Éric Zemmour) ! Quelle ironie ! Que ces vlogueurs en survivalisme, coton moulant leurs deux baudruches pectorales, barbe chrétienne hipstérisée (Julien Rochedy), qui promènent sévèrement leur air d’importance, regard sincère et persuadés de leur ton altier et seigneur (c’est le plus désolant), lisent très dévotement l’apoplectique en chef, le grand malade de la civilisation, l’antéchrist emmoustaché, « l’irrésistible petite santé » ! le philosophe-rachitique : éternelle idole des jeunes pagano-fascistes (la Nouvelle Droite) ! Oh ! Tous ces enfants de putain de la nation, n’ont-ils pas une vraie mère à adorer ou à pleurer ? Car leur amour est scélérat, qui s’est épris du plus nul d’entre les plus nuls de tous les fétiches (la France). La race supérieure a tout couvert ! – géographie fonctionnaire, nécromancie militaire, roman national et policier, rien : plus une seule carte pour sortir des territoires ! L’honnêteté de sa panique fait peur. Et même un peu pitié. On aimerait mieux ne pas s’en apitoyer. Mais... nos frères ? On dirait qu’ils ont inventé quelque chose tout de même, une forme d’existence. Très exactement : ils existent comme des trolls à l’existence, comme un néant trollerait de l’être. Depuis déjà Platon au moins, depuis Tchouang- Tseu aussi, on sait que le non-être doit en un certain sens être. Dans la vie informe de nos adorateurs de la force, le troll est ce « certain sens ». Regardez-les ces experts de la capture d’écran, incapables de retenir leur bave pendante de détresse fausse, qui semblent hésiter entre deux mouvements opposés : soit qu’ils tanguent du poids lourd de leurs gros muscles tombants, prêts à s’enterrer, soit qu’ils flottent pleins de l’air comprimé dans leurs vaisseaux, prêts à s’envoler. Moi, je les imagine seulement écouter un podcast sur le surhomme, lombaires gainées entre deux séries de pompes ! Et je rêve qu’il vienne, qu’il vienne ! Le Mohammed qui les piquera like a bee. Et qu’on assiste — enfin ! — aux mille tourbillons de leur ballon montant au ciel pour disparaître. Elle donne des envies de meurtres, l’omniprésence de ces royals canins à trois pattes, qui trouvent assez de bonnes mains ouvertes à lécher au sein d’un peuple livide, inspiré par la calamité de ses anciennes gloires malandrines, coloniales, juchés sur leurs échasses de mauvais livres d’histoire nationale, remèdes pour jeune garçon qui souffre réellement, grotesquement, du fantasme de l’arrogante virilité du mâle français. Partout, c’est le grotesque comme forme de gouvernement. La terreur ubuesque du spectacle politique et des vies minuscules qui le jouent aussi, l’angoisse redoutable devant l’enthousiasme collectif et rigolard, au-devant même de l’ordre et des bruits de botte, consentement irrésistible à la vie absurde du monde perdu : l’immonde rouage de la fatalité du pouvoir de la force vide. « En d’autres termes plus austères, dit précisément Foucault, la maximalisation des effets de pouvoir à partir de la disqualification de celui qui les produit » (Jean Messiha). — Ah ! Mauvais sang, mauvais siècle, mauvaise race, mauvaise civilisation ! Cette fiction agissante et qu’on adore détester voudrait nous rendre impuissants. Elle y parviendrait presque, non ? Car déjà combien parmi nous n’adorent pas détester cela, comme on regarde la télévision, s’assurant la distinction d’avec les bêtes qui l’aiment vraiment, quoique doutant de temps à autre, et s’y confondant de fait plus assurément. — Mon Dieu qui n’existez pas encore, faites qu’il vienne le temps de l’intolérance à l’avenir ! Parce que tous ces prophètes de la décadence en manque de prophètes et de décadence, tous ces nains impayables qui se rêvent en Cassandre de la guerre civile pour un jour dire qu’ils l’avaient bien dit, ils donnent vraiment envie d’être triste. On dirait qu’ils sont persuadés que leur cervelle est trop grande pour leur crâne. Et forcément, ça dégouline. C’est dégoûtant. Il y a des pensées dégoûtantes, vous savez. Je ne parle pas de la pensée de plomb, je ne parle pas de la bêtise. Je parle de la pensée de bave abominable des nouveaux adorateurs de la force, qu’on ne sait même plus si elle tombe du crâne ou bien y monte. Frères humains, qui tout cela aussi vivez, je vous demande : qu’allons-nous faire de toute cette souffrance nulle ?

Oncléo

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