Les « casseurs » ont-ils mauvaise presse ? [micro-trottoir]

Doc du réel

Doc du réel - paru dans lundimatin#63, le 30 mai 2016

À rebours du discours médiatique habituel, nos amis de Doc du Réel sont allés à la rencontre des manifestants contre la Loi Travail afin de savoir ce qu’ils pensent des confrontations entre le cortège et la police. Micro-trottoir.

À l’assaut du ciel

« La prochaine tentative de la révolution en France devra consister non plus à faire passer la machine bureaucratique et militaire en d’autres mains, comme ce fut le cas jusqu’ici, mais à la détruire. […] Quoi qu’il en soit, l’insurrection actuelle de Paris, même succombant devant les loups, les cochons et les sales chiens de la vieille société, est le plus glorieux exploit de notre parti […]. » Marx, 12 avril 1871.

L’impression que la France s’enfermait toujours plus dans un dur nihilisme se faisait de plus en plus tenace. Naufragés condamnés à se nourrir du sel de la mer, nous n’avions plus de cités où se reposer, de déserts ou fuir où d’idées sur lesquelles parler. Force était de constater que nous mourrions de ne pas mourir, tant l’avenir ressemblait à une cacophonie de désastres subis impuissamment.
Puis vint la déchirure : si l’être isolé est le centre de ce monde, il en est aussi ses bordures friables.
Ce qui se joue autour de la tête de cortège n’est pas une simple affaire de débordements où d’affrontements musclés : il s’agit de la réponse directe, immédiate, à une fatigue : celle d’être gouverné. Voilà près de deux millénaires que nous le sommes. Près de deux millénaires que des hommes et femmes s’agitent pour le salut du monde. Sous la forme économique, théologique ou encore politique (de toute manière, on aura bien du mal à distinguer clairement les trois), l’idée que des hommes appointés collectivement puissent nous conduire - correctement et en toute confiance - a fait son temps. Reste à savoir comment peupler, transformer ce constat en moteur.

C’est à ce point précis que rentre dans l’histoire la « tête de cortège ». Sa puissance ressemble à ces braises étalées sur le sol terreux. Ce ne sont plus les flammes unies et ravageuses, dansantes sur le bois mort, mais plutôt une multitude de points aussi beaux les uns que les autres, réunis par la même lumière, par la même tonalité, intensité. Apaisées sur le sol, dépassant largement la puissance de captation des flammes, elles sont à la fois le caractère destructeur, celui qui ouvre les chemins non par amour des décombres mais pour les voies les traversant, tout autant qu’une force de proposition, une nouvelle ligne sur laquelle valdinguer, s’abandonner. La contemplation, geste purement platonique, plat, devient arrachement, déracinement.

Ce qui a démarré ce mois de mars n’est pas un mouvement. Une partie du peuple, celle qui lui manque tant, fait sécession. Lentement. Sûrement. Sans aucun souci de majorité, on agit, simplement.

Malheureusement « les loups, les cochons et les sales chiens » sont à l’affut, guettant la moindre erreur, la moindre possibilité de réprimer. Les charges de tentatives d’homicide, d’associations de malfaiteurs, les interdictions de manifestations, la criminalisation des syndicats, tout cela participe de la même offensive face à cette nouvelle puissance qui s’érige. Chacun le sait.
Une ultime tentative de nous gouverner nous est faite, on en voit bien toute la violence. Aussi absurde que devienne cette tenace volonté de s’accrocher à son pouvoir, sa police, il nous faut désormais nous préparer.

A la mauvaise presse faîte, il faut répondre. Ne pas laisser les caméras de l’instantané gagner. Terrible échos attendus, elles se font porte-parole du narratif policier : « des individus isolés en marge de la manifestation… ». Alors même que la manifestation n’a plus de marge si ce n’est celle des Services

D’ordres, ultime dispositif qui tente vaille que vaille de trier « la bonne manifestation » de « la mauvaise ».

Aussi, la voiture brûlée ce jour de manifestation policière ne l’a pas été en marge de la contre-manifestation, mais bien dans l’expression de sa colère. Colère qui, elle-même, n’est pas en marge des manifestations mais dans le cœur des milliers de personnes fréquentant la tête de cortège. En effet, être ingouvernable, faire plier un gouvernement, passe principalement par tenir en échec la police – pacifiquement ou non. L’actualité des raffineries et blocages de dépôts en atteste.

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