Ces humains-là portent des noms, des états civils et ça semble les investir de quelques droits de plus que toi. Toi, tu portais la sève, les fleurs, les baies, quelque chose qui s’appelle la Beauté.
Ça ne te perds pas, ça ne te perverti pas, ça, toi, de porter de la beauté, tu n’en fais pas une arme, tu n’y penses pas.
Lupita –ma fille-, les merles, Louise et moi, et puis toustes les autres qui te connaissent, toi et que je ne te connais pas, te pleurent. Iels ne savent pas que j’ai récupéré dans la benne qui te portait en morceaux, des bouts de toi et que je les ai replanté parce que ta vie vaut.
Iels voient la souche, inerte, et c’est très laid et triste.
Iels voient le printemps amputé par toi qui manque, qui manque parce que toi tu es utile, nécessaire, vitale pour que la vie perdure, pour que la vie soit juste et pleine.
Iels, c’est nous et les pleurs de Lupita quand elle te voit coupé, c’est mes pleurs aussi, parce que je ne suis que ça depuis, je ne suis qu’un flot de pleurs depuis. Parce que j’aime l’arbre que tu étais, je l’aime. Pas seulement pour les fruits, les odeurs, les cueillettes, l’ombre, la cachette.
Je l’aime – l’arbre que tu étais-
pour le bruit des oiseaux,
pour les bourdons,
pour le soleil qui aimait se couler en toi, en chlorophylle odorante.
Je suis le pleure marchant-somnambule depuis que j’ai découvert ta coupe.
Je suis allée demander des raisons.
(Je change de registre : ce n’est plus un hommage que je dresse ici, c’est un procès suite à une agression.)
C’est le procès d’une petite ville de campagne -du sud-ouest- une petite ville qui pense encore que les arbres sont sans vie.
Moi, je suis leur bête noire, pour peu de choses, des petits clous contre des grosses tronçonneuses, quelques menues résistances au quotidien, quelques affiches, si peu de choses d’ailleurs que dans le territoire voisin, la Soule, mes actions ne seraient même pas considérées. Pour dire à quel point mes actions sont petites.
Mais aller, rouge de pleurs et d’indignation au devant de l’employé municipal, oser lui demander des explications sur la coupe du sureau qui fût mon ami, mon poème et que je venais de féliciter pour ces nouvelles jeunes feuilles minuscules qui apparaissaient si joliment , Oser faire cela ! Quoi ? Oser demander des mots pour justifier un acte cruel, qui se passe sans que personne ne puisse en dire un mot ! Cela ce fut trop !
Cela ce fut trop pour cet employé municipal, royaliste de surcroît- et qui s’en vante - déguisé aussi souvent que possible en mousquetaire - nous y sommes, la contestation de la haute autorité d’une petite ville de campagne qui vire, qui vire vers … vers des zones politiques, écologiques, éthiques, où nous ne voulons pas aller, où il a toujours fait mauvais d’aller.
L’ai-je insulté ? Non, ni violenté.
Mais ma seule présence venait le mettre en défaut.
Alors puisqu’il est un homme bouffi de masculinité royalisto-action-française, il s’est soulevé face à moi avec dans la main droite une grosse cisaille, et dans l’autre un sécateur, et s’agitant comme avant un duel, me hurlant d’invoquer mon courage – pour quoi au juste ? Me battre ? Ne serait-ce que m’approcher d’un énième homme armé se croyant légitime dans tout son être et dans toutes ses actions, parce qu’employé par l’état, une espèce de flic en somme, qui m’incombe de le suivre, puis de dégager, puis d’aller à la gendarmerie, puis enfin de crier, de hurler, et de laisser enfin s’échapper sa tirade immonde par le bout de sa main tendue dans un salut nazi. Geste final qui précéda son entrée théâtrale dans l’hôtel de ville.
Place de la mairie, Navarrenx, un joli mardi de printemps.
L’écrire même me tourmente.
Nous en avons assez de cette terreur que veulent faire peser les hommes représentants de l’horreur patriarcale sur nous qui voulons lutter pour le vivant.
Au-delà de tout, nous en avons assez des politiques destructives, des coupes rases, où qu’elles soient, nous en avons assez de voir partout la trace d’humain sous la forme de souffrances qui écorchent tout ce qui vit.
C’est une anecdote, presque, mais c’est très grave.
Ça devient une anecdote et c’est encore plus grave.
Ça devient facile, facile, de menacer des gens, surtout si ce sont des femmes, des trans, des queers, surtout si ce sont des écologistes, des gens de gauche, des libertaires, surtout si iels luttent, surtout si iels ressentent des choses.
Nous devenons de très bonnes cibles. Le climat politique opprime, éreinte, celleux qui luttent et questionnent.