Bénéficiant de subventions publiques d’un montant de 2,9 millions d’euros, de l’aide de la Région, de la Préfecture et de l’accord tacite de la commune de Gramat et du bien nommé Parc Naturel Régional des Causses du Quercy, l’usine s’est imposée malgré une forte inquiétude de la population. Elle traite aujourd’hui 65000 tonnes de déchets par an, issus d’élevages industriels appartenant à la Quercynoise CAPEL [3].
Par le processus de méthanisation, où les déchets sont dégradés par des bactéries et génèrent du méthane qui peut ensuite être utilisé pour produire de la chaleur ou de l’électricité, l’usine est censée produire de la chaleur permettant d’alimenter l’abattoir de La Quercynoise CAPEL à hauteur de 70 % de ses besoins [4]. Or, l’usine n’a pas été pas capable de répondre à ses obligations contractuelles : en 2018 et en 2019, elle n’a produit que 6 904 MW thermiques et n’a pu donc fournir la totalité des 10 000 MW de chaleur qu’elle s’était engagée à fournir à la Quercynoise CAPEL. Pour honorer son contrat, Bioquercy a du « optimiser » sa production de gaz par l’ajout de gaz naturel liquide importé depuis des ports français.
Depuis son installation, l’usine de Gramat a généré nombre de nuisances pour ses riverains. Des odeurs nauséabondes ont pu se faire sentir jusqu’à 2 kms autour du site de production, provoquant même des malaises chez certaines personnes. Un article, paru dans le journal Le Monde [5], rapporte également les propos d’un apiculteur ayant constaté une forte mortalité de ses abeilles quelques jours après un épandage de digestat chez un voisin agriculteur, ainsi que des mortalités de vers de terre les jours suivants sur les parcelles épandues.
Il faut en effet savoir que la méthanisation produit un déchet : le digestat, un résidu le plus souvent liquide composé d’éléments organiques non dégradés qui représente 80% de la masse initiale traitée. Le digestat charrie souvent bon nombre de résidus d’antibiotiques, de métaux lourds tel le cadmium, de perturbateurs endocriniens reprotoxiques comme le cyclotetrasiloxane [6], de bactéries pathogènes comme le clostridium perfringens ou des entérocoques.
Présenté par l’entreprise Bioquercy comme un « fertilisant », il est alors légitime de se demander ce que contient son propre digestat répandu sur plus de 10000 hectares agricoles répartis sur le causse et dans le Ségala. Le Ségala qui, non content d’être le château d’eau de cette région (il alimente 70 % des lotois en eau potable), possède un relief pentu qui favorise le ruissellement et devrait donc interdire tout épandage.
Comme l’expliquent Michel Bakalowicz [7], spécialiste en hydrologie, et Jean-Louis Lasserre, ingénieur, le digestat s’infiltre facilement dans le mince sol [8] lotois et ne peut manquer de polluer les eaux souterraines en contaminant les captages d’eau potable, déjà régulièrement souillés par les effluents de l’agriculture intensive [9]. Les sols subissent en outre un apport massif d’azote sous forme ammoniacale qui entraîne la stérilisation des ces derniers avec un double impact sur leur capacité de nourrir les plantes mais surtout sur leur capacité de rétention en eau et en éléments minéraux [10].
Si certains germes contenus dans le digestat peuvent être éliminés par de coûteux traitements au chlore (Escherichia coli, entérocoques, coliformes), d’autres (bactéries sulfito-réductrices, clostridium) et leurs spores résistent à la chloration, une chloration importante, comme peuvent le sentir les Lotois dans l’eau du robinet, qui n’est pas sans conséquence sur la santé humaine (cancer de la vessie) [11].
Cette ahurissante réalisation va faire, malheureusement, des petits : quatre nouveaux méthaniseurs sont en chantier dans le Ségala à Espeyroux, Gorses, Labathude et Viazac subventionné par les pouvoirs publics à hauteur de 33 %. Afin d’éviter que les habitants des lieux concernés par ces implantations ne puissent réagir, le projet a été éclaté en 4 lots de façon à pouvoir faire l’impasse sur l’obligation d’une enquête publique et donc d’une d’étude d’impact et de danger. Ces quatre unités devraient bientôt produire jusqu’à 81500 tonnes de digestat qui seront ensuite épandues sur plus de 4000 hectares dans le Lot...
On voit ainsi de quelle façon pouvoirs publics et entreprises privées conçoivent la « valorisation du territoire » dans le Lot comme dans les autres départements : avec la transformation de lieux encore préservés en parcs de loisirs pour le tourisme ou en réserve de biomasse pour les métropoles, ou 80% de la population mondiale doit s’entasser d’ici 2050, on prévoit un nouvel avenir pour ces pays là : devenir la décharge publique des métropoles. Ainsi, après avoir fermé leurs écoles, leurs maternités, leurs bureaux de postes et leurs hôpitaux, l’État y permet, quand il ne l’encourage pas, l’enfouissement de déchets toxiques comme à Bure, hérisse leurs hauteurs d’éoliennes comme à Souceyrac ou sur le Larzac - quand il ne s’agit pas de panneaux solaires comme aux Mées -, projette de détruire et de polluer leurs sous-sols par l’extraction de gaz de schiste, y construit des incinérateurs comme à Marseille ou rêve de créer de pharaoniques aéroports au milieu de zones protégées...
Et pourquoi se priver ? Faiblement peuplés d’une population vieillissante et souvent précarisée, ces pays là représentent des espaces où enfouir le revers honteux de notre monde, ce que les métropoles et autres smart cities connectées ne sauraient voir : les déchets d’une organisation sociale qui, pour assouvir son démentiel besoin d’énergie et de consommation, ne peut que souiller et détruire ce qui l’entoure. Ici, la méthanisation, qui est présentée, avec l’habituelle faconde des bateleurs du green wasching, comme une façon de diversifier les apports énergétiques et d’éponger les importantes quantités d’effluents générées par l’agriculture industrielle, n’est qu’une des nuisances d’un système qui a réduit la nature en n’y voyant qu’un stock de ressources et un collecteur pour ses effluents et déchets [12].
Pour le Lot, l’avenir paraît clair comme un verre de digestat : ce pays, à l’image de la Bretagne ravagée par l’élevage industriel du porc, semble être condamné à voir son eau, son air et sa terre pollués. La Bretagne justement, déjà bien enfoncée dans cette ornière, peut témoigner des ravages de la méthanisation : pollution des eaux par le digestat, multiplication des accidents dans les unités de méthanisation, emploi abusif de fourrage et de verdure destinés aux bêtes pour augmenter les performances de ces unités, industrialisation des paysages, trafic incessant de camions, endettement massif des paysans s’étant fourvoyés dans cette démarche... Un article récent du Monde [13], qui traite de cette catastrophe, cite les mots de Olivier Allain, vice-président de la Région Bretagne, agriculteur et ancien responsable de la FNSEA, un syndicat pourtant peu suspect de sympathies écologistes : « C’est l’énergie renouvelable la plus subventionnée, avec une approche complètement erronée de l’intérêt agroécologique. C’est grotesque, énorme, une hérésie ! Ça finira de façon scandaleuse. »
Qu’un partisan affirmé de ce monde tel qu’il ne va plus en arrive à une telle déclaration, montre, s’il le fallait encore, la stupide dangerosité d’une telle entreprise. Pour autant, le constat du vice-président de la Région Bretagne n’étonnera que ceux qui croient aux vertus du progrès illimité et de la démocratie représentative. Le bref éclair de raison qui a motivé les propos de ce politicien ne doit pas nous égarer : s’il condamne les dérives par trop grossières du système agro-industriel, il ne remettra jamais en cause celui-ci. Il serait ainsi vain de penser convaincre de leur jobardise ceux et celles qu’on appelle encore nos élus. Comme n’importe quel entrepreneur, leurs pratiques et leurs intérêts, la limitation de leur esprit, plus volontiers tourné vers le retour sur investissement que vers la réalisation du bien public, font que même les plus vertueux d’entre eux sont littéralement incapables d’imaginer autre chose qu’un avenir gouverné par la technologie et le profit.
Notre société industrielle, au stade où elle est parvenue, n’est sûrement pas la première à se donner pour achevée, à se montrer obsédée d’elle-même, inapte à se représenter ou à se concevoir autrement [14]. Les catastrophes écologiques, politiques, sociales et sanitaires que nous connaissons, et la façon dont nos « élites » y font face, en est la plus terrible des preuves. Nature et politique sont intimement liées. Oublier que l’histoire des efforts de l’homme pour asservir la nature est également l’histoire de l’asservissement de l’homme par l’homme [15], c’est se condamner aux déclarations de principes, à l’impuissance consternée devant les ravages du présent. Il ne faut jamais l’oublier : toute résistance conséquente contre les nuisances du système techno-industriel ne peut faire l’impasse sur la remise en question du système lui-même. Dans ce domaine, comme dans bien d’autres, les solutions ou les possibles portes de sortie, quoi qu’elles puissent être, ne naîtront jamais que de l’initiative et de l’organisation des habitants de ce pays.
Des amis du Lot