Le rêve le plus noble

Stéphane Zagdanski

paru dans lundimatin#229, le 10 février 2020

« Voilà un monde chancelant qui fuit, fiancé aux grelots de la gamme infernale… »
Tristan Tzara, Manifeste Dada

Une virulente sorcellerie accapare le monde. Cela n’est pas une métaphore. Elle irradie si brutalement les êtres, les choses, les idées dont elle s’empare que c’est bien plutôt tout ce qui n’est pas elle qui semble désormais une figure de style, un volatil être de raison.

[Photo : Jean-Pierre Sageot]

« La Parole parle », enseignait avec une inédite gravité Heidegger, « comme recueil où sonne le silence » [1]. En ce souillé, morbide et affreux aujourd’hui, la Parole ne parle plus guère. Chaque jour le Silence est davantage déchiqueté par la jacasserie cybernétique du Spectacle. Chaque jour la Parole est davantage agressée à sa source par sa twittesque parodie tonitruante et substantiellement sardonique. Là est l’innovation de notre effarant XXIe siècle.

Ce maléfice planétaire ne date pas d’hier. Il accompagne comme son ombre méphitique l’avènement des Temps Modernes pour manifester sa course mortifère brutalement, à l’œil nu, avec la Première Guerre mondiale. À partir de 1918, il n’était plus possible de ne pas constater avec quelle avidité l’humanité s’était mise à courir à sa propre perte. Cette folie enragée qui domine les peuples les plus apparemment sophistiqués, cette fusion de la Raison et du Délire, cet alliage de la Technique et du Ravage, tel est ce que Heidegger nommait « die Verzauberung  », l’Ensorcellement.

Le premier à s’être avisé de cette sorcellerie consubstantiellement liée à la domination de la Technique, c’est Antonin Artaud. Dès 1927, Artaud écrit un court texte intitulé Sorcellerie et Cinéma, contemporain de son film « fait d’un seul rêve », La Coquille et le Clergyman. Sorcellerie et Cinéma précède de quelques années l’invention du parlant (1929) et la rupture radicale d’Artaud avec le cinéma (1933), l’année même de l’accession de Hitler au pouvoir. La concordance des deux phénomènes – avènement du parlant, intronisation de Hitler – n’est pas un hasard.

Certes Artaud imagine sans déplaisir le futur cinéma en relief et en couleurs – bizarrement pas le cinéma parlant. Pour autant, dès son apparition – en 1933 donc –, le « parlant » l’offusquera profondément, manifestant à l’ouïe nue la progression de cette nécrose de la Parole qu’il qualifiera en une fulgurance de « vieillesse précoce du cinéma ».

Il y a plusieurs puissantes confluences entre la pensée d’Artaud et celle de Heidegger. Les deux penseurs ont aussi en commun d’avoir été été pris à revers par l’antisémitisme, précisément parce que ni Artaud ni Heidegger n’ont su penser cet aspect particulier de la dynamique d’extermination, ni dès lors se prémunir contre la contamination d’une calomnie millénaire. Artaud possède cet avantage qu’il a un peu pratiqué les textes de la pensée juive [2] – ce qui est crucial tant l’antisémitisme constitue un élément récurrent de l’envoûtement planétaire.

Qu’est-ce qui caractérise l’envoûtement selon Artaud, qui s’applique si impeccablement au monde fatalement frelaté en 2020 ?

D’une part, je l’aurai assez signalé, l’envoûtement n’est pas antinomique de la Technique mais constitue au contraire son préalable, son corrélat, son lieu essentiel. « La sorcellerie et la magie ont toujours contenu toute la science… », dit-il à l’époque de la Séance du Vieux-Colombier [3].

D’autre part l’envoûtement vise à se substituer à la Nature, s’acharnant à la détériorer de sa prodigieuse énergie annihilatrice pour mieux la « remplacer » : « Il ne reste plus que le néant dans les gouffres duquel tous ces accapareurs s’exercent jour et nuit à remplacer la nature… ». Et, par la même occasion, substituer à l’homme son androïde idéal : « Remplacer un homme dans son corps et dans son moi fut toujours leur principale visée, en attendant qu’ils aient trouvé scientifiquement le moyen de se faire hommes sans avoir recours aux hommes déjà existants, et de créer un univers à leur façon… »

Le dommage de l’envoûtement est universel. Il ne respecte nulle frontière et la notion même d’« universel » – qui n’est elle-même en rien universelle ! –, participe de l’envoûtement. Il vient de très en amont dans l’histoire des hommes et a pour seul objectif leur extermination globale : « Les choses », énonce Artaud en 1947, « bouent 100 siècles souterrainement puis éclatent. C’est ce qu’on appelle un envoûtement ».

***

Qu’en est-il en 2020 de l’Envoûtement et de la Verzauberung  ?

Le Cinéma ? « Parlant » n’est plus le mot. Il charrie tous les fantasmes liés au rabougrissement de la Parole, y compris celui de l’extermination instantanée – littéralement en un claquement de doigts [4] – de la moitié de la population mondiale. Pourtant le Cinéma n’est qu’un succédané de la nécrose nihiliste qui supplante tout – nature, animaux, hommes, idées, choses – par le truchement de la Cybernétique – sans laquelle, d’ailleurs, sont inconcevables les surabondants « effets spéciaux » qui spectacularisent le ravage sur grand écran.

Dans cette optique (c’est le cas de le dire ! la Cybernétique s’attaque frontalement à la Parole pour mieux lui substituer l’hégémonie du Regard), le plus puissant conglomérat cybernétique de la planète [5] qui avait déjà préempté l’appellation « Androïd » pour désigner le « système d’exploitation » installé de par le monde sur des milliards de ces machines à décerveler qu’on nomme, sans ironie, smartphones (« téléphones intelligents »), a décidé en 2015 de rebaptiser la totalité de ses lucratives activités Alphabet Inc. « Nous avons aimé le nom Alphabet car il désigne une collection de lettres qui représente le langage, l’une des plus importantes innovations de l’humanité, laquelle est au cœur de l’outil de recherche Google. Nous aimons aussi que cela signifie alpha-bet (‘‘pari alpha’’), ‘‘alpha’’ désignant (dans l’univers de la Finance) un retour sur investissement supérieur à l’indice de référence, ce pour quoi nous nous battons ! » [6]

Il faudrait être bien aveugle pour ne pas reconnaître cette « possession immédiate » (Rimbaud) qu’exhibe l’époque en d’aberrants jets continus, depuis la rage haineuse exhalée par des millions de possédés sur les « réseaux sociaux » jusqu’à la catastrophique disparition de la Banquise – dont portent la première responsabilité les multinationales de l’industrie des énergies fossiles –, destruction irréversible face à laquelle d’ominpotents lobbies salivent en songeant aux milliards de dollars – et au colossal surplus de pollution et de dévastation – envisageables dès que la glace aura intégralement fondu…

***

C’est le milieu de l’après-midi. Je suis seul depuis le matin, tranquille chez moi. J’étudie une page de la Guemara où il est question des démons – maziqin en araméen – que l’on peut malencontreusement croiser la nuit dans les ruines – enseignement essentiel pour méditer le sort d’un monde maléficié en proie à la désagrégation. Je me prépare à noter quelques divergences essentielles entre les maziqin et le daimonikos quand la voix d’Antonin Artaud résonne depuis mon téléphone portable : « Les asiles d’aliénés sont des réceptacles de magie noire, conscients et prémédités… » C’est l’alarme. Il est déjà seize heures quinze, le temps de descendre de ma tour d’ivoire ensoleillée pour aller chercher à l’école Abigaëlle, ma fille, dont le prénom apotropaïque est celui d’une femme de la Torah vaillante, intelligente et belle [7].

Faut-il préciser que le téléphone portable est l’un des maziqin majeurs de notre temps ! Cet omniprésent gadget hypersophistiqué sert non seulement à téléphoner (la plupart du temps pour ne rien dire) et communiquer (par petits lambeaux de phrases maladroitement tapotées sur l’écran, qui ne riment pas à grand chose non plus), mais encore à se diriger en voiture, à consulter la météo, à noter les rendez-vous des prochaines semaines, à enregistrer les numéros de téléphone, les adresses postales et emails de chaque nouvelle personne rencontrée, à prendre des photos et des vidéos, à enregistrer des propos ou des conférences, à faire une recherche sur internet pour dénicher l’adresse d’un restaurant ou d’un magasin, à trouver un renseignement biographique ou la traduction d’un mot (voire son étymologie sur le Trésor de la Langue Française, intégralement en ligne), à se réveiller le matin ou à sonner une alarme, comme à l’instant.

On ne saurait imaginer plus puissant truchement d’envoûtement perpétuel, et j’aurais mauvaise foi à nier que, comme tant d’autres, j’en suis atteint. Bien sûr, il serait envisageable de m’en passer entièrement. Ce serait comme décider de ne plus emprunter une route goudronnée ni une voiture ou un TGV sous prétexte que tout cela pollue et modifie notre rapport essentiel à l’Espace et au Temps. À moins de s’exiler loin des hommes (la tentation existe…), cela ne ferait que rendre les tâches usuelles passablement compliquées. D’ailleurs la vraie question ici n’est pas tant : Qui fait quoi et qui vit comment… C’est plutôt qui voit quoi et qui pense comment.

En sortant de l’immeuble je croise le buraliste voisin, tatoué jusqu’au sinciput d’affreux symboles mal dessinés, gribouillis exorbités de toute signification autre que démoniaco-disneyenne : « plaqué de hargnosités vagues » écrit Rimbaud. Ce qui était encore insolite en 2011, quand j’imaginai pour mon narrateur de Chaos brûlant un tatouage de squelette sur tout le corps (j’avais été estomaqué par son modèle entraperçu l’année précédente dans une rue de Montréal), cela est devenu aujourd’hui un vaste et irréfutable maléfice. Les corps s’enlisent chaque jour davantage dans un bourbier d’encre sale qui les engloutit peu à peu des mollets jusqu’à la nuque et aux tempes. Les stigmates des classes dangereuses sont devenus le triste et vulgaire décorum d’un néoprolétariat libéral qui s’imagine qu’il « n’écoute que soi », conformément à l’envoûteuse publicité d’un soda.

Sur le chemin de l’école, louvoyant comme dans une cour des Miracles parmi les grises mines et les regards de noyés dépressifs de tant de rebuts du néo-libéralisme, je dépasse une jeune fille happée par l’écran de son portable sur lequel elle tapote des deux pouces d’un air absorbé. Les saccades excitées de ses doigts contrastent avec son visage péniblement contrarié. Son sac à main et ses lunettes sont autant de réclames explicites pour les enseignes qui les distribuent, dont les initiales CD et LV constituent l’essentiel de leur décoration. Là encore l’alphabet dévitalisé sert l’envoûtement universel. Son tee-shirt est décoré d’une immense tête de mort diamantée comme il en fleurit partout. Manifestement issue d’un milieu aisé, cette pimpante adolescente-sandwich n’en participe pas moins de la nouvelle civilisation mondiale des galvanisés de la guenille : son blue jean est violemment déchiqueté, comme si elle venait de se faire brutaliser par quinze malfrats du genre de mon voisin buraliste peinturluré jusqu’à la glotte ! Elle-même exhibe un discret tatouage, à la naissance du sein gauche, une phrase écrite dans une typographie à l’anglaise, illisible au vol, qui ne s’adresse à personne et ne signifie rien.

Arrivé devant l’école primaire, je reconnais dans la foule des parents une femme voilée dont le fils, l’année dernière, au cours d’une bataille d’eau dans la cour de récréation, a subitement traité ma fille de « sale juive ! ». C’est le même gamin d’à peine dix ans qui avait soutenu, quelques mois plus tôt, que « les Juifs tuent des enfants arabes en Israël » et qu’ils « volent les Tunisiens »… Je songe aux doses quotidiennes de haine antisémite que ce bambin doit ingurgiter en famille.

Je récupère ma fille, enjouée, espiègle, chantonnante à son habitude. Nous rentrons ensemble sans oublier de passer par le supermarché pour se procurer de l’eau et du café. En arrivant à la caisse, Abigaëlle me réclame un Malabar. Sur le présentoir, à côté des Malabars qui ressemblent à ceux de ma propre enfance avec, déjà ! un petit tatouage fantaisie à s’appliquer sur le poignet, s’exhibent d’autres friandises plus conformes à l’esprit avarié du temps : 

Des « billets-bonbons » reproduisent de la monnaie colorée en euros entièrement comestibles – si tant est qu’on puisse qualifier de comestible cette infâme combinaison de sucre, de sirop de maïs, d’acidifiant, d’acide malique, de colorants E100, E120, E133, E171, de dextrose, d’acide citrique et d’anti-agglomérant E572. Une réclame en anglais intime : « Put your money where your mouth is », soit « Mettez votre argent où se trouve votre bouche ». C’est l’application littérale d’une maxime anglo-saxonne qui enjoint de mettre la main à la poche plutôt que de profiter par le bavardage de ce que les mots ne coûtent rien…

À côté des bonbons-billets, des bonbons-poubelle, « Trash Can Candies » en forme de détritus (squelettes de poisson, triangles de pizza ramollie…) enfermés dans une petite poubelle en plastique ; enfin, pour parfaire cette illustration du devenir-monde de l’immondice, voici littéralement des bonbons-chiottes, « Sour-Potty », soit une sucette dissimulée dans une petite boîte en forme de toilette : l’enfant est censé y tremper sa friandise comme s’il récurait des latrines pour que la poudre citrique dont elle est emplie y adhère…

L’Argent, le Déchet, la Merde : belle trinité de la Souillure qu’il n’est jamais trop tôt, estime la Société, pour faire ingurgiter à ses enfants.

Arrivés à quelques mètres de chez nous, deux femmes se disputent à un feu rouge. L’une, d’allure assez sévère, a une cinquantaine d’année ; elle pourrait être professeur de géographie ou pharmacienne ; l’autre, du même âge, semble d’un milieu moins favorisé. Ce que confirme ses hurlements : « Je t’encule ! Tu entends, je t’encule bien profondément », vocifère-t-elle en brandissant un majeur levé en direction de la première qui lui tourne le dos et s’éloigne outrée. Nul ne sait ce qui a provoqué cette altercation, mais l’invectiveuse poursuit sur quelques mètres la professeure en continuant de vitupérer : « Je t’encule ! Je t’encule ! »

Qu’en dirait Artaud ? « Moi je crois que l’honneur n’est plus et que la sodomisation de la conscience est à son comble… » [8]

***

Il est dix-neuf heures. Ma fille a fini ses devoirs devant moi, joué avec ses poupées dans sa chambre, discuté sur WhatsApp avec ses amies parisiennes, pris une douche et enfilé son pyjama. Elle attend l’heure de dîner en lisant au salon une bande dessinée empruntée à la bibliothèque municipale où il est question d’adolescents amoureux qui communiquent par sms.

« Les asiles d’aliénés sont des réceptacles de magie noire… » : mon téléphone portable sonne. À peine ai-je décroché qu’une jeune femme au léger accent étranger me récite un argumentaire visant à me refourguer un crédit Sofinco. Je la remercie en déclarant promptement que je ne suis pas intéressé et lui raccroche au nez. Puis je bloque ce numéro qui a déjà tenté de me joindre cinq fois cette semaine.

Cette violence indispensable que ma courtoisie spontanée se fait à elle-même est induite, elle aussi, par l’intrication de plus en plus barbare et agressive de tous les rapports sociaux avec la Réclame universelle. La réclame est destinée à clamer, re-clamer et réclamer sans cesse. Certes, ce harcèlement perpétuel qui gît au fondement de la Réclame n’est pas inédit – d’autant que l’abrutissant déferlement publicitaire moderne n’est que la partie ostensible d’une pollution autrement plus vaste –, mais il est devenu désormais le mode relationnel le plus commun depuis la maternelle jusqu’à la tombe.

J’emploie à dessein ce terme galvaudé plutôt que celui de « communication », par exemple, pour son double sens en français ; ce que je nomme ici Réclame s’étend des Press Relations du début du XXe siècle aux spin doctors et communicants marketing et politiques en tout genre, en passant par tous les propagandistes de tous les camps géo-politiques du siècle : américains, nazis, alliés, vichystes, gaullistes, staliniens, maoïstes, etc.

Née au début du XXe siècle aux USA sous les auspices d’Ivy Lee, de Walter Lippman et d’Edward Bernays, la Réclame moderne a peu à peu fait perdre leur imperceptibilité nocturne aux maziqin, qui en ont acquis une inédite férocité de contamination. Ce prosélytisme social est celui, profondément logique, de toute damnation. Comme, au niveau individuel, le pédophile fut un enfant abusé, au niveau des masses mondiales l’endommageur est un endommagé initié par sa propre salissure. D’un réclamiste à l’autre, c’est ainsi que la société de la souillure se propage par la publicité, la surconsommation merdique, le divertissement abrutissant, la goujaterie polymorphe, la violence verbale et l’agression physique jusqu’au viol et au meurtre…

Comme l’« obsolescence programmée » – qui justifie par exemple que la batterie et le lecteur de dvd de l’ordinateur portable récent sur lequel je rédige ce texte soient bousillés après à peine deux années d’usage modéré –, le nag factor, le « coefficient de harcèlement », a largement fait les preuves de son immonde efficacité dans le domaine sans tabous du marketing. Recrutés et grassement rémunérés par des agences de communication, des pédo-psychiatres ont évalué après combien d’exhortations réitérées – c’est cela, le nag factor – un enfant est susceptible de faire craquer ses parents afin qu’ils lui achètent le jouet ou l’aliment dont il aura pré-ingurgité un nombre invraisemblable de fois la réclame à la télé ou sur YouTube. Le résultat, plus que palpable, c’est par exemple l’obésité généralisée, cet aberrant fléau que nul ne semble plus pouvoir contenir aux USA. « Quant à la médecine des laboratoires », explique Artaud, « incapable de percevoir l’âme subtile et fugace des maladies, elle traite l’homme vivant comme s’il était un cadavre. »

Autre illustration transparente du nag factor planétarisé : la massive couverture médiatique française qui a permis au candidat spontané de la pire presse de caniveau – l’insipide godelureau Macron, golem communicationnel sur le front de qui est gravé en lettres invisibles aux sots seulement le mot MENSONGE – d’être élu président de la République par une minorité de Français, la majorité ne votant pas ou plus.

***

Juste avant de dîner, j’ouvre ma page Facebook pour y annoncer mon prochain vernissage. Supputant mon impatience d’être perturbé, dérangé et déconcentré, une petite clochette blanche en haut à gauche de l’écran de mon ordinateur m’indique qu’une vidéo vient d’être postée sur la page d’un site spécialisé dans la désinformation concernant l’État Israël.

Il s’agit d’un reportage dans lequel sont interrogés plusieurs enfants et adolescents palestiniens fièrement enfiévrés. L’un d’entre eux, prénommé Arafat, quatorze ans à peine, est interviewé dans un square de Jérusalem-Est. Il se vante crânement : « Je suis prêt à poignarder un Juif, ou à l’écraser avec une voiture… ». « Tout le monde doit attaquer les Juifs, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un Juif sur terre », pontifie le jeune Mortasim Hussein, étudiant de l’UNRWA à Shuafat, au Nord-Est de Jérusalem. Mortasim semble avoir seize ou dix-sept ans. Un autre, d’environ douze ans, de Kalandia : « Nous nous battrons pour chasser les Juifs d’ici, nous nous battrons en les poignardant, en les écrasant, en leur jetant des pierres, jusqu’à chasser tous les Juifs. » Le sheikh Mohammed Salah, durant son prêche dans une mosquée, brandit un couteau et mime l’acte de frapper de haut en bas en hurlant : « Poignardez-les, ô mes frères de Palestine… Poignardez-les ! » Le Président de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas s’exprime en arabe sur la chaîne de télévision du Fatah : « Nous accueillons chaque goutte de sang qui coule pour Jérusalem. C’est du sang pur, propre, du sang en chemin pour Allah. » La vidéo s’achève par les propos d’un combattant du Hamas, en treillis et masqué, sa kalachnikov sur les genoux : « Je ne serai triste pour aucun enfant juif, même si je me fais sauter au milieu d’une nurserie pleine de bébés… »

Cette rage sans bornes inonde jour et nuit les « réseaux sociaux », de sorte qu’il faut bien se poser la question : comment nommer une société d’où la haine à l’état brut suinte sans discontinuer ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Et comment tout cela a-t-il commencé ?

Un léger carillon résonne impatiemment à travers les haut-parleurs de mon ordinateur, tandis que sur l’écran, en haut à droite, une petite enveloppe rouge et blanche tremblote pour me signaler un nouvel email qu’il s’agit de me faire consulter au plus vite. « Pas de temps à perdre pour t’empêcher de penser » semble être la devise des types qui ont programmé ces applications de naging factor pour adultes. C’est la lettre d’information d’un journal en ligne qui vient d’arriver. Une attaque de drones a eu lieu contre les raffineries d’Arabie saoudite. On soupçonne les rebelles houthis du Yémen, soutenus par l’Iran, d’être responsables de cette attaque d’envergure. Ne m’intéressant que de très loin à la géopolitique de la région, je décide pour en savoir davantage de chercher des informations sur les Houthis yéménites sur Wikipédia. Je tombe sur une page bien fournie, avec en haut à droite la reproduction du drapeau des Houthis, portant leur devise en arabe sur cinq lignes, trois rouges encadrées de deux vertes. Wikipedia fournit la traduction : « Dieu est le plus grand, Mort à l’Amérique, Mort à Israël, Maudits soient les juifs, Victoire à l’islam »

Toujours sur Facebook, une amie écrivain poste un long texte critique intelligent consacré à une conférence d’Alain Badiou. Une polémique s’ensuit entre deux de ses « amis » – au très superficiel sens de l’amitié que charrient les réseaux sociaux –, l’un accusant Badiou de complaisance à l’égard de Polpot, de Mao, et d’antisémitisme philosophique héritier de Spinoza, l’autre accusant le premier d’être un fasciste et le digne héritier de ceux qui excommunièrent Spinoza, voire de celui qui tenta de le poignarder. Dans un commentaire pour tenter d’apaiser les esprits, mon amie écrit mon nom, ce qui m’est aussitôt indiqué par la petite cloche blanche en haut à droite de ma page Facebook, laquelle fonctionne un peu, selon les lois cybernétiques du nag factor, comme un miroir d’invocation des esprits.

Je réponds à mon amie, donne mon avis sur la question de l’antisémitisme idéologique de Badiou sans tenir compte du spinoziste qui, alerté sur mes propos par la petite clochette blanche de sa page Facebook lui signalant que quelqu’un a commenté le même texte que lui, s’excite tout seul contre moi en multipliant les commentaires haineux : « Comme tous les fascistes (et notamment ceux qui s’ignorent comme tels) ce rat d’égoût fonctionne à l’essentialisation. Comme on disait dans les années 70 : CREVE SALOPE ! (je m’adresse à S. Z., faut-il préciser ?) »

Je ne daigne pas répondre à ce maléficié de petite envergure dont la photo sur Facebook est celle, trafiquée, d’un chat endiablé tenant une mitraillette. Je continue d’échanger quelques commentaires avec mon amie, un peu interloquée par la brutale vulgarité de son contact spinoziste. Elle le lui signale, il s’en explique après avoir, dit-il, pris connaissance d’un de mes textes : « Quand je lis cette bouillie pour chat, je remercie mes maîtres (aussi bien ceux dont j’ai suivi les cours que ceux qui par leurs livres m’ont initié à la clarté) de m’avoir aidé à acquérir cette rigueur et ce désir de ’vérité’ que j’essaie de transmettre à mes élèves. Tout le monde ne peut pas être une petite fiotte qui se la joue et se branle en agitant des références dont il ne maîtrise ni l’alpha ni l’oméga. Et puisque cette petite fiente qui sort de mon trou du cul aime Debord, je lui signale que dans ’Cette mauvaise réputation’, dernier opus publié de son vivant, il consacre trois pages à un papier que je lui avais consacré. La prochaine fois que je rencontrerai Zag, je lui marcherai dessus du pied gauche, il paraît que ça porte bonheur… »

Mon amie s’interloque de ces métaphores scatologiques : « J’aimerais savoir pourquoi les hommes parlent tellement de leur trou du cul quand ils insultent un autre homme… » L’énergumène spinoziste rétorque : « Ce n’est pas de l’insulte, juste la marque de mon mépris, et mon trou du cul a quand même plus de noblesse que cette face de pet ! »

Je songe au verset de Job invoqué dans la Guémara, quelques lignes avant le passage sur les démons étudié tout à l’heure : toref nafcho beafo, « celui qui déchiquette son âme dans sa rage » [9]

Inutile de préciser que ce type d’invectives de caniveau prolifèrent sur internet, comme le racisme et l’antisémitisme le plus décomplexés que la cybernétique n’a évidemment pas inventés mais qu’elle semble avoir intégralement dédouanés. Car, dans le cas de mon démoniaque spinoziste, la nouveauté n’est pas la rage autopropulsive exacerbée – les débats d’idiots qui s’achèvent en pugilats ont toujours existé, et en l’occurrence il n’y avait pas même « débat » puisque je ne lui ai jamais répondu. Ce qui ici est inédit, c’est la frénésie haineuse enchevêtrée à une argumentation moralisatrice rationnelle et, surtout, l’impudence qui se targue d’exhiber cette écumeuse obscénité en public.

À partir de quand tout-un-chacun s’est-il autorisé à fulminer tout haut ce que tout le monde vocifère tout bas ? Pour quelle raison la digue de la bienséance a-t-elle été rompue ? Comment la haine a-t-elle pu se désorbiter de toute vergogne ? Pourquoi donc, au sommet spectaculaire de la domination néo-libérale, quelque chose comme un Donald Trump a-t-il commencé d’être envisageable ?

***

Tandis que je sers à dîner à ma fille, mon ordinateur reste allumé sur ma page Facebook non refermée. Lorsque je ne suis pas en ligne, un décompte chronométrique à côté de mon nom indique avec une sorte d’impérieuse inquiétude, informulée mais palpable, depuis combien de minutes, heures, jours ou semaines je ne me suis pas reconnecté à ma page Facebook. Ce soir en l’occurrence, un petit point vert à droite de mon nom signale que je suis bien en ligne à mes 4870 « amis » – le chiffre est aussi absurde que le terme est ridicule. Ce que postule ce point vert, c’est mon propre empressement à être réclamé, mon impatience à participer à une conversation privée par le biais du « messager » cybernétique de Facebook nommé Messenger.

C’est ainsi qu’en plein dîner un nouveau carillon – le nag factor a plus d’un son dans son sac ! – me signale dans mon dos que je viens de recevoir un message privé. « Privé » est un grand mot. Cela signifie qu’hormis Free (mon fournisseur d’internet), Facebook, la DGSI, la NSA et n’importe qui d’assez compétent en informatique pour pirater mon ordinateur, aucun de mes autres 4869 amis cybernétiques ne sait ce que contient ce message.

Je finis de dîner puis, après avoir mis ma fille au lit, retourne devant mon ordinateur pour consulter ce nouveau message, ce qui est indiqué immédiatement à son expéditeur, lequel sait non seulement que son message a bien été reçu – une petite coche grise à côté de son envoi le lui signale –, mais lu, car la petite coche grise est devenue une minuscule photo de moi, celle associée à mon profil sur Facebook… 

Cette myriade de détails visuels et sonores saugrenus paraissent relever d’une infinitésimale et inoffensive pyrotechnie numérique. En réalité ils correspondent dans leurs moindres rouages à l’abyssale altération de la Parole, à la profonde aliénation du Verbe par l’Image qui toujours et partout domine et détruit tout. C’est le propre de ce que Heidegger nomme le Gestell, qu’on a traduit par le « Dispositif » ou « l’Arraisonnement » : « Notre existence, dans tous les domaines, se trouve amusée, harcelée, poussée, et par tous ces moyens, mise en demeure de tourner son effort vers une planification et un calcul universels. » [10]

Pour que mon ordinateur clignote, cliquète, tintinnabule de la sorte tel un animal de compagnie réclamant en permanence sa dose de ma docilité hypnotique, il a fallu que quelqu’un quelque part passe plusieurs heures à compiler dans un langage de programmation mathématique les variables définissant l’aspect et les fonctions spécifiques de ma page Facebook.

Ce quelque part n’est pas pour autant n’importe où. Il s’agit en l’occurrence de Menlo Park, en Californie, au cœur sans cœur ni âme du siège de Facebook, gigantesque hall d’exposition sans portes ni cloisons où jour et nuit des informaticiens abîmés dans la contemplation de leurs écrans multicolores hachent et mâchent menu des milliers de fragments d’algorithmes afin de concocter les codes qui sommeront promptement un milliard six cent mille autres humains de s’abîmer en retour devant leurs écrans en tout point semblables…

En anglais, le hacker est celui qui hack, qui taillade, qui entaille, qui taille en pièces, ou qui tousse opiniâtrement. Et ce hacker, ce subalterne tousseur mental responsable de l’aspect et du fonctionnement de ma page Facebook n’est pas non plus n’importe qui. Il est l’un des milliers de garde-chiourmes de la Technique et de l’Argent, un geek dont l’unique pauvre compétence consiste à pratiquer couramment l’universel langage formel de la programmation informatique, et dont l’unique misérable fonction revient à décérébrer et influencer uniformément les néo-n’importe-qui du XXIe siècle, les réclamés du data dont n’entre en ligne de code ni la couleur de la peau ni la culture ni la langue maternelle ni la religion ni le lieu de vie. Et cela vaut pour les hackers qui codent comme pour les encodés inscrits sur Facebook, cette corporation au nom étrange associant deux réalités – le « Visage » et le « Livre » – dont tout ce qu’elle représente est l’antipode, tout ce qu’elle promeut l’ultime offense…

Et de même que tout cela n’a pas lieu n’importe où ni n’est le fait de n’importe qui, cela ne se concocte pas non plus dans n’importe quelle langue.

D’une part, l’invention est issue des profondément débiles us et coutumes universitaires américaines, frelatées de transparence, de culpabilité, de collectivisme, de lobbying, de compétition, de bons sentiments acidulés, de pornographie vinaigrée, d’orgies suralcoolisées, de mauvaise conscience hystérisée, de puritanisme globalisé, de racisme inconscient ou revendiqué, de frigidité mentale, de harcèlement polymorphe et, globalement, d’humanisme unanimiste. Il suffit de regarder et d’écouter trente secondes l’effaré Mark Zuckerberg pour deviner sa patente et banale imbécillité d’Américain moyen [11]. Tel est bien l’American Nightmare qu’impose Facebook à la face du monde.

D’autre part, le langage qui sustente l’imperceptible relation narcotique entre deux asservis du pixel – le codeur californien et l’utilisateur français ou azerbaidjanais ou guarani ou silésien ou israélien ou berbère de Facebook –, reliés par un système consubstantiellement capitaliste dont tous les tenants échappent intégralement à l’un (le codeur) comme aux autres (les utilisateurs), ce sous-langage formel est un outil parachevé par plusieurs siècles de cogitations logiques, mathématiques, algébriques, physiques, linguistiques, informatiques et philosophiques.

Quelle que soit sa langue maternelle, la « voix reversée et basse » [12] du Numéricain procède ainsi de l’universel langage formel de la cybernétique, dont la société « Alphabet Inc. » de Google n’est que le plus agressif représentant de commerce, le dernier mercenaire en date d’une longue guerre menée par la Logique et la Science (aujourd’hui planétairement déployées sous les espèces de la Technique et de l’Argent) contre l’infinie luxuriance créatrice de la Parole et de la Pensée.

La logique formelle est un sous-langage dont la maxime moderne – le IHSV de l’impérialisme cybernétique – est sortie de la caboche spinozienne de Noam Chomsky en 1957, dans ses Syntactic structures, comme illustration d’une phrase syntaxiquement impeccable quoique sémantiquement insensée : Colorless green ideas sleep furiously, « des idées vertes incolores dorment furieusement ».

Peut-être que si le grommelant Chomsky avait échangé le M.I.T. pour une yeshiva plutôt que de s’exciter contre les Pirahãs dont la merveilleuse langue inouïe et unique au monde fait imploser ses théories totalitaires d’une grammaire génétique universelle –, il aurait été à même d’entendre ce que désigne cette phrase sortie de sa caboche spinozienne : ni plus ni moins que l’uniforme monde de l’eidos, aux sources de l’impérialisme cybernétique, ce monde où les couleurs artificielles ne sont que de translucides et insipides combinaisons de 0 et de 1, et dont la somnolente rationalité engendre, à son insu, sa propre irrépressible fureur ravageuse…

À cet égard, que Facebook ait été conçu par un daltonien ne parvenant à distinguer nettement que la couleur bleue n’est pas indifférent. Depuis les premières secondes de son avènement, l’empire numéricain vocifère par devers soi « colorless green ideas sleep furiously », tandis qu’il susurre à l’air libre : « hello, world » [13], formule dont la débonnaireté vaguement inquiétante ne contribue pas peu au caractère consubstantiellement comminatoire de la cybernétique.

Ultime anecdote significative : Deux ans après sa création (en 2004) et son foudroyant succès, Facebook embauchait le mathématicien Jeff Hammerbach, expert en trading algorithmique (indispensable dans le domaine férocement déshumanisé du high speed trading, ce dont je traite en détails dans Chaos brûlant), en vue d’analyser les données des utilisateurs et de développer des programmes de ciblage publicitaire.

Six ans plus tard, évaluée à 104 milliards de dollars, la société Facebook était introduite en bourse…

***

Le message privé que je reçois par l’intermédiaire de Facebook est d’un journaliste. Il désire connaître mon avis sur le dernier scandale en date dans le « petit monde blême et plat » [14] des médias français. Je réponds par une sentence énigmatique : « Comme beaucoup d’autres choses aujourd’hui, le rire a changé de substance. Cordialement. S. Z. »

Puis je ferme mon ordinateur pour étudier un texte passionnant de Franz Boas sur la phonétique kwakiutl.

Je connais Yann Moix. C’est un « ami » au sens fragile que peut revêtir ce mot dans le milieu littéraire parisien. S’il a quelques graves défauts, apparemment liés à sa biographie troublée, il possède une qualité rare : il aspire sincèrement à s’amender. C’en est même saisissant comme il incarne, à l’œil nu, la lutte quotidienne et douloureuse décrite dans le judaïsme entre le yetser hatov et le yetser hara’, le bon et le mauvais penchant.

Très jeune, Moix est captivé par Nabe. Très jeune, Nabe était lui-même subjugué par la dérision scatologique du magazine Hara-Kiri. Leurs trajectoires se croisent et s’éloignent dans des directions opposées : Moix lentement vers le mieux, Nabe à fond vers la fange. J’ai assez écrit sur le cas symptomatique de « Marco Banana » [15] pour ne pas avoir à y revenir en détails : « Spectral, faisandé, maintenu sous perfusion par ses rodomontades en boucle, il ne reprenait fugacement vie que lorsqu’un de ses lecteurs névrosés et passablement détruits venait lui parler de lui-même. Ce n’était plus le Banana combatif et hilare que j’avais connu aux débuts de notre amitié. Toute vraie joie l’avait fui, ne restait qu’une fiole de fiel proférant mécaniquement les mots ‘‘art’’, ‘‘jazz’’ et ‘‘swing’’ tout en exsudant la rage et la rancœur par tous les pores de son être. » 

Aux dernières nouvelles, Marco Banana s’est converti par opportunisme au protestantisme – une foi qu’il avait toujours abominée ! – et achève sa carrière fulminante d’amertume en acteur porno amateur…

Depuis sa plus tendre enfance, Nabe est un possédé scatologique. Cela explique la passion du burlesque sale qui l’habite. Il aime faire rire, mais en souillant. C’est cette pulsion souillonne qui lui faisait invectiver pornographiquement la Vierge Marie – comme quoi provenance provocatrice est aussi avenir protestant –, ou rédiger à seize ans de merdeux dessins pour Hara-Kiri. L’un d’entre eux, par exemple, représente un Arabe en dishdasha en train de déféquer un étron en forme d’étoile de David. Tout le reste est de ce délabré acabit. L’antisémitisme associé au comique de latrine est le point précis où Moix et lui se rencontrent. Aucun des deux pourtant ne vient d’une famille idéologiquement antisémite. Un pamphlétaire antisémite, ça a toujours existé ; un jeune publiciste taraudé par la question juive qui y apporte sa réponse imbécile, un Bernanos ou un Blanchot, voire un Marx, ce n’est pas nouveau.

Ce qui caractérise l’époque nouvelle où Nabe et Moix apparaissent et s’imaginent subversifs en s’en prenant aux Juifs, c’est le rire mauvais, la dérision dégénérée, la réaction sardonique à la souffrance d’autrui. On retrouvera ce même rire mauvais chez Dieudonné. Les nazis exterminaient en secret, les contemporains en ricanent ouvertement. Il s’agit, pour citer Artaud, de « singer l’être du mauvais vouloir ». « Et bientôt », explique le Prêtre du Peyotl à l’auteur des Tarahumaras, « c’est tout ce qu’il y aura : ce masque obscène de qui ricane entre le sperme et le caca. » [16]

***

Longtemps le Rire fut un instrument de contre-pouvoir, d’autant plus efficace qu’il était plus impertinent. Sous l’Ancien Régime, chansons et épigrammes témoignaient de l’énergie subversive du Rire, lorsqu’il est manié par des virtuoses du vers. Hors les jacqueries, le Rire était l’arme des exploités, seul susceptible de « tempérer une monarchie absolue » pour reprendre le mot de Chamfort [17]. Cela n’empêcha jamais les dominants de dominer, mais une parcelle symboliquement non négligeable échappait à leur emprise : le Rire pulvérisait tout effort pour imposer le respect. Les dards du Rire portés dans leurs flancs en témoignaient à chaque nouveau brocard. Mille illustrations en témoignent, comme cet extrait du Chansonnier à la mort de Louis XIV :

« Cy-gist au milieu de l’Église
Celui qui nous mit en chemise...
Cy-gist Louis le petit
Dont tout le peuple est ravi.
S’il eût vécu moins de vingt ans,
Il serait mort Louis le Grand...
Louis bornait ses conquêtes à Trianon
À compter des sornettes
À la Scarron...
On ne lui trouva point d’entrailles.
Son cœur était pierre de taille. »

Du Roman de Renart à Rabelais et Molière, Voltaire ou Céline, le Rire subversif a longtemps été une spécialité française. Comme on sait, c’est aussi une spécialité juive. Issu du Talmud où il s’exerce à l’encontre des plus puissants – empereurs, généraux romains, Chrétiens majoritaires, idolâtres et hérétiques détracteurs de toutes sortes –, l’humour juif se fonde précisément sur la supériorité spirituelle du faible portée contre le fort, du méprisé contre le hautain. Trop occupés à dominer leurs empires, ni le Christianisme ni l’Islam ne sont réputés pour leur humour. Le Christ ne rit jamais, Mahomet non plus. Lorsqu’il est question des Juifs, auxquels le Christianisme et l’Islam doivent l’essentiel de leur foi, les invectives pleuvent mais l’humour manque. Les « Pharisiens » – soit la seule secte juive à la source du Midrach, du Talmud et du judaïsme rabbinique historique – sont diversement qualifiés dans les Évangiles de « race de vipères », « hypocrites », « aveugles », « pleins de rapine et de méchanceté »…

Quant au Coran, explique Robert Wistrich [18], il « contient certains passages particulièrement choquants dans lesquels Mahomet stigmatise les Juifs comme des ennemis de l’islam et les décrit animés d’un esprit malveillant et rebelle. On trouve également des versets qui évoquent leur humiliation et leur misère justifiées, ‘‘encourant la colère divine’’ à cause de leur désobéissance. Ils devaient être humiliés ‘‘parce qu’ils n’avaient pas cru aux signes de Dieu et avaient tué les prophètes injustement’’ (sourate 2, versets 58/61). Selon un autre verset (sourate 5, versets 78/82), ‘‘les incroyants parmi les Enfants d’Israël’’ furent maudits par David et par Jésus. À titre de châtiment pour avoir ignoré les signes de Dieu et les miracles accomplis par les prophètes, ils furent transformés en singes et en pourceaux ou en idolâtres (sourate 5, versets 60/65). Le Coran insiste particulièrement sur le fait que les Juifs rejetèrent Mahomet (bien que, selon des sources musulmanes, ils le reconnurent comme un prophète) – par pure jalousie envers les Arabes et par ressentiment parce qu’il n’était pas juif. De tels actes sont aujourd’hui présentés comme caractéristiques de la nature sournoise, perfide et intrigante des Juifs telle que la décrit le texte coranique. »

À l’inverse, les quelques passages du Talmud sur Jésus et Marie, dénoncés comme blasphématoires et qui suscitèrent tant d’autodafés indignés, étaient avant tout des passages drolatiques. Le premier d’entre eux repose ainsi sur un subtil jeu de mots entre le grec εὐαγγέλιον (« bonne nouvelle », évangile) et l’araméen aven guillajon, « faux papier vierge » [19].

Pour en rester au cas de la France, en mai 1968 triomphe encore le rire classiquement subversif, la saillie irrespectueuse placardée sur des affiches mémorables, jusqu’à faire vaciller l’orgueilleux de Gaulle qui se targuait de posséder le monopole de l’humour. Mai 1968 aura ainsi été cette « sorte d’éclat de rire historique » prôné par Nietzsche pour « mettre de l’ordre dans toute cette absurdité européenne » « sans avoir besoin de faire couler une seule goutte de sang. » De la même matière subversive était le Rire des Situationnistes, un Rire politique ravageur qui déconsidérait à jamais sa victime.

La défaite de Mai 1968 a signé le triomphe du capitalisme spectaculaire, lequel a repris les choses en mains, y compris le Rire. De subversif, le Rire est devenu publicitaire, et l’amertume sans échappatoire des esclaves du Spectacle l’a rendu violemment mauvais. C’est précisément l’époque où naît en France l’esprit de souillure Hara-Kiri, désormais répandu partout et dont le règne avarié est incarné par Dieudonné lorsqu’il entonne sa chanson comique sur la Shoah. On est ainsi passé du Rire de combat à ce que Nietzsche nomme la « joie maligne » : « L’habitude de l’ironie, comme celle du sarcasme, corrompt du reste le caractère, elle lui confère petit à petit une qualité de joie maligne : on finit par ressembler à un chien hargneux qui, non content de mordre, aurait appris le rire. »

Le Spectacle, qui récupère tout, a également eu raison de cette subtile forme de résistance-là. Depuis des siècles le Rire était l’ultime revanche des exploités ; or la marchandise, achevant de modifier la substance du monde, s’est avisée que le Rire, comme le Désir et l’Amour, pouvait lui aussi devenir image, et que dès lors, à l’instar de toutes les fausses émotions publicitaires, le Rire faisait vendre. Comme d’habitude c’est aux États-Unis que la révélation eut lieu, avec les sitcoms conçues dans les années cinquante pour pallier l’intervalle entre deux réclames. Le seul objectif de ces productions débiles consistait à amadouer l’immense masse de consommateurs affalés devant la télévision. C’est alors qu’apparut l’aberration des rires en fond sonore, aussi artificiels que la musique dramatique dont aucun film à suspens au monde ne saurait se passer.

Le Rire qui soulageait autrefois les masses de la misère et de la persécution, était devenu un outil de propagande massive assené par la marchandise prenant possession du monde. Ainsi le Rire fut-il monopolisé par le Spectacle qui, barricadé derrière les écrans publicitaire d’une vie préfabriquée à la joie aussi factice que ses slogans pseudo-libertaires, renvoyait en réalité tout-un-chacun à sa pauvre existence minable de consommateur sur-stressé. De sorte qu’il ne restait plus à la vraie souffrance sociale pour s’exalter que la rage, la haine, et le dépit impuissants. Et lorsque la haine rime avec l’impuissance, ce n’est par définition plus contre les puissants qu’elle se tourne, mais au contraire contre les moins protégés.

Le 1er novembre 1970, un incendie éclata dans un dancing de Saint-Laurent-du-Pont, en Normandie, où 146 jeunes gens de seize à vingt ans périrent dans les flammes. Le drame fut jugé digne d’une analyse par Guy Debord, destinée à paraître dans le numéro 13 de la revue Internationale Situationniste [20]. Ce qui distinguait ce fait-divers de tant d’autres, c’est précisément la réaction des spectateurs, automobilistes arrêtés mais refusant de porter secours aux rescapés, et ricanant du malheur de ces jeunes en majorité pauvres, ouvriers et enfants d’immigrés. Debord, qui cite un article du Figaro relatant le drame, souligne précisément une phrase sur le rire : « Certains se sont amusés et riaient de nous voir faire, refusant de participer au secours. » Cet aspect si révélateur de notre époque, note Debord, fut aussitôt censuré par l’ensemble de la presse : « Quand d’autres journaux ont cité ultérieurement ce témoin, ce qu’il a dit des automobilistes qui refusaient de secourir ces jeunes gens et riaient de les voir brûler a été, comme par hasard, supprimé. C’était pourtant, de bien loin, l’information la plus sensationnelle. »

Debord n’est pas dupe de ce rire mauvais, ce rire d’infériorité (comme le complexe du même nom) produit par l’animosité de la part de qui a raté sa vie – le « résigné de l’automutilation » – envers qui incarne une jouissance fantasmée à laquelle le premier n’a aucune part. Telle est depuis toujours la trame de la mauvaiseté antisémite, qui se persuade que « les Juifs jouissent sur notre dos ». Telle est la justification que revendique un Dieudonné pour offenser en ricanant tous ceux qui ont été martyrisés pendant la guerre. Le rire mauvais est le rire de l’esclave qui, ne pouvant s’en prendre au véritable maître de sa destinée, s’en prend à plus malheureux que lui, quitte à le fantasmer comme « sûr de lui et dominateur » pour le haïr avec moins de vergogne. Debord note qu’« un bourgeois contemporain de Thiers eût sans doute secouru un ouvrier sortant en flammes d’un bâtiment qui brûle. Beaucoup de colons d’Afrique du Nord, au moins jusqu’aux années 50, l’eussent fait pour un Arabe. » À partir des années 70, le rire mauvais ne signale pas une modification de la psychologie humaine, il ponctue un basculement d’époque.

Ce qui a changé, c’est la démesure de la passivité spectaculaire, imposée planétairement aux néo-esclaves dénués de pensée propre, d’émotion propre, de désir propre, de volonté propre, ne maîtrisant rien de leur existence, n’ayant d’exutoire que dans le divertissement télévisuel, l’indignation à distance face aux malheurs du monde complaisamment rapportés par les journaux d’information et l’abject ricanement envers qui souffre concrètement davantage.

« Toutes les victimes du système » écrit encore Debord, « qui estiment qu’il ne leur reste plus, comme être et propriété, que l’aliénation à laquelle ils se sont identifiés, détestent furieusement la jeunesse : ils l’envient d’être plus libre qu’eux (tout porte à croire que la majorité des électeurs sont également monogames) et de moins courber la tête. »

C’est ainsi qu’en quelques décennies, partout dans le monde, le rire mauvais a pris le pouvoir. Pour un esprit un peu attentif, les choses ont basculé – en France du moins – de manière audible et visible dans les années quatre-vingts, soit au moment même où l’économie française rejoignait ouvertement la grande ruée néo-libérale vers le néant arbitrée par les marchés financiers. En privé, le cynisme, l’indifférence et la crapulerie mentale avaient toujours été sans limites. En public, les bouffées de rire mauvais s’échappèrent avec de moins en moins de retenue. Ayant triomphé de tous leurs critiques historiques (Georges Marchais, crapule stalinienne classique avait depuis longtemps acquis la figure d’un bouffon familier, tandis que l’intelligentsia française, ralliée à la cause de la gauche libérale et pavanant son imposture sur tous les plateaux de télévision, acheva de se déconsidérer auprès des derniers esprits libres), les nantis n’eurent plus besoin de faire l’effort de paraître gentils. Ce fut par exemple, il n’y a pas si longtemps, une demi-plaisanterie concernant le « temps de cerveau disponible » du téléspectateur dont un chef d’entreprise révéla ouvertement le véritable statut, non plus celui d’un « client-roi » mais d’un veau avachi en batteries destiné à l’abattoir de la surconsommation. Quelques années auparavant, une telle saillie serait demeurée confinée dans les coulisses d’un conseil d’administration. Désormais, le rire mauvais pouvait se permettre tous les éclats. Ce fut aussi l’époque où apparut l’infotainment, d’abord dans les pays anglo-saxons puis très vite partout ailleurs, soit la censure de toute information vraie sous le masque du rire et du divertissement. L’infotainment est ainsi devenu aujourd’hui le seul et unique rapport à la réalité du Numéricain ordinaire, toutou décérébré tour à tour indigné ou hilare, s’exprimant par « gifs » pour afficher ses consternants commentaires sur Twitter et par petits logos en forme de pouce ou de visage souriant ou colérique pour manifester ses négligeables émotions sur Facebook.

Désormais, le rire sale règne au sommet des États, suintant naturellement de la cupide caboche d’êtres plus orduriers les uns que les autres. Les illustrations abondent, que chacun a à l’esprit : telle blague de Macron sur les migrants comoriens ou sur la taille du sexe de son garde du corps ; telle remarque de Bolsonaro sur une députée « trop laide pour être violée » ; telle ineptie de Boris Johnson, telle insultante moquerie de Trump…

Chef d’un État dont l’économie et l’armée sont les plus impérieuses ayant jamais régné dans l’histoire des hommes, Trump n’est qu’une misérable paillasse auprès de qui même l’abruti Berlusconi passerait pour un dandy. Élu en ricanant salement de tout et de tous, cette caricature de clown malfaisant a démoli en quelques mois tous les garde-fous dont les gobe-mouches biberonnés à Tocqueville supposaient – à tort bien sûr – la démocratie américaine entourée par principe. Car un personnage aussi abject que Trump n’est pas une anomalie mais au contraire un parangon. Sa psychologie sardonique dénuée de toute compassion est la banalité même. Elle se retrouve partout, dans les médias, sur les réseaux sociaux, dans les bureaux, les usines, les cafés, les cours de récréation. En un sens, le rire sale n’est que la version contemporaine du ricanement des Tricoteuses à la face des condamnés à la Guillotine. Et comme le notait judicieusement Chateaubriand, la plus mièvre des sentimentalités formait l’envers théâtral de cette sarcastique cruauté, comme aujourd’hui les indignations pétitionnaires par réseaux sociaux interposés ne sont que l’envers spectaculaire de l’universelle raillerie. C’était déjà le rire sale qui émanait de Sudistes attroupés pour assister au lynchage d’un Noir ou d’Allemands extasiés attroupés au spectacle d’un soldat nazi coupant la barbe d’un vieux Juif. C’était déjà le rire insultant des adolescents blancs entourant Dorothy Counts en marche vers son nouveau lycée de Charlotte le 4 septembre 1957, « les sarcasmes de l’Histoire dans son dos » comme l’écrivait James Baldwin.

Aujourd’hui, donc, et contre toute attente, le rire sale est au pouvoir, parfaite démonstration que le Pouvoir, ayant éradiqué ses plus anciens adversaires, peut désormais tout se permettre. Les Ubu-Bozo du XXIe siècle, les chefs d’État ricanants et clownesques ne sont que les émanations du dernier stade avarié d’un système de domination universelle ayant la rapacité pour substance, parvenu à son stade d’ultime décomposition, vaste cloaque de vénalité n’ayant plus ni d’ennemi ni d’ailleurs.

Bien sûr, la domination spectaculaire ne se réduit pas à ce seul style de la saillie souillante. Les despotes à l’ancienne, glaciaux et compassés – le Russe et le Chinois –, coexistent avec le trumpisme sur fond de génocides locaux et d’esclavage à grande échelle. Tout cela alimente le capitalisme le plus débridé auquel sied l’Ubu le plus débondé. Ainsi n’est-il pas anodin que cet abruti caractériel de Trump soit un ancien bouffon spectaculaire. Il produisit et présenta longtemps en effet un programme télévisé où, pour rire, les participants étaient licenciés sauvagement. Produit par Trump, le show était à la fois une ode à la grande entreprise, une démonstration d’humiliation et de soumission à la logique capitaliste et une longue publicité mal dissimulée pour diverses marchandises de marques célèbres.

« Et bientôt », comme prédisait Artaud, « c’est tout ce qu’il y aura ».

***

En juillet 2007 – qui s’en souvient ? –, advint l’une des pires crises économiques de l’histoire moderne. Pourtant ce n’est pas tant le scandale des subprimes qui demeure notable, qu’à sa suite le maintien à flot des banques et des individus les plus impliqués dans la colossale arnaque. « Too big to fail », la significative bannière de cette impunité était en réalité l’affligeante maxime du capitalisme parvenu à son ultime stade de domination dégénérée.

Barack Obama fut élu à la suite de cette démonstration de force néronienne du néo-libéralisme, et les candides s’imaginèrent qu’une nouvelle ère débutait. C’est l’inverse qui s’annonçait : ayant définitivement triomphé de tout ce qui n’était pas lui, le néo-libéralisme n’avait plus besoin de se soutenir par un discours adéquat. Tout discours – autrement dit toute représentation spectaculaire dissociée de sa réalité – était plausible, en mal comme en bien. Qu’un Noir puisse accéder au sommet de l’État dans un pays aussi profondément imprégné de racisme que les États-Unis d’Amérique ne signifiait qu’une chose : l’Argent n’ayant pas davantage de couleur que d’odeur, n’importe qui, et à la rigueur n’importe quoi (une corporation, un ordinateur, un personnage de cartoon, un Trump…), peut le représenter. Cela n’a pas davantage de conséquences concrètes que la couleur d’un billet de banque ou la figure qui y est imprimée n’en a sur la marchandise qu’elle permet de se procurer…

Pendant huit années, tout en perpétuant un système profondément inique auquel il devait son enrichissement personnel et sa position au pinacle, Obama incarna le summum de l’élégance dont le Spectacle était capable. Et comme il n’avait à peu près aucun réel pouvoir, il dilapida tout son talent dans cette pure représentation. Ainsi le magnifique Obama aura-t-il été chargé de se répandre en paroles consolatrices après le Désastre dont il n’était qu’un des nombreux suppôts. Une de ses prestations les plus hilarantes consista en un sketch en duo avec un gagman à la gestuelle et à la rhétorique typiquement noires américaines, chargé de traduire sa « colère » à sa place [21]. Mais sous les éclats de rire, une profonde vérité s’exprimait, celle d’une « colère » aussi feinte que le flegme légendaire d’Obama dissimulait l’indifférence atavique de sa classe – les richissimes Démocrates qui l’avaient porté au pouvoir et qu’il servit si bien huit années durant.

Dès lors, peu avant les élections présidentielles de 2016, c’est lorsqu’il évoqua Bernie Sanders, en tout point son antipode, que le mépris de classe d’Obama apparut le plus nettement : « J’aime bien Bernie, Bernie est un type intéressant. Apparemment il y a des gens qui veulent vraiment voir un socialiste fumeur de joints à la Maison Blanche ! Peut-être que je vais me représenter après tout ! » [22] À une autre occasion, Obama commença par féliciter Sanders d’avoir fière allure en usant d’une formule proverbiale typiquement américaine : « ressembler à un million de dollars » : « Bernie, vous ressemblez à un million de dollars, ou pour le dire d’une manière que vous puissiez comprendre, vous ressemblez à 37 000 dons de 27 dollars chacun ! » [23] Sans être très méchante, la raillerie était une déclaration de guerre symbolique lancée au nom du camp des nantis contre le seul et unique candidat dans l’histoire des élections américaines à leur avoir ouvertement tourné le dos depuis son plus jeune âge !

Il existe ainsi une collusion paradoxale entre Obama et Trump – l’indulgence à l’endroit de la corruption intrinsèque au capitalisme – qui est aussi le point de rupture radicale entre Obama et Sanders. Une fois Trump élu, Obama exigea d’être payé 400 000 dollars pour donner une conférence à Wall Street. Les journalistes interrogèrent Sanders qui critiqua bien sûr une telle impudence : « Le principal conseiller économique du président Trump est Gary Cohn, ancien président de Goldman Sachs, une entreprise qui a dû payer 5 milliards de dollars d’amendes pour des procédés illégaux. Wall Street a un invraisemblable pouvoir, et j’aurais souhaité que le Président Obama n’y fasse pas un tel discours. » Incrédule, la journaliste de CBS demanda : « Êtes-vous en train de nous dire que si l’on vous proposait 400 000 dollars pour faire un discours, vous les refuseriez ? » À quoi l’impeccable Bernie Sanders, à peine décontenancé par l’imbécillité de la question, rétorqua : « Si Wall Street m’offrait cela ? Bien sûr que je refuserais. Je ne veux pas de l’argent de Wall Street… » [24] 

L’humour mesuré d’Obama ou le sarcasme sale de Trump sont les deux faces d’une même attitude. C’est toujours Wall Street qu’il s’agit de contenter.

Si l’on prend tout cela – notre époque – en considération, Bernie Sanders n’est pas n’importe quel politicien de gauche bien intentionné. Il est même, aujourd’hui, tout à fait unique au monde.

Bernard Sanders est juif, fils d’Elias Sanders, immigré de Galicie dans les années 20, et de Dorothy Glassberg, née à New York, elle-même fille d’immigrants ashkenazes. Ce qui est essentiel n’est pas seulement que Sanders soit juif. Après tout une crapule comme Henry Kissinger l’était aussi, dont les orduriers propos antisémites (entre autres) montre que la circoncision ne fait pas le rabbin ! Ce qui importe, c’est que Sanders soit foncièrement fidèle aux valeurs fondamentales du judaïsme de commisération envers le pauvre, l’étranger, la veuve et l’orphelin : « Car l’Éternel, votre Dieu, est le Dieu des dieux, le Seigneur des seigneurs, le Dieu grand, fort et terrible, qui ne fait point acception des personnes et qui ne reçoit point de présent, qui fait droit à l’orphelin et à la veuve, qui aime l’étranger et lui donne de la nourriture et des vêtements. » [25]

Cette éthique inouïe, inaugurée et jamais reniée par le judaïsme, Bernie Sanders s’y conforme depuis son plus jeune âge. « Je suis très fier d’être juif, et c’est un aspect essentiel de qui je suis comme être humain. » déclarait-il en 2016. [26]

L’enfance de Sanders est typique d’un petit Juif américain d’origine modeste, comparable à celle de Noam Chomsky ou de Philip Roth, bien qu’il provienne d’une famille plus pauvre que les deux premiers. C’est un « nice Jewish Boy from Brooklyn », un garçon juif bien éduqué, élevé dans le respect minimal des traditions, qui parle yiddish à la maison, étudie l’hébreu biblique le dimanche et fait sa bar-mitsvah en 1954. Mais lorsque Chomsky et son père s’intéressent à la modernisation de la langue sacrée, Sanders, comme Roth, est davantage soucieux de tirer des leçons du passé : « Un type nommé Adolph Hitler a gagné une élection en 1932, et comme conséquence de cette élection cinquante millions de personnes sont mortes pendant la Seconde Guerre mondiale, y compris six millions de Juifs. Aussi ai-je appris dès l’enfance que la politique est très importante. » Dans la même interview au Christian Science Monitor datée de 2015, Sanders se déclare non religieux mais « fier d’être juif » – on n’imagine ni Chomsky ni Kissinger proférer une telle chose ! – ; ailleurs, lors d’un éloge du pape François, il se réclame ouvertement de l’éthique du judaïsme : « Ce n’est pas une bonne chose de penser qu’en tant qu’êtres humains, nous pouvons tourner le dos à la souffrance des autres personnes. Ce n’est pas ça le judaïsme, et c’est aussi le propos du pape François, on ne peut se contenter de révérer les milliardaires et l’accumulation de l’argent. » [27]

Dans les années soixante, comme de nombreux Juifs américains de gauche, Bernie Sanders est opposé à la guerre du Vietnam et milite très activement pour les droits civiques et contre la ségrégation. Mais Sanders possède une autre particularité intellectuelle, qui le distingue de l’immense majorité des Américains. Très tôt, il réfute l’American Dream et se reconnaît anti-capitaliste. Ainsi est-il affilié à l’ultra-minoritaire Young People’s Socialist League. Être « socialiste » aux États-Unis ne recouvre évidemment pas la même réalité qu’en Europe. Ce mouvement libertaire n’a strictement aucune influence idéologique en Amérique du Nord (800 membres en 1962), et son objectif majeur est la lutte contre la ségrégation et pour les droits civiques, autrement dit la défense des Noirs américains. Sanders, comme bien d’autres Juifs de son temps, fait partie des rares Blancs énergiquement engagés dans la lutte. Conformément aux propos de Leo Strauss dans sa conférence « Pourquoi nous restons Juifs » faite le 4 février 1962 à l’Université de Chicago, les Juifs américains « savent tous qu’il existe en ce pays ce que l’on peut appeler une ’hiérarchie raciale’, entièrement extra-légale, mais non illégale, allant des Anglo-Saxons aux Noirs ; et nous sommes juste au-dessus des Noirs. Il nous faut reconnaître ce fait. Et il nous faut reconnaître qu’il y a une ressemblance entre le problème juif et le problème noir. » [28]

Durant les années 60 et 70, Sanders participe aussi, bien sûr, à tous les mouvements d’opposition à la guerre au Vietnam, mais à la différence de Noam Chomsky, Bernie Sanders est un homme bon qui ne fait pas la morale. L’hyper-dogmatique Chomsky est hanté par la rugueuse science et la caractérielle cybernétique, pas par la joviale virtuosité spirituelle du judaïsme. Sa première grande intervention politique consista en 1967 à faire la leçon aux autres intellectuels [29]. Chomsky, au fond, est un sermonneur, et dans ce rôle grotesque il lui est souvent arrivé de proférer des énormités. À Sanders, jamais.

Car Bernie Sanders vaut beaucoup mieux qu’un scientifique de haut niveau. Il est ce qu’on nomme en yiddish un Mensch  : un homme bon, un homme droit, courageux, au cœur pur, sans compromissions comme en témoigne toute sa carrière politique. Pour autant, très tôt, Sanders se révèle impeccablement lucide concernant les procédés de corruption et d’aliénation spectaculaires propres à la société américaine – et adoptés aujourd’hui partout ailleurs. En 1979, il publie un excellent texte consacré aux méfaits politiques de la télévision américaine intitulé Control Social and the Tube [30] :

« La télévision commerciale, telle qu’elle fonctionne actuellement, remplit plusieurs fonctions importantes. Premièrement, elle est censée rapporter le plus d’argent possible aux propriétaires de l’industrie et aux entreprises qui font de la publicité. Deuxièmement, tout comme l’héroïne et l’alcool, la télévision sert de mécanisme d’évasion qui permet aux gens de ’s’assommer’ et d’éviter la douleur et les conflits de leur vie – et les causes de ces problèmes. Troisièmement, la télévision est le principal véhicule par lequel les propriétaires de cette société propagent leurs points de vue politiques (y compris les mensonges et les distorsions) par le biais des ’informations’.

Les principaux réseaux sont détenus et contrôlés par certaines des institutions les plus puissantes de ce pays. En 1974, le Comité du Sénat américain sur les opérations gouvernementales a signalé que la Chase Manhattan Bank était le plus grand actionnaire de CBS et de NBC et le troisième plus grand actionnaire d’ABC, derrière Bankers Trust et Bank of New York.

/…/ La télévision est (pour le moins) extrêmement efficace pour vendre des produits – qu’il s’agisse de désodorisants en aérosol pour les aisselles, d’automobiles, de bière, de nourriture pour chats, de politiciens ou autres. En utilisant le principe hitlérien bien testé selon lequel les gens devraient être traités comme des crétins et bombardés encore et encore avec les mêmes phrases et idées simples, les esprits astucieux de Madison Avenue sont capables de convertir des millions de téléspectateurs à l’un ou l’autre produit en quelques mois.

/…/ Comme beaucoup d’autres aspects de la société capitaliste, il y a une contradiction fondamentale dans l’industrie de la télévision. Les propriétaires de l’industrie de la télévision, très consciemment, ne veulent pas utiliser ce média potentiellement extraordinaire pour éduquer les gens, pour élever les gens ou pour améliorer la qualité de vie dans notre société. Ce serait agir à l’encontre de leurs propres intérêts.

Ce que les propriétaires de l’industrie de la télévision veulent faire, et ce qu’ils font, à mon avis, c’est utiliser ce média pour laver intentionnellement le cerveau des gens et les rendre soumis et impuissants. Avec beaucoup de prévoyance, ils tentent de créer une nation de crétins qui iront fidèlement acheter tel ou tel produit, voteront pour tel ou tel candidat et travailleront fidèlement pour leurs employeurs pour un salaire aussi bas que possible.

Il n’est pas trop surprenant – étant donné la nature des établissements médicaux et psychiatriques – que très peu d’attention ait été accordée aux dommages psychologiques que les interruptions publicitaires constantes ont sur la capacité de penser d’un être humain.

/…/ Si l’industrie de la télévision encourageait la croissance intellectuelle, l’honnêteté et la poursuite de la vérité, elle mettrait la plupart des grandes sociétés hors d’état de nuire. La plupart des publicités consistent en des mensonges conçus pour vendre des produits qui sont soit identiques à ceux de la concurrence, soit totalement inutiles, soit excessivement chers, soit dangereux pour la santé humaine ou l’environnement. La dernière chose que les propriétaires de l’industrie de la télévision voudraient, c’est que les gens connaissent la vérité sur les produits vendus sur les ondes :

’Bonsoir. J’espère que vous allez acheter du Coca-Cola. Bien que nous vendions une bouteille à 50 cents, sa fabrication ne nous coûte que 5 ou 6 cents. De plus, Coke est assuré de pourrir vos dents et de vous bousiller l’estomac. En grande quantité, la forte teneur en sucre peut affecter le fonctionnement de votre cerveau.’

’Bonsoir. Nous espérons que vous achèterez l’automobile X. Nous la vendons dix fois plus cher qu’elle ne coûte à produire et, de plus, nous l’avons construite de façon à ce qu’elle se désintègre dans quelques années et que vous en ayez besoin d’une autre très bientôt. De plus, nous avons converti les hommes qui ont construit l’automobile en machines de chaîne de montage, et nous avons gravement pollué la ville où elle est fabriquée. Nous avons également créé une situation dans laquelle des quantités incroyables d’énergie sont consommées dans l’un des moyens de transport les moins efficaces que l’on puisse imaginer.

Ruez-vous dehors et achetez l’automobile X. N’attendez pas un jour de plus.’ 

Il ne fait aucun doute que la télévision a un impact énorme sur notre société, et que les contrôleurs de ce média ont beaucoup plus de pouvoir que presque tous les politiciens. Pour ceux d’entre nous qui sont soucieux de vivre dans une société démocratique et saine, il est nécessaire de considérer le contrôle de la télévision comme une question politique et de s’organiser pour gagner. »

On conçoit le caractère miraculeux de la candidature présidentielle en 2020 de l’homme qui rédigea ces lignes il y a plus de quarante ans et qui n’a pas dévié de convictions depuis lors ! L’autre miracle, associé à l’indéniable succès populaire de Sanders, est une innovation extraordinaire dans l’histoire des stratégies politiciennes américaines :

Une campagne présidentielle aux États-Unis exige d’engloutir des sommes d’argent considérables, sans lesquelles aucun candidat n’est susceptible ne serait-ce que d’être repéré, puis connu et apprécié. Pour engranger de telles sommes, les candidats s’offrent pieds et poings liés aux lobbies et aux grandes corporations qui financent leurs campagnes. Sanders a décidé de rompre radicalement avec cette servitude en n’acceptant de l’argent, par sommes modestes, que des particuliers. Or, cette tactique apparemment suicidaire dans le contexte politico-économique américain d’hyper-corruption institutionnalisé – que Sanders ne cesse de dénoncer dans ses discours –, a obtenu contre toute attente un prodigieux succès, garantissant à l’équipe de Sanders davantage de fonds de campagne que n’importe quel autre de ses rivaux démocrates.

Cette idée prodigieuse a son origine dans la conception juive de la droiture et de la charité, dont Leo Strauss rappelait dans sa conférence « Pourquoi nous restons juifs » que « dans le judaïsme ces deux mots signifient la même chose ». Il s’agit en effet de ce que la Bible nomme en hébreu tsedaqah.

Cette importance traditionnelle de la droiture-charité juive est telle que, dans le Traité théologico-politique, Spinoza, pourtant pas avare d’invectives contre les Juifs, en fait un des fondements de l’égalitarisme régnant dans l’État des Hébreux : « Chez les Hébreux, le jeu de l’intérêt propre prenait une importance unique, car jamais citoyens n’ont possédé leurs biens d’un droit plus absolu, que dans cette théocratie. Chacun avait la jouissance d’une part de terre et de champs, égale à celle du chef de la tribu, et il en était le maître perpétuel ; si l’un d’entre eux était contraint par la pauvreté à vendre sa propriété ou son champ, la part devait lui être restituée intégralement au moment du jubilé, et différentes institutions de ce genre s’opposaient à ce que qui que ce soit fût dépouillé de sa part régulière de biens. En outre, la pauvreté était plus supportable en ce pays qu’en aucun autre, du fait que la pratique fervente de la charité envers le prochain – c’est-à-dire les concitoyens – s’imposait à tous les fidèles soucieux de se concilier leur Roi-Dieu. » [31]

Il faudrait une longue étude pour montrer comment, contre tous les clichés, l’« esprit du capitalisme » est étranger à « l’éthique » du judaïsme. Malgré sa bonne volonté, Weber n’y comprend pas grand chose, qui rapproche à certains égards le Talmud du puritanisme [32]. Il faudrait revenir sur l’imposant traité qui ouvre l’Ordre du Talmud de Babylone consacré aux « Dommages », découpé en trois parties (Babba Qamma, Babba Metsia et Baba Batra), où sont examinées toutes les possibilités envisageables de léser, d’exploiter et de violenter autrui (avec ou sans intention, dans le domaine public ou privé, par vol ou violence, lors de l’acquisition ou la transmission d’une propriété, par l’usure, l’intérêt, la vente ou le prêt, lors de l’emploi de travailleurs salariés, par la propriété en association ou par héritage, lors d’actions juridiques, lors de la rédaction de documents juridiques, dans le domaine des poids et mesures…), pour saisir que la pensée juive est la plus rigoureuse et intraitable critique du capitalisme dont l’essence, bien antérieure à sa structuration industrielle, n’est autre que la cupidité humaine, l’auri sacra fames que dénonçait déjà, bien avant le sermon christique sur les riches, et même avant Virgile, la Bible juive.

La cupidité se dit betsa’ en hébreu, {}mot qui désigne le profit, le butin, le gain, l’intérêt et l’avidité. Le terme est presque exclusivement employé négativement, il désigne le profit obtenu par la violence, réelle ou symbolique, comme lorsque Juda dissuade ses frères de tuer Joseph : « Quel gain (betsa’) aurons-nous à tuer notre frère et à dissimuler son sang. » [33] C’est donc un des pires péchés humains, qui s’oppose directement à la droiture charitable, la tsedaqah. « Incline mon cœur vers tes préceptes, et non vers le gain (betsa’) ! » demande David au Psaume 119 [34]. Et le prophète Isaïe [35], employant dans un même verset les deux mots tsedaqah et betsa’ : « Celui qui marche dans la justice (tsedaqah), et qui parle selon la droiture, Qui méprise un gain (betsa’) acquis par extorsion, qui secoue les mains pour ne pas accepter un présent, qui ferme l’oreille pour ne pas entendre des propos sanguinaires, et qui se bande les yeux pour ne pas voir le mal… »

La singulière Grassroots Campaign de Sanders rappelle également une coutume biblique qui tire son origine du livre de l’Exode [36], nommée en hébreu mah’atsit hashekel, soit le demi-sicle. L’idée ne consiste pas seulement à récolter de l’argent mais à dissocier le don de la position sociale, permettant à chacun d’être inclus à égalité dans le geste commun. Si la somme de chaque don était libre, les gros donateurs écrabouilleraient narcissiquement les petits sur le mode rival et provocateur du potltach. Telle n’est évidemment pas l’intention de Sanders. Ses donateurs offrent chacun ce qu’il peut, dans la limite raisonnable d’une somme modeste. Dès lors, au cours de chaque discours de Bernie Sanders, retransmis sur les réseaux sociaux, une liste de noms et de chiffres défile horizontalement au bas de l’écran, allusion transparente à la cotation des actions Nasdaq sur Bloomberg TV. Or ce qui défile de manière touchante tandis que Sanders s’exprime, c’est la liste des derniers donateurs : un prénom suivi de l’initiale d’un patronyme et de la somme versée : 3 dollars ici, 20 dollars là, 5 dollars, 10 dollars, 50 dollars, etc.

Ce qui compte n’est pas de faire du chiffre mais de multiplier les noms en grand nombre, autrement dit, comme dans la Bible, en se dénombrant et en se nommant par son don, de se reconnaître comme un seul peuple uni par ce geste de pure droiture.

Voilà la belle tradition à laquelle appartient Bernie Sanders. Et voilà ce dont osa se gausser Obama lors du dîner des correspondants de la Maison Blanche.

À l’heure où j’écris, il demeure bien des incertitudes concernant la campagne de Bernie Sanders. Il peut être assassiné, à la Kennedy ; il peut perdre les primaires démocrates ; s’il les remporte, il peut perdre contre Trump lors de la présidentielle en novembre 2020. Le pire est toujours possible.

Et même si Bernie Sanders est élu, peut-être est-il déjà trop tard pour contrecarrer le ravage capitaliste de la planète. Mais une chose est certaine. Ce ravage, aucune autre révolution locale ne pourra y mettre un frein si le pays économiquement et militairement le plus puissant, le plus nocif et le plus influent du monde n’est pas d’abord interrompu dans sa course dévastatrice.

Élu, Bernie Sanders sera le premier président américain fidèle aux valeurs juives de droiture charitable, conscient de l’urgence de pratiquer sur le plan politique ce que les Juifs nomment sur le plan spirituel le Tiqoun Olam, la « réparation du monde ».

« On n’a jamais rêvé un rêve le plus noble que celui-là. Il est certainement plus noble d’être victime du rêve le plus noble qui soit que de profiter d’une réalité sordide et de s’y vautrer. »

Tel est ce qu’exprimait Leo Strauss en 1962, dans sa conférence intitulée « Pourquoi nous restons juifs ».

Stéphane Zagdanski

Bernie Sanders allumant une ménorah de Hanoukkah, Des Moines, 2019

[1« La Parole », in Acheminement vers la Parole.

[2Il écrit à Ferdière le 18 octobre 1943 : « Car si je connais mal la Psychanalyse de Freud, ou celle de Jung, en revanche j’ai étudié de très près la Kabbale dans le ’Zohar’ ou le ’Sepher Ietzirah’ et à leur lumière comme à celle de quelques écrivains chrétiens des premiers siècles j’y ai trouvé une explication des choses qui m’a intégralement satisfait. »

[313 janvier 1947.

[4Trame des derniers épisodes de la saga Marvel’s The Avengers.

[5Google Inc.

[6« We liked the name Alphabet because it means a collection of letters that represent language, one of humanity’s most important innovations, and is the core of how we index with Google search ! We also like that it means alphabet (Alpha is investment return above benchmark), which we strive for ! » Source Wikipedia.

[7Cf. I Samuel 25 : 3. 

[8Conférence du Vieux-Colombier, 1947.

[9Job 18, 4 : « Toi qui déchires ton âme dans la colère, la terre sera-t-elle abandonnée à cause de toi, et le rocher sera-t-il transporté de sa place ? »

[10« Identité et différence », Questions 1 & 2.

[11Dernier exemple en date, son audience au Congrès américain du 23 octobre 2019 et ses minables réponses embarrassées aux incisives questions de la représentante Alexandria Ocasio-Cortez : https://www.c-span.org/video/?c4824531/representative-ocasio-cortez-questions-mark-zuckerberg-facebook-fact-checking-policy

[12« La conscience est menée, la masse inconsciente a sa police qui ne permet pas l’individualisation. Tout ce qui émerge a la tête tranchée. C’est que c’est dans l’inconscient justement qu’entre la conscience, logique, raison, déclic discursif, déclic dialectique. Les rapports d’homme à homme ne sont pas ceux de la poste, de la radio, des rencontres, des conversations, des embrassades et du coït, la conscience ne cesse hors milieu de conférer avec la conscience, chaque homme parle à son voisin de vive voix, puis à voix reversée et basse, non sur le plan du particulier, mais sur celui du général, et le tutoie comme s’ils avaient toujours fricoté. » Antonin Artaud

[13Formule usuelle employée par les informaticiens lors du test d’un programme afin d’en manifester l’exécution sans erreur.

[14Rimbaud, « Soir historique », Illuminations.

[15Dans Pauvre de Gaulle !, Zagdanski contre Sollers, et RARE.

[16Les Tarahumaras.

[17« Un homme d’esprit me disait l’autre jour que le gouvernement de la France était une monarchie absolue tempérée par des chansons. »

[18« L’antisémitisme musulman : un danger très actuel », Revue d’Histoire de la Shoah, 2002.

[19On peut en lire une passionnante analyse par Dan Jaffé en ligne : https://www.cairn.info/revue-pardes-2003-2-page-79.htm

[20L’I.S. ne sera plus publiée après le numéro 12. Cf. « Sur l’incendie de Saint-Laurent-du-Pont », in Œuvres, Quarto, p.1070-1074.

[21Le sketch est visible sur sur YouTube. White House Correspondents Diner, « The Anger Translator », daté du 25 avril 2015 : https://youtu.be/G6NfRMv-4OY

[22White House Corespondents Diner, 25 avril 2015 : https://youtu.be/_Ad81gWzJK8

[23White House Correspondents Diner, 1er mai 2016 : https://youtu.be/G_O9rWprn44

[24Interview sur CBS le 28 avril 2017, https://youtu.be/L0ueE9jhmwU

[25Deutéronome 10, 17-18.

[26« I am very proud of being Jewish, and that is an essential part of who I am as a human being. » CNN, Democratic Presidential Debate, mars 2016.

[27« I am who I am, and what I believe in and what my spirituality is about is that we’re all in this together. That I think it is not a good thing to believe as human beings we can turn our backs on the suffering of other people ... and this is not Judaism, this is what Pope Francis is talking about, that we can’t just worship billionaires and the making of more and more money. Life is more than that. » Source Wikipedia

[28Pourquoi nous restons juifs, Allia 2017.

[29Dans son article The Responsability of Intellectuals, publié dans la New York Review of Books le 23 février 1967.

[31Chapitre XVII.

[32L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, deuxième partie, chapitre 2 : « Ascèse et esprit capitaliste »

[33Genèse 37, 26

[34Psaumes 119, 36

[35Isaïe 33, 15

[36« L’Éternel parla à Moïse et dit : Lorsque tu feras le relevé des Israélites pour les dénombrer, chacun d’eux donnera à l’Éternel une rançon pour sa personne lors du dénombrement ; de la sorte, lors de ce dénombrement, il n’y aura pas de plaie parmi eux. Voici ce que donneront tous ceux qui seront compris dans le dénombrement : un demi-sicle, selon le sicle du sanctuaire, qui est de vingt guéras ; un demi-sicle sera prélevé pour l’Éternel. Quiconque sera compris dans le dénombrement, depuis l’âge de vingt ans et au-dessus, donnera (l’offrande) prélevée pour l’Éternel. Le riche ne paiera pas plus, et le pauvre ne paiera pas moins d’un demi-sicle, pour l’offrande prélevée pour l’Éternel, afin de racheter leurs personnes. » Exode 30 : 13

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :